On dit souvent qu'il ne faut jamais abandonner. J'ai pourtant appris qu'il fallait parfois plus de courage pour le faire
/!\ Avertissement /!\
La série de solos "L'Enfant Perdu" porte sur la disparition d'un enfant. L'issue de cette série se destine a être sombre, soyez donc avertis.
Puits Encantado, Forêt Ucaya, 27 juin 2022
Luciano Viridis était un homme de parole. Existait-il, à Cinza, quelqu’un d’assez stupide pour l’ignorer ? A moins d’avoir vécu dans une grotte durant ces dix dernières années, sans doute pas. Loin de sous-estimer la portée des paroles, l’intendant de Borao ne disait jamais rien au hasard, et ne promulguait aucune promesse qu’il n’était pas certain de pouvoir tenir. Si le temps jouait en ce moment en sa défaveur, l’intendant n’avait su faire faux bond à Elsa-Mina, à qui il avait promis ou presque de participer aux fouilles qui visaient à retrouver Tiago, l’enfant perdu de Borao, disparu depuis plus d’un ans maintenant. Si l’homme très rationnel qu’il était doutait de voir leurs recherches porter leurs fruits, Luciano n’était pas sans connaître la force et la ténacité que pouvait susciter l’espoir. Pablo, le père de Tiago, n’avait jamais abandonné.
Luciano, cependant, n’était pas sans savoir qu’il fallait parfois plus de courage pour le faire.
Les autorités de Borao avaient depuis longtemps abandonné les recherches, par manque de pistes bien plus que par indifférence. La Guarda et les Reguladors avaient fouillé la Forêt Ucaya de fond en comble pendant des mois, sans ne jamais parvenir à trouver la moindre trace du petit garçon, dont les chances de survies s’étaient amoindries à mesure que les jours passaient. Un an plus tard, les recherches en étaient au même stade et un peu par désespoir, le père s’était mis en tête de ratisser le Puits Encantado et ses galeries vieilles comme le monde … c’était du moins ce que lui avait fait comprendre Mina, qui portait en cette affaire un intérêt que le cœur de Luciano aurait aimé ne pas comprendre.
Comme prédit par la scientifique, la présence de l’intendant de Borao au sein du cortège (pouvait-on vraiment appelé cela un cortège ?) n’était pas sans émouvoir les âmes les plus sensibles, qui voyaient en sa venue une forme de soutient … au demeurant pas tout à fait avérée. Luciano Viridis était-il un hypocrite friand d’adoration ? Si ses détracteurs criaient à l’hypocrisie, la vérité était un peu différente … non, Luciano ne croyait pas un seul instant voir reparaître l’enfant, mais son cœur n’était pas insensible au désarrois des habitants de sa ville. Demeurait également, au fond de lui, la volonté de faire plaisir à Elsa-Mina, qui avait su jouer ses cartes pour le persuader de l’accompagner.
En digne natif de Borao, le vieux puits n’était pas étranger à Luciano, qui mainte fois déjà avait eu l’occasion de s’y aventurer, du temps où ses frères et lui étaient plus jeunes et bien vivants. Gare A Toi elle-même connaissait l’endroit (sans forcément l’apprécier), aussi l’intendant ne s’attendait-il à aucune surprise. Regroupés aux abords du tunnel qui menait à la source désormais asséchée, le départ était sur le point d’être donné.
On dit souvent qu'il ne faut jamais abandonner. J'ai pourtant appris qu'il fallait parfois plus de courage pour le faire
Dans l’espoir de couvrir plus de terrain (comme si cela pouvait changer quoi que ce soit) le groupe prit la décision de se séparer, formant des duos aux destinations différentes. Beaucoup partirent s’aventurer dans les galeries du puits, disparaissant dans le tunnel obscur qui menaient, selon les dires, sous terre, là où l’eau avait jadis coulée. Naturellement, il fut offert au "héros" de cette histoire l’immense privilège de cheminer avec Luciano Viridis, qui avait été chargé de prospecter les alentours du puits en lui-même. Un petit bout de chemin les attendait avant d’atteindre l’endroit et probablement intimidé, Pablo resta un moment derrière, le regard fixé sur la Lougaroc qui cheminait en amont. Loin de vouloir le brusquer, Luciano le laissa venir jusqu’à lui lorsqu’il s’en sentirait prêt, ce qui arriva finalement plus tôt qu’il ne l’avait pensé.
« — Monsieur Viridis, je … Luciano, ce … c’est un honneur de vous avoir avec nous aujourd’hui » déclara non sans peine Pablo « Merci de prendre le temps de le faire. Cela ravivera sans doute la flamme en ces temps … incertains. Les gens, ils … ils ont besoin de croire en quelque chose » assura-t-il.
Tournant son regard vers lui, Luciano approuva ses paroles. Oui, les gens avaient besoin de croire, et de savoir que leur vie avait un but. Si certains se contentaient de peu – heureux étaient ceux-là ! – d’autres avaient besoin de plus, d’extravagance, de grandeur ; certains se contentaient de la terre, quand d’autres rêvaient des étoiles. Pablo, lui, n’aspirait qu’à une chose : retrouver son fils et pour ce faire, l’homme comptait le chercher … toute sa vie s’il le fallait. Qu’en était-il de lui, qu’en était-il de Luciano Viridis ? Était-il de ces hommes à se contenter de peu, ou bien avait-il, au contraire, l’esprit des grandeurs ? Parce que Luciano n’était pas qu’un seul homme, ses aspirations étaient elles aussi multiples, complexes … paradoxales aussi, parfois, et là était tout le problème.
« — Votre Lougaroc est fabuleuse. Je n’avais jamais eu l’occasion de la voir en vrai » affirma l’homme, dont le regard s’était de nouveau porté au loin, en direction de la louve.
Compliment habituel qui trahissait la fierté largement connue que l’intendant de Borao vouait à la Lougaroc, par convenance Luciano remercia l’homme, sans vraiment savoir s’il s’agissait là d’un commentaire sincère ou non. La vérité ? Cela lui importait peu.
« — Et vous, Pablo ? » le questionna finalement l’intendant « Avez-vous un pokémon pour garder vos arrières ? » demanda-t-il.
Le puîné Viridis n’était sans savoir qu’à Cinza, depuis la Nova Existência, détenir un pokémon était un luxe que peu de gens étaient en mesure de s’offrir.
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Sur le visage de l'homme s'esquissa un rictus qui n'échappa pas à l'intendant. Signe d'un malaise qu'il ne voulait certainement pas partager avec le très important Luciano Viridis, sa grimace fut suivie de paroles que le puîné devinait fausses … ou du moins pas tout à fait véritables.
« — Non, plus maintenant »« J’avais un Galopa de la lointaine région de Galar autrefois, mais je lui ai rendu sa liberté lorsque … » Il hésita « ... enfin, vous savez » Il fit une courte pause « C'est mieux ainsi » assura-t-il.
Pablo n'y croyait pas et Luciano le savait bien. Loin de lui être étrangère, cette problématique récurrente à Cinza faisait partie des points noirs du large tableau que représentait le système actuel, des points noirs qu'il ne pouvait effacer - ni lui ni personne - pour la simple et bonne raison que le mal était déjà fait et ce depuis bien longtemps. Loin de vouloir s'attarder sur la question - en tenir rigueur à Luciano Viridis n'était pas dans son projet - Pablo poursuivit, changeant habilement de sujet … mais pas tant que cela.
« — Tiago adorait ce Galopa » raconta l’homme « Il rêvait de le retrouver un jour dans la forêt, c'est pour ça que … »
Pablo n'acheva pas sa phrase, et la disparition du garçon prit alors tout son sens, ou du moins une raison, une explication. L'enfant s'était-il aventuré seul dans la jungle, dans l'espoir de retrouver la licorne de Galar ? Oui, sans doute. Luciano savait bien combien il était aisé de perdre un enfant, de le voir échapper à leur surveillance. L’homme dut percevoir les pensées de l’intendant, car il poursuivit.
« — Cela fait un an maintenant, mais j'ai l'impression que ça en fait dix » déclara Pablo « Je n’ose pas imaginer ce que vous ressentez, pour votre neveu »
Aro Viridis était parti depuis bien plus longtemps. En digne père qu’il était, Pablo ne s'attardait pas sur ce que beaucoup, à Cinza, considérait comme une trahison. Voyant bien au delà, il n'oubliait pas le lien indéfectible qui unissait l'adolescent au reste de sa famille, ce lien qui ne serait jamais en mesure de s'effacer, quels que soient leurs choix, quels que soient leur camp.
« — J'espère que vous le retrouverez » déclara-t-il finalement.
Mais comment reconnaître, sans se trahir, qu'une part de lui ne le souhaitait pas ?
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La raison ? Luciano savait bien quel sort attendait Aro si, dans son fol entêtement, le garçon refusait de regagner le chemin que lui désignait la sagesse … hélas, l'intendant savait combien le cœur du fils de Foldo avait été gagné par la rancœur, une rancœur qui trouvait son paroxysme en sa personne propre. Aro le détestait, viscéralement, et quand bien même parviendrait-il à le retrouver un jour, Luciano doutait d'être en mesure de lui faire entendre raison, malgré les preuves compromettantes qu'il gardait précieusement cachées dans l’appartement de la Tour Viridis, à l'abri des regards et des fouineurs. Non, Luciano n'était pas certain de vouloir le retrouver, car risquer un nouvel échec revenait à le condamner. Si l’intendant aspirait bien évidemment à voir leur semblant de famille de nouveau réunie, prendre le risque de devoir offrir son neveu en pâture au gouvernement le refroidissant. Quant à le retrouver, au sens figuré ? C'était peu probable. Comment pouvait-il espérer obtenir le pardon du garçon, quand lui-même ne se pardonnait pas ? La solution résidait sans doute dans l'intervention d'une personne extérieure, mais à ce jour, à sa connaissance personne n'était en mesure de le faire … personne. Un héraut ne suffirait pas et Luciano le savait : il lui fallait quelqu'un qui y croyait vraiment, quelqu'un de convaincu, tout en étant suffisamment détaché d'eux pour susciter l'écoute et l'intérêt d'Aro ; cette personne n'existait pas, la réserve et la volonté des frères Viridis de tout tenir secret s'étaient chargées de rendre cela impossible.
« — Je l'espère aussi » répondit malgré tout l'intendant, par convenance.
Faire semblant était devenu depuis longtemps une habitude.
Bientôt, au loin se dessina la silhouette du puits, dont les vieilles pierres étaient couvertes d'une mousse épaisse, verte à souhait. Malgré l'absence d'eau, la zone demeurait humide et étonnamment fraîche, contrairement au reste de la jungle. Sans atteindre, Gara s'empressa de visiter l'endroit, effrayant par sa présence quelques pokémons, trop peu habitués à ce genre de visites. Avisant le lieu d'un regard scrutateur, Pablo s'éloigna de l'intendant pour vaquer à ses occupations, et Luciano en profita alors pour jeter un regard à l'intérieur du puits. La noirceur du fond le glaça un instant et à la vue de ce trou plus noir que la nuit, un souvenir revint à sa mémoire. Il se revoyait, là, aux côtés de Foldo et Milano, jetant des pièces dans ce puits magique dans l'espoir de voir leurs rêves se réaliser, et le regard toujours fixé dans son cœur obscur, une vérité se présenta aux porte de la conscience de l'intendant : maintenant qu'il y repensait, avec une exactitude effrayante, chacun de leurs vœux avaient été exhaussés.
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Perdu dans ses pensées, laissant négligemment sa main effleurer les vieilles pierres du puits, les doigts de l’intendant rencontrèrent un pied de baies fraives, qui cachait sous ses feuilles de minuscule fruits d’un bleu très clair. A bien y regarder, d’autres pieds étaient parvenus à pousser, çà et là entre les roches et la mousse, bravant l’impossible. Enfant, Luciano ne se souvenait pas de les avoir vu là … il se souvenait de bien des choses, mais pas de cela. Il se souvenait, jetant une pièce à l’écho du puits, d’avoir souhaiter de voir Gara, alors Rocabot, devenir grande et forte et crainte ; il se souvenait aussi d’un des vœux de Foldo, qui avait payé le puits d’un beau pesos dans l’espoir de devenir un jour le champion de Borao, et ce jusqu’à la fin de sa vie. Qui, du puits ou de la vie, avait fait s’exhausser ces vœux de manière si littérale ?
Luciano se fit surprendre par le mouvement d’une pierre, qui roula pour finalement tomber dans le vide. Rebondissant contre les parois, sa chute se rythma de bruits de percussions rocheuses qui durèrent une éternité, et lorsque la pierre atteignit finalement le sol rocailleux du fond, le choc résonna dans le puits. Presque aussitôt, une nuée s’échappa du vide, s’envolant vers le jour à une vitesse folle, offrant à l’intendant tout juste le temps de se reculer. Effrayés par la chute de la pierre, une dizaine de Nosferapti avaient quitté l’ombre du puits, apportant avec eux l’air frais des galeries souterraines … mais également un lambeau de tissus qui, déjà, virevoltait doucement en direction du sol. Immanquablement l’étoffe happa l’attention du puîné, mais également celle de Pablo qui, attiré tant par le bruit que par le mouvement des chauve-souris, s’était rapproché du puits.
Non sans dextérité, Luciano attrapa le morceau de tissus avant qu’il ne retombe dans le vide, l’avisa pendant un long instant … et lorsque Pablo posa les yeux dessus, sa réaction ne se fit pas attendre.
« — Ce … c’est à lui » déclara l’homme, qui peinait à y croire « C’est à lui, c’est à Tiago ! » affirma-t-il.
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Saisissant le morceau de tissus, Pablo l’avisa un long instant, les mains un peu tremblantes. Silencieux, Luciano observa le mouvement saccadé de ses yeux parcourant le lambeau, dont la couleur rouge s’était effacée avec le temps. Depuis combien de temps était-il dans le puits ? Déjà, l’intendant laissait son esprit divaguer dans d’innombrables théories, que bien d’autres avant lui avaient dû émettre.
« — Ce … c’est un morceau de sa veste » affirma Pablo « Il la portait ce jour-là, je m’en souviens comme si c’était hier » raconta-t-il.
La nuée de Nosferaptis et l’approche précipitée de Pablo avait fait revenir Gara qui, désormais, avait retrouvée sa place aux côtés de son maître. Sans qu’il ne sache vraiment quoi – la folie peut-être ? – quelque chose traversa le regard de Pablo qui, sans prévenir, se pressa en direction du puits, rejoignant dangereusement son bords au-dessus duquel l’homme se pencha.
« — Il faut y aller, il faut aller voir ! Vous avez une corde, quelque chose ? » demanda-t-il à l’intendant.
Rationnel, Luciano se contenta de l’observer. Non content de ne pas avoir de corde, l’intendant savait bien que descendre de cette manière dans le puits n’avait rien de sage, était impossible pour les hommes qu’ils étaient.
« — Pablo, soyez réaliste. Vous ne pouvez pas descendre dans le puits comme ça » répondit Luciano.
L’intendant de Borao avait ce talent-là : celui de faire valoir des vérités, des évidences qui ne plaisaient pas toujours mais qui n’en demeuraient pas moins réelles, avérées. Retrouvant un semblant de calme, Pablo posa laissa ses doigts se refermer sur le rebord du puits.
« — Mais … et s’il était en bas ? Et s’il était tombé dans le puits ? » fit-il remarquer.
A son tour, Luciano avisa de nouveau l’intérieur du gouffre, dont le fond noir n’offrait aucune visibilité.
« — S’il est en bas, l’autre équipe le retrouvera » assura l’intendant.
A leur niveau, les deux hommes ne pouvaient rien faire et Pablo avait la décence de l’entendre. Oui, si Tiago était tombé dans le puits, Elsa-Mina et son équipe finirait bien par tomber dessus … mais comment croire cela possible, lorsque bien avant eux d’autres avaient fouillé le vieux puits et ses galeries ? Une éventualité traversa l’esprit de l’intendant … et si l’enfant était tombé, sans ne jamais atteindre le fond ? Et s’il était resté là, accroché aux parois, prisonnier des racines ?
L’autre équipe retrouverait le garçon, oui … mais dans quel état ?
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Pendant un long moment, Pablo erra aux alentours du puits, l’esprit ailleurs. Précieusement contre lui, l’homme gardait l’étoffe rouge comme un trésor, que rien au monde ne lui aurait fait lâcher. Le regard dans le vide, quelque chose en lui s’était détourné de ses recherches, comme si son cœur avait compris qu’il ne trouverait là rien, rien d’autre que ce que le puits avait déjà craché. Pourquoi cette étoffe reparaissait-elle seulement maintenant, après tout ces mois de recherches et de fouilles ? Si cette improbable trouvaille offrait enfin à Pablo une piste, sa froideur laissait présager une issue funeste, sans fin heureuse. A en juger par son état, le morceau de tissu était vieux, avait subi les épreuves du temps, était là depuis longtemps. S’il s’agissait bien là d’un morceau de la veste de Tiago, l’étoffe s’en était détachée depuis de nombreux mois.
L’enfant s’était-il vraiment aventuré si loin dans la forêt, ou bien l’objet devait-il sa présence ici aux pokémons sauvages et aux aléas des évènements naturels ? Loin de pouvoir le prédire, Luciano voyait cependant s’esquisser dans son esprit un semblant de scénario qu’il ne devait pas être le seul à s’être imaginé. Bien en vain, les deux hommes tournèrent encore un moment autour du vieux Puits Encantado, avant de finalement s’en éloigner d’un commun accord. Sur le retour, trahissant le poids qui avait gagné leur consciences, seul le bruit de leurs pas venait perturber le silence qui les enserrait.
***
A l’entrée du tunnel qui donnait sur les galeries du puits, Pablo et Luciano retrouvèrent le reste du groupe. L’annonce de leur découverte suscita bon nombre de larmes et de pleurs auprès des plus sensibles, certains y voyant un heureux espoir, d’autres une bien triste nouvelle ; et au cœur de toutes ces émotions, les regards des deux Viridis se croisèrent un instant, s’avisèrent mutuellement. Rejoignant Luciano et sa louve qui le flanquait, l’air de rien Elsa-Mina leur fit quitter la foule désormais rassemblée, curieuse d’obtenir sa version de l’histoire ; et lorsque l’intendant eut terminé son récit, l’homme tourna son regard vers la jungle, là où les arbres se faisaient plus nombreux et la canopée plus dense.
« — Le Galopa » déclara-t-il après un long instant de silence. Son regard n’avait pas quitté la jungle « Est-ce que vous avez trouvé le Galopa ? » demanda-t-il.
Pendant un instant, la scientifique se trouva incapable de saisir le but de sa question. Où voulait-il en venir ? Qu’est-ce le pokémon pouvait bien avoir à faire là-dedans ? Et puis, soudainement, elle comprit.
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Dans les galeries du vieux puits, Elsa-Mina et son groupe n’avaient rien su trouver : ni la trace d’un enfant, ni même celle d’une quelconque forme de vie, exceptées celles des pokémons qui y avaient élu domicile. Le fond du puits lui-même – où la pierre de Luciano avait finis sa chute – s’était révélé vide, n’offrant aux visiteurs que quelques macabres squelettes d’animaux qui avaient eu le malheur de tomber là. Au grand désarrois de Pablo, pas la moindre trace du petit Tiago n’avait été trouvé, pourtant, son regard émeraude fixé sur l’intendant, la scientifique n’avait jamais été si proche de résoudre le mystère, du moins en partie.
Le Galopa.
Avaient-ils trouvé le Galopa ? L’avaient-ils cherché ? Du plus loin qu'elle s'en souvenait, le Galopa abandonné de Pablo était la raison pour laquelle Tiago s'était aventuré dans la forêt : échappant à la vigilance de son père, l'enfant était parti seul dans la forêt dans l'espoir d'y retrouver la licorne. Si les recherches s'étaient majoritairement portées sur le garçon, le cheval magique avait également fait l'objet de quelques vaines battues, sans ne jamais se laisser apercevoir. Pablo lui-même ne l'avait pas revu depuis qu'il avait été obligé de le faire fuir, lorsque la Nova Existência avait fait de sa détention quelque chose d'illégale. Supposé mort, l'animal n'avait pas suscité tant d'intérêt que cela. Avait-ce été une erreur ?
« — Non » répondit simplement la scientifique « Ils l'ont cherché un temps, avant d’abandonner. Les autorités pensent qu'il est mort depuis longtemps » affirma Mina.
Mais elle voyait bien, maintenant que Luciano lui avait mis le nez dessus, qu’abandonner les cherches concernant le pokémon avait été une erreur.
« — Son cadavre a-t-il été retrouvé ? » questionna l'intendant.
Non, la carcasse du Galopa n'avait jamais été retrouvée, pas même la trace d'un seul de ses ossements.
« — Alors il n'est pas mort » assura le puîné.
« — Est ce que ça change vraiment quelque chose ? » questionna Elsa-Mina « Le cheval est introuvable, et rien ne dit qu'il est avec le garçon » déclara-t-elle.
Mais Luciano ne semblait pas de cet avis.
« — Si le garçon est encore en vie, il sera avec le Galopa » affirma l'intendant, si sûr de lui « Et ce n'est pas parce que le Galopa n'est pas trouvable qu'il ne peut pas être trouvé. Tu as perdu la foi, Mina » fit-il remarquer. Il fit une courte pause, lança un nouveau regard en direction de la jungle « Trouvez le Galopa, et vous trouverez le garçon » répéta-t-il.
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Oui, comment ? Alors que plus loin le groupe s’affairait à repartir, Luciano continua de fixer la jungle, pensif. Machinalement, ses doigts s’étaient mis à effleurer la fourrure de la Lougaroc assise à ses côtés, et levant un regard dans sa direction, Gara le gratifia d'un coup de langue, chercha sans succès son attention.
Comment trouver le Galopa ?
S'ils n'avaient pas su le dénicher dans la jungle, alors il fallait l'attirer, l'en faire sortir … mais encore fallait-il savoir comment s'y prendre. Etrangement, Luciano voulait voir la fin de cette histoire, lui qui s’était pourtant rendu à cette battue sans trop de convictions. Désormais impliqué plus qu’il ne l’aurait voulu, l’intendant de Borao s’était pris au jeu, si tant est que l’on puisse appeler cela un jeu. Pragmatique, terre à terre, l’homme n’espérait pas retrouver l’enfant vivant, mais il aspirait cependant à lever le mystère sur cette affaire qui traînait depuis trop longtemps. Luciano Viridis avait-il vraiment l’arrogance de croire réussir là où d’autres avaient échoué ? Oui, bien sûr qu’il avait cette arrogance-là.
L’approche d’une femme au visage marqué par le temps sortit l’intendant de ses pensées. Apportant avec elle un paquet grossièrement emballé, elle posa sans prévenir une main sur l’épaule du puîné Viridis, attirant immanquablement le regard de l’homme sur la zone de contact.
« — Foldo, mon petit Foldo, merci d’être venu » déclara la vieille femme. Le temps n’avait pas su blanchir l’intégralité de ses cheveux, qui se teintaient d’un gris morne et terne « Tes cheveux on drôlement poussés mon garçon ! Tu vas bientôt ressembler à ton frère » assura-t-elle.
Silencieux, Luciano la dévisagea un instant. Ses yeux ne portaient aucune trace de cécité et pourtant, l’intendant en était certain : la vieille venait de l’appeler Foldo. La situation le laissa interdit, tandis que la vieillarde poursuivait.
« — Tiens, tu avais raison » affirma la vieille femme en lui tendant le paquet qui lui était vraisemblablement destiné … ou n’était-il pas, du coup, plutôt destiné à son frère ? « Veilleur est plus fort maintenant, grâce à toi ! Tu verras, il retrouvera le petit Tiago » assura-t-elle.
Et sans un mot de plus, elle le laissa là, lui et sa perplexité. Restée tout comme lui silencieuse, Elsa-Mina la regarda partir et rejoindre un autre groupe, avant d’offrir un regard à Luciano, dont les mains étaient désormais chargées du mystérieux présent de cette bien étrange femme.
« — Qui est-ce ? » lui demanda l’intendant en détachant enfin son regard de celle qui l’avait pris pour son frère. Luciano vit la scientifique froncer les sourcils.
« — Je ne suis pas sûre » répondit-elle.
Le regard de Luciano se porta sur le paquet. Quel était donc ce présent qu’elle tenait de Foldo ?
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Laissé un peu perplexe par cette étrange visite, les yeux de l’intendant se posèrent finalement sur le mystérieux paquet laissé par son interlocutrice, qui avait eu la maladresse de le confondre avec son frère. Luciano pouvait-il vraiment lui en vouloir ? L’âge et le temps avaient sans doute eu raison de sa lucidité.
« — Tu te souviens de Veilleur, l’Archéduc que Foldo avait rencontré un jour ? » lui demanda Elsa-Mina. Bien sûr qu’il s’en souvenait « Il me semble que c’est à cette dame qu’il appartient. Enfin … appartenait » rectifia-t-elle.
Cette histoire remontait à bien des années, pourtant comme beaucoup de choses Luciano s’en souvenait dans les moindre détails. Dans la partie de la Forêt Ucaya qui bordait le nord de Borao avait longtemps vécu un Archéduc sauvage, qui s’était toujours illustré par ses sauvetages plus ou moins héroïques, et cet aspect de sa personnalité lui avait valu son surnom par la population de l’époque, Veilleur. La mémoire de la scientifique n’était pas tout à fait exacte : Veilleur n’appartenait à personne, mais Foldo avait un jour rencontré l’Archéduc blessé et avait confié à une femme la noble tâche de veiller sur le veilleur. Était-ce elle, était-ce cette désormais vieille dame ? Sans doute. Tout cela remontait à longtemps et Luciano n’avait jamais eu l’occasion de rencontrer ladite femme … jusqu’à maintenant.
Ouvrant le paquet, l’intendant y découvrit quelques livres aux couvertures anciennes, ainsi que des objets qui, vraisemblablement, provenaient de l’Archéduc : quelques flèches, mais également une plume singulière, qui ornait habituellement la tête de cette espèce. Pendant un instant, Luciano se questionna quant au destin de l’oiseau … était-il mort ? Depuis la Nova Existência, plus personne ne semblait avoir aperçu ni même rencontré le Robin des Bois de la jungle. Se pouvait-il, malgré tout, qu’en tout cela réside un lien, et que le destin de Tiago ait rencontré celui de Veilleur ? L’intendant de Borao ne pouvait le dire et le brouillard qui avait pris possession de l’esprit de l’ancienne ne l’aidait pas à y voir clair. Qu’en était-il des autres ? D’un accord visiblement commun, tous s’entendaient à croire que ses paroles n’avaient aucun sens, ce fut du moins ce que lui conta Mina et Luciano eut du mal à ne pas trouver ses mots censés. La vieille ne l’avait-elle pas pris pour Foldo après tout, et ne semblait-elle pas avoir oublié la mort de l’ancien champion elle-même ? Qui savait vraiment à quel point l’esprit de l’ancienne s’était perdu ?
Luciano referma le paquet, non sans se demander si l’ancienne avait trimballé ça durant toute la marche, ou si elle s’était contentée de les rejoindre à la fin de la battue. Cette matinée avait laissé à l’intendant matière à réfléchir, et le mystère de Tiago, de Veilleur et du Galopa vinrent s’ajouter aux innombrables autres soucis qui hantaient l’esprit du seguidor depuis quelques temps. Lentement mais surement, l’homme de Borao pouvait sentir son quotidien changer … tout arrivait en même temps et Luciano Viridis avait trop de jugeotte pour croire que c’était là l’œuvre du hasard, et que toutes ces histoires n’apporteraient pas avec elles leur lot d’irrémédiables conséquences.