Je tape de l'ongle contre la page de mon livre, manifestation certaine du tumulte intérieur de mon esprit. Mais je dois rester concentrée, profiter de ces précieuses minutes à ne rien faire pour avancer dans mes lectures universitaires et m'emplir la tête de toutes les informations nécessaires à ma réussite scolaire. C'est l'idée en tout cas et c'est beaucoup plus productif que de simplement regarder le paysage défiler par la fenêtre. Mon manque de concentration est pourtant évident et un certain opportuniste qui roupillait jusque là tranquillement sur la banquette à mes côtés allonge les pattes pour venir presser ses petites griffes contre ma cuisse en une demande affectionnée. Soupirant, j'accepte de baisser momentanément les bras et glisse mon signet entre les pages pour plutôt tourner mon attention vers le meowth au sourire aussi malicieux que satisfait. Au moins il ne tarde pas à ronronner alors que je lui gratouille le menton et la douce vibration a le don de m'apaiser.
Le nouveau paysage qui défile de l'autre côté des vitres teintés me laisse comprendre que nous sommes arrivés à San Camari de toute façon et que, par conséquent, ma première destination ne devrait plus être très loin. Premier arrêt : la résidence d'Azalea Highmoor, une connaissance de longue date qui a emménagé ici depuis... Ça doit bien faire une année entière maintenant. Je m'en mords l'intérieur de la joue, immédiatement coupable de ne pas avoir su gérer mon emploi du temps avec plus d'adresse pour la visiter plus tôt. Pour ma défense il m'est difficile de quitter Sercena régulièrement puisque j'y suis gardée à la fois par mes études et par les devoirs qui m'incombent de par mon sang de Cobalt. Enfin, ça et les entraînements de ballet, mon implication avec les refuges de la ville et mes apparitions publiques, pour ne citer que ces occupations. Si seulement il y avait plus de vingt-quatre heures dans une journée ! Enfin, tout cela pour dire qu'il était quasi miraculeux que j'aie enfin pu faire le trajet.
J'aurais aimé pouvoir prétendre que l'appel de l'amitié avait été, au final, le plus fort. Peut-être cela aurait-il pu racheter le temps que j'avais mis à me libérer pour mon amie ? La vérité était que j'étais attendue à La Isicao pour un événement de reconstruction après la catastrophe ayant eu lieu encore tout récemment. Je devais m'y rendre pour planter un arbre, quelque chose du genre, et faire mon petit manège habituel pour les caméras. J'avais déjà pris la peine de songer à mes lignes, ne laissant aucune place pour le hasard ou même l'improvisation. Puis, comme j'étais de toute façon déjà en déplacement, avais choisi de m'octroyer un petit détour en chemin : un arrêt à San Camari. De là sans doute aurais-je pu prétendre que cette décision avait été entièrement prise pour le bien de ma relation amicale avec Azalea... Si je n'espérais pas en plus profiter de cet arrêt pour croiser un certain Aiglon, si son propre horaire le permettait également. Que dire de plus, j'étais une femme déjà bien occupée et mon petit doigt me disait que cela n'irait pas en s'améliorant avec l'âge, bien au contraire.
La voiture ralenti en ce joli petit quartier résidentiel et j'allonge le cou, cherchant des yeux le numéro civique des maisons devant lesquelles nous avançons. Le chauffeur se gare finalement devant une jolie résidence d'apparence plutôt classique. Un total de deux étages en comptant le rez-de-chaussée, de grandes fenêtres pour laisser entrer la lumière et un jardin accueillant. Si l'endroit n'a pas le charme ancestral de Sercena, j'imagine malgré tout qu'il doit y faire assez bon vivre. Oui, c'est somme toute très acceptable. J'échange un regard avec Lucifer qui comprend que la sieste est terminée. Il s'étire paresseusement pendant que je range mes affaires et m'empresse de récupérer mon sac à main. Je salue mon chauffeur qui pourra maintenant profiter d'une petite pause jusqu'à ce que je le contacte par message texte et ouvre la portière. À mon tour d'allonger discrètement les jambes pour me dégourdir, contente d'être enfin sortie de l'habitacle. C'est avec mon chat sur les talons que je remonte l'allée pour mieux aller appuyer contre la sonnette, impatiente de revoir enfin Azalea. Durant mon attente, j'offre un regard furtif à mon portable...
« Dix-sept minutes d'avance... Espérons qu'on ne la prenne pas au dépourvu. »
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