« Santana ! Santana ! Mais vous dormez ou quoi ? »

Maribel sursauta en entendant la voix de sa supérieure, la redoutable Cramen Torres. Et comme si ça ne suffisait pas, le Feunard de cette dernière la toisait comme s’il s’apprêtait à lui lancer une malédiction en rétribution de sa mauvaise conduite. Ce Pokémon lui faisait froid dans le dos…  Dormir, dormir… Bien sûr que non elle ne dormait pas. Elle était simplement… Perdue dans ses pensées !

« Non madame. Que puis-je pour vous madame ?
-Humpf. Je veux que vous alliez récupérer un stock de ces fleurs sur lesquelles je travaille ! Vous savez, les Almaflores !
-Mais… Ce n’est pas Ignacio qui doit nous les livrer, comme d’habitude ?
-Cette ordure ! Figurez-vous Santana que notre fournisseur régulier n’était rien d’autre qu’un de ces petits parasites de rebelles ! Mais les dieux en soient loué, il a été interpellé par notre glorieuse Guardia et croupit actuellement en prison comme la vermine qu’il est ! Du coup, c’est à vous de vous charger de cette tâche !
- Ah...Bien madame ! »

Maribel n’hésita pas un instant et quitta sa paillasse où son tube à essai solitaire attendait désespérément son dernier ingrédient pour son expérience. On ne discutait pas les ordres de Carmen Torres, sauf à vouloir affronter un interrogatoire au moins aussi terrible que ceux de la Guardia ! Dès qu’elle vit que sa dresseuse s’éloignait, Luna la Lippouti sauta lestement de son poste d’observation habituel pour rejoindre l’épaule de la jeune fille, qui était son moyen de transport habitue lorsque celle-ci était à pied. Et bien évidemment, Maribel eut droit à son bisou rituel. Si Luna ne lui en faisait pas au minimum dix dans la journée, la jeune femme s’inquiétait.

Il ne lui fallut que cinq minutes de marche en sortant de l’université pour rejoindre le parking où était garée sa moto d’un vert pétard parfaitement assumé. A vrai dire, il s’agissait de la seule excentricité dans la vie autrement très rangée de la scientifique. D’un naturel renfermé et craintif, elle avait toujours eu une vie sans histoire mais très solitaire.
Ayant toujours manifesté un goût pour les sciences, elle avait brillamment mené ses études de biochimie appliquée aux Pokémon à l’université de Borao, où elle avait même obtenu un poste en recherche grâce à son travail acharné. A vrai dire, jusqu’ici il n’y avait pas eu grand-chose d’autre dans sa vie que le travail… Pas d’ami -hormis Luna, une mère… Disparue, un père qu’elle aimait mais qu’elle ne voyait que très rarement… Elle avait beau adorer la chimie, est-ce que le jeu en valait vraiment la chandelle ?

Après tout, depuis qu’elle était sous les ordre de la Torres, comme elle l’appelait, elle avait davantage l’impression d’être une bête laborantine qu’une chercheuse ! Aller chercher des plantes dans la nature… Ce n’était pas exactement dans sa fiche de poste ! Oh bien sûr, elle savait où les trouver et pour cause, elle avait déjà étudié les fameuses Almaflores dans leur milieu naturel, à la demande expresse de sa cheffe.

Brillante scientifique, Carmen Torres n’était motivée que par une chose dans la vie : sa dévotion au régime actuel et la propagation de ses idéaux. Partisane de la première heure de la Nova Existencia, elle dévouait désormais sa vie et toutes ses compétences au régime. De fait, elle portait un amour quasi-religieux à tous les Pokémon. Non en fait le terme « vénération » était plus adapté : elle n’appréciait pas les créatures pour elles-mêmes mais pour ce qu’elles représentaient aux yeux du régime… Donc aux siens.

Lorsque sa supérieure était particulièrement injuste avec elle, Maribel l’imaginait s’évanouir d’extase devant son propre Feunard, son dieu vivant dont elle ne voulait qu’une chose au fond : qu’il lui enfonce ses neuf queues de renard bien profondément dans le…

La jeune femme s’aperçut qu’elle était déjà sur sa moto, à l’arrêt, la clé de contact en main, attendant d’être tournée. Luna, emmitouflée dans le blouson de moto de sa dresseuse, la regardait d’un air interrogateur, ne comprenant pas pourquoi elle semblait figée sur place comme… Perdue dans ses pensées… Encore…

La jeune scientifique démarra enfin et songea qu’au moins, cette escapade lui permettait de mettre de la distance entre elle et sa Léviator de patronne, ce qui n’était pas plus mal. En route pour les Almaflores ! Almaflores… Un nom pompeux comme la Torres les adorait… Après tout, son Feunard s’appelait Imperator… Cependant, Maribel devait reconnaître qu’elle avait le droit de nommer cette espèce végétale comme bon lui semblait comme elle l’avait découverte. Et la señora Carmen fondait de grands espoirs sur cette plante pour l’élaboration de son prochain remède pour Pokémon : scandalisée par le traitement que subissaient certaines de ces créatures divines dans la nature, elle avait décidé de dédier sa ferveur religieuse à l’élaboration d’un remède qui soignerait non seulement leur corps meurtri mais également leur esprit choqué par cette terrible expérience. Et elle avait en conséquence donné le nom de « fleurs de l’âme » aux plantes qui contenaient le principe actif qui lui permettrait de guérir les esprits. Et puisque leur fournisseur habituel n’était plus… Disponible, c’était à Maribel d’aller à la chasse aux fleurs !

Il lui fallait un peu plus d’une demi-heure de route pour se rendre sur le lieu de pousse mais elle connaissait le trajet par cœur, au point de pouvoir conduire en pilote automatique. Et de toute façon, la route qu’elle allait prendre était très peu fréquentée... Aussi elle ne put empêcher ses pensées de repartir battre la campagne. Elle pensait à Ignacio le livreur. Elle ne le connaissait pas beaucoup faute d’avoir souvent échangé avec lui mais espérait malgré tout qu’il n’avait commis aucun acte horrible… Et qu’aucune punition horrible ne lui serait infligée. Et comme à chaque fois que quelqu’un mentionnait la rébellion devant elle, la jeune fille ne pouvait s’empêcher de voir le visage de sa mère dans sa tête…

Alicia Chavez avait donné naissance à sa fille Maribel un beau jour de printemps 1997 à Sercena. Dresseuse professionnelle renommée, on lui prédisait un futur poste de championne d’arène. Son mari, Carlos Santana était professeur d’Histoire à l’université de Sercena. Si Alicia était d’un naturel très ouvert, Carlo était lui bien plus conservateur et si le couple s’entendait globalement bien, l’enfance de Maribel avait été rythmée par des disputes au sujet de la politique, ce qui avait rapidement dégoûté la jeune fille de ce domaine. Bien évidemment, le couple n’avait pas survécu à la mise en place de la Nova Existencia en 2015. Alors aux études à Borao, Maribel n’avait rien pu faire pour éviter ses parents de se déchirer : Carlos, Seguidor de la première heure, avait menacé de dénoncer sa femme aux autorités si elle ne mettait pas immédiatement un terme à sa carrière. En réponse, cette dernière avait décidé de s’enfuir et de rentrer en résistance plutôt que de rompre le lien qui l’unissait à ses Pokémon. En un sens, la biochimiste était contente de ne pas avoir assisté à la scène, tant elle lui aurait brisé le coeur…

Elle n’avait pas revu sa mère depuis les sept dernières années, et son père ne manquait pas de rappeler à quel point elle était une mauvaise personne qui lui avait caché son vrai visage pendant toutes ces années à chaque fois que sa fille le voyait. Et même si elle aimait profondément sa mère, autant que son père, elle ne pouvait s’empêchait de penser qu’il avait peut-être raison lorsqu’elle lisait dans le journal toutes les horreurs auxquels les rebelles étaient prêts à recourir pour faire tomber le régime. Bien sûr, elle se doutait que la ligne officielle exagérait sans doute un peu les faits mais si  seulement 10 % de ce qui était écrit était vrai, cela surfaisait pour lui donner des sueurs froides au sujet de sa mère et elle préférait ne pas imaginer comment celle-ci vivait maintenant…

Dévastée par cette séparation, la jeune étudiante en biochimie, qui n’avait jamais été des plus sociables, s’était encore plus refermée sur elle-même en se noyant dans le travail. Elle avait terminé deuxième de sa promo avec les honneurs et un poste de recherche en poche mais sans le moindre ami ou même connaissance avec qui partager sa peine… Son père avait même insisté pour qu’elle fasse raccourcir son double nom de famille afin de ne garder que le « Santana » paternel. Si jamais on remarquait sa ressemblance physique avec sa mère, son nom, bien que répandu, pouvait lui attirer des ennuis, avait-il expliqué. Maribel avait reconnu la justesse de l’argument, mais cela n’avait pas moins été un crève-cœur de rogner ce dernier lien avec sa mère…

En fait, s’il n’y avait pas eu Luna, elle n’aurait probablement pas eu la force de continuer. Elle n’avait pas trouvé Luna. C’est Luna qui avait trouvé Maribel. Un jour que la Torres avait été particulièrement virulente à son encontre, la jeune fille s’était réfugiée dans une ruelle déserte non loin du labo pour pleurer tout son saoul, et c’est un drôle de bisou qui l’avait tirée de sa morosité. C’est là qu’elle avait vu pour la première fois la petite Lippouti espiègle.

Au début, la biochimiste ne sut quoi trop faire d’elle mais la petite créature semblait bien décidé à suivre cette humaine où qu’elle aille et elle était tellement gentille avec elle que Maribel n’avait pas eu le coeur de la repousser. Elle avait donc entrepris des démarches pour l’adopter et acheter un de ces fameux pass pour pouvoir la garder légalement en tant que soutien moral. Par la suite, en faisant des recherches, elle avait découvert que les Lippouti n’embrassaient pas forcément les objets et les gens par affection mais pour examiner leur environnement…

Au début peut-être mais Luna embrassait si régulièrement sa dresseuse que cette dernière ne pouvait douter de son affection sincère ! D’ailleurs, la Lippouti était extrêmement sociable, un peu trop même au point que Maribel devait parfois refréner ses ardeurs ! Et il était difficile de lui dire non ! Pour preuve, même Carmen Torres n’arrivait pas à être désagréable face à elle !

Toutefois, un petit mystère planait sur le Pokémon psy : malgré ses recherches, Maribel n’avait jamais réussi à découvrir d’où venait le Pokémon bisou. Que faisait un Pokémon des glaces en pleine ville ? Elle ne semblait pas sauvage mais la Guardia lui avait assuré qu’aucun dresseur n’avait signalé la disparition de son Lippouti… Etrange…. L’hypothèse la plus plausible que la jeune scientifique avait établie était que ce Pokémon avait probablement appartenu à un touriste qui avait quitté Cinza sans son Pokémon. De quoi donner du grain à moudre à la doctrine du régime qui affirmait que Cinza était la seule région au monde qui traitait dignement les Pokémon…

Mais au fond, peu importait ! Ce qui comptait, c’est que sans Luna, Maribel n’aurait probablement pas tenu le coup suite à la disparition de sa mère. En un sens, Luna lui avait sauvé la vie…

« LIPOUTIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII !!! »

Tirée de ses pensées par le cri de terreur de son Pokémon, Maribel vit vaguement le Pokémon qui traversait et tourna brusquement son guidon juste à temps pour ne pas le percuter. Mais ce faisant, elle précipita sa moto dans le vide qui l’attendait dix bon mètres en contrebas. Le seul réflexe de Marbiel fut de se placer le plus possible sur le dos, afin que Luna, qui se trouvait toujours sur son ventre, soit épargnée. Pas question que sa seule amie souffre par sa faute ! Le réflexe de Luna fut lui de pousser la moto le plus loin possible d’elle et sa dresseuse grâce à ses pouvoirs psy, ce qui leur évita de périr écrasées par le lourd véhicule une fois au sol.

Le choc fut rude, mais pas autant qu’elle s’y attendait. Elle se sentait plutôt bien malgré une douleur sourde provenant de sa jambe droite. Et dire que son père avait toujours désapprouvé que sa fille fasse de la moto, le moyen de transport « le plus dangereux au monde » disait-il… Finalement, Maribel aurait peut-être dû l’écouter...

Malheureusement, un nouveau cri de Luna informa sa dresseuse qu’elles n’étaient pas tirées d’affaire. Maribel avait trop mal à la jambe pour se relever et de là où elle était, elle ne voyait que Luna qui faisait face à ce qui lui semblait être un gros et féroce Pokémon canin, sans doute attiré par le bruit de la chute… Et ce dernier grognait méchamment devant la Lippouti qui écartait les bras, protégeant sa dresseuse mal en point de son petit corps. Le bisou semblait indemne mais épuisé. Rien d’étonnant, elle avait sans doute utilisé beaucoup d’énergie pour déplacer la moto pendant la chute… La seule autre chose que la biochimiste voyait dans son champ de vision était une des fameuses Almaflores. Et dire que c’était pour des fleurs censées soigner qu’elle allait probablement perdre la vie…

Mais en guise de réflexe de survie, un détail lui revint en tête : elle avait quitté le labo en toute hâte… Donc elle avait probablement toujours les comprimés expérimentaux sur elle, dans la poche de son jeans, sous son pantalon de moto. Frénétiquement, elle baissa juste assez ce dernier pour pouvoir accéder à la précieuse boîte. Elle contenait la version la plus aboutie jusque-là du remède imaginé par Carmen Torres, mais une mouture dépourvue d’Almaflores. Une idée folle germa dans la tête de la dresseuse : si le médicament final marchait aussi bien que sa conceptrice le prétendait, peut-être qu’il redonnerait assez de force à Luna pour qu’elle les défende toutes les deux ? C’était ça ou finir déchiquetée sous les crocs d’un Pokémon hostile sans moyen de se défendre…

S’accrochant à cet espoir fou, elle attrapa d’une main l’Almaflores qui la narguait et de l’autre une pilule de la boîte provenant de sa poche. Elle entoura la gélule avec les pétales de la fleur puis elle lança :

« Luna ! Avale ! »

la Lippouti se retourna vers sa dresseuse juste à temps pour ouvrir la bouche et avaler le cachet. Aussitôt, une lueur d’une vigueur nouvelle apparut dans son regard jusque là terrifié. Et Maribel connaissait suffisamment les combats Pokémon grâce à son enfance avec sa mère pour savoir ce qui lui restait à faire. Et tant pis si c’était illégal. Mieux valait la prison que la mort !

« Lance Poudreuse ! »

Alors c’était ça que sa mère ressentait quand elle livrait bataille ? Ce n’était… Pas désagréable...
Luna avait quelquefois utilisé ses attaques pour amuser sa dresseuse mais la tempête de glace qu’elle déclencha avec une simple Poudreuse n’avait rien à voir avec un simple jeu. On aurait dit qu’un hiver digne des régions polaires venait de s’abattre juste sur elles et leur adversaire. Ce dernier se retrouva bien vite congelé dans un bloc de glace. La violence de l’attaque l’avait surpris et il n’avait pu répliquer. En plus d’être un médicament efficace, l’idée de Carmen Torres était également un formidable stimulant de combat…

Alors qu’elle perdait connaissance, vaincue par la douleur incessante que l’adrénaline ne compensait plus provenant de sa jambe, Maribel entendit des bruits de pas venir vers elles. Qu’est-ce qui était plus ironique ? Que cette route était bien plus fréquentée qu’elle le pensait ou qu’en un sens, elle devait la vie à Carmen Torres ?

Elle se réveilla le lendemain à l’hôpital de Borao. Aussitôt Luna l‘embrassa de soulagement. Puis un médecin vint la voir et lui expliqua qu’elle avait énormément de chance de n’avoir qu’une jambe cassée après la chute qu’elle avait faite. Elle pourrait même sortir dans quelques jours si tout se passait bien. Luna était indemne. Lorsqu’elle demanda des nouvelles de sa moto, on lui apprit qu’elle avait fini à la casse. Apparemment, ce qu’il en restait n’était pas récupérable.

Malheureusement, elle eut ensuite droit à une visite moins agréable, celle des deux agents de la Guarda qui l’avaient secourue. Ils l’interrogèrent longuement sur le combat qui avait eu lieu mais s’adoucirent quand ils comprirent que la jeune fille ne s’était battue que pour sauver sa peau et celle de son Pokémon. Savoir qu’elle était là-bas pour des recherches gouvernementales et la confirmation de Carmen Torres acheva de les convaincre de la bonne foi de la jeune fille qui s’en tira avec un simple rappel à la loi. Le fait que le Pokémon sauvage, apparemment un Grahyena, ait été simplement enfermé dans la glace et non blessé joua également en sa faveur.

« Vous avez de la chance que l’effet gelant de l’attaque de votre Pokémon se soit déclenché au bon moment ! »

Conclut un des gardes en partant. De la chance oui… Ou alors le remède Almaflores avait des effets secondaires intéressants !

Elle sortit de l’hôpital une semaine plus tard et en retournant au travail en béquilles, elle décida de cacher sa découverte à sa chef, qui ne manqua pas de la houspiller pour le retard que lui avait coûté son accident. Elle ajouta toutefois qu’elle était contente de revoir la jeune fille à pied d’œuvre. Mais Maribel se fichait des états d’âmes de sa supérieure, elle avait plus important à penser ! Avant de tenter quoi que ce soit avec les Almaflores, elle voulait d’abord vérifier que cette substance était sans danger pour sa chère Luna !