Elsa-Mina prit une inspiration, les cheveux au vent, yeux fermés pour mieux profiter du moment. Ainsi installée au bout du ponton, elle pouvait sentir la griffure de l’air marin sur sa peau et la chaleur frappante du soleil qui martelait ses tempes. L’odeur salée de la mer lui rappelait sa tendre enfance. Cela faisait longtemps qu’elle n’était pas retournée à San Camari. La ville avait bien changé. Disparus étaient les quelques pêcheurs habituellement installés sur les pierres avec leurs grosses bottes et sièges pliables. Leurs seaux toujours vides et leurs cannes à pêches abandonnées sur un côté au profit des bières et des discussions animées. Elle supposait que la Nova Existência avait mis fin à tout cela, comme a bien d’autres choses.
Son téléphone sonna avec un petit signe distinctif qui lui fit froncer du nez avec honte.
« Prout, prout, tu as un message ! » dit-il avec la voix la plus nasillarde qu’elle ait jamais entendu. Aro avait insisté à ce qu’elle prenne cette sonnerie lorsqu’il avait vu la pub à la télé il y a plusieurs années. Le garçon piquait le portable de Luciano juste pour lui envoyer des messages et entendre le stupide son, ça pouvait le distraire pendant des heures. Peut importe à quel point elle haïssait ce bruit, elle n’avait jamais eu le cœur de le remplacer. Avec un soupir, Elsa-Mina rouvrit les yeux pour jeter un coup d’œil à ses notifications. Le rendez-vous avait été avancé d’une heure. Heureusement qu’elle était venue en avance, San Camari n’était pas exactement la porte d’à côté.
Elle avait toujours eu une bonne excuse pour ne pas s’y rendre. En l’hiver c’était parce qu’elle ne pouvait pas laisser Luciano seul lors des fêtes de fin d’années. Au printemps elle avait dû travailler dans les vergers, c’était le moment le plus important, il fallait vérifier que les plants de baies poussent correctement et surveiller la progression des maladies saisonnières. En été elle… elle était tombée à court de mensonges. Un simple
« je suis occupée » avait été envoyé. Sa mère avait insisté, son père s’y était mêlé et elle avait craqué. Après tout, peut-être que quelque chose de bien en ressortirait ?
Cela faisait plusieurs années qu’elle ignorait les messages postés dans le groupe
« Réunion des anciens ». Elle n’avait jamais eu d’excellent souvenirs de ses années au lycée et très franchement elle avait oublié plus de la moitié de ses camarades de classe, non pas qu’elle eut connu leurs noms à l’époque. Difficile de se rappeler de la têtes des gens lorsque l’on s’assoit au premier rang. Malgré tout, elle avait accepté de venir cette fois-ci. Ou plutôt, elle n’avait pas voulu rester toute seule pendant que Luciano était en déplacement et subir l’assaut de texto de ses parents.
Syndra l’appela joyeusement. Au moins quelqu’un ici s’amusait bien. Elsa-Mina porta la main à son visage pour se protéger un peu du soleil et salua sa togekiss de l’autre. Le pokémon oiseau faisait des galipettes dans le ciel, dansant avec les goelises avant de descendre en piquer pour frôler l’eau et remonter. On l’aurait presque confondue avec un nuage surexcité tant ses plumes étaient blanches. Elle voulait lui montrer une autre de ses acrobaties.
« On ne va pas tarder à y aller, Syn. » l’informa-t-elle.
« L’horaire a changé, il faut qu’on soit au bar pour 12h. »L’oiseau fit quelques boucles avant de redescendre aux côtés de sa dresseuse, la déception palpable. La scientifique l’aurait bien laissé s’amuser mais il fallait encore qu’elles passent à maison familiale pour se préparer avant de rejoindre le lieu de rendez-vous. Elle hésita quelques secondes avant de prendre une photo de la mer pour l’envoyer à Luciano avec en commentaire :
« Tu crois que j’ai encore le temps de rejoindre Hoenn à la nage ? ». Elle mit rapidement son téléphone en silencieux avant de prendre le chemin du retour.
---
Le rendez-vous avait été donné à un petit bar en bord de plage, le terme exact était paillote mais seuls les locaux l’appelaient ainsi. C’était une petite maison en bois blanchit par l’iode qui était à même le sable de la plage, en quelques pas on pouvait mettre les pieds dans l’eau. L’ambiance se voulait décontractée et cosy mais la décoration toute droite sortie d’un magazine d’Home-Déco sentait le faux à plein nez. Des coquillages, beaucoup trop gros pour avoir été trouvés sur place, étaient suspendus du plafond en paille qui donnait son nom à la construction. Les canapés en bambous sagement placés entre les tables étaient couverts de coussins en lin avec des motifs géométriques tous plus colorés les uns que les autres. Chaque chose était à sa place pour donner un air de vacances détente au lieu. Un parfait attrape-touriste.
Syndra l’avait déposée à l’entrée, hors de question de laisser sa voiture trainer dans la poussière et le sable toute l’après-midi. Habillée d’une robe en lin blanche complimentée par des bijoux sertis d’émeraudes et de grosses lunettes de soleil sur la tête, Elsa-Mina ne faisait pas particulièrement tache dans le décor. De la musique un peu jazzy sortait de paillote et au vu du nombre de voiture dans ce terrain vague qu’ils appelaient parking, le gros des invités était déjà arrivé. Avec un peu de chance elle ne serait pas la dernière.
Prenant une inspiration, elle passa le pas de la porte suivie de son pokémon. Aussitôt le bruit l’agressa. Puis les regards. Une espèce de silence s’imposa alors que petit à petit les personnes présentes se rendaient compte qu’ils étaient en présence d’une Viridis. Syndra gonfla un peu ses plumes. La scientifique ne reconnaissait personne. Adressant un sourire plein de grâce à l’assemblée, elle partit paresseusement en direction du bar pour avoir quelque chose à tenir dans ses mains.
Elle échangea quelques platitudes avec l’homme derrière le comptoir. Apparemment le buisness avait souffert des récents évènements sur les côtés. Des attaques de pokémons qui s’en prenaient aux visiteurs, notamment ceux avec de la nourriture. Elle jeta un coup d’œil à la pièce, notant les frites, glaces et autres gourmandises qui s’accumulaient d’un regard rempli de jugement. D’un même geste, elle attrapa Syndra dont le bec piquait dangereusement vers l’une des tables basses. Pas étonnant que les pokémons soient agressifs avec un buffet pareil à portée de main, elle aussi aurait eu les crocs.
De nouveaux invités arrivaient au compte-goutte, détournant fort heureusement l’attention de sa personne. Il était facile de repérer les anciens groupes d’amis et les vieux rivaux. Certains étaient particulièrement oisif, accaparant l’attention comme ils le faisaient autre fois. Elle reconnaissait Ode avec sa frange en forme de V et son goût prononcé pour le contact physique. Elles ne s’étaient jamais entendues. Visiblement, elle allait être sa prochaine victime.
« Elsa Anastas ! » s’exclama ladite Ode, d’une voix beaucoup trop aigue.
« Oh, je ne t’aurais pas reconnue ! » Quel mensonge odieux.
Ecartant la foule tel Moise, la femme aux cheveux châtain clair s’avançait vers elle, un immense sourire sur le visage. Elsa-Mina décolla son dos du mur pour se donner un peu plus de prestance, accueillant avec toute la diplomatie dont elle pouvait faire preuve, son ancienne déléguée de classe. Hm. Il semblerait que les vieilles rancunes venaient tout juste de refaire surface.
« C’est Elsa-Mina Viridis. » rectifia la scientifique, un peu sèchement.
« Oh, je pensais que tu avais repris ton nom… tu sais parce que ton époux… » dit Ode en minaudant.
« Est mort ? » coupa-t-elle. Il y eu un léger silence dans paillote. Juste un tout petit silence bien gênant.
« Je ne suis pas la première veuve à garder le nom de son époux. »« Pauvre gars, il ne méritait pas ça. » lança un homme brun avec les cheveux en pagaille qui lui semblait vaguement familier. C’était celui qui était parti en plein milieu de leur dernière année pour faire la quête des badges. Beau, il s’appelait Beau.
« Il n’y a pas à le plaindre. Il s’est opposé aux lois, il connaissait le risque. »Même après toutes ces années cela sonnait faux. Fallait-il qu’elle mente jusqu’à ce que la vérité ne devienne qu’un doux souvenir ?
Le malaise était palpable.
Le faux air attristé d’Ode n’en avait l’air que plus prononcé. Elle n’avait pas changé, toujours aussi avide de ragots et supériorité. S’il pouvait y avoir du conflit alors elle était ravie. Du coin de l’œil elle vit quelques personnes s’avancer pour désamorcer la situation.
« Je suis sincèrement désolée, je ne savais pas que c’était un sujet sensible. » se lamenta dramatiquement Ode en insistant sur les mots.
« Quelle sotte je suis ! » Elle claqua un peu des mains comme pour signaler la fin de ce sujet.
« Enfin, ça a dû te faire bizarre de revenir ici, de quitter toute la richesse et le luxe. J’espère qu’on est à la hauteur de ta personne. »« Rajoute quelques centimètres à tes talons et tu devrais pouvoir l’atteindre. » répondit Elsa-Mina laconiquement.
La blague sembla passer au-dessus des têtes dans un coup de vent. Le regard d'Ode s'assombrit, ce n'était visiblement pas la réaction qu'elle attendait.
Luciano lui manquait.
Elle soupira doucement. S’excusant rapidement pour fuir la scène qui était vouée à la catastrophe. Elle réussit à trouver un coin silencieux sur la terrasse, sous un parasol arborant fièrement le logo d’une marque de soda. Les murmures qu'elle avait laissé derrière elle n'était pas très glorifiants. Syndra en avait profité pour aller visiter la zone, veillant à rester à portée de vue de sa dresseuse. Elsa-Mina n’était pas trop inquiète pour son pokémon, la Praia Azul était un lieu touristique connu, des braconniers seraient fous d’y venir. Quelqu’un s’installa à côté d’elle. L’homme brun de toute à l’heure, Beau. Son tee-shirt était estampé à l’effigie de l’ancienne ligue. C’était de mauvais goût mais elle ne fit aucune remarque dessus.
« Désolé pour Ode. Ce serait un euphémisme que de dire qu’elle est jalouse de ce que tu es devenue. Les Viridis c’est quelque chose d’autre. »« Ce n’est rien. Il y a un certain côté rassurant à retomber dans les vieilles habitudes. » Elle bu une gorgée.
« Si elle aime tant les Viridis, je peux toujours lui dénicher une signature de Luciano. »« Il lui en donnerait une ? » Il semblait surpris.
« Non. Mais j’ai gagné notre dernière partie de cartes donc il me doit quelque chose. » répondit-elle avec un sourire. Elle avait triché. Luciano le savait. Il n’avait pas pu le prouver.
« Difficile d’imaginer ça. » commenta Beau.
« A t’entendre on croirait presque qu’il est humain. » Il lui adressa un sourire. C’était une mauvaise blague mais comme elle venait tout juste de faire pire elle ne pouvait pas se montrer critique. Une part d’elle aurait souhaité que le monde puisse voir Luciano comme elle le connaissait. Elle savait aussi qu’il aurait détesté cela. Certaines choses méritaient à rester secrètes. Syndra se mit à tourner en cercle, visiblement elle avait trouvé quelque chose d’intéressant dans l’eau. Beau continuait de parler, ils papotaient de tout et de rien, principalement de tout. Il avait réussi à collecter 5 badges avant que la Team Plasma ne vienne tout chambouler, maintenant il était devenu carrossier. Il disait se satisfaire de sa nouvelle vie, elle avait des doutes à ce sujet. La togekiss piqua tête la première dans l’eau avant de remonter quelque chose entre ses serres.
« Zut ! » pesta-t-elle.
Elsa-Mina se leva, s’approchant de l’eau turquoise pour faire signe à son pokémon de lâcher le pauvre poisson qu’elle avait immanquablement pêché. Syndra commença à voler vers elle toute fière de sa trouvaille. Un contraste total avec l’air inquiet de sa dresseuse qui aurait bien disparu si elle l'avait pu.
« Tu as de la chance d’avoir pu garder ton pokémon. » commenta avec une légère amertume l’homme à ses côtés.
Une pointe de culpabilité la traversa. Ce n'était pas la chance, seulement l'argent, ils le savaient tous les deux. Elle se demandait si lui avait pu garder ses anciens compagnons. Probablement pas. C’était étrange de se dire qu’il n’avait plus son fidèle magneti. Ils avaient fait les 400 coups ensemble pendant les cours. La togekiss poussa brusquement un cri, lâchant sa prise avant de foncer à toute vitesse vers Elsa-Mina. Au même moment, l’eau devant la scientifique se mit à bouillonner.