Elsa-Mina détestait son prénom.

Cela n’avait pas changé.

Trop atypique, avec ce trait d’union au milieu, comme si cela allait aider à racoler deux parties contradictoires. Elle aurait préféré quelque chose de plus discret, sans fioriture. Un prénom qu’on oublie facilement.

Son enfance avait été normale. Sans lettre majuscule. Juste simple, sans vagues ni remous. Née d’une famille modeste de glacier, rien n’aurait pu suggérer son avenir. Discrète, elle appréciait les cours dispensés et préférait lire dans un coin que de rejoindre ses camarades pour la récré. L’air chaud de San Camari ne lui allait pas au teint mais elle faisait avec, après tout, le soleil apportait avec lui le chant des goelises qui jacassaient en se prélassant sur les toits. Sa grand-mère venait toujours la chercher après les cours avec un sourire trop grand pour son visage. « Mina » disait-elle. « On t'as apporté des glaces ! » Le vanilluxe de mamie l’accueillait toujours avec un souffle frais et un sorbet bien sucré. Pour elle, il n’y avait pas de meilleur endroit sur terre.

Encore aujourd’hui l’odeur d’iode lui rappelait la maison et les journées paisibles d’été ou son seul plaisir était de guetter les aléas des bateaux dans port. Elle s’était imaginée corsaire à parcourir les mers avec sa fidèle evoli, un cadeau de ses parents quand elle était entrée en primaire, ils espéraient qu'elle évolue en givrali. Elle avait longuement réfléchit avant de décider que la mer c’était bien, mais que l’odeur du poisson la rendait malade. Les pécheurs l’ignoraient pour la plus part. De temps en temps ils pestaient quand ils se cognaient contre elle, ne l’ayant pas vu qui trainait dans le coin. « Bouge de là petite, tu vas te faire mal. » Elle fronçait le nez en s’excusant, ça les faisait rire. Ils trouvaient ça mignon. Les yeux vitreux des magikarps et écayons qu’ils avaient ramenés lui donnaient envie de vomir. Elle s’était jurée de ne plus manger de pokémon, au grand désarroi de ses parents.

Toujours première de sa classe même au collège, on disait d’elle qu’elle était une élève modèle. « Mlle. Anastas a de très bonnes notes et ne bavarde pas. » C’était ses deux qualités. Ses parents étaient fiers, alors elle l’était aussi même si elle n’était pas très sûre pourquoi. On lui disait qu’elle allait faire de grandes choses, peut-être même aller à l'université mais pour l’instant elle voulait surtout aller danser avec les musiciens sur la place. C’était la fête du village. Plus tard, elle se promettait, quand il y aura moins de monde. La troupe était partie sans qu’elle n’ait osé poser un pied sur la piste de danse.

Au lycée elle avait vu disparaitre un grand nombre de ses camarades de classe. Ils partaient à l’aventure. Avec un grand A. Elle n’avait pas été invitée à écrire un mot dans les lettres leur souhaitant bonne chance dans leur quête des badges mais c’était pour le mieux. Elle n’aurait pas su quoi écrire. « Elsa, tu veux bien te battre contre moi ? J’ai besoin d’un partenaire ! » Elle avait essayé une fois, pour faire plaisir. Sa pauvre evoli s’était fait piétiner sans qu’elle ne puisse rien faire. On avait ri. Apparemment c’était normal, elle était juste une mauvaise dresseuse. Ce premier échec serait son dernier. Elle refusa de participer à un autre combat. Au final, l'université c'était pas si mal et puis, elle aimait bien la science.

« Il est bizarre ton nom. » Elle avait levé les yeux de son livre pour tomber nez à nez avec le regard curieux d’un jeune homme qui essayait visiblement de lire son badge. Ils étaient dans la même promotion. L’Université de Borao n’était visiblement pas assez grande. Pourtant elle s’y était déjà perdu plusieurs fois depuis la rentrée il y a quelques mois, trop happée par les cours pour écouter les consignes. Le garçon blond était trop prêt d’elle, son parfum était étouffant et son sourire radiant. Elle avait décidé qu’elle ne l’aimait pas. Il avait décidé qu’il l’aimait bien. Foldo Viridis l’avait choisie comme partenaire de projet parce Anastas rimait avec ananas et apparemment c’était drôle. Et bien qu’il sache que Viridis, ça rime avec pisse ! Ils avaient éclaté de rire à leur bêtise respective et étaient devenus inséparables. Pour la première fois de sa vie, elle se sentait à l’aise, à sa place. Tout était parfait.

« Maman ! » Elle pleurait. Des larmes de joie évidemment, elle avait gagné le pari. Techniquement c’était Luciano qui avait gagné, Aro avait prononcé son nom en premier -pour du moins que « Uano » comptait comme son nom- mais il avait aussi dit Maman avant Papa, donc elle gagnait quand même. Et toc. Foldo faisait semblant de pester mais elle pouvait voir la fierté gonfler son torse et la joie briller dans ses yeux. Il avait quitté l’arène plus tôt aujourd’hui, pour fêter leur anniversaire de mariage. Ce dernier s’était fait un peu précipitamment, un peu bâclé, c’était une surprise pour le couple. Aro avait un peu forcé les choses, il avait été fait un peu précipitamment aussi, un peu bâclé, il avait été la surprise. Foldo voulait rattraper ça alors il redoublait d’effort. Elle comptait simplement les jours. Bientôt, elle finirait les études que son époux avait affectueusement abandonnées pour poursuivre sa passion. Bientôt, on ne les fixera plus en murmurant son sur âge et son irresponsabilité. Bientôt, ils pourront partir en voyage de noces à Hoenn où elle pourra souffler et disparaitre des pensées pendant quelques temps.

La Tour Viridis était impressionnante. Grandiose. Stérile. Son silence semblait juger le moindre son émis qui résonnait avec l’écho de ses larges salles. Même après ces années, elle avait du mal à croire qu’elle partageait son nom avec ce lieu, travailler ici était un rêve devenu réalité. « Professeur Viridis ! » Trois têtes blondes se retournèrent. Dans le couloir un homme en blouse planche venait en courant tenant dans ses bras des notes volantes sur les baies alga, les résultats qu’elle attendait étaient arrivés. Avec une excuse bredouillée, la scientifique dit au revoir aux deux frères. Ils allaient devoir présenter leurs avancées sur le sérum Pérola auprès du Bureau de l’administration sans elle. Elle prenait avec plaisir la porte de sortie et l’excuse toute offerte. Elle avait hâte de retrouver le confort de son bureau et d'éviter à devoir parler devant du publique. Elle savait que dans un tiroir, l’attendait patiemment un petit cookie biscornu qui avait été cuisiné le matin même pour la fête des mères. Foldo et Aro avaient promis qu’il rangerait toute la cuisine couverte de pâte et de farine suite à leur petite expérience cataclysmique. Son sourire ne l’avait pas quitté de la journée. L'avenir semblait brillant.

Un micro vint s’écraser prêt de son visage cherchant sa place parmi ses congénères. Ils se disputaient son attention tels des charognards. Ses yeux clignotèrent, deux points noirs dansaient là où les flashs des appareils photo avaient laissé leurs marques. La main ferme et rassurante de Luciano dans son dos la maintenait droite. Il fallait qu’elle aille faire les courses. Ils n’avaient plus de farine. La foule grouillait comme une chimère à milles pattes et milles têtes, rugissant de sa voix commune des questions et des accusations. « Madame ! Quelle est votre opinion sur la mort de votre époux, Foldo Viridis ? Est-ce que vous allez vous opposer au projet de loi ? » Luciano vint s’interposer comme une ombre entre cette bête immonde et elle-même. Elle voulait juste sortir de chez elle. Il la poussa doucement, la forçant à reculer dans la sécurité de sa demeure. Il accueillit avec grâce mais fermeté les paparazzi qui se jetaient sur lui bras tendus pour mieux entendre ses mots alors que la porte se refermait derrière lui. Perdue au milieu de son salon à la foi étouffant et vide, la seule chose à laquelle elle parvenait à pensait était qu’Aro serait déçu de ne pas pouvoir faire de biscuit. Plus rien n'avait d'importance, Foldo était mort.

« Professeur, j’ai un appel pour vous. Un certain Assano. » Elle prit le téléphone qui lui était tendu. La nouvelle tomba comme une sentence. Aro avait fugué. Elle aurait dû être surprise, elle ne l’était pas. Elle s’y attendait depuis le temps, il ne la supportait plus. Ni elle, ni son oncle. Elle aurait bien compté les jours sauf qu'elle était incapable de les différencier. Elle ne voyait plus les jours se coucher, tout était de la même couleur; du blanc éclairé au néon. Feuille blanche sur une table blanche avec une blouse blanche et des murs blancs. La nouvelle avait brisé la monotonie. Elle avait lâché le pot qu’elle tenait de l'autre main et la terre brune s’était rependue sur le carrelage blanc. Quel désastre. Elle fit signe à son collègue que tout allait bien, elle allait ramasser les morceaux. Son doigt ripa sur un morceau de terre cuite, laissant une entaille profonde, elle l’ignora et rassembla tous les fragments avant de les jeter à la poubelle. C’était propre maintenant. Il fallait qu’elle appelle Luciano mais il était probablement déjà en route pour la trouver. La torpeur était revenue.

La main de Luciano tapotait rythmiquement la table. Il était anxieux. C’était rare de le voir anxieux. « Elsa-Mina. » Elle avait levé la tête vers lui, surprise de la douceur de sa voix. Il lui avait tendu un papier. Un avis de recherche. Aro. Son bébé. Qu’est-ce qu’il avait grandi, son petit prince. Son corsaire sans peur ni doute. En 2 ans à peine, c'était presque un homme. Elle le reconnaissait à peine. Son regard rempli d’espoir croisa celui attristé de Luciano. Il était en vie. Il était sauf. C’était plus d’information que ce qu’elle avait eu pendant ces deux années de silence. Peut-être… peut-être pourrait-elle le retrouver ? Était-elle seulement digne de le revoir ? La réponse était évidente. Elle n’était toujours pas prête à dire la vérité. Toujours pas prête à confronter la mort de son époux. Elle secoua la tête désabusée. Il était devenu un criminel… comme son père. Et s’ils lui faisaient du mal ? Luciano ne laisserait jamais cela arriver. Pourtant Foldo était mort. La scientifique glissa le morceau de papier délicatement dans son porte feuille à côté d’une veille photo de famille. Non, Aro se porterait bien, quoi qu'il advienne, son père veillait sur lui depuis l'au-delà.

Elsa-Mina ne pouvait s’empêcher de se dire qu’Aro devait détester son nom de famille. C’était dommage, elle, l’aimait énormément.

Les années passent, les choses changent. Des monstres attaquent les citées, on ne se sent sauf nulle part. Et surtout pas au sommet de la Tour Viridis. Fermant les yeux, le visage tourné vers les étoiles. Elsa-Mina demandait à Foldo de protéger sa famille et lui donner la force et le courage de faire face à la tempête qui se profilait sur l’horizon.