Fire and ice

« Nous vous envoyons un Officier avec son partenaire dans les prochaines minutes. Simiabraz, touché par balle. Stable mais nécessitant des soins rapidement. »

Je serre les dents en tenant l’épaule valide de Chama tandis que mon partenaire nous conduit à vive allure dans les rues de La Isicao. Trop préoccupée pour faire attention à notre progression dans la capitale, je garde les yeux sur le Simiabraz qui m’observe, le visage tendu. Les mots pour l’incendier restent pris dans ma gorge. Je me contente donc de serrer sa patte avec une attention maternelle qui me caractérise si bien, à mon grand dam d’ailleurs. Ce stupide singe n’en mérite pas tant. Il a pris des risques ce soir parfaitement inutiles. Et voilà qu’il se retrouve, la flamme éteinte, couché sur mes cuisses sur la banquette arrière de la camionnette qui déambule à toute vitesse dans la cité. À chaque soubresaut sur véhicule je grimace, pourtant mon partenaire tient bon. Même s’il semble tiré d’affaires, je ne peux empêcher mon cœur de s’affoler.

Je n’aurais jamais dû accepter de prêter main forte à l’équipe de La Isicao.

Ce matin, on nous a demandé en renfort pour une opération délicate dans la pampa non loin de la capitale, où une bande sinistrement connue de braconniers sévit depuis plusieurs mois. Ces monstres capturent d’innocents Pokémon pour les revendre au marché noir, du moins est-ce que nous supposons. Nous avons planifié une embuscade, nous sommes équipés convenablement. Je ne voulais pas que Chama m’accompagne mais c’est lui qui a insisté. Et voilà où nous en sommes. Les braconniers n’ont pas accepté de se rendre aussi facilement que nous l’aurions souhaité et plusieurs d’entre eux ont réussi à prendre la fuite. La réussite partielle de cette mission, en plus de son issue dramatique pour mon partenaire me laissent un goût bien amer en bouche.

Mon collègue nous apprend que nous sommes presque arrivés, avant de se garer devant la bâtisse du Centre Pokémon. Bien trop lourd pour que nous puissions le transporter sans encombre à l’intérieur, je fais signe à l’autre Regulador d’aller chercher de l’aide. Pendant ce temps, je reste auprès de Chama, tentant de le rassurer. Pourtant, mon partenaire évite mon regard soigneusement, comme s’il avait honte… Je ne me questionne pas pour l’instant. Son égo peut bien être froissé, l’important pour moi et qu’il se trouve en santé. Je regarde une soignante arriver avec une civière. Mon collègue et moi nous empressons de jucher le Simiabraz dessus. Tandis que mon collègue reste en arrière, j’entre dans le Centre avec le singe. Je dois paraître dans un sale état moi aussi, mon uniforme poussiéreux, déchiré et couvert de sang. J’ai la lèvre tuméfiée et déchirée à un endroit. Mon teint est pâle. Il est tard et les événements de la nuit m’ont complètement épuisée. Mais il n’est pas question que j’abandonne Chama.

« Il a été touché par balle. » j’explique à l’infirmière, une jeune femme blonde. « Ce triple idiot n’aurait jamais dû se trouver là. »

La colère et l’inquiétude font briller mes prunelles. Je serre la main de Chama, furieuse après lui, mais surtout bouleversée de son état. Je peine à garder mon calme, tenant à peine en place.

« Vous pouvez faire quelque chose pour lui n’est-ce pas ? »

Mon ton est tendu et pressant. Visiblement, j’ai du mal à me contenir. Je baisse les yeux sur le Simiabraz une fois de plus, qui se pince la lèvre probablement car trop honteux de la situation dans laquelle il se trouve.

« Vous devez lui donner les meilleurs soins, hein ? Ce stupide singe est un putain d’héros. »

Car en prenant cette balle, il m’a aussi probablement sauvé la vie.

Alerte sonnée - le centre s’affaire, d’un côté les aides soignants s’activent à préparer civières et matériel, de l’autre les infirmiers à prendre en charge les pokémons blessés dans leurs activités quotidiennes - et puis les médecins, moins nombreux, soient déjà dans des blocs opératoires soient en consultation. Aujourd’hui est une journée pleine - le genre où tous décident en même temps de se blesser ou de tomber malade - la folie règne dans une organisation presque millimétrée, on évite de justesse ses collègues pour prodiguer au plus tôt les soins d’un pikachu ou ceux d’un piafabec. Au milieu de ce vacarme habituel, Naeva finissant de panser l’aile d’un étourmi, luxée par accident. Difficile de l’entendre à travers le son des pas, celui des outils, des portes qui s’ouvrent et se ferment, des téléphones qui sonnent - peu de salles encore librse - justement une qui se libère mais qui n’accueillera qu’un patient plus gravement atteint. On ne l’entend pas, mais on la voit - les gestes minutieux, presque automatiques, la bouche qui s’agite délicatement, sifflant quelques paroles d’encouragement. Et puis on l’appelle alors qu’elle est sur le point d’expliquer au partenaire qu’il faut du repos à l’oiseau. S’arrête en plein milieu - transmet le cas à un autre tandis qu’on l’informe une première fois de ce qu’il se passe, de l’appel reçu - et que le Simiabraz apparaît, très vite suivi d’une femme d’à peu près son âge, le visage bouffi par les plaies qui le parcourt.

Inquiète, elle explique la situation. D’un regard entendu, elle fait signe aux aides d’amener le blessé dans la salle au calme et à sa partenaire de les suivre. “Infirmière Zephyr, je vais ausculter une première fois votre ami et lui prodiguer les premiers secours.” Présentation concise, explication des prochains actes à celle qui semble davantage paniquée par la situation que le concerné - calme règne du côté de Naeva, si bien que souvent les gens se demandent si elle a bien compris la gravité de la situation - temps de réaction paraissant si lent quand à côté on est pressée de voir le sang arrêter de se déverser. A ses pieds, un Goupix qui, une fois dans la salle, se pose dans un coin, particulièrement attentif aux besoins de sa maîtresse, mais tout aussi discret que possible tandis que cette dernière observe silencieusement la scène tout en mettant ses gants désinfectés. Un regard vers la rose - compatissant même si imperméable - imperturbable. “Il est conscient et malgré la douleur ne semble pas avoir perdu beaucoup de sang. Comment te sens-tu ?” La question délicate adressée directement au singe, à la recherche de son attention. Prend un instant pour observer le comportement - calme, les yeux en bas - gêné ou honteux, ce n’est pas l’attitude d’un pokémon paniqué ou prêt à sortir les griffes quand on le touchera. Première main sur son épaule dans une douceur apaisante - annonce des touchés suivants dans le but de prendre connaissance des douleurs et blessures. “Comme s’appelle-t-il ?” Avant d’examiner plus intensément les plaies - un trou sur le torse, à l’opposé du cœur, au-dessus du poumon - perforation - la balle n’a pas traversé. A côté, quelques éraflures, dont une brûlure causée aussi par la même arme. Un hochement de tête après la question.

“Je vais commencer par lui faire un garrot puis je m’occuperais des blessures plus superficielles - cela te va ?” Dernière directement adressée au concerné. “Qu’a-t-il donc fait pour être un héros et finir dans cet état ?” La question n’est pas tout à fait posée par curiosité, mais faire parler la femme l’aidera à contenir son stress et évitera aussi qu’elle n’interfère de trop dans les mouvements de l’infirmière. Plusieurs bandages sortis, elle commence par appliquer une compresse. “Ca va faire un peu mal, le mieux sera que tu souffles un coup et que tu t’accroches là, sur le côté.” Avec une certaine prévenance, imite les actions proposées - puis quand elle le sent prêt, appuie après avoir averti le singe. Une fois cela fait, elle passe aux autres blessures qu’elle prend le temps de désinfecter correctement. “Il va falloir attendre un médecin à présent, je ne suis pas habilité à faire un diagnostic ou à retirer la balle. Mais je ne pense pas que ses jours soient en danger. Tu es vraiment très courageux, même encore maintenant tu tiens bon - tu peux être fier de toi.” Dans une chaleur toute dédiée à la créature.

Fire and ice

Tout ça c’est ma faute.
Si je n’avais pas accepté de le prendre auprès de moi en tant que coéquipier, ne se serait pas trouvé sur le chemin de cette balle. Il aurait vaqué à sa petite existence de prince des forêts, juché quelque part dans un arbre à scruter le ciel étoilé. À la place il repose sur une civière froide, l’épaule éclatée et l’orgueil blessé. Je ne sais à qui j’en veux le plus en ce moment : à lui ou à moi. Ou même à celui qui a tiré, heureusement arrêté par un collègue qui l’a violemment plaqué sur le sol puis désarmé. L’adrénaline accentue la rage qui pulse dans mes veines. Clairement, je ne suis pas sortie de mes émotions après cette bataille nocturne. Je dois me calmer si j’aspire à l’aider, mais pour le moment je suis submergée par mes ressentis houleux. Je suis docilement celle qui s’est présentée en tant qu’infirmière Zephyr. Son grand calme vient me heurter : comment se fait-il qu’elle ne soit pas plus alarmée ? Je pince les lèvres pour éviter à ma grande gueule de faire les siennes : je ne ferais qu’entraver son travail après tout et m’éloignerais de mon objectif de voir le Simiabraz mieux se porter. Je reste donc un peu en retrait tandis que la blonde procède à son examen.

Son style me plaît bien, à vrai dire. Elle s’adresse directement au patient qui, boudeur, évite son regard et se contente de grogner à la question qui lui est adressée. Je soupire un peu; malgré moi je comprends la réaction de Chama, car j’aurais la même à sa place. J’ai refusé de me faire soigner moi aussi pour être certaine d’être ici à ses côtés après tout.

« Il s’appelle Chama. I-il a pris la balle pour moi, pour me protéger. Cet idiot aurait dû rester là où il devait être et rien de tout cela ne serait arrivé. »

Peut-être aurais-je été celle à sa place, sur cette civière, dans un autre type d’hôpital. Mais ça, j’omets de le mentionner. Dirigeant le singe avec calme, l’infirmière parvient à convaincre le Simiabraz à s’accrocher. Il évite toujours de la regarder, mais au moins il participe aux soins, ce qui me soulage. Le singe serre les dents et se raidit lorsque ses blessures sont touchées, néanmoins à aucun moment il ne laisse un son lui échapper. Pour ma part, j’arpente la pièce tel un animal en cage. Je fais attention de ne pas être dans les pattes de l’infirmière Zephyr, mais malgré tout je ne peux pas rester en place. Finalement, l’infirmière annonce qu’un médecin devra maintenant s’occuper de lui. D’un bond, je me retourne :

« V-vous n’allez pas partir et le laisser là hein ? Il n’est pas sorti d’affaire et… » me rendant compte que je laisse encore mes émotions prendre le dessus, je prends une grande inspiration avant de m’approcher de l’infirmière. « Je serais rassurée si vous restiez. Je pense que Chama vous fait confiance… puis… »

Je prends doucement le bras de l’infirmière pour l’entraîner un peu plus loin. Le Simiabraz s’occupe en prenant de grandes respirations pour faire taire la douleur.

« Chama est un Pokémon particulier. Lorsqu’il est très en colère… Son talent Brasier s’active et il peut devenir très dangereux. Il vaut mieux le garder au plus calme. J’ai peur des conséquences si cela doit se produire ici. Ce n’est pas sa faute, il n’arrive pas à se contrôler. E-enfin, ne pensez pas de mal de lui, mais il valait mieux vous prévenir. »

Chama est un brave Pokémon. Il ne mérite pas les préjugés qu’il pourrait y avoir à son endroit… mais l’infirmière a le droit de connaître tout ce qui en est. En espérant qu’elle ne nous chasse pas de l’établissement.