Ceux qui affirment une fausseté pareille n’ont jamais posé les yeux sur les enfants de la pouponnière de l’hôpital bordant les favelas de La Isicao. Ils ne se sont jamais intéressés à ces bébés criards, criblés de carences, qui n’auront jamais la même chance que ceux qui naissent ailleurs, au haut de la colline par exemple. Ces mioches-là naissant avec des épines dans les pieds; beaucoup sont indésirés, presque tous seront négligés. Même si on les aime, même si on veut leur bien. Parfois il faut faire des choix entre les besoins, entre manger ou consoler.
Croire à mes rêves, puis quoi encore ? La salade capitaliste qu’on tente de m’ingérer depuis l’enfance, j’en suis malade, malade, malade, jusque dans mon âme.
Quand tu nais dans les favelas comme je l’ai fait, tout ce que tu peux apprendre c’est à survivre. Et en ce sens, je suis passée maître. J’ai grandi sans véritable encadrement, enfin à moitié sauvage suivant à la trace son grand frère déjà brisé par la vie. Ma vie n’était pas bien différente d’un autre enfant je suppose si ce n’est que je n’ai bénéficié d’aucune routine sécurisante, rien pour me raccrocher et me permettre de m’épanouir convenablement. Le seul ancrage que je pouvais avoir, encore, c’était l’école. Le matin, j’étais assurée d’avoir un petit-déjeuner qui m’attendait : un berlingot de lait avec des céréales et une pomme, parfois un muffin ou autre délicieuse attention qui me permettait de bien entamer ma journée. Pour le reste, je connaissais la faim et le chaos.
Laissez-moi vous mettre en contexte. Je suis le deuxième enfant (sans compter quelques fausses couches) de Ruby Young, jeune femme toxicomane des favelas de La Isicao. Sans moyens, sans éducation, sans emploi, ma mère collectionnait les partenaires douteux tout autant que la drogue dans ses veines. Tout pour échapper à sa réalité. Incapable de travailler ou de se sortir de sa misère, elle a compensé en étant une mère à peu près présente. Tout du moins elle a fait ce qu’elle a pu. Mon véritable parent toutefois a été mon grand frère, plus âgé de huit ans. Si vous cherchez une meilleure âme que la sienne, il va vous falloir lever la tête vers le ciel. Mon frère n’a eu qu’une part d’ombre dans sa vie, quelques jours après ma naissance quand, forcé de grandir trop vite, Maxwell s’est trouvé forcé de s’occuper de moi. Ce bébé qui piaillait constamment, se faisant difficilement à la vie à l’extérieur du cocon que représentait alors ma mère. Ouais, Ruby s’est tenue plus ou moins sobre pendant sa grossesse vous voyez, alors sitôt la contrainte retirée qu’elle s’est précipitée vers ses seringues. Max a fait ce qu’il a pu, mais putain, qu’est-ce qu’un gamin de huit ans aurait pu y faire ?
Alors un soir il en a eu assez. Il m’a pris de mon lit, il a fui dans la nuit sans même que Ruby n’esquisse un geste, déjà comateuse de sa consommation de la soirée. Sans bruit, il s’est dirigé vers la mer, là où les eaux usées des favelas se déversaient. Il a considéré les vagues noires qui s’écrasaient contre les rochers. Il a pensé qu’il avait faim, qu’il était crevé, qu’il était perdu. Le pauvre mioche. Des fois je me dis qu’à sa place, j’aurais balancé le bébé dans la mer. Mais cette nuit-là Maxwell m’a épargnée, car il avait pris une décision.
Il allait m’élever.
Quel genre de vie doit mener un gamin de cet âge ? Il doit aller à l’école. Rêver de ce qui l’allume. Ne jamais penser à demain. Maxwell n’a pas eu cette chance. Il a dédié toute son existence à limiter les dommages que notre contexte pourrait me causer. Il m’a protégé au détriment de lui-même. Il a failli à son éducation, à ses rêves, et bien trop souvent aussi à ses besoins. Sous sa tutelle, je suis devenue une enfant potable; pas bien polie, voire même carrément grossière, mais débrouillarde et allumée. Max m’a transmis tout ce que je devais connaître de la vie dans les rues. Lorsqu’il fut en âge, il prit un job, puis un autre et un autre encore. Il rentrait tard le soir, son corps d’adolescent tout juste capable de glisser près de moi sur le canapé, où il s’efforçait de corriger mes devoirs et de me faire réviser mes leçons. Je me souviens encore de ses traits gris. Il se mourrait à petit feu, mon frère. Malgré mon jeune âge j’en étais parfaitement consciente.
Rapidement, j’ai mis la main à la pâte. Déjà, je faisais de mon mieux à l’école… Sauf que vous voyez je n’ai jamais été particulièrement brillante. À l’inverse, j’étais une élève qui progressait lentement, qui confondait les leçons, oubliait beaucoup d’informations. Lorsque je lisais, il me semblait que les lettres dansaient sur la feuille, me causant bien des frustrations. Maxwell aurait souhaité, je crois, que je m’illustre davantage à l’école, sauf que c’est lui qui hérité du cerveau entre nous deux. J’ai fait de mon mieux. Surtout, je déambulais les rues à la recherche de quelque chose à grapiller, vendant mes trouvailles au marché ou à quelque touriste me prenant en pitié. Plus tard j’ai vendu des journaux ou fait de petites courses pour les marchands du coin. C’était difficile de me refuser du travail, ou quoi que ce soit vraiment. Comment dire non à cette petite frimousse aux grands yeux bleus ?
Malgré tous nos efforts à Maxwell et moi, manger un repas tous les jours s’avérait chose ardue très souvent. Je me souviens qu’il y avait des mois où les traits de Maxwell se tiraient encore plus, où il se disputait avec notre mère. Il lui en voulait de nous abandonner à notre sort; souvent il s’est fait aveugle à la maladie qui la rongeait. Je ne sais pas ce qu’il serait advenu de nous sans le rai de lumière qui a traversé les favelas en 2005 ou 2006. Dans tous les cas, quelque ordonnance a lâché un budget conséquent dans les bourses de plusieurs organismes communautaires avec comme mission de venir en aide à la population vulnérable du bidonville de La Isicao. Je me fiche bien qu’il s’agissait alors d’un joli tour de passe-passe politique, destiné à impressionner les électeurs. Cette initiative, calculée ou non, a eu des effets concrets sur ma vie.
Ils avaient l’allure des anges; auréolés d’altruisme. Si des décisions étudiées et égoïstes les avaient mis sur mon chemin d’enfant maigre des favelas, les bénévoles qui se présentèrent à ma porte ce jour-là particulièrement chaud du mois de janvier ne manquaient pas d’une générosité véritable. Je les considérais bouche bée : l’enfant sauvage que j’étais encore ne comprenait pas comment on pouvait choisir de se départir de nourriture et de l’offrir à d’autres. Je me souviens encore de leurs sourires, de leur humanité. Si je sais que toutes les expériences de charité ne ressemblent pas à celle-ci, je peux dire que l’aide que nous avons reçu a complètement changé mon existence.
La puberté me heurta de plein fouet. Les changements hormonaux en moi me causèrent un profond malaise. Je ne reconnaissais plus ce corps qui se métamorphosait sous mes yeux et de plus en plus je le dissimulais sous de grands chandails et autres vêtements de garçons. Avec ma coupe de cheveux courte, plusieurs me méprenaient pour un gars, ce qui ne me déplaisait pas. À vrai dire, de plus en plus, j’aimais m’affubler de pronoms masculins. Mes amis et camarades de classe s’y firent de manière mitigés; certains refusaient de me traiter autrement qu’en fille alors que d’autres se fichaient bien de ce changement. Les mauvais commentaires me chauffaient rapidement, et je crains avoir eu plus d’une rencontre dans les ruelles derrière l’école pour régler quelques conflits… le tout avec mes poings. J’étais un adolescent robuste et qui ne cognait jamais pour retenir ses coups. Il valait mieux ne pas trop me chercher.
À la maison, les choses s’amélioraient progressivement. Grâce à l’aide alimentaire que nous recevions et puis le nouveau salaire de mon frère, nous ne manquions de rien d’essentiel. Maxwell, suite à sa rencontre avec une petite Togépi du nom de Pandora, se lançait dans une carrière de Coordinateur à temps plein, sous les judicieux conseils de son meilleur ami Pablo, dont il était éperdument épris. Je m’intéressais aussi de plus en plus aux Pokémon. J’aimais bien aller donner de la nourriture aux créatures des fonds de ruelles et amener avec moi à l’appartement ceux qui étaient malades ou blessés. Je découvrais le résultat cruel des lois permissives d’alors. Nombreux étaient les dresseurs qui se « faisaient la main » sur la faune locale, sans se soucier des répercussions. Je les détestais de plus en plus… Combien de mes camarades de classe avaient prévu faire carrière dans le monde Pokémon pour se sortir des favelas ? Animés par le désespoir, ils traitaient leurs alliés comme de la merde. Si bien que je ne pouvais rester à rien faire. À de nombreuses reprises, j’ai soutiré des Poké Ball et libéré des Pokémon dans la nature, en toute discrétion. Ce n’était que le début d’une longue lutte acharnée pour devenir la personne que je suis aujourd’hui.
Je me rendais bien compte que je ne m’adaptais pas comme les autres adolescents de mon lycée. Je me sentais lourd, mal dans ma peau. J’avais peu confiance en moi et je me battais beaucoup trop souvent, m’attirant des soucis. J’avais bien de la difficulté avec l’autorité des enseignants à l’école et en envoyais paître plus d’un. De plus, je me battais toujours avec mes travaux scolaires, de plus en plus ardus. Je cherchais à trouver ma place, à laisser ma marque sur le monde de manière positive. C’est là que je me suis perdue sur Internet. À clavarder avec des étrangers jusqu’aux petites heures du matin sur le vieux laptop que Maxwell avait réussi à me dénicher pour l’école. Le truc qui mettait des plombes à télécharger une page ah ! Sur ces sites, j’ai fait la rencontre de gens qui partageaient les mêmes idéaux que moi : eux aussi aspiraient à un monde plus libre et égalitaire, tant pour les humains que les Pokémon. C’est là que j’appris à connaître les principes de la Team Plasma. Et que je me mis à militer pour eux.
À vrai dire, j’ai milité toute mon adolescence pour diverses causes humanitaires. J’ai beaucoup délaissé mes études, voire même carrément séché les cours, pour assister à des manifestations, pour en organiser aussi. J’ai prêté ma voix à de nombreux mouvements de plus en plus radicaux à mesure que la Nova Existencia approchait. Mon frère ne savait plus que faire de moi. Nous ne pouvions être d’accord sur les principes de la Team Plasma. Il me parlait sans cesse en mal d’eux, me disait de me méfier de ce groupe, bien renseigné quant à ce qu’ils avaient tenté de faire à Unys. Je me faisais sourde à ses avertissements à mesure que la tension montait tant à Cinza qu’entre nos quatre murs. Ma mère, sans cesse prisonnière des débats philosophiques de ses enfants, se détériorait à vue d’œil, s’enfonçant dans sa consommation pour fuir nos incessants conflits.
Je n’en veux pas à Maxwell. Mon frère a toujours eu le respect des Pokémon à cœur. J’ai même pour la Coordination un amour certain et regrette de l’avoir vue disparaître en même temps que les combats. S’il s’agissait d’un mal nécessaire, je m’en veux parfois d’avoir eu si peu de considération pour les rêves de Maxwell, lui qui a dû me trouver bien ingrate. Il y a des jours où j’aimerais le prendre dans mes bras, m’excuser. Lui dire que je n'étais qu’un adolescent paumé, mal dans sa peau, prompt à s’engager là où je me sentirais à ma place… Je souffrais réellement à l’époque et la Nova Existencia ne fit qu’accentuer les choses. La violence me monta à la tête et me poussa à me ranger du côté de la Guarda beaucoup trop aisément. Je n’avais pas de nuance à l’époque, seulement le feu de mes convictions. Quand Max est revenu un soir suite à une manifestation violente à Sercena contre le nouveau système, il s’est écroulé en pleurs. Il a dit que Pablo avait été tué par un membre de la Guarda. Plutôt que de lui montrer la compassion dont il avait besoin, je lui ai presque craché au visage, j’ai justifié les actions de mon parti de prédilection. Combien je m’en veux maintenant. J’ai blessé Maxwell à tout jamais.
Notre relation n’a plus jamais été la même. Moins d’un an plus tard, il est parti dans la nuit en laissant une note sur la table. Il partait pour vivre de son métier. Tous les mois sans y manquer, il envoyait sa part habituelle d’argent à la maison, parfois même plus. Mais nous ne le revîmes jamais, maman et moi. Complètement déboussolé, j’étais en colère contre lui, contre le monde, mais surtout contre moi-même sans le savoir. J’étais de plus en plus violente, de plus en plus délinquante, si bien que je faisais des allers-retours en centre jeunesse. J’avais perdu foi en tout ce que je connaissais. Au final, je me sentais surtout abandonnée, sans réaliser que c’était moi, moi et non un autre qui me causait autant de tort.
Les années se sont succédées sans que je n’aille de véritable plan pour mon avenir. Si bien que la date butoir de mes dix-huit ans se manifesta sans trouver réponse à cet épineux problème. Voilà que je me retrouvais à la case départ ou du moins me semblait-il. Un peu moins pauvre grâce à l’argent que Maxwell continuait à m’envoyer et qui pendant deux ans s’était accumulée, mais tout aussi paumée. J’ai pris un appartement dans la basse-ville, misérable mais au moins à l’extérieur des favelas. J’ai pris un job puis un autre. Dans mes temps libres j’ai traîné à nouveau dans les manifestations, tâchant de ne pas me faire arrêter. Quand même, je savais que maintenant adulte, chaque trace sur mon casier judiciaire était là pour rester. Alors je me suis tenue tranquille.
Quand même, je savais bien que ce ne serait jamais suffisant. Malgré moi, j’aspirais à plus. Peut-être pas d’une vie confortable, mais… d’autre chose. J’ai su quand, un soir, une bande de Reguladors est entrée dans le bar où je bossais. Je me suis mise à discuter avec les gars, curieuse et un peu impertinente d’abord, avant de réaliser qu’eux et moi avions plus de points communs que je ne le croyais. Comme il y avait une belle énergie et une chaleureuse ambiance dans l’établissement, ils sont revenus plus tard cette semaine-là, puis la suivante. Je me rapidement liée d’amitié avec eux et ait commencé à les fréquenter à l’extérieur du travail. Ils aimaient fêter, ces bougres. Mais aussi, ils avaient de nombreuses valeurs en commun avec moi. Ils me parlèrent tant de leur merveilleux métier, que je me trouvai finalement à accepter d’étudier dans le domaine. Un an et demi plus tard, je suis entrée dans les ordres en tant que Regulador, peinant à croire qu’après une vie à repousser l’autorité, j’en faisais désormais partie !
Affectée à Borao, j’ai tout quitté pour rebâtir une nouvelle vie. À cette époque, Maxwell et moi avons débuté une correspondance écrite. Il était heureux et très prolifique dans son métier de Coordinateur et sa quête de Rubans. Même qu’il commençait à se faire un sérieux nom. J’étais heureuse pour lui, mais encore plus de le retrouver même si ce n’était qu’à l’écrit et qu’il passait la moitié de ses lettres à corriger mon français… Sacré Max.
Borao était bien différente de La Isicao et je mis un bon moment à m’y faire. Toutefois, la caserne, la nature de mon travail, mon nouvel appartement tout près de la forêt d’Ucaya… Ce changement d’air me plaisait énormément. Certainement, j’avais quelques problèmes avec mon chef de l’époque, monsieur Phillips dont je prenais un malin plaisir à contredire les ordres. Au final il est parti dans une autre unité tandis que le capitaine Simons a pris sa place. Simons était bien différent. Avec une autorité naturelle et un côté pince-sans-rire qui nous rendait tous nerveux, il a largement changé notre manière de travailler. Il s’est intéressé à chaque individu sous sa tutelle et les a forcés à se surpasser. Il est devenu comme un père dans l’unité et nous l’adorions même s’il nous faisait travailler bien durement.
La première fois que je l’ai entendu jurer, c’était ce jour-là de janvier 2022. Quand depuis la télévision de la caserne, nous avons assisté à l’attaque de l’incroyable Tentacruel déchaîné. Je me souviens encore du silence dans la pièce. Trop loin pour agir sur le champ, nous avons été sollicités toutefois pour contrôler les conséquences de l’événement, pour déplacer l’immense poulpe, aider les blessés, nettoyer les rues. Tout ce carnage m’a revirée. Je n’avais pas mis les pieds dans la capitale depuis mes débuts en tant que Regulador. Je dois avouer que tout ceci m’a grandement secouée. Pendant des semaines, j’ai passé tout mon temps libre à faire du bénévolat et de l’aide humanitaire à La Isicao afin d’aider comme je le pouvais.
Jusqu’à ce qu’une situation dangereuse me rappelle à Borao. À la caserne, on le surnommait Chama, le Brasier. Le prince de la forêt, une tête connue des Reguladors du coin. Sauf que depuis quelques temps, le Simiabraz disjonctait complètement. En l’espace de quelques semaines, il avait causé de graves incendies sur lesquels nous avions dû agir, en plus de s’attaquer à des campeurs et autres randonneurs. Pire, ses crises le rapprochaient de plus en plus de la ville et de ses habitants. Calmer Chama était toute une entreprise. Il fallait s’approcher avec une grande prudence, même avec l’aide de compagnons Pokémon. Je n’en avais jamais eue, ainsi je ne pouvais que compter sur mon bon sens pour m’aider. En tout cas… Les gars ils disaient que j’arrivais à l’apaiser, ce singe de feu. Quand il explosait, c’était toujours moi qui était dépêchée pour venir lui causer, tenter de l’apaiser. J’ignore pourquoi exactement. Je me suis brûlée plus d’une fois. La dernière fois était la pire crise de colère de Chama. Il avait mis feu à deux maisons en bordure de la ville et menaçait de s’en prendre aux civils. Afin de l’empêcher de causer du tort, je lui ai sauté dessus et l’ai plaqué au sol, sauf que ce faisant il m’a brûlé méchamment les avant-bras. La douleur était telle que je me suis évanouie.
À mon réveil, chef Simons était là. Il a dit que faute d’autres options, ils ont procédé à la capture de Chama, ce qui aussitôt me mit en colère. Tandis que je déversais insultes et jugements, mon supérieur est demeuré impassible. Désormais officier, je n’aurais pas dû m’adresser ainsi à lui ainsi, malgré tout c’est avec un grand calme qu’il s’est adressé à moi ensuite. Il a dit que le Simiabraz ne pouvait vivre librement désormais car il représentait un danger tant pour la population cinzane, que pour les autres espèces de la forêt d’Ucaya. Mais q u’en plus si nous le laissions faire, les conséquences pourraient devenir d’autant plus graves pour lui. Il pourrait être tué.
Je suis restée en silence, ravalant ma frustration. Malgré ce que le singe m’avait fait subir, je ne pouvais lui en vouloir. Je le voyais bien, à chaque crise qu’il perdait tout contrôle sur ses facultés, sur lui-même. Et qu’à la fin, tandis qu’il reprenait ses esprits, c’est la honte et la culpabilité qui s’abattaient sur lui. Chef Simons pensait de même. Il m’a alors dit que l’adoption était la seule option pour ce Simiabraz à l’heure actuelle, à condition de le placer dans les mains d’un dresseur qu’il respecterait et qui saurait canaliser sa rage. C’est ainsi qu’il me remis la balle de Chama et qu’il m’ordonna de le garder. Nous avons débattu. Une heure, deux heures. Jusqu’à ce que je capitule, épuisée et vaincue. Je prendrais Chama, malgré toute l’horreur que cela m’inspirait. Du moins pendant un temps.
Combien de fois ai-je tenté de le libérer ? Toujours, le Simiabraz a pris la décision de rester à mes côtés. Je pense qu’il a peur… peur de lui-même. Et surtout qu’il a confiance en moi malgré tout pour effectivement maîtriser ses émotions les plus intenses. Lui et moi cohabitons à la manière de colocataires. Je ne lui donne pas d’ordres, il fait ce qu’il veut. Cependant il aime se montrer utile. Alors il bosse à mes côtés. Il reste dans son coin et moi dans le mien. C’est le prince de la forêt d’Ucaya, pas mon Pokémon de compagnie après tout.
Voilà, je crois que ça fait le tour. Je veux dire… Ma vie est plutôt simple malgré tout. Je ne peux certainement pas m’en plaindre. Tout ce qu’il me reste à faire désormais est de changer le monde.