Un honneur oui, un qui encore cause un certain trouble en elle. Une part d’elle comprend; elle n’est pas dupe au point où on pourrait le croire. Dans son ignorance, il y a une force puissante, celle de sa volonté : elle veut ignorer les signes qui de plus en plus s’amassent vers une réalité possible. Dès leurs premiers instants, Isidora s’est fait imperméable à tout ce qui pourrait la rapprocher de près ou de loin de cette avenue, avec obstination elle ne s’est pas imaginée en danger pourtant le temps lui prouve son erreur. La jeune femme de Pavlica n’a rien oublié de la morsure amère d’un cœur brisé et n’a aucune envie de retrouver cette sensation. Blindant sa tendresse derrière d’épais murs d’acier, elle tente de préserver en vain les parts le plus vulnérables d’elle, celles qui entre les mains de son ennemi pourraient faire des armes puissantes. Car c’est bien ce qu’ils sont, n’est-ce pas ? Viridis et Terren, adversaires pour toujours et amants de passage seulement. Sans l’avoir jamais dit, ainsi ira leur histoire, car ainsi l’a-t-elle décidé dès leurs premiers contacts intimes.
De toute manière, c’est impossible. Luciano ne lui porterait jamais ce genre d’estime. Elle n’en est pas digne. Elle est la gamine, l’épine dans son pied depuis toujours, devenue amie par quelque jeu singulier du hasard. Quelque coup tordu du destin. Une série d’événements unique les ayant rapprochés jusqu’à ce que… Jusqu’à ce qu’ils rencontrent leur fin. Inévitable n’est-ce pas ? Alors pourquoi cet homme qui ne laisse rien au hasard se risque-t-il à l’embrasser ? L’idée l’embrase et l’alourdit tout à la fois, un instant elle sent ses tripes se tordre d’une fébrile nervosité, d’une appréhension qu’elle ne comprend pas pleinement.
Dora ne peut plus contrôler le déroulement de cette soirée, ni l’étendue de ses propres sentiments. Tout ce qu’elle peut faire est de laisser des avenues plus rassurantes l’emporter. Ainsi sa requête de visiter l’appartement n’a absolument rien d’innocent : motivée à la fois de ses désirs de plus en plus pressants, elle cherche surtout à reprendre contenance sur la situation. Elle suit donc docilement son hôte au-travers les lieux et jette un œil intéressé en direction de la porte menant vers le toit. Est-ce possible que l’Arène s’y trouve toujours ? Connaissant Luciano, Milano et leurs idéaux, elle en doute fortement. Préférant ne pas se risquer à poser la question pour l’instant, la Championne des bas-fonds avise plutôt les quatre portes leur faisant face. Ainsi, l’aîné de la fratrie réside toujours ici à l’occasion… À l’idée de le croiser en ce lieu, un frisson d’horreur parcoure l’échine de la brunette. Si elle est parvenue à trouver un terrain d’entente avec le puîné de la famille, elle doute fortement pouvoir en faire autant avec le plus âgé. Une chambre est destinée à Elsa-Mina dont les deux ont déjà discuté, puis Aro, le fils de cette dernière… Oui, Isidora se souvient très bien de lui. Cet adolescent qui a disparu et qui a ébranlé les Viridis de bien des manières. Dora sourcille. Luciano n’en parle jamais, pourquoi ? La curiosité malsaine qui l’habite tout à coup se trouve attisée, interrompue toutefois par leur arrivée au lieu tant convoité.
En entrant dans la chambre de son amant, son visage perd plusieurs teintes de couleur. Les grandes fenêtres du salon se trouvent éclipsées par celles-ci, en biseau, qui offrent une vue imprenable sur un ciel piqué d’intenses étoiles. Se blottissant un instant contre le mur de l’entrée de la chambre, elle sent son cœur s’emballer à la perspective de se trouver si près du vide. Une de ses mains se referme par réflexe sur le bras du blond, comme pour le préserver de l’objet de sa peur. Pour dissiper tous les doutes possibles, elle rigole de manière un peu nerveuse, affichant un sourire narquois qui trahit son embarras à qui sait observer.
« Ce sont… de très grandes fenêtres ça… »
Ravie de se détourner pour étudier la salle de bain, elle admire les lieux, sobres et chic, bien différents de l’hacienda des Terren. Cette dernière, bâtisse ancienne modernisée, offre le même genre de luxe et pourtant Isidora se trouve incapable de comparer. Elle retrouve dans tout l’appartement la nature même de son amant : raffinement, réserve mais aussi élégance. N’ayant rien dit jusqu’alors ou presque, elle se trouve sous le regard soudain bien attentif de son hôte. Attend-il son verdict ? Amusée par sa réaction, la jeune femme laisse un sourire bien plus sincère flotter contre ses lèvres, et son cœur se réchauffer de ce regard qui l’englobe toute entière.
« J’aime ton appartement. Je comprends que tu t’y sentes seul à l’occasion toutefois. » bravant une fois de plus la distance entre eux, elle tend la main vers sa joue qu’elle effleure avec douceur. « Viens. »
L’attirant avec elle sur le lit, elle y prend place en le trouvant aussitôt d’un incroyable confort, détail qu’elle s’empresse de souligner d’un soupir de bien-être. Bien que son intention ne la dirigeait pas en ce sens au départ, elle se sent apaisée par le contact avec ce matelas, qui sent comme lui, qui sent comme Luciano. Levant le menton, elle observe la peinture de Viridium qui trône au-dessus de sa tête. Pourquoi ce Pokémon, spécifiquement ? Il lui semble avoir entendu dire que les Viridis partagent une affection particulière pour les Pokémon cervidés. Pourtant Luciano fait tache avec sa passion des chiens. Un détail qui, jusqu’à présent, lui avait échappé. Lui aussi est différent dans sa famille.
Isidora vient poser sa tête contre son épaule, se retournant pour faire face aux fenêtres. D’ici elle ne peut pas voir le sol ce qui la rassure; non son regard s’est plutôt perdu dans l’immensité du ciel nocturne.
« J’ai toujours aimé la nuit. C’est calme. D’ici on peut voir les étoiles bien mieux qu’à Pavlica. » elle doit le reconnaître, bien malgré elle. « Je te gage que tu ne prends pas souvent le temps de les admirer, occupé comme tu l’es. »
N’avait-elle pas projeté de se perdre à ses désirs ? Maintenant que l’instant se profile, elle se trouve étonnée d’elle-même. La simple proximité de Luciano lui suffit, pour l’instant. Elle-même n’a pas su admirer les étoiles depuis longtemps, très longtemps. Comme bien des choses, avec lui.
« Certains êtres nous touchent plus que d'autres sans doute parce que, sans que nous le sachions nous-mêmes, ils portent en eux une partie de ce qui nous manque » — Wajdi Mouawad
Trop absorbé à lui faire visiter sa pièce la plus intime, Luciano ne vit pas le palissement pourtant brutal d’Isidora à la vue des larges fenêtres qui offraient sur le ciel une perspective considérable. Même l’agrippement hâtif de sa main sur son bras ne fut pas en mesure de faire naître en lui le moindre questionnement, et plutôt que de saisir l’origine véritable du rire nerveux qui gagna la jeune femme, l’intendant se contenta d’en être témoin, non sans tout de même une certaine perplexité … qu’est-ce qui lui prenait ? A mille lieux d’imaginer la hantise de sa partenaire – Isidora Terren n’avait peur de rien, n’est-ce pas ? – à tort Luciano fit le choix de ne pas investiguer, trop occupé à attendre son verdict. Si Luciano Viridis bramait haut et fort n’avoir que faire de l’avis d’autrui, l’idée cependant n’était pas tout à fait vraie, pas entièrement. Certaines personnes avaient ce pouvoir-là, celui d’inquiéter l’intendant, de susciter en lui un désir de plaire, de satisfaire ; et si son arrogance le préservait le plus souvent de douter – Luciano avait confiance en ses talents et ses capacités – demeurait malgré tout des instants où, soudainement incertain, l’homme se retrouvait saisi par une hésitation teintée d’appréhension. Cela arrivait, oui, et qui aurait cru qu’un jour Isidora Terren aurait été de celle à pouvoir s’en vanter ?
Sans pouvoir s’en empêcher, un sourire s’esquissa sur le visage de l’intendant lorsque le verdict de la jeune femme tomba. Un Luciano plus clair d’esprit n’aurait pas manqué de s’étonner de ce soulagement soudain … vraiment, qu’est-ce que cela pouvait bien lui faire qu’Isidora Terren aime ou non son appartement ? Et pourtant, l’esprit et le cœur désormais charmés, Luciano laissait ses émotions le gagner, se hasardait à les accepter. Pouvait-il s’abandonner pour ce soir, juste ce soir ? Luciano le savait : demain ne manquerait pas de leur rappeler qui ils étaient, ce qu’ils étaient … en attendant, la perspective de voguer ce soir sans bouée dans les eaux troubles de leur accointance faisait naître en lui un soulagement étrange, dont il n’avait pas eu conscience de se languir jusqu’à maintenant.
Attiré par l’envoûtant contact de la main de son hôte contre sa joue, Luciano se laissa guider jusqu’au lit, s’y installa à ses côtés avec douceur. Le regard d’abord tourné vers elle, l’intendant observa la pavlicaine se complaire, et glissant finalement sur le côté pour mieux la contempler, l’homme laissa ses yeux parcourir les reliefs de son corps, dont certaines parts lui étaient généreusement dévoilées. La princesse de Pavlica n’avait rien à envier à personne, tel était du moins l’avis de cet homme qui, malgré les mois écoulés, ne se lassait toujours pas de l’indéniable attrait physique d’Isidora Terren, qui n'échappait à personne partout où elle passait. Silencieuse, Dora s’était mise à fixer le tableau au-dessus d’eux et influencé par sa contemplation, Luciano avait finis par faire de même. Quel sens donner à la présence de ce Viridium ? Bien plus que quiconque ne pouvait l’imaginer … à qui connaissait la légende, la symbolique du pokémon trahissait le positionnement des Viridis, et si la plupart des gens se contentaient d’y voir une simple représentation, la vérité était bien différente, bien plus profonde … Luciano Viridis ne faisait jamais rien au hasard et ce Viridium ne faisait pas exception à la règle.
Dora se retourna finalement et braquant son regard en direction des baies-vitrées, la jeune femme s’attarda à détailler les étoiles qui piquaient l’obscurité du ciel. La nuit les gratifiait d’un ciel sans nuage qui ne laissait visiblement pas la jeune femme indifférente, et pendant longtemps Luciano continua de l’observer pendant beaucoup, beaucoup trop longtemps. L’intendant de Borao aimait un peu trop la voir là, si près en bien des sens, et de nombreuses secondes s’étaient écoulées lorsque le puîné s’affaira à lui donner réponse.
« — C’est parce que l’air ici est moins chargée » déclara l’homme, offrant à la jeune femme une explication à sa remarque concernant la visibilité des étoiles, plus prononcées ici qu’à Pavlica.
Borao avait cette caractéristique-là, celle d’offrir à ses habitants une qualité d’air et une atmosphère peu égalables à Cinza. En cela, la végétation largement prononcée de la ville n’y était pas pour rien : la Moderne était moins polluée que ses comparses et cela se sentait autant que cela se voyait. Homme de science, Luciano aimait à expliquer rationnellement les choses et les évènements ; terre à terre, la magie et le mysticisme avaient rarement leur place dans ses discours, ce qui lui avait plus d’une fois valut le statut de rabat-joie … mais cela lui importait peu. Laissant un sourire affable traverser son visage, l’intendant poursuivit.
« — Tu as raison » reconnu-t-il « J’ai tendance à négliger les plaisirs simples, à les oublier … heureusement que tu es là pour m’en rappeler certains » assura le puîné.
Dora avait raison : depuis bien longtemps maintenant, Luciano avait perdu l’habitude de prendre le temps et d’en jouir comme bon lui semblait. Plus sensible qu’il n’y paraissait, malmené par les évènements passés, l’intendant de Borao avait érigé un mur, avait fait en sorte de se soustraire aux sensibilités en s’imaginant évidemment que cela fonctionnerait … ses nombreuses tâches et devoirs avaient bon dos.
Sans vraiment crier garder, Luciano s’approcha davantage, se pressa un peu plus contre la jeune femme dans une proximité qui termina d’échauffer leur cœur. Indéniablement plus tactile qu’au premier jour, toujours sur le côté l’intendant laissa l’une de ses mains s’aventurer aux abords de ses flancs, là où son haut ne couvrait plus son corps, caressant à l’occasion cette part d’elle que la pavlicaine avait eu la bonté de laisser à découvert.
« — Il y a un endroit où on les voit encore mieux, mais il va falloir t’habiller un peu plus que ça si tu veux t’y rendre » affirma l’intendant, sans pour autant se détourner de sa tâche. Tourmenteur, l’homme laissa ses doigts se risquer aux frontières de sa jupe, bravant les limites un peu, juste un peu « A moins que d’autres projets ne t’habitaient en entrant dans cette chambre ? » ajouta-t-il, rapprochant dangereusement son visage du sien.
L’homme demeura un moment en suspens, immobile, offrant au coin du visage de sa partenaire la chaleur de son souffle. L’instant s’égraina, s’étira, et finalement Luciano déposa sur sa tempe un baiser chaste, mais non dénué de promesses.
« — Le toit est venteux, mais cela vaut le détour » promit-il finalement.
Depuis combien de temps Luciano n’avait-il pas pris le temps d’apprécier la vue depuis le toit ? Plus qu’ailleurs des démons y dansaient, venaient rappeler à sa mémoire ce qu’il avait perdu, ce qui n’était plus … et pourtant, l’idée de s’y rendre avec elle ne le rebutait pas. De nouveaux, son affection pour Isidora Terren le poussait à quitter les chemins pavés de ses habitudes, à croire que sa présence le transformait. Comme bien des choses, avec elle.
La conscience environnementale n’a jamais fait partie des préoccupations des Terren; Pavlica en bonne cité ouvrière ne se démarque pas pour la propreté de son ciel. Ainsi malgré sa position en hauteur et privilégiée au cœur des terres les plus arides de Cinza, la ville d’Isidora ne permet pas une étude aussi poussée des étoiles. À son grand regret d’ailleurs. Oiseau de nuit, la jeune femme en apprécie tous les éléments. Des éclats d’argent de la lune au scintillement mystérieux des étoiles, à la brise nocturne chargée d’une étrange tranquillité, elle ne se lasse pas et aujourd’hui ne fait pas exception à la règle. Et que dire de partager cet instant de quiétude avec une personne qui, bien malgré elle, est devenu l’élu de nombreux de ses sentiments contradictoires ? Après la houle des derniers jours… voire des dernières semaines, la brunette se sent enfin se détendre au contact doucereux de son amant contre elle. Une émotion vient gonfler sa poitrine, une qu’elle n’a pas ressenti depuis longtemps. Si elle savait y mettre des mots, elle dirait qu’en cet instant auprès de Luciano elle se sent aimée ou du moins quelque chose qui y ressemble. Elle n’a pas souvenir de la dernière fois où elle a pu simplement être elle-même dans l’acceptation teintée d’humilité de l’autre personne. Qui aurait cru que parmi tous, ce serait son ennemi qui saurait susciter chez elle un tel sentiment de paix et de contentement ?
Ennemi, peut-être vraiment le nommer ainsi encore ? L’expérience leur aura appris que malgré leurs caractères opposés, bien des éléments les rassemblent, y compris des valeurs que la jeune femme était certaine d’être incapable de partager avec un Viridis. Peut-elle donc encore le prétendre maintenant qu’elle repose à ses côtés, dans ses bras, dans son lit ? Tandis qu’il lui sourit de cette manière, à lui souligner qu’elle est là pour l’aider à se souvenir d’avoir du plaisir, de mettre sa vie en pause une fois de temps en temps ? Dora se sent chavirer et dans un élan d’affection vient caresser les cheveux du puîné, sans prétention ou artifice. Si cela lui a fait plaisir ? Un peu plus qu’elle n’aimerait l’admettre mais une fois de plus elle se garde bien de le mentionner directement.
« À ton service pour te sortir ce bâton des fesses une fois de temps en temps. » fait-elle non sans un sourire amusé, presque enfantin. Si elle fait exprès ? Oui, absolument.
Prise de court par l’élan soudain de son interlocuteur, Dora se surprend à frissonner à son contact. Que lui prend-il ? Sa main tentatrice laisse des frissons délicieux contre sa peau nue. Attisée par ce contact, la jeune femme jette un regard brûlant à son amant. Depuis qu’elle a posé les pieds dans l’appartement qu’un désir se fait de plus en plus pressant chez elle, mais adepte de tensions et soupirs, elle se garde bien de brusquer les étapes. Surtout que Luciano semble avoir d’autres plans pour eux… Le toit ? À la mention de ce dernier, elle se sent brusquement blêmir. Revisiter l’Arène est un projet qui lui tente définitivement, mais affronter une fois de plus les hauteurs la rend quelque peu plus mesurée. Sans prendre la peine de répondre aux provocations de Luciano, la brunette se redresse.
« L’Arène… elle est toujours là ? »
Impossible. Foldo est mort et enterré depuis belle lurette. Et avec lui tout ce qu’il a construit ici. Luciano et Milano n’auraient jamais laissé l’Arène intacte, ce rappel de leur affiliation à un traître du système… N’est-ce pas ? Isidora le scrute intensément, sachant pertinemment que cette simple balade au toit n’en est pas une.
Elle est bien plus que cela.
« J’avais effectivement quelques idées, mais rien qui ne peut pas attendre. C’est ainsi qu’on fait durer le plaisir, mh ? Je veux bien visiter le toit, néanmoins je crains n’avoir rien apporté de plus pour me couvrir. Le plan était de me déshabiller, pas l’inverse. »
La jeune femme sourit à nouveau. Alors quoi, Luciano lui prêtera-t-il quelque chose à se mettre ? Quelque part elle l’espère, rougissant à cette idée. Il fut un temps, elle s’amusait à piquer les fringues de Jasper… Bien sûr, Luciano et elle ce n’est pas tout à fait pareil. Bien sûr.
« Certains êtres nous touchent plus que d'autres sans doute parce que, sans que nous le sachions nous-mêmes, ils portent en eux une partie de ce qui nous manque » — Wajdi Mouawad
Dans ses cheveux bientôt, Luciano sentit les doigts de sa partenaire se glisser, et l’homme s’abandonna un instant à la caresse, ferma les yeux l’espace d’une poignée de secondes. Avare à laisser autrui le toucher, l’intendant en ressentit pourtant un contentement simple mais pas moins véritable. Loin des touchés jaloux des harpies qui lui enviaient sa chevelure, la tendresse d’Isidora le toucha à bien des aspects, vint harponner son cœur sans qu’il ne puisse rien y faire. Brisant l’instant par ses mots, la remarque de la jeune femme lui arracha finalement un sourire, illumina le visage de l’intendant d’un amusement certain, trop rarement percevable, mais que la pavlicaine avait pourtant déjà eu l’occasion de contempler, en de rares occasions. Cette fille avait une audace folle et c’était ce qu’il aimait chez elle : Isidora Terren n’avait pas peur de lui, pas comme ça. Elle ne s’écrasait pas là où d’autres s’enterraient, lui tenait tête là où d’autres baissaient les yeux. L’intendant de Borao n’avait que trop rarement l’occasion de côtoyer des gens de cet acabit, et c’était ce qui la rendait si spéciale à ses yeux … ça, et bien d’autres choses.
« — Je n’ai pas un bâton dans le cul, Isidora Terren. Je suis mesuré et j’ai des principes, c’est différent » déclara-t-il, non sans une pointe de mauvaise foi dont il avait bien malgré lui conscience.
Et cherchant à marquer un peu plus la vanité de ses mots Luciano lui offrir un nouveau sourire, là encore amusé. Sa fierté le forçait à défendre ses intérêts, pourtant dans le fond, l’intendant de Borao savait bien que les paroles de la jeune femme n’était pas tout à fait sans fondement, et que l’homme qu’il était pouvait parfois paraître excessivement droit et prudent, souvent trop. Luciano n’avait pas mâché ses mots et pendant un moment, le puîné se questionna quant la raison qui avait poussé la jeune femme dans son choix de vocabulaire. "Fesses", vraiment ? Cela ne lui ressemblait pas … finalement intimidée par la présence de son aîné, Isidora avait-elle sciemment fait le choix de lui épargner sa vulgarité ? L’éventualité lui occupa un instant l’esprit.
Malgré son geste tentateur qui n’avait pas laisser la jeune femme indifférente, Luciano l’observa se redresser, et cette fois le palissement soudain de sa comparse à la mention du toit ne lui échappa pas … quoi, qu’avait-il dit ? La suite le garda de trop s’interroger : Dora le questionna concernant l’Arène, et le cœur du puîné se figea … l’Arène, bien sûr l’Arène, comment avait-il pu l’oublier ? Comment avait-il pu omettre l’éventualité de l’intérêt qu’elle pouvait y porter ? Un moment, le silence qui gagna Luciano trahit son hésitation. Immanquablement, la découverte de l’Arène et de son état viendrait dévoiler la présence de voiles, que l’intendant ne pouvait pas lever. Bien plus qu’Isidora pouvait se l’imaginer, l’appartement de Luciano Viridis contenait une multitude d’indices révélateurs à qui savait bien voir et l’Arène en faisait partie. La sagesse voulait le voir brouiller les pistes, mais le pouvait-il vraiment … le souhait-il ? Sans doute aurait-ce été possible plus tôt, plusieurs mois auparavant … mais ce soir, l’intendant voyait sa volonté s’effriter, s’amoindrir. Dora n’était plus pour lui ce qu’elle avait été, n’était plus cette gamine de Pavlica à qui il ne pouvait – devait ! – rien confier. Alors, finalement, l’homme se décida à lui répondre, esquissa un nouveau pas dans la confiance qu’il lui octroyait.
« — Oui » répondit-il simplement « Oui, elle est toujours là »
Luciano se garda bien d’en dire davantage, conscient qu’Isidora aurait tout l’occasion de découvrir et peut-être même de comprendre ce que cette vérité venait trahir. S’attardant sur les dernières paroles de la jeune femme, le puîné se redressa à son tour, déposa sur son épaule un baiser inattendu. Faire durer le plaisir, hein ?
« — J’aime bien brûler aussi, de temps à autre » avoua-t-il.
Si Luciano savait indéniablement faire durer le plaisir – Dora avait eu l’occasion de s’en apercevoir – humain, l’homme n’était pas sans pulsion, sans désir ardent ; cette part était là elle aussi, en certaines circonstances … Dora n’avait juste pas encore eu l’occasion de la découvrir. Reconnaissant non sans légitimé le plans initial de la jeune femme, un énième sourire étira un moment les lèvres de l’intendant … elle n’avait rien à se mettre sur le dos, vraiment ? Ce n’était pas un problème.
« — Ça peut s’arranger » assura-t-il en se levant.
Un instant, le puîné abandonna son hôte sur le lit pour aller farfouiller dans le dressing situé dans le fond de la chambre, et rapidement l’intendant en revint avec une veste au tissu sombre. Le mouvement du maître des lieux avait attiré l’attention de Gare à Toi qui, de son couchage, l’avait fixé tout au long du processus
« — Tiens » déclara-t-il en tendant le vêtement à Terren.
La veste promettait d’être trop grande mais … ils n’étaient pas un défilé de mode après tout, n’est-ce pas ? Avenant, l’intendant lui offrit une main pour l’aider à se lever. En avait-elle vraiment besoin ? Bien sûr que non, mais l’excuse était trop bonne et une part de lui se languissait d’accueillir dans sa main ses doigts, ne serait-ce que pour un fugace instant.
Retournant sur leurs pas, le duo quitta finalement la chambre talonné par les deux chiens, et lorsque les pokémons de Luciano virent leur maître se revêtir de sa veste, comprenant où les deux humains se rendaient l’excitation les gagna, et une brusque hystérie s’empara du salon. De toute évidence, monter sur le toit était loin d’être une exception pour eux – bien au contraire – et empressés, déjà, Gara et l’Elecsprint s’étaient mis devant la sortie, prêts à bondir dès l’ouverture. Jusqu’alors étrangement absent, se radinant à toute vitesse le Brindibou lui-même apporta sa contribution au chaos environnant, bâtant avec frénésie des ailes dans l’espoir de voir les choses aller plus vite ; et lorsque la porte s’ouvrit enfin, les pokémons s’engouffrèrent dans l’ouverture pour disparaître dans la nuit, laissant derrière eux ceux qu’ils accompagnaient. L’agitation passée, l’intendant invita la jeune femme à passer la première, l’encouragea d’un sourire affable.
L’accès donnait sur un espace couvert où se trouvait un petit bassin rectangulaire rempli d’une eau calme et sombre. Troublée par un mouvement provoqué par leur arrivée, de soudaines rides animaient la surface de l’eau, trahissant la présence d’habitants en cet endroit reculé de la Tour, où peu de gens avaient l’occasion de se rendre. Un pont plat permettait de traverser le bassin, qui lui-même donnait sur un escalier en pente courbée, largement végétalisé et dont le chemin était éclairé de spots à moitié perdus dans les feuillages. Loin de s’attarder à la découverte des lieux, les trois pokémons de Luciano se hâtèrent de traverser la zone, Gara en tête, avalant de longues foulées les marches qui montaient jusqu’au sommet.
En haut s’étendait le fameux toit qui, évidemment, couvrait l’intégralité du bâtiment, dévoilant à l’occasion toute son étendue. Entièrement recouverte d’une terrasse en bois ou peu s’en fallait, l’endroit se démarquait du reste par sa quiétude extrême, et ce malgré l’agitation des canidés qui se trouvaient déjà plus loin. A l’image du reste de la ville, le toit de la Tour Viridis était arboré : des buissons bas longeaient le bord, offrant aux imprudents téméraires une protection naturelle contre le vide qui s’offrait de l’autre côté, tandis qu’au fond des bambous dissimulaient une zone spécifique, qui semblait être en léger contre-bas. L’attention des nouveaux arrivants, cependant, se trouvait rarement attirée par cette partie-là … car plusieurs mètres devant eux se tenait les limites d’une aire particulière, sablonneuse, vierge de toute végétation ; une aire, dont l’usage désormais lointain n’était un secret pour personne. Comme promis, l’Arène de Foldo Viridis se trouvait encore là, intacte ou presque, et son état trahissait l’entretient méticuleux auquel le lieu était régulièrement assujetti. Seules les marques du champ de combat avait été effacées, offrant à la zone une neutralité légale qui, pourtant, ne trompait personne, absolument personne. Les Viridis entretenaient cette Arène … pourquoi ? Naïvement, Luciano espérait ne pas avoir à l’expliquer.
A leur arrivée, comme prédit un peu plus tôt le vent leur fouetta le visage, animant les quelques mèches fugitives de la chevelure du Viridis, que l’homme avait pourtant savamment rangé sous sa veste. Exaltée par la sortie, Gare à Toi s’était mise à galoper dans l’Arène, tentait par de bonds agiles d’attraper le Brindibou qui, morgueur, se targuait de voleter au-dessus d’elle. Eternel solitaire, l’Elecsprint quant à lui s’était contenté de s’éloigner, reniflant çà et là les odeurs que la journée avait laissé derrière elle. Au loin, l’obscurité avait fait se clairsemer la ville d’une multitude de lumières, que Luciano observa un instant avant de reporter son attention sur la jeune femme … silencieux, l’homme n’était pas sans savoir que l’état de l’Arène ne manquerait pas de susciter dans l’esprit de sa partenaire bon nombre de questions, et tout autant de suppositions qui risquaient de le mettre dans une situation bien délicate. Luciano l’avait su à l’instant même où Dora l’avait interrogé concernant l’Arène : en l’emmenant là-haut, l’intendant se risquait à d’inévitables questions auxquelles il n’était pas certain de pouvoir répondre. Partagé, déchiré entre deux choix, Luciano avait pourtant décidé de l’y conduire, de partager cela avec elle, conscient des risques et des éventualité – allait-il devoir lui mentir ? Sans doute – car après tout, sa compagnie valait bien un peu de mauvaise conscience.
Respectueux de sa découverte, Luciano laissa la jeune femme s’habituer à l’endroit. L’intendant de Borao n’avait pas menti : les étoiles étaient bel et bien plus visibles ici, à ciel ouvert, pourtant le regard d’Isidora ne s’attardait pas sur elles, pas encore ; rivé bien plus bas, il détaillait plutôt cette vaste étendue de sable stabilisé, vestige d’une histoire passée et révolue … ou peut-être pas tant que cela.
Elle est toujours là. Comment ? La question taraude la jeune femme au regard d’améthyste, et la simplicité de la réponse de son interlocuteur ne l’aide en rien à comprendre les circonstances qui ont préservé cet endroit si particulier. Un instant, Isidora en a le souffle coupé; cet incident vient confirmer ce qu’elle redoutait déjà, c’est-à-dire la puissance de sa désillusion au sujet des Viridis. Quels secrets garde cette famille sous le masque des apparences ? Avec une drôle d’impression, la brunette tente de mesurer son amant sous ce jour nouveau, de s’intéresser à ses raisons. Pourquoi donc aurait-il pris la décision de garder l’œuvre de son frère là-haut, malgré l’interdit et tout ce qu’elle représente ? Luciano n’est-il pas conscient des questions que la seule existence de l’Arène pourrait susciter ? Est-ce un choix délibéré de sa part, ou bien un élan de paresse ou de lâcheté ? Le blond a-t-il refusé de bafouer la mémoire de son frère ou bien l’a-t-il fait par simple état des choses ? Tant de questions se bousculent dans sa tête qu’elle a du mal à y faire du tri, et encore moins à formuler une hypothèse qui viendrait beaucoup trop emballer son cœur… L’emballer d’un espoir beaucoup trop prenant. Non, le Viridis doit demeurer son ennemi, car sinon qu’est-ce qui la protège de lui ?
Sous son obstination et sa naïveté, son cœur demeure en danger et elle le sent bien tandis que le puîné s’éloigne en direction de son dressing pour y cueillir une veste qu’il lui tend. La violette en découvre le tissu peu banal, soupèse la veste avec une expression pensive. Luciano a toujours eu un goût impeccable, une qualité que Dora ne peut que lui apprécier malgré leurs styles pratiquement aux antipodes. Ils n’ont pas besoin de se vêtir selon les mêmes critères pour retrouver chez l’autre le même souci du détail et le même goût du luxe et des belles choses. Un peu hésitante, Isidora offre un sourire presque moqueur à son amant, replaçant ses cheveux en grimaçant. S’habiller demeure une source de bien des douleurs là où le monstre l’a frappée. Elle se redresse ensuite en saisissant la main que Luciano lui tend, non sans avoir levé les yeux au ciel devant son élan galant qui ne manque pas de piquer son orgueil. Elle est capable de se lever seule après tout, mais saisissant bien le désir de l’homme de les rapprocher, elle n’ose émettre un commentaire qu’elle n’aurait pas épargné à un autre.
Malgré elle, la jeune femme se sent se tendre à leur approche de la porte, celle menant jusqu’au ciel. Isidora ne fait pas semblant; sa peur des hauteurs a failli mettre à néant son projet de combattre au cœur de l’Arène de Foldo plusieurs années auparavant tant la perspective de se hisser au sommet de cette tour l’effrayait. Doit-elle confier à Luciano la sensation d’étau qui compresse sa poitrine ? Cherchant réconfort auprès de Cornaline, la Championne de type poison se trouve bien déçue. La chienne de feu, entraînée par l’enthousiasme qui a gagné les trois Pokémon du maître des lieux, ne lui porte plus la moindre attention et s’empresse de suivre ses comparses en jappant à tue-tête une fois la porte ouverte. Voyant la Caninos s’éclipser, Dora se met franchement à trembler, espérant que son hôte ne remarquera rien. Pourvu qu’il ne remarque rien !
Car au-delà de sa crainte, la volonté d’y voir plus clair dans cette histoire d’Arène la pousse à s’aventurer aux devants tel que l’invite le Viridis. Malgré la pénombre, elle découvre une ère couverte, assaillie par l’eau et les végétaux. Une vision naturelle qui tranche avec la moderne sobriété de l’intérieur. Sensible aux jardins (après tout l’hacienda en contenaient d’uniques dans lesquels elle avait passé toute son enfance), Dora sent un sourire la gagner, scrutant chaque détail. Ces plantes sont bien différentes de celles qui peuplent sa région natale, pourtant ils ne manquent pas d’un certain charme. Le bassin, le petit pont, tout cela a quelque chose d’étonnamment romantique qui manque de la faire ricaner. Elle savait bien que sous ses airs sérieux se cachait une part sensible, peut-être même créative… qui sait. Luciano est un homme complexe qu’elle se délecte à connaître un peu plus au fil de leurs rencontres.
Rien ne la préparait à la vue de ce terrain, encore délimité sur ce toit à la végétation luxuriante. D’un coup, Isidora s’est figée, darde un regard absent devant elle. Assaillie par mille et un souvenirs, elle demeure pendant plusieurs instants complètement inaccessible. La jeune femme ne peut oublier les chants sporadiques d’une foule délirante assemblée autour d’un match Pokémon enlevant. Une part d’elle n’a pas oublié, ne pourrait même s’y risquer. Voyant ce vestige d’une autre époque, Dora revoit chaque instant de son passage ici au détail près, comme si c’était hier. L’exaltation qui en découle se mêle à la déception de sa défaite du jour, à la piqûre ô combien brûlante de ce rêve envolé. Même si elle savait à quoi s’attendre, Isidora la vision de cette Arène provoque en elle de tels sentiments qu’elle se trouve incapable de réagir pendant plusieurs instants.
Cornaline, pour sa part, se mêle aux jeux fous des autres, courant avec l’énergie d’un chiot derrière la louve crépusculaire que sa maîtresse découvrirait sous un nouveau jour si elle n’était pas si occupée à accuser le choc. La réaction de Dora attire l’œil de la petite chienne toutefois, qui se stoppant net glisse un instant en menaçant de faire cul par-dessus tête. Effectivement, la native de Pavlica s’est avancée sur le terrain, le regard perdu dans le passé. À l’instant où ses pieds rejoignent le cercle bien défini ou les deux adversaires se saluent avant une joute, elle s’arrête pour regarder partout autour d’elle. À la manière d’un tonnerre lointain qui soudain crépite et se rapproche, elle peut sentir l’ivresse s’emparer de ses sens, gonfler sa poitrine et éructer de ses lèvres dans un grand cri sauvage de pur, pur, pur bonheur. Attirant l’attention de son Pokémon qui accourt à ses pieds, elle brandit un bras devant elle.
« Cornaline, Charge ! »
Obéissant à sa demande, aussi soudaine soit-elle, la Caninos s’exécute. D’un bond agile, elle traverse à grandes foulées le terrain, laissant à sa suite des étincelles colorées qui se répandent avant de s’éclipser. À l’ordre de sa maîtresse, la chienne de feu émet un jet de flammes devant elle qui forme une spirale, un inferno, dans lequel elle fonce tout droit. Son saut l’amène haut, bien au-delà de la tempête de feu qu’elle vient de créer.
« Morsure aller ! »
Sa gueule se parant d’une lueur sombre, la Caninos se laisse retomber en direction du feu sous elle. Comme une entité propre, la lueur s’étire sous la forme d’une grande gueule qui vient dévorer les flammes sous Cornaline. Dans un grand craquement, une explosion retentit, faisant s’élever une volute de pâle fumée. La chienne trône en son centre, le buste fier, tandis qu’une pluie de tisons à la manière de petites étoiles, volètent autour d’elle. Isidora l’applaudit avant de se retourner vers Luciano. Dans ses yeux, tous les tisons de son Pokémon ne peuvent rivaliser avec le ciel étoilé qui s’y est formé.
« Je me souviens encore de mon combat, il y avait Citrine, c’était qu’un bébé à l’époque, combien il en a bavé ! Il s’est fait renverser et j’ai bien cru que c’était fini pour lui, mais il a réussi à l’emporter par je ne sais quel miracle. Mon cœur allait exploser. Ce match était magnifique. Foldo était magnifique ! Et que dire de ses terribles piafs ! Je m’étais préparée pendant des semaines, malgré tout ça n’a presque pas été suffisant. J’ai rarement vécu de match plus enlevant, plus prenant que celui-ci et à la fin j’avais totalement oublié que c’était un Viridis. À la base, je voulais vraiment l’humilier tu vois, étant… ben tu sais, un ennemi. Pourtant à la fin je… »
Elle se souvient. Elle l’a prise dans ses bras. Elle s’assombrit, soudain, le cœur lourd. Son père a participé à chasser des hommes comme lui, comme Foldo. Le frère de Luciano. Rien de tout cela n’aurait dû arriver. Isidora fait lentement volte-face pour scruter son amant, le cœur serré, le cœur lourd.
« Je suis désolée, Luci. »
Et cette fois, pas de sourire en coin. Elle est parfaitement sincère.
« Certains êtres nous touchent plus que d'autres sans doute parce que, sans que nous le sachions nous-mêmes, ils portent en eux une partie de ce qui nous manque » — Wajdi Mouawad
Avisé, Luciano n’était pas sans connaître le risque qu’une visite sur le toit impliquait. La vue de l’arène – il le savait – promettait de faire naître dans l’esprit de la jeune femme bien des questions, bien des doutes que l’intendant de Borao ne serait jamais en mesure d’effacer ; l’emmener sur le toit, c’était faire un pas sans retour en arrière … et pourtant, l’homme le lui avait proposé, sans tellement de réserve. L’existence de l’arène sur le toit n’était un secret pour personne, et si l’entretien régulier que lui offrait les Viridis était un peu moins connu, la chose n’en était pas pour autant un savoir caché ; peu connu certes, mais pas caché … il aurait fallu pour cela faire taire tous ceux qui participaient à l’entretient de la Tour, et Luciano Viridis avait d’autre choses à faire que de veiller sur le silence de ceux qu’il embauchait. L’homme n’était pas non plus sans savoir qu’il existait une corrélation étrange entre le désir de dissimuler quelque chose et sa découverte par autrui, aussi cette vérité avait-elle, jadis, terminée de convaincre l’intendant de ne pas chercher à cacher ce détail ; une stratégie qui avait finalement porté ses fruits, puisque l’information ne s’était jamais vraiment propagée. Isidora, de manière tout à fait individuelle, avait-elle eu vent de la présence encore bien marquée de l’arène de Foldo Viridis ? Il fallait croire que non, mais maintenant qu’elle le savait son intérêt pour l’endroit semblait avoir trouvé un souffle nouveau.
La voir se vêtir de sa veste arracha à l’intendant un sourire attendri. Malgré la grimace qui avait un instant marqué le visage de la jeune femme et dont l’origine ne lui échappait pas, la voir couverte de ce vêtement beaucoup trop grand pour elle avait quelque chose de singulier, venait ternir l’image de la très élégante Isidora Terren … ou peut-être pas tant que cela ? Ce qu’elle portait n’était après tout pas n’importe quoi, ni à n’importe qui, et si dans le tableau résidait une indéniable faute de goût en matière de taille, le reste aurait sans doute suscité la jalousie de bien des envieux et envieuses, qui auraient payé cher pour ne serait-ce qu’essayer l’une des vestes de Luciano Viridis. Demeurait également en son for intérieur, timide et pourtant bien présent, un sentiment particulier d’appartenance, de possession que l’intendant de Borao n’aurait jamais imaginer ressentir à l’égard d’Isidora Terren, et qui contre toute attente s’esquissait quelque part en lui, dans son esprit ou peut-être bien dans son cœur. La voir avec sa veste confortait quelque chose en lui et ainsi vêtue, Luciano avait la sensation qu’elle lui appartenait, venait mettre une image à ce qui grandissait entre eux dans l’ombre, à l’abri des regards et de leur fierté. Cette révélation qui venait d’éclore en lui-même le troubla et cela dû se ressentir, car son regard s’était un instant empli de fixité. Dans l’espoir de chasser son trouble l’intendant se reprit et en cela, la main d’Isidora contre la sienne lui apporta une aide inespérée, attirant par son contact son attention et bien d’autres choses auxquelles penser.
Quittant enfin la chambre qui promettait de les voir revenir – croire le contraire était bien mal les connaître – le comportement de la jeune femme durant le chemin jusqu’au toit, cette fois, attira le regard du puîné, attisa son sens de l’observation jusqu’alors aveugle. Loin d’être en mesure de pouvoir y donner une explication éclairée, plus que le reste les tremblements qui gagnèrent la pavlicaine à la vue des derniers escaliers qui menaient au sommet suscita son questionnement … avait-elle déjà froid ? Cette perspective ne le convainquait pas, mais quel autre sens donner à sa réaction ? Trop confiant quant à l’intrépidité qu’il attribuait à la jeune femme, Luciano était encore à mille lieux de percevoir la véritable raison de ce reflexe primitif qui trahissait le malaise de son hôte.
Tout fut bientôt balayé par la réaction d’Isidora à la vue de l’arène, qui laissa un moment l’intendant en suspens, en proie à l’incertitude. En cet instant précis, l’homme aurait donné n’importe quoi pour savoir ce qui se tramait dans l’esprit insondable de la jeune femme, pour connaître les tréfonds de ses pensées ; à la place, Luciano se trouvait perdu, sur le fil du rasoir … Isidora était-elle en train de le juger pour cette présence qui frôlait l’illégalité ? Ou bien était-elle subjuguée par cette vérité, au demeurant des plus inattendue ? Devait-il avoir peur ou, au contraire, devait-il se réjouir ? L’intendant n’en savait rien et jusqu’à ce que la réponse se dessine enfin, l’homme perçu le temps s’égrainer, s’écouler secondes après secondes. Silencieux, l’intendant observa la jeune femme s’éloigner, passer les frontières de l’arène et fouler son sol sablonneux jusqu’au centre … pour finalement l’entendre crier de ces cris d’allégresse, qui à lui seul fit s’envoler tous les doutes que l’incertitude avait fait naître au cours de ces dernières minutes. Le lâché prise de ses muscles sur son corps lui fit se rendre compte combien il s’était tendu au cour de cet instant qui avait semblé être une éternité, et bientôt la joie d’Isidora enserra son cœur d’une douce complaisance, l’échauffa.
Le cri de la jeune femme attira évidemment l’attention des pokémons présents, qui s’arrêtèrent pour observer Cornaline rejoindre sa maîtresse sur l’arène. De loin, Luciano contempla la performance de la chienne antique et du couple qu’elle et sa maîtresse formaient déjà. La Caninos faisait preuve d’une obéissance exemplaire et offrit aux quelques spectateurs un show qui – Luciano le savait – n’aurait pas manqué d’être ovationné par la foule si foule il y avait eu, mais Isidora et Cornaline n’avaient à la place que le regard à la fois curieux et fasciné de l’intendant de Borao, qui ne put s’empêcher d’esquisser un sourire à la vue du tableau qui s’offrait à lui. Là, au cœur de cette arène, exaltée par l’instant, Isidora Terren ne lui avait jamais paru autant à sa place, et lorsqu’elle se tourna finalement vers lui, ce qui s’était mis à briller dans son regard acheva de conforter son idée. L’avait-il déjà vu plus ravie, plus heureuse qu’en cet instant précis ? Luciano n’en avait pas souvenir. Lasse de son isolement, le puîné avait fini par rejoindre la jeune femme, l’observa dans le récit passionné qu’elle avait décidé de partager avec lui … le bonheur lui allait si bien que l’intendant se surprit à contempler son rayonnement plus qu’à l’écouter.
Luciano se souvenait-il de ce jour où Isidora Terren s’était rendue à Borao pour tenter sa chance contre Foldo ? Plus ou moins. Sans en avoir été témoin, l’homme se souvenait de la défaite de son frère, se rappelait du moins en avoir entendu parler, de se l’être fait narrer par son cadet, mais trop peu intéressé par les faits à l’époque Luciano en gardait un souvenir flou, incertain. Malgré cette lacune, l’homme reconnaissait bien son frère dans les paroles d’Isidora … du plus loin qu’il s’en souvenait, Foldo avait toujours été à part, à tous les points de vue : au sein de sa fratrie, au sein même de sa lignée, et même au sein de ses confrères dresseurs. Foldo avait toujours eu à cœur le respect des pokémons, s’était toujours illustré à reconnaître la valeur des gens plus que leur puissance. Il lui arrivait parfois de concéder une victoire à son adversaire lorsque le champion le trouvait méritant … Dora avait-elle été de ceux-là ? Luciano n’aurait su le dire, mais une chose était certaine : si l’adolescente de l’époque avait su s’octroyer un combat avec Foldo, s’était que le cadet l’en avait jugé digne, d’une manière ou d’une autre.
Tandis que la jeune femme se remémorait avec véhémence cette journée qui n’avait jamais quitté son esprit, Luciano sentit finalement son exaltation raviver en lui de vieux démons, qui venaient rappeler à sa mémoire l’absence de celui dont il était question. Dora s’en rendit-elle compte ? L’intendant n’en savait rien, mais à son tour le puîné sentit la pavlicaine s’assombrir, et se tournant vers lui elle s’excusa … pour quoi exactement ? Luciano n’en était pas certain et pendant un instant, l’homme hésita à faire semblant, à lui servir cette rengaine qu’il réservait à ceux qui avaient l’audace de mentionner Foldo Viridis en sa présence. Mieux que personne, Luciano connaissait l’importance des apparences ainsi que la force des mots et des détails ; fier de son expérience, l’homme avait appris à ne rien laisser au hasard, à tout calculer. Faire preuve de mépris à l’égard de feu son frère avait été la meilleure solution qu’il avait trouvé pour brouiller les pistes et assoir sa position concernant les évènements … ce soir pourtant, devant Dora et ses regrets sincères, Luciano ne parvenait pas à mentir, ni à l’envisager. Indéniablement – et de manière tout à fait imprudente – à mesure que sa méfiance à son égard s’amoindrissait la confiance qu’il portait à la jeune femme grandissait de jour en jour, lui faisait franchir des étapes toujours plus importantes, et toutes plus improbables les unes que les autres.
Balayant finalement l’ombre que le souvenir de son frère avait jeté sur lui, l’intendant laissa un sourire léger marquer son visage. Obligeant, Luciano avait à cœur de décharger Dora de cet étrange remord qui semblait l’avoir gagné. Plus que n’importe qui, l’intendant en connaissait le poids et voir la jeune femme s’en charger le peinait, car après tout qu’avait-elle fait pour le mériter ? Rien, absolument rien. Avec lenteur, Luciano rompit la distance qui les séparait encore, glissa une main jusqu’à son visage pour venir effleurer de la pulpe du pouce la pommette de sa joue avec une douceur complaisante.
« — Déjà, à cette époque, les Viridis s’illustraient à déjouer tes pronostics » déclara l’intendant, un sourire sur le coin des lèvres « Ne soit pas désolée » poursuivit-il finalement « Je suis heureux de savoir que, malgré les circonstances, tu gardes dans ta mémoire de bon souvenirs de mon frère. Foldo était un homme bien. Il mérite qu’on se souvienne de lui à ses meilleurs jours » assura l’intendant
De quelles circonstances parlait-il ? Qu’importait le sens qu’Isidora choisirait de donner à ses mots, tous promettaient d’être conformes à ce qu’il voulait dire : Foldo était un Viridis, oui, et pourtant Dora en gardait un bon souvenir ; il était devenu traitre aux yeux du gouvernement, avait tenté de se soustraire à son sort, et pourtant cette tache n’avait su assombrir la vision que la jeune femme avait encore de celui qui avait été, à ce jour, le dernier champion de Borao.
« — Quant au reste … tu n’es pas responsable de ce qui est arrivé » assura-t-il « Ce n’est pas ton fardeau, alors ne t’en veux pas » lui demanda-t-il presque. Ce poids appartenait à d’autre et Luciano le savait bien. Dans le regard de l’intendant bientôt apparue une lueur, celle qui précédait chaque changement de ton, et le sourire qui étira de nouveau ses traits termina de révéler ses intentions « En revanche, tu devrais montrer un peu plus de respect envers ses "piafs". Vaillant était capable de méga-évoluer, ce n’est tout de même pas rien » rappela Luciano, dont le sourire grandissant trahissait l’importance qu’il portait véritablement à la chose.
Un instant l’intendant se laissa gagner par cette diversion salvatrice, censée alléger un peu l’ambiance. Se morfondre sur le passé était la dernière chose qu’il souhaitait faire en présence d’Isidora Terren, et l’empêcher était également une manière pour lui d’esquiver d’inévitables révélations le concernant. Bien des motivations le poussait à agir de la sorte, parmi elles le désir d’éviter à son amante d’impossibles situations qui promettaient de mettre à l’épreuve sa loyauté ; des épreuves que Luciano ne voulait pas lui imposer, lui qui savait combien Isidora Terren avait déjà fort à faire concernant ce genre de choses.
« — Viens » l’invita-t-il finalement après un énième sourire. D’un signe de tête, Luciano lui désigna la dernière zone du toit qui n’avait pas encore eu l’honneur de leur visite « Laisse-moi te montrer le reste » déclara-t-il.
L’intendant leur fit traverser l’arène pour rejoindre une aire qui se voulait à l’écart, volontairement moins visible. Plus bas que le reste de quelques marches, l’endroit était délimité par un muret couvert de bois, qui dissimulait en son cœur des jardinières plantées d’une végétation que l’obscurité rendait incertaine. Comme un ciel piqué d’étoiles, d’innombrables fleurs blanches encore en bouton parsemaient cet amas végétal qui couvrait les pieds d’une haie de bambou. Dédié à la détente, le lieu formait un U au long duquel prônait une large banquette aux coussins épais ; à l’image de Borao, ce salon de jardin se distinguait par sa végétalisation, qui le mettait à l’abri des assauts du vent. En son centre se tenait une table ronde fixée au sol, dont la hauteur semblait pouvoir s’adapter aux besoins, et tout ce luxe était couvert d’un toit à panneaux qui laissaient deviner sa rétractabilité. Laissant Dora découvrir l’endroit, Luciano activa un interrupteur et des spots dissimulés dans les herbes s’allumèrent, éclairant la zone d’une lumière douce, chaleureuse.
En soit, cette partie du toit n’avait rien d’exceptionnelle : des salons de jardin comme celui-ci, Isidora avait du en voir et en revoir, mais l’intérêt se trouvait davantage dans la symbolique que dans la matérialité. Ici, Luciano trouvait un certain réconfort, un certain apaisement qu’il n’avait que trop rarement l’occasion de ressentir.
« — Ce n’était sans doute pas là la dernière fois que tu es montée ici » fit remarquer l’intendant.
Et pour cause : cette partie avait été refaite après la Nova Existência. Était-ce véritablement intéressant ? Pas vraiment, aussi le puîné se garda bien de partager avec elle ce détail, préférant à la place l’observer de son regard cristallin, silencieux comme il savait si bien le faire. L’homme, cependant, ne resta pas bien longtemps oisif et cédant à la tentation née quelques instants plus tôt dans son esprit, le puîné se rapprocha de son hôte, glissant derrière elle d’un pas lent, mesuré.
« — Tu n’as plus besoin de ça ici » lui murmura-t-il en effleurant de ses doigts la veste qu’elle portait encore.
Et avec douceur l’homme se pressa un peu plus contre elle, laissant leur corps se rejoindre franchement. L’étendue encore nébuleuse de la blessure que le Genesect avait laissé sur elle le rendait cependant prudent, délicat ; et avenant autant que déterminé, le puîné s’affaira à lui retirer ce vêtement qui ne lui appartenait pas. Tout en douceur.
« — Le toit s’ouvre si tu veux. Pour les étoiles » déclara-t-il en jetant la veste sur la table, rappelant sans conviction à leur mémoire la raison première de leur venue au sommet de la Tour.
Mais déjà, Luciano partait sur bien d’autres choses. Dégageant du bout des doigts la nuque de sa comparse, l’homme y déposa un baiser empli de tiédeur, dont les intentions laissaient peu de place au doute. Les étoiles ? Aussi romantique Luciano Viridis pouvait-il être, l’intendant de Borao se fichait actuellement bien des étoiles et ses doigts effleurant les flancs de sa conquête ne manquaient pas de le prouver.
C’est drôle comment elle l’a toujours considéré tel un personnage public avant un membre de la famille de Luciano. Même que jusqu’à maintenant elle n’a pas vraiment réfléchi à tout ce que cela impliquait pour ce dernier. Pour être honnête avec elle-même, Isidora a probablement évité volontairement le sujet dans sa tête. Foldo représentait pour elle une source d’admiration; le perdre a été un dur coup sur elle aussi dans une moindre mesure. Il était un pilier dans le monde des combats Pokémon et un adversaire qu’elle a respecté sur ce même terrain. Pourtant elle n’a rien fait pour empêcher la chasse de cet homme ni tant d’autres. Elle est restée auprès de l’homme responsable de tant de pertes. A participé à l’élimination de son propre rêve. Au final, Dora et Luciano jouent tous les deux un jeu qui leur permet de survivre, mais qui les tue à petit feu. Paraître pour mieux vivre demain, pour conserver sa place dans cette société bien différente de celle à laquelle ils aspirent. Car le Viridis, Dora le comprend, n’est pas aussi convaincu de sa doctrine qu’il le prétend.
Luciano toutefois n’est pas prêt d’abandonner tous ses masques en sa présence. En venant rompre la distance entre eux, le blond fait un pas décisif vers l’illusion, se permet même de consoler sa cadette qui l’observe en plissant des yeux. Pourquoi doit-il lui porter secours ? N’a-t-il pas saisi la perche que lui tendait Isidora ? Non, le Viridis ne se permet pas une telle vulnérabilité. Cette attitude prudente tire un sourire narquois à la jeune femme qui ne s’avouerait jamais blessée et qui pourtant se vexe de son comportement. Elle-même lui a montré les facettes les plus fragiles d’elle-même, mais force est de constater que le Viridis ne partage pas sa confiance. L’échange l’a crispée, laissant croire que le sujet est délicat pour elle alors qu’il n’en est rien.
« Je ne m’en veux pas. » fait-elle d’une voix blanche avant de poursuivre avec plus de candeur. « Méga-évoluer, hm ? Rien de trop beau pour les Viridis. »
Malgré son teint moqueur, Dora s’avoue admirative. Elle connaît peu de dresseurs capables d’un tel exploit, chose qu’elle aimerait vivre un jour. Néanmoins elle est à peu près certaine qu’aucun de ses compagnons actuel ne peut méga-évoluer. Un jour peut-être ! Isidora a toujours pour projet, même si c’est bien contre son propre gré, de devenir une dresseuse hors du commun. D’une manière ou d’une autre, elle finirait bien par le prouver. Peut-être ailleurs qu’à Cinza. Oui, loin, loin d’ici.
Pour l’instant toutefois elle se trouve face à Luciano qui lâchement l’entraîne encore ailleurs, loin des questions qui brûlent les lèvres de sa jeune comparse. Loin d’être dupe, la Pavlicane lui décoche un regard lourd de sens pour ceux qui la connaissent bien : ses prunelles d’améthyste le détaillent avec intensité tandis que flotte encore et toujours ce sourire provocateur à ses lèvres. Elle a envie de lui demander de quoi il a si peur, de le provoquer, de le pousser à bout. Toutefois des parts plus faibles d’elle acceptent d’être menée ailleurs, loin des regards, dans un salon de jardin couvert. Bien différent de ceux pouvant se trouver à l’hacienda de Pavlica, l’abri se pare de verdure à l’instar du reste. L’endroit est confortable bien qu’un peu coupé du reste. Isidora apprécie ce changement de scène lui permettant de s’échapper du vent qui fouette le toit, néanmoins l’air nocturne lui manque déjà. Derrière elle, le propriétaire des lieux a allumé quelques spots dont la lueur tamisée met tous les sens de la jeune femme en éveil. Celle-ci ne relève pas la phrase de Luciano si ce n’est que d’un léger coup de menton qui lui indique qu’il a raison. Elle ignore ce que Luci trouve à cet endroit de si spécial… hormis peut-être les projets qu’il y caresse. Attentive à l’approche de son amant par derrière, elle le laisse la délester de sa veste en tâchant de garder contenance sur la petite bête qui sommeille en elle avec un œil ouvert.
« Non effectivement, ce n’y était pas. Je me demande bien pourquoi tu m’y amène, tiens. » fit-elle d’une voix qui se voulait mystérieuse, mais qui trahissait le rire qui menaçait de surgir de sa gorge à tout instant. « Laisse les étoiles en paix, je n’y porterai aucune attention de toute manière. »
Son contact chaud lui tire quelques frissons audacieux; leurs dernières étreintes remontent à seulement quelques minutes et pourtant une part d’elle s’en languissait avec ferveur. Tactile de nature, il lui semble toujours être en recherche de chaleur humaine. Néanmoins celle de Luciano a un pouvoir tout particulier sur elle qu’elle ne peut plus nier désormais. Indéniablement, la présence du blondin crée un effet unique chez la jeune femme qui, plutôt que de s’animer sous l’influence du feu ardent qui menace à tout moment de la consumer, se laisse bercer de sa proximité. Pourquoi se laisse-t-il encore tenter d’elle alors qu’il la tient toujours à un bras de distance ? Cette question continue de la tarauder plus qu’elle ne l’aimerait et pourtant. Partagée entre ses désirs intimes et affectifs, elle choisit encore une fois d’errer sur les chemins de la facilité plutôt que de confronter l’homme de Borao à cet effet. Qu’est-ce que ça lui amènerait de toute manière sinon d’une douleur qu’elle n’est pas prête à ressentir ou à assumer ?
Le baiser qu’il avait laissé contre sa nuque ne l’avait certainement pas laissée indifférente et incapable de repousser ses désirs plus longuement, elle fit volte-face pour s’emparer de son cou de ses deux bras avides, se pressant contre lui. La chaleur de l’intendant la fit frémir de délicieux soubresauts. Elle vint aussitôt cueillir contre la peau de son cou quelques baisers et soupirs. Pendant ce temps, ses doigts couvraient les boutons de sa chemise d’une attention particulière, impatiente. Dora n’avait plus l’intention d’attendre et déjà son corps réclamait de manière explicite tandis qu’elle pressait ses hanches contre lui.
« À moins que tu ne veuilles qu’elles soient témoin ? » murmura-t-elle à son oreille qu’elle mordilla avec un sourire joueur.
Sans attendre sa réponse, elle redressa la tête, se hissant de toute sa taille pour mieux aller chercher ses lèvres dont elle s’était langui déjà. Comment le blond avait-elle pu l’en priver aussi longtemps ? Son cœur s’emballa de manière sauvage et désordonnée à ce contact intime qu’elle recherchait. Déjà au supplice, elle chuchota son nom en multipliant les baisers contre son cou, en le tenant près d’elle. Pourtant ce n’était pas assez, elle le voulait plus près, plus près.
« Certains êtres nous touchent plus que d'autres sans doute parce que, sans que nous le sachions nous-mêmes, ils portent en eux une partie de ce qui nous manque » — Wajdi Mouawad
« — C’est toi qui voulait voir les étoiles » rétorqua l’intendant lorsque Isidora le questionna quant à la raison de leur venue ici, en ce lieu spécifique. La fausseté de son interrogation ne lui avait évidemment pas échappé, et il espérait bien qu’il en serait de même pour elle concernant la légèreté de sa réponse.
Luciano ne l’avait pas emmené ici dans le but premier d’assouvir ses désirs, non, pas tout à fait intentionnellement du moins … ou peut-être bien que si ? Si le puîné ne pouvait indéniablement pas réfuter sa connaissance des lieux, une chose demeurait certaine : l’homme ne l’avait pas fait monter sur le toit pour ça. Animé par bien plus que son désir de rattraper le temps perdu, l’intendant l’avait fait venir ici dans l’espoir de partager une part de ses secrets ; une part infime, certes, mais une part tout de même. Et ensuite ? Peut-être Luciano s’était-il laissé aller à ses propres désirs, à ses propres desseins, oui, peut-être. Peut-être. Isidora allait-elle s’en plaindre ? Non, sans doute pas … l’intendant, de toute manière, avait bien l’intention de ne pas lui en laisser l’occasion.
Lorsque Dora lui fit finalement face, le temps d’un instant Luciano l’avisa de toute sa hauteur, laissa son regard d’acier la parcourir … très vite cependant, les bras que la jeune femme autour de son cou suivi des baisers qu’elle y déposa acheva de briser sa oisiveté discutable. Le contact de ses lèvres sur sa peau anima son cœur de battements plus forts, plus vigoureux … ses désirs trop longtemps inassouvis promettaient de le voir réceptif à toutes ses attentions et déjà, sa respiration plus prononcée venait trahir la sensibilité aiguisée de son corps. Cela ne faisait pas si longtemps que ça, pourtant Luciano pouvait sentir sa peau se parer de part en part de grains dont l’origine ne trompait personne ; démesuré, le frisson lui coupa le souffle l’espace d’une fraction de seconde. Que lui arrivait-il ? Pourquoi son corps devait-il se montrer si démonstratif, lui qui pourtant s’illustrait à demeurer impassible ?
Isidora semblait partager avec lui cette fièvre qui lentement les gagnait. L’homme sentait ses doigts s’attarder sur les boutons de sa chemise et non sans une douce précipitation, l’intendant se libéra de sa veste, abandonnant sans regret cette première couche dont il n’aurait de toute évidence pas l’utilité : Luciano savait que la proximité grandissante de leur corps suffirait à elle seule à compenser les quelques degrés qui manquaient à la nuit. Plus suggestive que jamais, l’intendant sentit sa partenaire se presser contre lui et rapprocher son visage du sien pour glisser à son oreille quelques mots qui, couplés à une délicate morsure, le fit de nouveau soupirer. L’homme se mordit un instant les lèvres … le monde entier pouvait bien être témoin, pouvait bien s’effondrer, Luciano s’en fichait bien : rien ne lui importait plus désormais que d’aller au bout de ce qu’ils entreprenaient. L’intendant s’apprêtait à répondre quelque chose lorsque, se hissant jusqu’à lui, Dora imposa à ses lèvres une bien autre fonction ; et passionné réflexe, l’homme s’empressa alors d’accueillir dans l’une de ses mains la joue de sa partenaire. Pour la première fois, l’intendant laissa leur baiser gagner en intensité et prendre une tournure plus langoureuse, plus passionnelle. Le goût de sa langue faisait partie de ces choses qui lui manquaient encore et motivé par l’instant, Luciano s'était laissé gagné par l’idée de franchir le pas. Sans vraiment se l’expliquer, le puîné garda de l’expérience le souvenir d’une sensation brûlante, épicée ; infiniment moins fort, le bouquet lui rappelait le passage de la sauce piquante qu’il s’était hasardé à prendre le soir de leur première fois à Pavlica. Isidora Terren avait donc ce goût la ? Déjà, sa saveur lui manquait … comment avait-il pu s’en passer tout ce temps ?
Tout au long du baiser, l’intendant n’avait cessé de s’avancer jusqu’à ce que la table ne vienne arrêter leur course. Prise au piège, Dora n’avait désormais d’autre choix que de subir les caresses encore délicates de son amant, dont la chemise largement ouverte offrait à leur peau un contact dont ils s’étaient tous deux languis. Aventureuse, l’une de ses mains était passée sous le haut qui ne couvrait qu’une partie de son corps et assez vite, ses doigts avaient finalement rencontré les prémices du soutient-gorge qui enserrait sa poitrine. S’arrêtant un instant dans son entreprise pour s’abandonner au doux plaisir octroyé par le retour des lèvres de sa partenaire contre lui, entre deux soupires l’intendant parvint à glisser quelques mots, presque murmures.
« — Tu m’as manqué, Dora » déclara-t-il. Sa main quitta la joue de la jeune femme pour trouver une place au plus près de sa gorge « Toi, et ton corps aussi » ajouta-t-il, et il se pencha pour déposer sur la peau délicate de son cou un lent et long baiser qu’il ne manqua pas de faire durer.
L’homme laissa ses mots s’immiscer en elle. Si Luciano s’était évidemment languis d’Isidora Terren et des plaisirs auxquels ils s’adonnaient depuis quelques temps maintenant, sa personne elle aussi lui avait manqué, quand bien même Dora pouvait-elle en douter. Le reconnaître était la moindre des choses et si le dire en était une autre, Luciano s’était pourtant plier à l’exercice, sans forcément s’attendre à un retour de la part de la destinataire … l’homme, de toute manière, ne lui en offrit pas tellement l’occasion : de la même manière qu’elle l’avait elle-même fait quelques instants plus tôt, l’intendant poursuivit sa tâche et pliant les genoux, l’homme se laissa glisser le long de son corps, frôlant au passage de ses doigts les reliefs de ses hanches. Désormais accroupi, le puîné leva un regard furtif à l’intention de sa partenaire, avisa sa réaction … que pensait-elle de ce changement de niveau ? Dora avait rarement l’occasion de devoir baisser les yeux pour le voir et le détail faisait partie du charme. Presque impatient, Luciano pressa ses lèvres contre son ventre désormais à portée, marquant les rencontres de contacts sulfureux. Plus hasardeux à mesure qu’il les répétait, ses baisers ne cessaient de grapiller l’espace les séparant de sa jupe, sous laquelle ses mains avaient su trouver un chemin. Méticuleuses, leur exploration ne prit fin que lorsque ses doigts approchèrent des frontières de son sous-vêtement ; audacieux, ils se frayèrent un instant un passage dessous, caressant non sans ferveur les courbes anguleuses que les os sous la chair avaient laissé là. Savourant la saveur de sa peau, le puîné s’attarda un moment sur sa position, répétant infatigablement son manège exquis.
(...)
Résumé de la séquence entre [hide][/hide*] :
- Luciano finit par la hisser sur la table
Dialogues : « — C’est toi qui mène ce soir » « — Surprends-moi »