PLUMEUX PROBLÈME

«Je ne comprends pas, Paix… je ne comprends pas…»

J’ai répété la même phrase en boucle une bonne douzaine de fois sans parvenir à changer de discours, ni l’issue de cette discussion aux allures de monologue. Il m’a semblé, en reprenant les rennes du Havre, que nous avons tout fait pour ne rien perturber de l’équilibre qui régnait ici à l’abandon du site quelques années plus tôt. La vie sauvage avait rapidement repris son cours au moment où je suis devenu propriétaire de ce lieu et de nombreux Pokémon ont été perturbés par les travaux pour restituer les bâtiments et autres attractions. J’ai travaillé de pair avec les autorités locales pour faire du Havre un lieu écologiquement responsable. Nous avons replanté de nombreux arbres indigènes, construit une ruche d’Apitrini, veillé à la conservation des habitats naturels et construit des cabanes pour abriter autant les oiseaux que les Sonistrelles et Nosférapti. Malgré tout, ce n’est pas suffisant et un habitant des pics a témoigné de son insatisfaction en se faisant de plus en plus agressif envers mes clients. En d’autres circonstances, j’aurais permis de le laisser en paix; après tout ce Pokémon sauvage se trouve chez lui. Sauf que j’ai crainte que quelqu’un ne souffre réellement de ses attaques de plus en plus répétées. J’ai donc agi en contactant la Guarda, qui heureusement a agi en m’envoyant rapidement un Regulador pour régler l’affaire.

Là où je devrais m’en sentir soulagé cependant, je ne ressens qu’une grande culpabilité. Connaissant la nature parfois violente de la Guarda, j’ai crainte qu’on ne s’en prenne à cette créature innocente. Peut-être aurais-je dû régler ce souci par moi-même ? J’ai jugé que je ne connais pas assez les Pokémon sauvages pour ce faire, d’autant plus que nous n’avons rien de combattants Paix et moi. Les créatures des Pics peuvent se montrer territoriaux à l’occasion et aller à la rencontre des humains qui osent transgresser les limites de leurs domaines. Ainsi valait mieux faire appel à plus compétent. Malgré tout je ne peux m’empêcher d’être taraudé par ma décision. Paix, me tapote la tête de sa patte pour me rassurer; tant que nous accompagnerons le Regulador, rien de mal n’arrivera à cet oiseau. Je suis certain que nous arriverons à parlementer avec lui et le contenter afin qu’il n’importune plus personne.

D’ailleurs, le Regulador en question me paraît jeune et surtout bien sympathique. Aucune raison de croire qu’il est là pour les mauvaises raisons. Ainsi je décide de placer en lui ma confiance pour cette mission. Après s’être présentés, nous partons tous les deux en direction des pics, accessibles facilement depuis le Havre puisque celui-ci les borde directement. D’ici nous pouvons toujours voir Sercena en contre-bas. Paix ouvre la marche joyeusement, laissant échapper un peu de sa vapeur de rêves d’un rose laiteux. Elle est bien repue semble-t-il, s’étant probablement nourrie de mes songes cette nuit. Tandis que nous marchons, je décide de faire connaissance avec mon partenaire pour cette mission.

«Vous avez l’air un peu jeune, ça fait longtemps que vous êtes Regulador ? En fait, je n’ai aucune idée de comment on le devient. Ce doit être chouette de passer tout son temps dehors à parcourir la nature ! Vous savez je suis un grand adepte de randonnée.»

D’ailleurs la qualité de mes chaussures de marche en sont une preuve assurément; usées, elles racontent l’histoire de nombreuses aventures. Malgré ma crainte des autorités, je dois dire que ce jeune homme n’a rien d’effrayant. En fait, il a l’air gentil à souhait, je n’ai donc aucune raison de m’en faire à ses côtés.

«Vous avez un compagnon vous-même ? Je suppose que dans le cadre de votre travail vous devez être amené à combattre à l’occasion, pour le défense des gens. Comme aujourd’hui… Je me demande ce qu’il veut ce Brutalibré…»

Encore une fois, l’ombre de la culpabilité vient assombrir mes traits. J’espère que nous le trouverons rapidement afin de mettre cette histoire au clair.

PLUMEUX PROBLÈME

Devant la réaction du jeune homme face à mon commentaire vis-à-vis son âge, je me sens aussitôt me ratatiner. Oh non… il s’est vexé de mes paroles ! Ces dernières se voulaient plus admiratives qu’autrement, pourtant le Regulador l’a pris comme une sorte de doute au sujet de ses compétences. Comment ai-je pu me montrer aussi maladroit ? Aussitôt subjugué par les remords, je me mords la lèvre et me retourne un peu vivement en direction du jeune homme.

« M-mais je n’en doutais pas un seul instant monsieur Becker ! N’allez pas croire que je doutais de vous en quoi que ce soit ! À l’inverse, je suis vraiment très heureux de vous avoir à mes côtés, car je vous avoue que je suis totalement dépassé par cette histoire de Brutalibré… Je n’ai pas l’habitude des Pokémon sauvages hostiles dans mon établissement. À l’inverse, la majorité d’entre eux se joignent à mes clients sans faire d’histoire, profitent des installations comme ils l’entendent mais… Enfin, non, ne pensez pas que je juge votre âge je vous en prie… »

Visiblement mal, je passe une main dans ma chevelure bicolore en me maudissant de tous les noms. Paix en profite pour s’approcher, comme à chaque fois où je me montre nerveux et peu sûr de moi. Je lui caresse le flanc comme pour la rassurer alors que je ne peux pas le faire avec moi-même. Je déteste qu’on me prête des intentions nébuleuses et me sens profondément désolé d’avoir froissé mon sauveur.

« À vrai dire, je reçois ce commentaire souvent à propos de mon centre. Les gens trouvent que je suis jeune pour avoir ce genre d’endroit, ha. Au final, l’âge ça ne veut pas dire grand-chose. »

Est-ce que j’en fais un peu trop ? Certainement. Néanmoins je suis ainsi. Je ne serai pas rassuré tant que le jeune homme m’aura dit que nul mal n’a été fait. Pour le moment, nous avons un autre sujet de discussion, tout aussi délicat je le devine. Mon interlocuteur soudain pointe le ciel vers un éclair orangé, un Dracaufeu. Admirable ! J’observe le dragon de feu non sans admiration. Il s’agit d’une bête féroce qui tranche avec le visage affable de son dresseur. D’ailleurs celui-ci ne manque pas de s’assombrir en parlant de sa relation avec le Pokémon en question. Mes sourcils se froncent avec compassion tandis qu’il m’expose son problème.

« Ça ne doit pas être facile d’accepter un Pokémon qu’on a pas choisi. En-enfin, je ne suis pas un expert en relations entre Pokémon et leur compagnon, néanmoins si vous voulez en parler, je peux peut-être vous aider ? Ce serait la moindre des choses puisque vous m’aidez bien avec mon euh… plumeux problème ! »

Une mauvaise expérience avec un Pokémon par le passé… Je n’ose pas demander de quoi il s’agit, me disant que s’il désire en discuter alors il s’ouvrira sur le sujet. Je lui offre un petit sourire compatissant avant de sursauter en voyant une masse étendue sur le plancher de roc des pics de Niebla. Une énorme créature… Un Onix ! Oh là là, celui-là me rend un peu nerveux je dois l’avouer… Heureusement, il semble assoupi et tranquille pour le moment. Peut-être arriverons-nous à le contourner sans encombre ?

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Heureusement pour nous, l’Onix ne semble pas disposé à nous faire des ennuis aujourd’hui, ce qui me rassure. J’ignore ce que nous aurions fait contre lui… Je me doute que malgré toute sa puissance, le Dracaufeu qui vole au-dessus de nos têtes n’aurait pas pu faire grand-chose contre lui au vu de l’avantage de type du serpent de roc. Un problème pour une autre fois, puisque pour le moment aucune créature sauvage ne semble disposée à nous barrer le passage.

Je me concentre donc, pour l’instant, sur mon interlocuteur que je gagnerai assurément à connaître. Sa situation m’apparaît plus complexe que ce que j’ai supposé au départ. Ainsi, le blondin n’a rien contre la dragonne de feu à proprement parler, simplement… Son cœur est blessé par une perte, un deuil qu’il porte toujours en lui. Je lui offre un regard compatissant. Jamais je ne pourrai comprendre la douleur qui l’incombe, ou du moins je l’espère. Je n’ai pas perdu de Pokémon et prétendre que je sais ce qu’il ressent serait grotesque et injuste envers lui.

« Le Pokémon que vous avez perdu… Je me doute qu’il était unique et qu’il vous manque énormément. De le remplacer par un autre peut vous donner l’impression de trahir sa mémoire mais… Ce n’est pas le cas. Ember est tout simplement un autre Pokémon, un qui est tout aussi unique, qui a ses propres ambitions et… J-je ne sais pas si ce que je dis fais du sens ? »

Me voilà en train de m’aventurer sur une pente raide. Trouver les mots pour exprimer ce que je ressens est complexe dans les circonstances. La dernière chose que je veux faire est bien de remuer le couteau dans la plaie, encore béante je le devine. On m’a dit il y a longtemps qu’on ne guérit jamais d’un deuil, car il ne s’agit pas d’une maladie. On apprend à vivre avec, un jour à la fois.

« Ce que je veux dire est que la perte que vous avez vécu ne doit pas définir la nouvelle relation que vous avez. Ce n’est pas bien juste pour elle, d’être constamment comparée à celui qui est venu avant elle. Je me doute que vous ne faites pas exprès, que vous avez simplement peur comme vous le dites de revivre cette perte. Mais n’est-ce pas une perte en soi de ne pas s’autoriser à vivre la relation, aussi ? »

Ma voix s’est faite encore plus douce que la brise, car nul est mon intention de le brusquer. Je ne me prétends pas sage, pas plus outillé que lui dans une telle situation, bien à l’inverse. Néanmoins peut-être que mon point de vue extérieur lui permettra de lui ouvrir les yeux.

« Et je ne demande rien, je ne remets pas du tout en cause votre compétence… Pour tout vous dire je suis vraiment rassuré de vous avoir ici car je ne sais pas du tout comment prendre ce Brutalibré. Enfin, bien sûr, si vous voulez passer un peu de temps à relaxer avec Ember par la suite, vous êtes la bienvenue dans mon établissement, et ne vous inquiétez pas du tout pour les frais. »

Je lui souris de manière amène, quand soudain un petit bruit de la part de Paix me tire de l’instant. On dirait qu’il y a un autre Pokémon dans le coin… Est-ce ce fameux oiseau qui nous cause autant d’ennuis ?