Cette fois, c'est à Liam que tu t'adresseras.

Il en est, des audacieux, pour venir te provoquer au sein même de ton antre. Oui, oui, ils sont bien téméraires, ces assoiffés de gloire, à attiser ton courroux sans prendre conscience des forces auxquelles ils s'exposent ! Tu n'en fais qu'une bouchée, la plupart du temps, et tu n'as même pas besoin de déranger ce bon vieux Beleth pour ça. Eligor se charge de consumer Pokémon et rêves de grandeur dans un seul tourbillon de feu maudit, bleu comme la mort, cuisant comme le blizzard. Bien souvent, tu retiens un rire sardonique face à leurs expressions stupéfaites, alors que le brasier funeste de ton Lugulabre creuse des ombres moqueuses sur leurs traits déformés par la désolation. Et puis tu les quittes ainsi, défaits et déconfits, d'une volte gracieuse qu'accompagne ta grande traînée obscure, auréolée de ta victoire comme des fumerolles insaisissables d'Eli. Oh, le sentiment de puissance qui t'envahit alors ! Il t'enivre, il t'en chavirerait le cœur et la tête si tu ne tenais pas tes émotions d'une poigne de fer. L'ardeur passionnée, la perte de contrôle sont tes plus grands némésis, Gaby, deux épées de Dimoclès pendues au-dessus de ton nez en permanence, et tu n'y cèderas pas de nouveau - pas devant la foule, et encore moins en présence des ténèbres rampantes de ton âme, avides de t'engloutir toute entière.

Si le succès t'a assuré la survie, l'hubris te guidera droit vers ta déchéance.

Certains lauréats du triomphe ne s'inquiètent pas autant de ces dangereuses sirènes qui bernent leurs perceptions. Parmi ces inconscients persuadés de pouvoir échapper au triste sort commun à tous les ambitieux, celui qui frappe à ta porte aujourd'hui est peut-être l'un des plus affectés, des plus repus de réussite, des plus pétris d'autocomplaisance : lui, le petit chef à la crinière aussi bouffante que sa suffisance, le Chacripan qui se voulait Némélios ! Celui qui affuble une meute de roquets braillards du sobriquet d'un dragon en pensant leur conférer la même prestance, qui tente de se faire nommer Roi au sein d'un monde sans foi ni loi ! Tu ne sais si tu respectes son audace, ou la prends davantage pour ce qu'elle est : la marque évidente d'une faille béante sous son beau vernis d'assurance. Parfois, la persévérance de cet homme arrive à te soutirer la faveur d'une révérence ; le plus souvent, son entêtement digne d'un gamin en quête d'identité ne suscite chez toi guère plus que de l'amusement. Voire de la pitié.

Il ne dérogera pas à sa réputation, ce jour-là, avec la venue retentissante dont il se fera le héraut au seuil de ton propre royaume. Debout sur ta scène, derrière la grille de ta Cage où tu venais d'infliger une brûlante correction au dernier coq en date qui se pensait assez fringant pour te mettre à genoux, tu te détournes à peine alors que la raillerie peu flatteuse éclate d'un bout à l'autre du hangar abandonné, portée par l'écho contre ses larges murs sales.

« Helloooooo Marchochiasse ! » claironne l'insolent d'une voix claire, puissante, infaillible. « Est-ce que ta boule de cristal t’a prévenue de mon arrivée ? »

Les regards de la foule en contrebas, qui se sont un instant braqués sur l'intrus et son impudence, se reportent derechef vers toi alors qu'il est attendu de ta part une réponse, une réaction, quoi que ce soit qui remette ce cabot à sa place - et réaffirme ta position de maîtresse incontestée et incontestable en ces lieux oubliés des dieux. Il faut répliquer, Gaby ! Ne pas laisser planer le moindre doute sur l'incapacité du meneur des Zekrom à t'ébranler, à t'intimider, sinon ces charognards profiteront de l'ouverture pour t'aiguillonner dans l'espoir de te voir chuter ! Ils te soutiennent seulement car tu leur offres ce qu'ils désirent ; pour peu que tu t'avères moins puissante, moins implacable, moins distrayante que ce qu'ils s'imaginent, ils t'abandonneront bien vite pour rallier le camp d'un molosse plus gros et plus fort.

Tu ne leur laisseras pas la moindre chance. Ni à ton auditoire désormais aux aguets, avide de la confrontation qui ne manquera plus de survenir, il le sait, ni à ce petit roi de pacotille si pressé de faire étalage de sa supériorité.

L'injure glisse sur ta chevelure flamboyante avec la lente rotation que tu imprègnes à ton corps pour dominer, depuis la hauteur de ta Cage, le nouveau chien en lice. Un sourire étire tes lèvres sous ton regard masqué.

« J'ai pas besoin de prédictions quand on vient s'annoncer à moi comme un grand, » ronronne ton accent cinzan, tout aussi audible que l'apostrophe insultante qui l'a provoqué mais nettement moins exubérant. Les mains sur les hanches, tu n'esquisses pas un geste vers l'autre, que tu braves simplement de ton menton dressé ; dans ton dos, Eligor a lui aussi dardé ses orbites luisantes sur ton rival, et entreprend de gonfler les flammes livides de ses bras spiralés afin de projeter derrière toi une lumière sinistre - et devant, une ombre imposante, étirée jusqu'à tomber sur la figure infatuée du Roi. « Mais diz-me, qu'est-ce qui me vaut l'honneur de ta visite, príncipezinho ? »

Il ne s'est pas démonté face à ta petite mise en scène. Tu dois bien le lui reconnaître, Gaby : son obstination confine parfois à l'imbécilité, mais il reste fidèle à l'image intrépide qu'il s'applique à renvoyer. En certains aspects, il n'est pas sans te rappeler ton cher frère, n'est-ce pas ? Le même âge... La même bravoure féroce dans les yeux !

« Paraît que t’as pas été très très sympa avec l’un de mes dresseurs, » proclame ton adversaire sans détour. Théâtral à sa façon, il enchaîne sa tirade : « Alors tel le Cid, je viens avec mon bras vengeur pour laver l’affront qui a été fait. » 

Un rire bref t'échappe à cette déclaration. « Mesmo ? J'ai fait ça, moi ? » t'enquiers-tu à la cantonade auprès de l'assistance, l'air faussement choqué. « Mince, c'est que j'vois passer tellement d'avortons que j'ai arrêté de les compter... T'es sûr que j'en ai écrasé qu'un seul, des tiens ? Connaissant ta bande de fracotes, j'ai dû en rétamer trois ou quatre autres sans m'en rendre compte ! »

Une vague de ricanements cruels secoue la foule qui s'amasse autour de vous, de plus en plus excitée, de plus en plus assoiffée de sang ; attirée par la tension dans l'air, elle ne souhaite qu'une seule et unique chose ! Que la joute verbale se poursuive sur le ring ! Que le tranchant des mots cède place au crépitement des capacités ! Oh, ce n'était pas au programme de ta journée, non non, mais qu'importe. L'imprévu fait partie du quotidien dans le monde du spectacle, et plus encore dans celui de l'illégal ; tu as appris à l'accepter comme une part de ta vie, et à en jouer lorsqu'il s'impose au mépris des circonstances.

Tu salues donc les ovations tapageuses du public d'un ondoiement fulgurant de ton épée d'argent, avant de tendre sa pointe vers ton challenger, prête à relever son gant.

« J'dois quand même saluer ton dévouement, príncipezinho ! Te faire botter le cul en hommage à tes p'tits geignards, quel noble sacrifice de ta part ! C'est presque touchant ! » D'un geste du bras à la chorégraphie étudiée, tu fais signe à l'un des membres du « personnel » de la Cage d'ouvrir la porte grillagée au meneur des Zekrom. « Prouve donc que c'est pas que de la bravata, » assènes-tu d'un ton soudain beaucoup plus sérieux. « Tu sais que de mon côté, c'en est jamais. »

Lyr'se Aquilae

Cette fois, c'est à Liam que tu t'adresseras.

Quelle audace ! Quelle effronterie ! L'écho de ses paroles enfle à l'image de sa vanité sous le concert confus d'injures et de louanges qui tour à tour dominent l'atmosphère. Il est si sûr de lui, ce chaton de Roi, il sue d'amour-propre comme une charogne empeste et répand partout autour d'elle la putrescence de sa nature. Il se nourrit de ses seules acclamations ! Auto-psychophage, cannibale de son propre ego ! Pourtant il a du mérite, l'insolent, à s'être démarqué de la lie humaine qui s'agite à vos pieds, et même toi tu dois le reconnaître : sa force, son potentiel de Dresseur, il ne les a pas volés, et le charisme bien plus digne de l'Amphinobi qui ne quitte pas son ombre est là pour en attester. Si sa bande de petites frappes ne t'impressionne pas, Gaby, - oh non, tu as trop vu de l'autre côté pour que les frasques mortelles continuent de te faire trembler ! - tu respecteras plus volontiers la maîtrise de leur leader. C'est qu'il faut déjà beaucoup de volonté pour mater les pulsions d'une meute de cabots dépenaillés comme la sienne, hé hé !

Ah ! Si seulement ce crétin ne se montrait pas si arrogant !

« C'est vrai : le silence suivrait bien mieux le vent de tes vantardises, » admets-tu d'un air joyeux. « Ne gâchons pas plus Dialga, alors, príncipezinho ! Les chiens nous attendent. » Ta voix chute vers les octaves des enfers alors que ton regard, soudain, s'embrase d'une lueur féroce. « Et ils sont affamés. »  

Théâtrale, comme le veut ta réputation, tu te recules sur la piste en quelques entrechats lents, élégants, étudiés, pour reprendre le poste qui te revient de ton côté du champ de bataille. Alentour, les grilles vibrent et protestent : les « chiens » se sont précipités à leur rencontre pour les marteler à grands coups de leurs pattes grotesques, ils les secouent et les tirent, avides de provoquer plus vite l'affrontement ; ils hurlent comme des fous, comme des bêtes prises d'hystérie !

Tu es bonne joueuse - car il ne faut surtout pas les oublier sous peine de te faire oublier, et ce sont eux, n'est-ce pas, qui subviennent à tes besoins de vice -, tu leur rends leur ferveur d'une large révérence qui embrasse toute l'assistance et envoie ta lame d'argent foudroyer les airs.

Ton adversaire pour la soirée se prépare lui aussi à la bataille qui couve désormais entre vous. Tes voltes et tes danses n'ont pas atteint la surface moulée d'assurance de son visage ; fier comme jamais, il arrive même à s'exclamer :

« Alors si essayer des défaites cuisantes t'amuse... Pourquoi est-ce qu'on ne commencerait pas tout de suite à jouer ? »

Sur cette provocation, il élance la main vers le terrain - vers toi ! - pour signifier à sa créature d'avancer. L'Amphinobi prend position, son attentive indifférence abandonnée au profit de cette étincelle bien connue dans ses yeux globuleux, un éclat partagé par ceux de ta trempe et de celle du boss mafieux : le désir ardent du combat.

Tu plisses les paupières, souris un peu. « Palavras, sempre palavras, » remarques-tu sans cacher ta narquoiserie. « Il était temps que tu te décides. Eligor ! » D'un geste élaboré, tu enjoins le chandelier hanté à te devancer tandis qu'il laisse échapper un chuintement ravi. « T'as pas l'avantage, » murmures-tu à son passage. « Mais je crois en toi. Consume-moi toutes ses espérances, meu demônio, n'en laisse pas la moindre cendre ! »

Eligor émet un grincement sinistre en réponse à tes encouragements ; ses flammes gonflent et tourbillonnent en volutes éthérées jusqu'au sommet de la Cage, et c'est un regard étincelant, illisible pour les mortels autres que toi-même, qu'il te lance avant d'étendre son ombre sur son opposante. Je ne te décevrai pas. Tu n'en doutes pas, petite : même dans la souffrance et l'échec, il ne t'a jamais déçue.  

Tu reportes ton attention sur le Roi. Cette fois, tes lèvres ne se décrochent plus. Les mots ont disparu de ton esprit, ils sont inutiles, dépourvus de sens à l'aube d'une confrontation bien plus primale : mortes sont les répliques pleines de défi et vaines de volonté, ne reste plus sous ton masque que cette concentration surnaturelle, cette sérénité implacable qui retient en otage tes émotions, et les passe en revue sans hâte pour que leurs affres ne viennent plus entraver tes pensées. En cet instant, tu n'es plus toi-même et tu es plus encore, Gaby. Tu es farouche, tu es possédée, tu es obnubilée par la propre force dont tu uses pour te résister.

Tu n'es plus ni Championne ni humaine. Tu es la part d'un tout qui vous dépasse, le boss, toi, Eligor et l'Amphinobi : l'incarnation de cette fureur ancestrale qui anime toutes les compétitions !

Et en silence, tu pointes ton épée vers celui qui, par la qualité de sa puissance, viendra transcender la tienne.    

Lyr'se Aquilae

Cette fois, c'est à Liam que tu t'adresseras.

Les deux protagonistes s'avancent sur la scène, ivres d'adrénaline sous l'ovation sauvage de la foule assoiffée de sang ; les flammes glacées d'Eligor gonflent et brillent comme l'ardeur de la folie, les pattes souples d'Emily foulent le terrain battu par d'innombrables combats avec la grâce assurée de la guerrière aux prémices d'une chorégraphique maintes fois répétées. Tu la lis dans ses prunelles aqueuses, cette férocité naturelle qui reprend le dessus à mesure que le début de l'affrontement se fait de plus en plus proche, de plus en plus inéluctable. En d'autres circonstances, tu aurais pu te retrouver dans ce brûlant désir - plus que le désir de vaincre, le besoin de combattre, de repousser tes limites à l'extrême pour te confronter aux plus dangereux Dresseurs à arpenter l'envers-monde. Oh oui, tu aurais pu, et même aurais-tu apprécié cet éclat commun à tous vos regards, à vous les gladiateurs d'un Colisée des ombres. Peut-être aurais-tu pu te reconnaître parmi les mouvements, fluides comme l'eau qui était son élément, de la grenouille bipède assez audacieuse pour tenir tête à ton candélabre hanté. Peut-être aurais-tu pu te reconnaître dans la ténacité implacable que tu devinais sous son expression à moitié dissimulée par sa langue svelte et flasque.

Mais ce soir, Emily ne se trouve pas en face de toi pour te rappeler tes propres souvenirs.

Elle est ton adversaire, comme Eligor est celui de Liam ; indissociés, indissociables, il ne s'agit pas d'une simple lutte entre Pokémon et Pokémon, entre type et type, ni entre humain et humain, intelligence contre intelligence. Non, c'est bien plus que cela : c'est aussi une bataille de volonté, et ce sera à qui ploiera l'échine en premier.

Et tu comptes bien faire céder Emily, comme Eligor compte éteindre à jamais l'arrogance du Roi.

« Et je ne vais pas dire,"que le meilleur gagne", ou je vais encore parler de moi. »

Tu avais à peine entendu le premier encouragement du boss envers son Amphinobi, mais tes réflexes, éprouvés par une vie de représentation et de spectacle aux frontières de l'outre-terre, là où inattention rime avec damnation, ne relâchent jamais leur vigilance ; c'est donc sans mal, sans même une marque d'hésitation, que tu hausses élégamment les épaules pour toute réponse à sa bravade. Un flot de tissu suit ton mouvement, et se déploie autour de toi comme une rivière d'encre onctueuse.

Emily ne tarde pas à lancer l'assaut. Evidemment, elle ne s'interroge pas une seconde avant de faire surgir ses Sheauriken ; derrière ton masque rehaussé d'argent, tes yeux ne trahissent rien, ne se plissent même pas alors qu'Eligor encaisse difficilement les deux premières armes sculptées dans l'eau. Moins agile que son adversaire dans son grand corps de lustre, il ne parvient pas à éviter les lames aussi bien que l'autre esquive le torrent mauve de son brasier, à grands bonds enhardis par ses puissantes cuisses de batracien. Mais il n'a pas dit son dernier mot, ton brave Eligor ! Oh non, non.

Il réussit à s'écarter à temps pour que les derniers lancers, près de lui porter le coup de grâce, s'écrasent sur le grillage de la Cage avant d'y perdre toute consistance ; dépourvus du pouvoir qui les maintient en forme, ils dégoulinent sur les mains et les têtes de quelques chiens de fosse qui beuglent de protestation sous le rire cruel de leurs congénères indemnes. Tu les ignores, ces bêtes humaines ; tu es là pour les nourrir, mais rien ne t'oblige à leur prêter intérêt lorsque l'appel du combat se fait plus impérieux.

Et maintenant qu'Emily s'est stoppée pour reprendre son souffle, tu discernes enfin la faille béante par laquelle l'atteindre.

Ton épée d'argent danse, ondule, avant de s'arrêter vers l'Amphinobi, plantée droit en direction de son cœur.

« Ô, minha criatura ! Toi qui as faibli, fais maintenant payer le prix à ton bourreau ! Aspire sa vie, gonfle-toi de sa force ! Nul ne s'en prend à un Fantasma impunément ! »

Les vivats redoublent alors que tes supporters se jettent de plus belle contre les grilles branlantes de l'Arène ; ils savent, ils savent ce qui attend Emily, ils anticipent l'échange des peines, la souffrance infligée fait briller leurs yeux d'une jouissance malsaine !

Eligor ne leur accorde pas un regard de plus que toi. Ses flammes, affaiblies par toute l'eau perfide qu'il a reçue, s'embrasent de nouveau, alimentées par une magie différente - une seconde volonté, plus noire que la précédente, et qui s'apprête à absorber l'énergie de celle qui voltigeait si vivement quelques instants plus tôt. La lueur tranchante dans les yeux globuleux de la grenouille s'émousse, alors que les braises de ton chandelier reprennent peu à peu de l'ampleur, dévorent progressivement l'atmosphère fébrile de la Cage. « Oh oui, c'est ça, continue ! Ne leur laisse aucune chance, nenhuma ! »

Lyr'se Aquilae