Deux pas plus près du ciel

Cette histoire de l’ilha monstruosa ne me dit rien qui vaille.
Déjà, la nature des travaux qui y sont faits, nébuleux et tenus secrets, me rendent mal à l’aise. Sans comprendre ce que mes employeurs cherchent ainsi à dissimuler, je ressens plus qu’un malaise de défendre leurs intérêts. Toutefois, non sans pragmatisme, je reconnais l’importance de tenir le public loin de cette île potentiellement dangereuse. Les citoyens n’ont aucune affaire ici et je ne compte pas laisser faire des visiteurs qui tenteraient de venir fourrer leur nez dans les affaires de l’État. Malgré moi, je me trouve bien curieuse de ce qui s’est produit ici. Selon mes compatriotes, une foule de Pokémon préhistoriques se trouve disséminée partout à cet endroit. Un registre a vu le jour entre les différents Regulador pour faire état des choses ici, chaque spécimen croisé recueilli et taggué pour être certain qu’il est identifié. On m’a dit que plusieurs espèces se montrent particulièrement hostiles et qu’il vaut mieux tenir nos compagnons Pokémon avec nous en tout temps. Si j’aurais tout bonnement refusé de le faire quelques mois plus tôt, j’ai adhéré à la demande de mes supérieurs en prenant Chama avec moi. D’un, je ne peux risquer de le laisser seul à la base. De deux ce changement d’air lui fera assurément du bien. Puis, je suppose, que l’avoir avec moi pour me défendre n’est peut-être pas une mauvaise idée. Peut-être.

On nous a placés en dyades de patrouille. Mon acolyte du jour, un autre officier du nom d’Officier Astaran, que j’ai connu à La Isicao, fait la conversation pour nous deux. Heureusement car je ne suis pas d’humeur à placoter. Depuis mon arrivée dans la matinée, j’ai deviné la présence de plusieurs créatures qui jusqu’à présent se sont montrées discrètes. Néanmoins un étrange pressentiment me tenaille, comme si quelque chose nous épiait. Le grand blond qui m’accompagne finit par remarquer que je ne lui porte qu’une attention distraite, mais plutôt que s’en insurger, il sourit devant ma mine sérieuse.

« Au fait, je n’ai pas vu votre Pokémon encore. On dit que vous avez dompté le Prince d’Ucaya, c’est vrai ? »

Je ronchonne. Je n’aime pas cette appellation. Chama n’est pas mon Pokémon, il ne m’appartient pas. Cependant il est mon partenaire. Et où il se trouve ? Je ne sais pas trop. Il vaque à sa propre existence, explorant l’île.

« Chama est sa propre personne, il fait ce qu’il veut. Je l’ai vu tout à l’heure, il ne reste jamais bien loin. Mais ne dis pas que je l’ai dompté. Je l’ai surtout empêché de se faire du mal ou d’en faire aux autres. »

Au regard qu’il me jette, je devine que l’Officier Astaran a eu vent de mon histoire. D’un geste nerveux, je viens frotter mes bandages, ceux qui recouvrent mes vilaines brûlures, vestige de cette nuit-là où la vie de Chama a basculé pour toujours. Celle où il a été privé de sa liberté.

Deux pas plus près du ciel

« Tu as eu beaucoup de courage en tout cas. Simiabraz est un Pokémon impressionnant. Lui sauter dessus ainsi pour l’immobiliser alors qu’il était en pleine furie… il faut avoir des couilles en acier ! »

Un léger sourire vient flotter contre mes lèvres.  Il n’est pas le premier à me faire le commentaire. Un qui tranche beaucoup avec les reproches de mon patron quelques mois plus tôt, ayant jugé mes actions de téméraires, voire carrément imprudentes. N’empêche que mon action a permis de mettre fin à la pire crise que Chama aille jamais eue. Je ne l’ai pas fait pour la gloire, mais bien pour tous nous sauver, y compris lui-même. Comme s’il avait entendu son nom, le singe de feu paraît dans les branches d’un arbre et nous observe de son œil taciturne. Toujours aussi sérieux et un peu détaché, menant son petit train de vie.

« Wow. Il est vachement cool ! Salut, Chama, moi c’est Noah ! Enchanté de faire ta connaissance. »

Amusée par le comportement de mon collègue, je n’ajoute rien. Pour sa part, le singe de feu me scrute comme en ayant l’air de dire « Qu’est-ce qu’il me veut celui-là ? ». J’hausse les épaules. L’Officier Astaran a tendance à se montrer très sympathique et pas du tout embarrassé de faire de nouvelles rencontres. Chama l’ignore finalement pour pointer, sur un rocher, une silhouette que j’aurais pu manquer sans sa vue acérée. Un Kabuto de bonne taille.

« Notre premier Pokémon de la ronde ! Je vais lui mettre son tag. »

Ou du moins est-ce le plan, mais dès que je m’approche, la créature s’éloigne, tentant de m’échapper. Souriant devant ce Kabuto plus dégourdi qu’il ne le paraissait, je le suis, espérant qu’il ne sera pas trop récalcitrant.

Deux pas plus près du ciel

Disons que comme fuite, j’ai vu mieux. Le Kabuto va à une vitesse incroyablement lente, ce qui me tire un rire du nez. Mon collègue m’observe, lui aussi un peu amusé devant la tentative plutôt ratée du petit crustacé de s’en tirer sans tag.

« Aller bonhomme. Promis ça ne fera pas mal. Je vais te soulever quelques secondes pendant qu’on te met le truc, puis ce sera fini. Y’a pas de peur à avoir et tu seras de retour à tes occupations plus vite que tu ne l’aurais cru, promis ! »

Ce n’est pas comme s’il me comprenait, avec son cerveau préhistorique… Cependant mon ton l’a d’autant plus ralenti. Me devançant, l’Officier Astaran empoigne le Kabuto qui émet un cliquetis mécontent pour nous signifier de son désaccord d’être soulevé de la sorte. Avec un petit rire, je mets le tag sur une des pattes agitées du Kabuto avant de faire signe à Noah de le déposer. Aussitôt il poursuit sa petite course lentissime vers le sommet de ces rochers.

« Un de fait… je ne sais combien il en reste ! Mais c’est toujours un ! Combien tu crois qu’il y en a, de ces bestioles ? »

« Difficile à dire. Je me dis que leur nombre doit tout de même être limité, mais les registres ont déjà presque une trentaine d’individus de ce que j’ai lu ce matin. Et plusieurs espèces différentes aussi. »

Quelque chose me dit qu’il y en a beaucoup, beaucoup plus encore.

Deux pas plus près du ciel

Noah sourit. Il a ce genre de physique à l’acteur américain, le visage sculpté sous le modèle de la Barbie Ken et le sourire de publicité de dentifrice. Pour ne pas oublier la musculature qui va avec. Mes collègues féminines (et hétérosexuelles) n’auraient pas manquer de me jalouser de me trouver avec lui, néanmoins il me fait ni chaud ni froid. Je veux dire, il est sympathique mais parfois un peu immature. Et surtout un peu envahissant. Mais pas du tout méchant.

« À vrai dire, c’était la première fois que je voyais un Kabuto je pense. Plutôt chouette. »

Il m’offre un sourire. C’est vrai qu’il est plutôt attachant, l’Officier Astaran. Il a quelque chose de tellement… enfantin et un peu naïf. À l’image de son partenaire, un Incisache ma foi très déterminé qui traîne derrière. Cet environnement ne semble pas être trop idéal pour lui, car il se prend les pattes et les moustaches dans la végétation sans cesse. Le voyant arriver avec le visage long après avoir pesté une énième fois sur une liane qui a ralenti sa progression, je ne peux m’empêcher de pouffer, bientôt imitée par le blondin.

« En tout cas, ton Incisache n’a pas l’air de trop se plaire ici. »

« Mais siii, pas vrai Nuki ? »

Vu le regard que le dragon lance à son partenaire, je pense avoir raison sur celle-là.

Deux pas plus près du ciel

Ma raillerie devra attendre, puisque, au loin, nous entendons un bruit étrange, un cri à glacer le sang. Certains collègues m’auront prévenue qu’un monstre erre sur l’île et qu’il vaut mieux ne pas croiser son chemin. L’auteur de ce cri serait-il cette créature dont nous avons entendu parler ? Dans tous les cas, ce dernier a raidi considérablement Chama qui s’est immobilisé depuis le rocher où il était juché, le regard rivé vers le sud, vers la luxuriante jungle. Noah et moi nous sommes aussi placés en position d’écoute, la main rivée sur nos armes. Puis un second cri retentit en écho à l’autre, différent du premier. Une cacophonie s’élève de cet endroit.

« Il y a un combat là-bas. Et aucun des nôtres dans ce secteur. Nous devrions aller… »

Je ne termine pas ma phrase que mon regard intercepte un éclair métallique en plein ciel, là où il ne devrait pas se retrouver, là où il se trouve pourtant. Un instant, je crois rêver, jusqu’à ce que mon collègue ne souffle :

« L’Airmure… »

Nous savons tous les deux de quel Airmure il s’agit. Échangeant un regard, nous avons pris conjointement une décision qui vient de changer drastiquement l’allure de notre patrouille. Nous nous lançons à la poursuite d’un rebelle.