« Ce qu'il faut comprendre, c'est que beaucoup de Pokémon demandent à leur dresseur de pouvoir se dépenser physiquement et, dans le cas de la coordination, c'est une façon de le faire qui est à la fois artistique et sans danger pour tous. C'est un véritable partage entre le dresseur et son compagnon d'idées, d'effort et d'exécution. Il s'agit même d'une occasion parfaite pour mettre en valeur la culture de notre bien aimée Cinza, que ce soit en choisissant une musique d'un artiste d'ici en guise d'accompagnement ou en portant des costumes de scène réalisés par nos designers talentueux. »

« Je vois que le sujet vous passionne réellement ! »

« Bien sûr ! Je crois sincèrement que la coordination est l'avenir de la performance artistique et je ne suis pas la seule à penser comme ça. Il y a présentement un réel engouement pour ces performances et c'est un honneur pour moi de pouvoir en faire partie. »

« Alors mademoiselle Cobalt, dites-nous donc où et quand nos téléspectateurs pourront admirer votre prochaine performance ? »

Le téléviseur est éteint avec froideur alors que, de mon côté, je reste plantée là avec un noeud dans la poitrine, nerveuse. J'ose croire que je me suis bien débrouillée ayant l'habitude des apparitions publiques de ce genre depuis nombre d'années à présent. J'ai bien voulu mettre en avant les bénéfices pour les Pokémons dans le respect de la Nova Existência. Je me suis même inspirée des mots d'un certain individu, les déformant pour ne pas faire l'éloge des combats qu'il affectionnait tant, mais bien de cet art qui débutait tout juste dans notre région après avoir été importé de l'étranger. Néanmoins le public est difficile et ma mère, Lilith Cobalt, dépose la télécommande avec un soupir. Est-ce négatif ? Pas nécessairement, pas tout le temps.

« Autre chose ? »

Je m'empresse d'ouvrir une pochette que je tenais jusque là dans mes mains pour en sortir une poignée de clichés qui ont été imprimés en un joli format A3 qui me mets en évidence. Ma courte chevelure blanche se marie tantôt à des boucles d'oreilles haute gamme et tantôt à des colliers, des bagues ou des montres. Ils devront, normalement, servir pour l'annonce de la collection Cobalt du printemps 2023. C'est l'idée en tout cas et je les dispose donc devant la juge toute puissante, attendant son verdict avec une patience nourrie d'anxiété silencieuse.

« Je pensais d'ailleurs porter ceux-là, lors de ma prochaine représentation de coordination. Je me suis dit que ça pourrait faire parler et créer un engouement, en préparation de l'annonce de la prochaine collection. »

« Mets plutôt ceux-là. »

« Oh ? D'accord. »

Ça ne vaut pas la peine de rouspéter même si, du coup, je vais devoir contacter mon couturier au plus vite pour faire quelques modifications au reste de ma tenue, pour mettre en valeur les pièces choisies par la maîtresse des lieux. Tout de même je dois me reconnaître déçue. J'aurais aimé un compliment sur mon initiative ou, au minimum, une réaction quelconque. Enfin, non, elle n'était pas en train de me faire des remontrances et cela, en soit, c'était déjà une éloge digne de me faire passer le rester de la journée avec le sourire aux lèvres. Lorsque l'on a que le strict minimum on apprend non seulement à s'en contenter, mais aussi à le célébrer.

Selon le schéma habituel, je m'attends à bientôt être chassée de son bureau. Je suis bien placée pour savoir à quel point ma mère est occupée et, du même coup, pour connaître les limites de sa patience. Mais non, à la place elle continue d'observer mes clichés tout en me faisant distraitement signe de m'asseoir. J'ai les mains moites. Aurais-je parlé trop vite ? Est-ce que, pour une fois, elle prend vraiment la peine de s'intéresser à ce que je fais ? Est-ce qu'elle va me féliciter ? Me dire, au moins, que les clichés rendent bien ? Que je fais du bon travail en tant que mannequin malgré mon inexpérience dans le domaine ?

« Tu aurais dû me le demander, avant de te couper les cheveux. Tu savais que ce contrat était prévu. Un autre employeur t'aurais mise de côté pour moins que ça. »

« Je sais, je suis désolée, je— »

« Si tu savais tu ne l'aurais pas fait. Et ce n'est pas tout. J'ai entendu des rumeurs troublantes, Cali, jusque dans ma propre maison. C'est pour ça que tu t'es coupé les cheveux ? Pour un homme ? »

Je sens le mépris, le jugement et le dédain, tout enroulé en un joli petit paquet venimeux qui dégouline de déception. Je déglutis, évite son regard. Je comprends ce qu'elle veut dire, de quoi elle parle. Est-ce que, finalement, nous avions fait trop de bruit ce soir là ? Est-ce que nous avions été entendus ? Le contraire n'aurait-il pas été étonnant finalement ? Malgré notre bonne volonté initiale nous n'avions pas vraiment fait attention, pas autant que nous ne l'aurions dû. Et maintenant la réalité me rattrape une fois de plus et, cette fois, j'ai l'impression que c'est moi qui se tient là toute penaude, les menottes aux poings. Mais elle n'ajoute rien, attends en me dardant de ses iris froids comme l'acier. Il est inutile de nier à présent, je ne le sais que trop bien. Alors je me résigne, respire profondément avant de finalement avouer à demi.

« Ce n'était qu'une bête amourette d'école à laquelle j'ai mis un terme en préparation de ma graduation. Je ne voulais pas risquer de laisser les choses évoluer et avoir une incidence sur mon image publique. Mais je réalise maintenant que l'existence même de cette histoire était... »

Une erreur ? Je me mords l'intérieur de la lèvre, bats des paupières avec une once de panique alors que je sens les larmes monter. Je n'ai pas envie de dire ça. Je ne le pense pas, ne le penserai jamais. Alors dois-je vraiment le dire ? Je n'en ai pas le temps qu'un claquement de langue impatient retenti avec exaspération.

« Effectivement, je pensais que tu avais plus de jugeotte que ça. Je te faisais confiance Cali, tu me déçois. Si cette histoire revient nous hanter... J'espère au moins que tu auras la présence d'esprit d'utiliser cette rupture pour perdre du poids plutôt que d'en gagner, ça rendra mieux sur les photos. »

J'en ai le souffle coupé même si, au fond, je ne sais pas pourquoi. N'est-ce pas le genre de la maison de tourner toute expérience en opportunité de servir nos objectifs ? Elle ne le dit probablement que pour que je reste forte, pour m'aider à chasser mon chagrin et à rester digne au travers de cette épreuve. C'est sa façon, certes maladroite, de m'encourager. J'aime le croire en tout cas. C'est ce que je fais, pour me réconforter.

« Tu as d'autres aveux à me faire ou je peux retourner travailler ? »

Ce n'était pas une amourette d'école, il n'allait même pas à l'Université. C'est la personne que j'aime, que j'aurais aimé revoir si les circonstances n'étaient pas ce qu'elles étaient. Puis il s'agissait d'un criminel aussi, accessoirement. Du fameux Boss de la Team Zekrom qui avait tant fait parler de lui dans les actualités récemment. Mais non, je ne pouvais avouer rien de tout ça. J'emporterais ce secret jusqu'à la tombe, probablement. Alors je fais non de la tête, attends simplement d'être congédiée pour me diriger à grands pas vers la sortie, ma pile de clichés serrée contre le coeur. Mais c'est sans compter sur la dernière intervention de ma mère qui me tombe dessus comme un couperet, juste alors que je pose la main sur la poignée.

« La prochaine fois que tu viendras nous parlerons de ton avenir sentimental. Il n'y a rien que les médias aiment plus qu'un joli couple de jeunes gens amoureux et ta véritable carrière publique peut enfin commencer, maintenant que tu quittes les bancs d'école. Ne t'inquiète pas, je te trouverai quelqu'un de très photogénique et tu oublieras très vite ton camarade universitaire. »

Au plus profond de moi, je sais qu'il n'y a personne de plus charismatique à Cinza que Liam King. Je n'imagine personne être plus photogénique que lui, pas même moi. Quel dommage, du coup, qu'il ne soit plus disponible pour le poste. Je laisse m'échapper un remerciement poli avant de quitter son bureau, en direction de ma chambre. J'ai beau ne plus être une enfant, mais là tout de suite, j'ai vraiment envie de serrer ma peluche favorite contre moi.