Rendez-vous au sommet avec ma sœur. Je crois qu’il est temps qu’on se parle et qu’on joue cartes sur table, sans notre mère pour nous chaperonner ou nous donner ses avis, dont on se passerait bien volontiers. Cette décision fait suite à mon altercation avec Lilith, là où les vérités ont éclaté. Grâce à Liam, j’ai pu me remettre en selle rapidement, mais c’est à moi désormais de prendre mon destin en main. Et ça passe d’abord par une discussion avec Cali. Je lui ai donc demandé de me rejoindre aux Castelo de Pedra, sans en parler à personne. Ce lieu n’est pas anodin, on y allait souvent avec notre père. C’est symbolique, une façon de me détacher complètement et définitivement de ma mère.
Je fais le tour des pièces, transformées en musée. À cette période, le lieu est fermé au public pour rénovation. Un silence pesant règne. J’aime ces endroits emplis d’histoires qui témoignent du passé de nos ancêtres, je trouve cela fascinant. Petit, je ne voulais pas être prof ou historien… Je ne savais même ce que c’était un métier. C’était l’archéologie qui m’intéressait, fouiller, faire des découvertes. Résoudre des mystères. En grandissant mes inspirations ont changé. C’est à Borao que m’est venu le goût d’enseigner. Accompagner et former les nouvelles générations, les voir s’intéresser à ce qui nous passionne. Ça n’a pas de prix. D’ailleurs, c’est amusant, car Cali et moi sommes dans la même Université. J’imagine que ce n’est pas facile pour elle. Bien que le commun des mortels ne connaisse pas les différents au sein de la famille, elle, les connaît.
L’écho des talons foulant les pavés m’avertit de son arrivée imminente. Non, sans retenue, je la serre dans mes bras. C’est ma petite sœur après tout.
- Merci d’avoir accepté.
Je sais qu’elle n’était pas obligée et qu’elle aurait très bien refusé. Ça me fait plaisir de la voir, dans un contexte différent que celui de la maison. Je m’installe sur l’un des nombreux bancs, face à une immense peinture représentant la région. Magnifique et majestueuse. Je prends une grande respiration. Le moment fatidique est arrivé, mon cœur s’accélère.
- Si je t’ai demandé de venir, c’est pour parler. De moi, de nous. Alors écoute moi s’il te plaît… Tout d’abord désolé de ne pas avoir été le frère parfait. Je sais que cette pression t’a aussi pesé sur les épaules et je n’ai pas forcément arrangé les choses avec mes choix. Mais je veux te le dire de vive voix, je suis heureux de faire partie de cette famille, d’être un Cobalt. Même si tu n’en as peut-être pas l’impression et que je ne sais pas le montrer.
Je marque une pause, car je sais que le cœur de problème arrive et je redoute sa réaction.
- Je n’arrive juste plus à faire semblant. Je sais que maman n’a pas été tendre avec toi non plus et que les espoirs qu’elle porte en toi sont loin d’être simples à assumer. Pour moi, c’est encore différent. Tu l’as entendu la dernière fois, la vérité.
Mes yeux commencent à s’embuer, la blessure n’est pas totalement cicatrisée. Je reprends rapidement mes esprits, je ne suis pas là pour m’apitoyer sur mon sort.
- Je veux voir les Cobalt rayonner comme autrefois, comme quand papa était encore en vie.
J'ai toujours aimé parcourir les couloirs du Castelo de Pedra, comme tout vrai Cobalt qui se respecte j'imagine. Aujourd'hui, néanmoins, je ne suis pas ici pour profiter de son histoire et de ses fresques et autres trésors, mais bien pour rencontrer l'un de mes aînés. Ma tête est pleine de pensées qui se bousculent et d'anxiétés que je tente tant bien que mal d'étouffer. Heureusement que Lucifer a décidé de répondre à l'appel aujourd'hui parce que, mine de rien, ça me rassure de l'avoir qui marche à mes côtés du même pas inquiet que le mien. Je me sens moins seule pour affronter la tempête qui approche car oui, c'est ainsi que je le perçois. J'ignore ce qu'Adonis compte instiguer, mais qu'il prenne ce genre d'initiative tout court suffit à m'indiquer qu'une décision a été prise, quelle qu'elle soit. Quelque chose se trame et je dois découvrir quoi. Peut-être est-ce une erreur ou une faiblesse de ma part, ou un mécanisme de défense qui sait, mais je suis ici avec mon esprit de politicienne avant de l'être avec le coeur d'une soeur. J'espère qu'il n'en sera pas déçu, même si mes espoirs à ce sujet sont sans doute vains.
Je le rejoins enfin et sa réaction est affectueuse, émotive. Il me sert contre lui et je lui rends cette étreinte avec une certaine réserve qu'il remarquera sans doute. Bien sûr je suis contente qu'il m'offre encore un tel accueil, mais en même temps je m'en sens coupable. Je n'ai pas le sentiment de mériter l'affection d'Adonis, sa bienveillance ou sa vulnérabilité. Mais il me remercie et ce ne serait pas poli de rester plantée là sans rien dire.
« C'est normal voyons. »
Je suis juste contente de te voir. Sauf que je ne le dis pas, je ne veux pas trop me laisser aller au sentimentalisme. L'un de nous deux doit garder sa contenance et son sérieux pour éviter que cette rencontre ne se transforme en simple discussion d'enfants isolés de la réalité avec la tête pleine de projets dénués de réalisme et de bon sens. Ou est-ce une autre excuse pour éviter de sombrer dans mes propres sentiments ? Qui sait. Pas moi. Ça n'importe pas de toute façon puisqu'Adonis commence à parler et je l'écoute donc attentivement, me demandant combien de temps il a travaillé et retravaillé ses mots en attente de ce moment précis. Depuis combien de temps tout ceci est-il enfoui sous la surface ?
Il s'excuse de ne pas avoir été le frère parfait et je croise les bras, me refermant comme pour étouffer les réactions que cela me crée. Mon aîné dit savoir le genre de pression qui m'est retombé dessus, notamment à cause de ses choix, et j'avoue être sceptique. Peut-être suis-je de mauvaise foi, mais j'attends d'entendre le reste, ne laissant pas ses mots m'atteindre complètement par peur de devenir à mon tour émotive et de laisser tomber mes barrières trop tôt. J'ai peur de me faire avoir. Peur de me laisser attendrir lorsqu'il dit être fier d'appartenir à l'illustre famille Cobalt. Il n'a pas terminé et je le sais, j'attends la suite. Les révélations. Je sais déjà qu'il n'arrive plus à faire semblant et je me renfrogne lorsqu'il parle du traitement de notre mère à mon encontre. Mon réflexe habituel reste le même et j'ai envie de lui rappeler qu'elle est dure avec moi pour mon bien, pour me préparer à ce qui m'attends et pour s'assurer que sa relève soit assurée par quelqu'un de compétent. Je me mords l'intérieur de la joue pour ne pas l'interrompre néanmoins, parce que je sais que son coeur lui pèse toujours et, simultanément, j'ai aussi envie d'être là pour lui autant que je le peux. Je n'ai pas besoin d'être en accord avec lui pour l'écouter et pour, je l'espère, le soulager.
Oui, j'ai entendu ses mots, son souhait de voir Adonis périr aux mains de cette maladie qui a emporté notre père. Je détourne les yeux. J'ai envie de dire qu'elle était juste stressée, qu'elle ne le pensait probablement pas. Sauf que ce serait plus facile à dire si j'y croyais et, pour le coup, ce n'est pas vraiment le cas. Adonis aimerait voir notre famille briller comme autrefois, comme lorsque notre père vivait toujours. C'est vague comme déclaration. Ça ne veut pas dire grand chose, surtout lorsqu'il n'a fait que parler de relations familiales et de sentiments. Rien de tout cela n'a d'impact sur la place publique, sur l'image rayonnante ou pas des Cobalt. Non, si c'est de ça qu'il parlait la solution serait simple, il pourrait juste venir faire de la charité avec moi et s'impliquer. Ce n'est pas ça qu'il veut. Ce serait trop facile et trop responsable. Ça ne m'empêche pas d'essayer de lui faire entendre raison ceci dit.
« Je comprends Donis, vraiment... J'ai juste... Il est mort, Donis. Les choses ne seront jamais plus comme elles l'étaient, il faut se contenter de faire du mieux que l'on peut avec la situation actuelle, avec la réalité. Si tout ce que tu veux c'est de redevenir une famille plus unie alors... Si tu veux je peux t'aider. On peut aller s'occuper de charités ensemble ou trouver une façon d'aider notre mère. Je suis sûre que si on unit nos forces pour lui montrer ta volonté d'arranger les choses, même elle saura être assez compréhensive pour changer d'avis à ton sujet. »
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