La pire interview de tous les temps ?

feat Cali & Runa

J'étais profondément concentrée dans l'un de mes devoirs de politique lorsque vint me chercher un majordome, m'avisant de l'arrivée du journaliste que je devais rencontrer aujourd'hui. Un certain monsieur Sadda selon ce que j'avais compris et l'employé des Cobalt prit la peine de souligner qu'il s'agissait bel et bien de monsieur Sadda. Je le remerciai, intriguée, mais aussi trop occupée à réviser mon texte. Je participais à l'organisation d'un gala de levée de fonds pour les refuges pokémons de la région de Sercena qui devait lancer une campagne de récolte de fonds qui se prolongerait toute la semaine et à laquelle le grand public pourrait aussi participer. Il était important pour moi de faire bonne figure et de partager toutes les informations nécessaires, bien que la majeure partie de l'entrevue serait sans doute plus à propos de moi qu'à propos des refuges eux-mêmes. C'était généralement comme cela que ça se passait.

Je m'arrêtai un instant devant ma coiffeuse pour retoucher mon maquillage à la fois léger et élégant. Pendant que j'étais là je m'assurai que ma coiffure du jour soit toujours aussi parfaite avant de finalement me tourner vers mes deux compères habituels. Lucifer était allongé sur mon lit en une position tordue et improbable, allongé comme s'il tentait de faire du yoga. Il laissa échapper un grand bâillement avant de caler à nouveau sa tête dans les couvertures, confortable. Prévisible, le miaouss n'aimait que peu les feux des projecteurs. Cependant Hel, ma givrali, était déjà assise sur le bord de la porte avec une mine fière et impatiente. Je la gratifiai de quelques caresses pour la remercier de son support moral et, cela fait, nous quittâmes la pièce pour mieux nous diriger vers l'un des salons formels du rez-de-chaussée, là où nous attendait le journaliste.

Je pénétrai la pièce avec le sourire, comprenant mieux pourquoi le majordome avait choisi d'insister sur l'appellation correcte. Je devrais le remercier plus tard vu qu'il venait de m'éviter un faux pas potentiel dès le début de l'entrevue. Toujours est-il que le concerné se redressa avec énergie, visiblement impatient, ou nerveux, de débuter. Je lui offrit un sourire poli, attrapant sa main tendue pour une poignée de main tout en me présentant à mon tour.

« Cali Cobalt, enchantée de faire votre connaissance monsieur Sadda. »

Je m'assis sur mon propre fauteuil avant d'être vite rejointe par mon pokémon glace. Polie, Hel vint s'installer sur moi en croisant joliment ses pattes de devant, comme si elle se préparait à poser pour une séance photo. Vraiment elle était la camarade parfaite pour ces efforts de publicité, illustrant à merveille la bonne relation que je désirais promouvoir entre humains et pokémons. Toujours est-il que le journaliste y alla d'une première question de routine, souhaitant sans doute débuter doucement la rencontre.

« Très bien merci et vous-même ? Le majordome vous a-t-il offert à boire avant que nous débutions ?  »

La pire interview de tous les temps ?

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J'avoue être extrêmement surprise lorsqu'il me confie que je suis sa toute première interview. Ça me semble être une mauvaise blague, sauf que je ne sais pas pour qui. On ne m'envoie jamais de débutants d'habitude, toujours des journalistes d'expérience et généralement je fini même par les reconnaître d'une entrevue à l'autre. Ça expliquerait toutefois pourquoi je n'ai pas reçu les questions à l'avance ce qui, je l'admets, m'avait laissée perplexe de prime abord. Ceci étant dit chaque contact avec la presse est pour moi une apparition publique et je me dois donc de rester professionnelle et avenante à chaque instant, incluant lorsque le jeune homme me demande une bière comme s'il s'agissait d'une demande naturelle et totalement adaptée au cadre professionnel. Je demeure interdite, clignant des yeux quelques fois alors que même ma givrali se tourne vers moi avec surprise. Est-ce une blague pour détendre l'atmosphère ? Non, il n'y a pas de chute. Il était sérieux. Okay.

« Oh je suis désolée, je ne crois pas que nous ayons cela au frigo à l'heure actuelle. »

Honnêtement je ne sais pas, on en a peut-être, mais je n'ai pas envie d'envoyer quelqu'un vérifier. Même j'en suis à me demander si la personne qui l'a envoyé aujourd'hui ne l'a pas fait délibérément pour lui causer des problèmes. Je suis une Cobalt et, s'il continue de se ridiculiser ainsi et que le résultat final n'est pas à mon goût... Le pauvre cornu risque de se retrouver à faire les petits annonces pendant quelques mois. Enfin, les premières impressions sont parfois trompeuses et j'essaie donc de me convaincre qu'il ne faut pas juger trop vite. Je dois garder l'esprit ouvert ou, à tout le moins, essayer vraiment très fort de le faire. Au moins il a prévu un enregistreur et, poli, me demande si j'ai un problème avec cette pratique.

« J'ai l'habitude, ne vous inquiétez pas pour ça. »

Dis-je avec un sourire poli, curieuse de voir ce qu'il va bien pouvoir me demander. Enfin, et anxieuse aussi on ne va pas se mentir. S'il pense que de tranquillement demander une bière en début d'entrevue est acceptable alors qui sait ce qu'il trouve juste de poser comme question ou non. Et l'article final, de quoi aura-t-il l'air ? Mes épaules sont tendues alors que je réfléchis déjà aux répercussions sur mon image publique et, surtout, sur la levée de fond pour laquelle je fais de la publicité. Au moins il a le désir de me mettre à l'aise, me partageant son parcours avec une honnêteté vraiment innocente. Ceci étant dit... premier travail à vingt-huit ans ? Il ne ment pas en disant qu'il a eu une vie fermée. D'une certaine façon ça me pousse à vouloir être plus douce avec lui, même si cela ne fait rien pour alléger mes inquiétudes. Est-il vraiment qualifié pour cette entrevue ? Je pourrais au moins jouer le jeu pour l'instant et, si véritablement ça se passe mal, je pourrai toujours passer un coup de fil pour m'entendre avec la propriétaire du journal. Oui, voilà. J'ai un plan de match et, ainsi, me sens plus à l'aise lorsqu'il est le temps de prendre moi-même la parole pour me prêter à l'exercice entamé par Runa.

« Je suis Cali Cobalt, j'ai vingt-trois ans et j'étudie la science politique à l'université de Sercena. Ma mère est l'intendante de Sercena et, depuis que je suis enfant, j'ai toujours eu beaucoup d'admiration pour elle et pour sa dédication envers notre belle ville. C'est ce qui m'inspire chaque jour à m'impliquer moi aussi sur la scène publique, notamment en donnant mon soutien à des oeuvres de charité. C'est d'ailleurs pour cela que je suis ici aujourd'hui : pour réaliser une entrevue dans le cadre de mes efforts de promotion pour la vaste campagne de charité de la fondation Pokémon et nous qui aura lieu au courant de la semaine prochaine. Je n'en suis malheureusement pas l'organisatrice, mais c'est un honneur pour moi de pouvoir participer à ma façon ainsi. Cela répond-t-il à votre question ? »

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feat Cali & Runa

J'avoue être franchement soulagée lorsqu'il se ravise, demandant de l'eau au lieu d'une boisson alcoolisée. C'est beaucoup plus dans mes cordes et j'échange un regard rapide avec ma givrali qui sait déjà ce qu'il lui revient de faire. La demoiselle de glace nous quitte donc avec un petit pas de trot en direction du majordome le plus proche. Ce n'est plus qu'une question de temps avant qu'elle ne revienne en compagnie de celui ou celle qui nous apportera nos breuvages. Pour l'heure je peux me concentrer à nouveau sur le journaliste qui me rassure en disant qu'il n'y a pas de bonne ou de mauvaise réponse. Si je ne suis pas foncièrement d'accord, je suis néanmoins contente qu'il y mette du sien pour m'aider à me détendre. Si j'avais eu moins d'expérience dans les interview cela m'aurait fait d'autant plus plaisir et je décide de le lui faire savoir.

« Merci. »

Je lui rendis d'ailleurs son sourire, la bonne entente étant quelque chose d'essentiel pour garantir un article qui me mettrait en valeur, moi et la cause que j'étais ici pour représenter. D'ailleurs la prochaine question approchait à grands pas et je me fis plus droite dans mon siège pour l'écouter en entier, réfléchissant déjà à une réponse appropriée en simultané. Au moins il avait visiblement fait ses devoirs avant notre rencontre, mentionnant mon implication de longue date au sein de la ville de Sercena et brodant là dessus pour guider ses questions. Ceci étant dit, est-ce que j'aimais participer à ces événements même en mettant de côté mon activisme ? Aie, bonne question. Heureusement qu'il continue sur sa lancée et je le laisse peaufiner sa pensée avec attention et curiosité. Qu'aimais-je donc dans le gala à venir ? Qu'est-ce qui me motivait à mettre autant de temps et d'énergie en ces causes à part les causes elles-mêmes ? Oui, je voyais là où il voulait en venir. À part la bonne publicité médiatique, qu'est-ce qui vous motive à vous impliquer dans ces causes. Ce n'était pas demandé directement, mais c'était ce qui ressortait pour moi. Une volonté de découvrir ce qui me muait en tant qu'individu au delà de simplement faire quelque chose de bien pour mon image et ma communauté. Mon hypothèse semble se confirmer d'elle-même lorsqu'il mentionne l'influence de ma mère, reformulant ses interrogations de peur que j'aie eu du mal à le suivre la première fois.

« Ne vous inquiétez pas, votre question était très bien formulée et j'apprécie de voir quelqu'un mettre tant de passion dans ses questions. »

Parce que j'estime qu'il mérite de le savoir et que, mine de rien, je suis curieuse de voir jusqu'où il peut aller si je fais aussi un effort pour le mettre à l'aise de mon côté. Il doit bien y avoir une raison pour laquelle on me l'a envoyé plutôt qu'un autre et je me demande si ce style erratique et peu professionnel n'est pas une tactique pour me faire baisser ma garde. Nous verrons bien. Dans l'immédiat une réponse est attendue et je sais exactement laquelle donner.

« Je dirais que, au delà de ma forte conviction en la cause du bien être des pokémons, une chose qui me pousse sans cesse à m'impliquer dans un nouveau projet serait sans doute justement la passion des autres individus qui travaillent à réaliser ces dits projets. Ce sont pour la plupart des gens sincères qui n'ont pas nécessairement eu la vie la plus facile du monde, mais qui font de leur mieux pour défendre des causes qui leur tiennent à coeur et pour améliorer la vie d'autres individus qui pourraient traverser les mêmes épreuves qu'eux. Pour moi c'est quelque chose d'incroyablement inspirant en plus de me rappeler pourquoi, et pour qui, je désire vraiment améliorer notre monde. Il y a quelque chose d'incroyablement grisant à se tenir là avec eux et de ressentir leur dévotion et de fêter avec eux leurs succès en plus de vraiment cimenter pour moi mon appartenance à notre belle communauté. Beaucoup pensent que le fait d'appartenir à une Famille fait de nous des gens difficiles d'approche qui n'ont pas la même vision des choses que le commun des mortels, mais c'est on ne peut plus faux et j'aime le prouver en travaillant avec les gens. »

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Je suis satisfaite de ma réponse j'avoue. J'estime avoir réussi à bien mettre en avant les gens avec qui je collabore et pour lesquels je fais de la publicité via cette entrevue. Même que, justement, le journaliste a l'air conquis par ma romantisation de tout cela. Je lui offre donc un charmant sourire, bien contente de le voir se faire plus enthousiaste encore qu'auparavant. C'est le moment que choisi le majordome pour faire irruption, guidé par Hel qui revient vers moi avec le nez bien haut, fière d'avoir pu rendre service. Je remercie l'employé avant d'offrir de nouvelles caresses à ma compagne glacée et d'imiter l'invité du jour en prenant moi-même une gorgée d'eau.

« C'est vrai que ça fait du bien quand on parle beaucoup. »

Maintenant que je suis lancée, mes appréhensions initiales ont quelque peu diminué. Les questions posées sont pertinentes jusqu'à maintenant et je suis curieuse de voir quel genre d'article ressortira de tout cela. Et en parlant d'interrogations; le jeune homme repassa à l'attaque avec un nouvel angle tout aussi bien construit que les précédents, bifurquant cependant en chemin pour me parler de mes pokémons. Voilà qui était rafraîchissant je devais l'admettre et, surtout, bien plus léger que la seconde partie concernant ma médiatisation et la façon dont je le vivais. Je réfléchis quelques instants avant d'acquiescer à mes propres réflexions, prête à me lancer dans de nouvelles réponses.

« Vous avez déjà rencontré ma Givrali, Hel. J'ai aussi un Miaouss qui s'appelle Lucifer, mais lui aime moins les caméras et les entrevues alors c'est rare qu'il décide de faire des apparitions d'ordre plus publiques avec moi. J'imagine que si c'est lui qui devait répondre à votre prochaine question, il dirait qu'il vit moyennement bien ma médiatisation. »

Je ponctuai cela d'un léger rire amical qui se voulait avant tout empreint de complicité. En faisais-je trop ? Peut-être. Il ne fallait pas non plus que les gens qui lisent l'article croient que j'avais manqué de sincérité ou que je n'étais pas une personne normale à laquelle ils pouvaient s'identifier. C'est avec toutes ces nuances et ces considérations en tête que j'enchaînai enfin.  

« C'est décidemment quelque chose qui vient avec ses hauts et ses bas. Je me sens privilégiée d'avoir la possibilité de promouvoir des causes qui me tiennent à coeur, c'est certain. Puis ça fait plaisir dans certains contextes d'être reconnue et d'être bien traitée par les gens qui vous connaissent déjà via les médias, ce genre de choses. Là où c'est moins plaisant c'est surtout les jours où j'ai envie de me concentrer un peu plus sur ma vie privée. C'est difficile par exemple de faire mes travaux à l'Université si quelqu'un vient me voir pour demander une photo ou quelque chose du genre. Bien sûr l'enthousiasme des gens me fait plaisir, mais s'ils pouvaient garder en tête que je ne suis qu'une personne normale qui a parfois besoin d'aller faire les courses elle aussi j'avoue que ça me rendrait service de temps en temps. »

Nouveau rire, histoire de garder le ton plaisant et léger. Bien sûr la fin est un mensonge : je ne vais jamais, ou alors presque jamais, faire les courses moi-même. Les Cobalt ont des employés pour faire ça à leur place après tout, mais ce n'est pas le moment de le faire remarquer et de risque d'aliéner tant le journaliste que ses futurs lecteurs.

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Le journaliste prend mon commentaire sur le respect de ma vie privée et fait le lien avec sa propre profession ce qui, ma foi, est bien observé. La différence c'est que nous parlons dans le cadre d'une interview planifiée à l'avance et que, de ce fait, on est bien loin des clichés gênants pris par un paparazzi par exemple. J'ai ici le contrôle sur ce que je décide de partager. Puis malgré ce que j'en ai dit il n'y a pas que du négatif à laisser entrevoir certaines choses. En tant que célébrité plus traditionnelle, je n'ai pas cinquante mille façons de créer une relation parasociale avec la population de Cinza alors les journalistes sont un bon moyen d'arriver à cette fin. Puis je suis contente de voir que Runa s'intéresse à Hel puisque, mine de rien, l'amour des pokémons est aussi quelque chose qui peut améliorer l'image de n'importe qui. S'il peut donc glisser quelques mots sur ma propre bonne relation avec ma givrali je n'en serai que plus heureuse. Puis la concernée elle-même est ravie qu'on lui porte attention et offre un glapissement joyeux à notre invité du jour tout en faisant la belle. N'empêche, les mots du journaliste m'ont tiqué à l'oreille et si je n'étais pas opportuniste ça se saurait.

« Si vous désirez apprendre, je connais justement une organisation idéale où vous pourriez faire du bénévolat pour aller passer du temps avec des Pokémons dans le besoin. »

Que je lance avec un clin d'oeil complice, ne ratant pas la moindre occasion de faire la promotion de ma cause du jour avec tout le charme que j'ai à ma disposition. Peut-être en ai-je trop fait puisque la prochaine question, planifiée ou non je l'ignore, se dirige vers le concept des vacances et du repos. L'idée de prendre une semaine pour moi dans une petite maison loin de tout m'a-t-elle déjà effleuré l'esprit ? La vérité c'est que je ne me le permettrait pas, que j'aurais l'impression de trahir ma mère et tout ce pour quoi elle travaille depuis des décennies maintenant. Sauf que je ne peux pas donner la vraie réponse. Je ne peux pas me lancer dans une éloge des valeurs Cobalt et de toutes les choses que nous avons à accomplir ainsi que comment nous devons les réaliser. Je dois être proche des gens, être ce pont qui nous relie à eux lorsque Lilith Cobalt est trop froide pour y parvenir elle-même. Je dois être le parfait petit pion pour elle sur la place publique. La parfaite porte-parole.

« Évidemment. C'est gênant à dire, mais... moi aussi j'ai mes soirées où je m'assis devant la télé avec une pizza et de la crème glacée. Partir toute une semaine ce serait le rêve. Ceci étant dit... Ma plus grande inspiration dans ma vie, comme beaucoup le savent déjà, est ma mère. Je sais que ce n'est pas ce qu'il y a de plus sain et c'est important de prendre soin de soi, mais quand je regarde la quantité de travail qu'elle arrive à abattre, je suis d'autant plus motivée à me remettre en selle et à faire toujours plus. Je crois bien qu'à force j'en suis un peu accro vous voyez ? Même si je prenais un gros congé, je finirais par tourner en rond au bout de quelques heures et je n'arriverais pas à tenir toute la semaine sans rien faire. »

Voilà, il devrait y en avoir un peu pour tous dans ce que j'ai dit et je n'ai qu'à faire confiance au journaliste, un homme sans doute normal à qui les gens peuvent s'identifier naturellement, pour en retenir ce qui lui parle le plus. Le sujet évolue ensuite presque naturellement vers mes études universitaires et, lorsqu'il me compare à un super-héros, je ne peux retenir un petit rire calculé.

« Oui, je suppose qu'on peut dire ça ! Enfin, c'est quand même moins glamour. Je n'ai malheureusement pas de super-pouvoir, même si j'aimerais beaucoup. »

Et on va se retenir de dire que je n'ai pas vraiment beaucoup d'amis parmi les camarades de classe en question parce que l'une des choses que la célébrité sait très bien faire, c'est vous isoler des autres. Ils me voient au quotidien, sans filtre et sans artifices. Ils savent que je ne suis qu'une jeune femme lambda au final et ils s'amusent bien de chacun de mes faux pas parce qu'ils ont l'impression que je le mérite. Ils veulent me voir tomber de mon piédestal, me voir être humiliée pour enfin retomber à leur niveau. On est loin de la série télé pour adolescents où les héros sauvent le monde avec leur petit groupe d'amis soudés. Mais peut-être que monsieur Sadda n'est pas si naïf que ça au fond puisque c'est lui qui aborde justement un sujet adjacent, mentionnant les gens à qui les actes de la famille Cobalt ne plaisent pas nécessairement. Serait-il par exemple possible que des groupuscules aux sombres intentions désirent s'en prendre au refuge ou à des gens suite à mon intervention publicitaire ? La question est difficile et le jeune homme s'en rend compte, s'empressant d'ajouter qu'il peut ne pas l'inclure dans le produit final. Sans doute aurais-je profité de la porte de sortie qu'il m'offre gentiment si je n'étais pas une véritable pro des entrevues.

« Non, je pense que c'est une question importante et que les gens doivent eux aussi se poser. Les événements catastrophiques de La Isicao sont encore frais dans les esprits, incluant le mien. Je pense que... »

Je marque une pause, réfléchis à la formulation idéale. Je ne veux pas trop en faire, mais je cherche à atteindre les gens pour les mobiliser tant pour ma cause que pour moi en tant que figure publique. Les questions difficiles, lorsqu'on y répond avec brio, sont aussi celles qui rapportent le plus.

« Ces Pokémons ont besoin de nous. Ce sont des créatures sans défense qui traversent des épreuves qu'ils ne méritent pas et c'est la moindre des choses que nous puissions faire d'être là pour eux. Si des individus se décident à leur causer du mal simplement parce qu'ils sont en désaccord avec les valeurs en lesquelles je crois, ce sont des lâches qui ne méritent pas notre considération. Il n'en tient qu'à nous, en tant que société, en tant que peuple de Sercena, de nous unir et de nous mobiliser pour leur montrer que nous ne tolérerons pas ces types de comportement et que rien ne pourra nous empêcher de prendre soin des Pokémons. Et je dis bien tout le monde. Même si vous n'êtes pas en mesure de venir nous aider que ce soit par manque de temps ou par soucis de santé, vous pouvez toujours offrir une contribution monétaire au refuge pour nous aider à poursuivre notre travail, chaque poképesos compte. Si mes ancêtres avaient choisi de céder à l'intimidation alors notre somptueuse Sercena ne serait pas ce qu'elle est aujourd'hui et je compte bien leur faire honneur. »

La pire interview de tous les temps ?

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Je suis, jusqu'ici, assez satisfaite de mes réponses. Je pense que je m'en tire bien malgré mes appréhensions initiales sur cette interview et je ne peux qu'espérer que l'article final soit à la hauteur de mon expérience jusqu'ici positive avec Runa. Enfin, jusque là ça se passait bien. Les choses prennent une direction un brin différente lorsqu'il décide de commencer à me complimenter, ajoutant qu'il espère vraiment que j'ai du temps pour moi vu les poids qui me reposent sur les épaules et la force que je possède qui est, selon ses dires, plus développée que beaucoup de mes aînés. Comment ose-t-il me faire rougir de la sorte ? Me faire chercher timidement mes mots alors que je peine à prendre sérieusement ses commentaires ? Au final tout ce que j'arrive à répondre c'est :

« M-merci... »

J'ai surtout l'habitude qu'on me teste après ce genre de déclarations. Les gens aiment chercher une faille dans mon armure, me lancer des petites piques ou des arguments qui ne se tiennent pas toujours juste dans l'espoir de me faire revenir sur mes mots ou de trouver l'exception stupide qui pourrait me faire avoir tort. C'est très rare qu'on se contente d'aller en mon sens et, plus encore, qu'on me félicite ainsi pour ma force de caractère. Au moins s'il en avait fini là, mais non. Cette fois c'est mon discours qui se retrouve sous l'assaut de ses gentils mots. Mon message touche tout le monde, à tous les échelons de la société, et il est bien d'accord avec moi. Il ne veut pas laisser transparaître son opinion à mon sujet, mais se doute déjà qu'il aura du mal à rester totalement objectif parce que mes mots résonnent avec ses propres croyances. Cette fois je suis tellement gênée qu'Hel se retourne vers moi et que j'ai l'impression qu'elle se moque gentiment de manière attendrie face à mon malaise. C'est ça, liguez vous contre moi ! Hmpf !

« Enfin, je veux dire, oui c'est le but de toucher tout le monde, mais je veux dire, enfin, il y a sans doute de meilleures façon de le dire ou de le faire c'est juste, euhm, je veux dire, je fais juste de mon mieux, mais voilà ce n'est sans doute pas parfait... »

Cali.exe a cessé de fonctionner. J'en suis même un peu agitée dans mon fauteuil et c'est un réel soulagement de l'entendre changer le sujet vers quelque chose qu'il qualifie de plus détendu. Aller, je dois me reprendre. Je respire un grand coup en écoutant le journaliste, attendant de voir dans quelle direction il se dirige. Et.... super. Ma vie personnelle. Enfin, oui, c'est bien, je dois créer une relation parasociale avec l'audience, tout ça. J'ai l'habitude des réponses toutes pré-faites pour répondre à ça et passer pour la demoiselle normale du coin qui fait juste de son mieux sans nécessairement sortir du lot tant que ça. Je n'ai qu'à piocher dedans comme d'habitude et on est bons parce que voilà, moi, avoir des rêves personnels ? Je veux faire honneur à ma famille, je veux être présente pour ma mère, je veux prendre sa relève en tant qu'intendante, un jour je vais devoir fonder ma propre famille pour donner naissance à la prochaine génération de Cobalts et les préparer pour lorsque leur propre tour viendra. Est-ce que ça compte comme des projets personnels ? Visiblement pas puisque le jeune homme donne comme exemple le fait de devenir cuisinière. Super. Je n'ai même pas tant de hobbys que ça. Enfin, le ballet ça compte sans doute, même si dans les faits je suis assez mature pour reconnaître que c'était surtout une tactique de ma mère pour me rendre plus endurante et disciplinée plutôt que pour me permettre d'avoir un vrai passe-temps. Est-ce que j'ai un rêve en lien avec ça ? Pas du tout non. C'est même rare que je danse ces temps ci sauf quand j'ai vraiment besoin de me dépenser physiquement ou lorsque je me donne en spectacle pour amener plus de publicité à un événement quelconque. Peut-être est-ce parce qu'il m'a vraiment désarçonnée avec ses compliments, mais pour le coup sa question est probablement la plus difficile qu'il m'ait posée depuis le début de l'entrevue.

« Je... Je fais du ballet depuis longtemps, je suppose que c'est un hobby. Sinon... »

Ma vie est plutôt nulle en réalité, du point de vue personnel en tout cas. Ça me fait soupirer, je dois vraiment me reprendre parce que là j'ai dérapé mentalement au point de penser à Liam. À son fichu sourire lorsqu'il est venu me voir danser. Remarque ce n'est peut-être pas une mauvaise piste !

« J'ai commencé à apprendre un peu la guitare aussi ! Enfin, je ne connais encore que Brille brille petite étoile, mais... je me suis beaucoup amusée. »

La fin est dite avec douceur et mon propre sourire a changé. J'ai reprit un peu d'aplomb, réconfortée par mes souvenirs du grand violet et de ses blagues pourries. Ça va aller, je m'en tire bien, ce n'est pas le moment de le laisser m'atteindre avec ses questions. Je suis une pro !

La pire interview de tous les temps ?

feat Cali & Runa

Honnêtement je suis surprise que l'entrevue se termine déjà. C'est que j'avais pris mes aises malgré les dernières petites questions un peu gênantes ainsi que les compliments que j'avais toujours du mal à gérer. Il ferme l'enregistreur et me dit qu'il va m'envoyer les détails de ce qu'il aura écrit avant de le publier.

« Ce serait très apprécié, oui. Merci. »

Je me suis bien débrouillée donc normalement il ne devrait rien avoir de bien fâcheux dedans, mais c'est toujours rassurant de savoir que j'aurai le dernier mot au besoin pour garder la main sur ce qui se dit à mon sujet. Et au sujet de l'organisme de charité dont je suis venue faire la promotion, bien sûr. Hel est toute contente d'avoir été saluée elle aussi et fait la belle en lui offrant un glapissement charmeur. Ça c'est ma petite Hel toute crachée. Pour ma part ?

« Une bonne journée à vous aussi, monsieur Sadda. Et merci encore pour cette entrevue, j'espère que ce ne sera pas la dernière. »

Et c'est dit sincèrement. Son attitude détendue, curieuse et très terre à terre s'est avérée rafraîchissante en fin de compte et je n'ai pas vu le temps passer du tout. Ça m'a bien fait changement et, malgré mes appréhensions initiales, j'espère travailler avec lui de nouveau. Pour l'heure, néanmoins, il n'a pas tort quant à mon emploi du temps super chargé. Je respire un grand coup avant de retourner au boulot avec mon petit chat glacé sur les talons.