La prison dorée
- Ses jours ne sont pas en danger, mais il faudra surveiller sa santé de près.
Nourrisson minuscule à la santé fragile, j'ai passé les premiers mois de ma vie en couveuse sous les yeux désespérés de mes parents. Enfant unique, j'étais le bébé miracle. Le dernier espoir. Fort heureusement, comme le précisa l'infirmière : je suis une battante et je pus enfin goûter à la liberté. Respirer l'air frais, toucher la peau de mon père et les cheveux de ma mère. Sentiment qui s'estompa rapidement lorsque je me rendis compte en grandissant, que je ne pouvais pas sortir de chez moi. J'étais de nouveau enfermée. Cela ne me dérangea pas les premières années, puisque ce nouveau cocon s'avérait bien plus grand et confortable que le premier. Mais plus je grandissait et plus je ressentais un manque. Je n'allais pas à l'école, je n'avais pas d'amis et je ne voyais personne à part ma famille. J'avais un cousin d'un an mon cadet qui passait de temps en temps, mais les visites restaient rares. Comment une chose que l'on a jamais connu peut créer un tel vide en nous, c'est simple par envie et frustration. Les seules balades autorisées s'effectuaient dans le jardin, surveillées et minutées.
J'avais conscience que cette situation répondait à une obligation vitale, néanmoins un sentiment de solitude se développa. Ses racines parcoururent mes veines, sa sève se mêla à mon sang et ma phobie, de rester seule, fleurit.
Pour m'occuper au mieux l'esprit, je me réfugiais dans n'importe quelle distraction. Je dévorais tous les livres de la bibliothèque qui se trouvaient à ma portée, j'écoutais mes parents parler de leur emploi respectif, je faisais fonctionner le vieux tourne-disque tout en m'essayant à la danse. Et surtout, j'écoutais aux portes. Ma soif de connaissances et ma curiosité grandissaient tellement, que je ne supportais plus de ne pas être au courant des choses. Alors j'ai développé plusieurs techniques d'espionnage et notais scrupuleusement toutes les informations dans mon carnet secret. Cette activité devint alors une addiction.
Indécision
Ma deuxième liberté ! Avec la résolution de mes problèmes de santé et un traitement adapté, j'ai enfin pu découvrir le monde extérieur. J'allais à l'école avec le sourire et je me dis rapidement des amis. Ces années, cloîtrées à regarder la vie de ma fenêtre, auraient pu installer une sorte de distance. Voire une asociabilité. Détrompez-vous, tout le contraire, c'était produit ! Je voulais rattraper le temps perdu, alors il était difficile pour moi de contenir ma joie et de canaliser mon énergie. Ce besoin d'exercice physique n'entrait pas en concordance avec la personnalité de mes parents, ni même à la carrière dans laquelle ils me projetaient. Gérer les affaires dans un bureau ou être un visage médiatique ne m'intéressaient pas et il était inutile d'en discuter, étant très fermée à ce niveau. À contrecœur, ils m'ont laissé rentrer en études de sport, puis rejoindre la police. J'y passai mes plus belles années. À la fin de mes classes, j'adoptai mon compagnon Barachiel le cœur serré. Me jurant que jamais je le priverais de sa liberté ou de son libre-arbitre.
Puis la Nova Existencia arriva. Et tout changea. J'ai assisté à des dizaines de révoltes, à des arrestations violentes, et même à des meurtres. Au début, la musique de la rébellion bouillonna en moi, mais j'ai rapidement compris que je faisais partie des privilégiés. Notre famille étant étroitement liée à celle des Viridis, pour qui l'on travaille depuis que mes ancêtres sont arrivés dans la région. Un choix s'imposa alors. Rejoindre les opprimés et perdre ma liberté une nouvelle fois ou rester à ma place et la conserver. Ma décision fut prise sans attendre. J'allais servir le nouveau régime. Mais pas dans la Guarda. J'y avais vu des choses trop affreuses. Me vint alors une idée, mettre à profit mes talents ! Force de loyauté et de propositions, appuyée par mes parents et par les Viridis, je pus entrer au journal l'Iniciativa comme journaliste. Je gravis les échelons, jusqu'à prendre la tête du journal à mes trente ans.
L'information c'est le pouvoir, le pouvoir c'est la liberté
Désormais, je suis celle qui dirige le plus important journal de Cinza. Celui qui diffuse en permanence les informations relatives au gouvernement, aux lois, aux événements actuels. Je me moque de savoir qui sont les gentils et qui sont les méchants, je fais simplement mon travail ! Je ne veux pas prendre le risque de perdre ma liberté, alors je suis les directives. Cette nouvelle opportunité a révélé un nouveau visage, le visage d'une journaliste manipulatrice et prête à tout pour obtenir l'information cruciale. Mais ne vous y trompez pas, j'ai toujours mon fameux carnet secret en ma possession. Et j'y note toutes les informations croustillantes que j'entends, mais que je ne peux évidemment pas diffuser. Alors je les conserve précieusement, juste au cas où j'aurai besoin de faire pencher la balance.