« Je l'ai déjà dit : je peux m'en occuper toute seule. Tu n'as pas plutôt des condos en bord de mer à aller vendre à des petits vieux ? »

« Pas avant après-demain, non. Écoute, ça ne me fait pas plus plaisir que toi, mais je préfère encore endurer ta sale tronche que celle de ma future belle-mère adorée si elle apprend que je me suis défilé. »

« T'es obligé de l'appeler comme ça ? »

« Je me suis dit que je ne la connaissais pas encore assez pour l'appeler juste Maman, mais si t'insistes. »

J'ai franchement envie de le perdre dans une galerie souterraine et de ne jamais le retrouver celui-là. Qui ça ? C'est gentil de demander. L'imbécile qui m'accompagne ce jour-là, contre mon gré, n'est autre que Allen Wesker, 26 ans, deuxième fils d'un magnat de l'immobilier de San Camari et, accessoirement...


« De toute façon il faudra bien t'habituer à ce que je sois à Sercena un jour ou l'autre. Tss, rien que de le dire ça me déprime. La plage me manque déjà. »

L'individu que ma mère a choisi à ma place pour me caser et, bien sûr, faire mousser les médias qui adorent les histoires de coeur entre jeunes gens riches et séduisants.

« Si on demande gentiment tu pourras peut-être y garder une résidence secondaire où passer la majorité de ton temps. »

Il me décoche un regard peu convaincu avant d'hausser le pas comme pour me semer. Je n'ai toutefois pas le temps de le réprimander (ou de le rattraper vu la différence de taille entre ses jambes et les miennes) que nous sommes déjà à portée de voix des travailleurs qui, visiblement nerveux, nous attendent. Je retrouve donc ma contenance habituelle, me souvenant que nous sommes ici pour affaires. L'exploitation minière de Sercena est une pierre angulaire de l'économie locale et, surtout, du chiffre d'affaire de la famille Cobalt. Allen a donc été choisi par ma mère pour gérer la crise, lui offrant du même coup une occasion de faire ses preuves en plus de se familiariser avec les lieux et le fonctionnement de la mine. Et moi dans tout ça ? Je suis là pour l'épauler et, surtout, pour être un visage connu et rassurant pour les travailleurs en plus, je le suppose, de devoir travailler ma capacité à bosser en équipe avec l'albinos que je n'ai pas choisi.

« Bonjour ? Nous sommes là pour parler avec le contremaître. »

Sitôt que j'ai terminé, et qu'on nous remarque, l'individu en question se rue sur nous, le casque de travail de travers et les yeux grands ouverts. On croirait qu'il n'a pas dormi depuis des jours et que la seule chose pour le maintenir debout se résume à une impressionnante quantité de caféine.

« Miss Cobalt ! Je vous jure on sait pas ce qui se passe, on a déjà essayé de l'expliquer aux Patrons, c'est vraiment pas de notre faute ! On veut juste bosser nous m'dame, on a des familles à nourrir vous comprenez !! »

« Ne vous inquiétez pas, on est justement là pour vous aider à reprendre le travail aussi vite que possible. Vous pourriez nous indiquer la zone où ça a commencé ? »

Allen s'est avancé l'air de rien, les mains dans les poches avec un sourire rassurant. L'autre le détaille un instant, interdit. C'est normal puisqu'il ne le connait pas et que c'est quand même rare, à Sercena, de ne pas connaître un mec à cheveux blancs qui se balade avec Cali Cobalt. Durant un instant, avec la pénombre des grottes, je pense qu'il se demande s'il ne s'agit pas de l'un de mes frères qu'il ne reconnait simplement pas.

« On est vraiment contents de vous avoir ici... monsieur... Cobalt ? »

« Oh, non, c'est monsieur Wesker, pour l'instant. Même s'il me tarde d'avoir l'honneur de porter le nom de ma précieuse Cali. »

Il allie la parole à une main qu'il passe chaleureusement dans mon dos et je me force à y ajouter mon propre sourire pour jouer le jeu. Ça semble suffire à apaiser le travailleur qui se concentre de nouveau sur le problème en cours en nous faisant signe de le suivre dans les dédales. Nous avons alors droit, en chemin, à un récapitulatif des événements des derniers jours incluant les dommages matériels qu'ils ont constaté en plus de leur craintes de voir les mineurs blessés. Le briefing terminé, il nous remercie à de nombreuses reprises avant de retourner là d'où il est venu en nous laissant à notre enquête. Casques solides sur la tête, lampe torche en main, nous sommes fins prêts à découvrir le fin mot de l'histoire.

« Tu devrais passer devant, comme ça s'il y a un vilain monstre il pourra te bouffer, je pourrai rentrer à San Camari et tout le monde sera content. »

« Dire que pendant une seconde j'ai vraiment cru que j'étais ta précieuse Cali. »

« Rêve toujours. »

Sale con. Je me renfrogne et hausse le pas, passant devant juste par principe parce que, au fond, peut-être que je préférerais effectivement me faire bouffer par le monstre de la montagne plutôt que de devoir continuer à endurer la compagnie d'Allen. L'air est humide et, bientôt, le bruit des conversations des travailleurs se tari dans le lointain. Je deviens un peu nerveuse je l'admets et, mine de rien, me demande si c'était vraiment une bonne idée de nous envoyer nous plutôt que n'importe qui d'autre en fait. Est-ce qu'on est vraiment en mesure de régler un soucis de cette envergure ? On ne tardera pas à le savoir puisque, après plusieurs minutes de marche, notre présence est finalement repérée et un énorme rugissement résonne contre les parois de pierre. Je manque de peu de trébucher sous le coup de la peur et de la surprise, levant les mains pour les plaquer contre mes oreilles en cherchant la source du bruit. Et mon camarade ?

« Putain...! Retourne derrière moi, c'est dangereux ! »

Il me tire par le bras pour mieux se positionner entre moi et la direction qui semble être la source du bruit. De l'autre main il décroche une pokéball de sa ceinture et, un éclat rougeoyant plus tard, un fier Cizayox se tient devant nous toutes lames dehors.

« Ça a l'air proche... On fait quoi ? »

« Demi-tour, évidemment ! »

« On vient de dire aux travailleurs qu'on était là pour les aider je te rappelle. Tu veux juste les laisser se débrouiller ?! »

« Bah tiens ! Le monde est plein de menteurs et, franchement, je préfère en être un que de crever dans une galerie loin de chez moi avec... Avec la mauvaise personne. »

« Alors rentre chez toi, va dire à ta famille ce que tu veux vraiment et fiche moi patience. Moi j'ai un rendez-vous avec la bête ! »

« Cali !! »

Je le contourne, lui et son pokémon à l'armure rouge, et prends la décision totalement stupide de m'enfoncer toujours plus loin au pas de course. C'est une décision de merde dans un contexte de merde. S'il croit que moi j'ai envie de finir mes jours ici dans une mine avec lui alors il se met les doigts dans l'oeil et bien profond en plus de ça. Sauf que, au bout du compte, j'ai quand même envie de les aider ces travailleurs. Leur vie dépend de ce job et, en tant que Cobalt, en tant que la fille de leur employeur, je me sens responsable d'eux. Puis maintenant que ma vie personnelle est aussi vide il faut bien que je compense. Et, au final, je me retrouve à prendre des risques inutiles par ras-le-bol, par besoin de rébellion inavouée qui n'a pas d'autre façon de s'exprimer. J'ai l'air d'autant plus conne lorsque, au détour d'un passage, j'arrive finalement face à face avec cette fameuse bête.

Je me tétanise sur place, mettant un moment à comprendre ce que je regarde vraiment. L'immense silhouette écailleuse se confond avec les parois rocheuses et la seule chose qui me convainc véritablement que je ne suis pas en train de regarder une statue est ce regard. Ces yeux ambrés qui me regardent férocement. Qui évoquent la peur et le désespoir agressif d'une créature prise en cage, sans échappatoire. Je frissonne.

Depuis le temps, je me demande... Est-ce que, toi aussi, tu regardes tes geôliers avec ce regard là à présent?

« Ace ! Mur de fer ! »

Tout s'enchaîne extrêmement vite. L'immense dragon a profité de mon état second pour bouger et ouvrir sa grande mâchoire. Il se prépare à refermer ses crocs sur moi en une terrible attaque Morsure, mais c'est sans compter sur la vivacité du Cizayox. L'insecte de fer se place entre nous, lève les bras et se raidit pour mieux encaisser le choc alors que les dents du dragon crissent sur son épaisse carapace. Pendant ce temps, Allen m'a finalement rattrapée et, le visage plus blême que ses cheveux, me secoue les épaules.

« T'es complètement folle ou quoi ?! Et elle est où ta Givrali ? Les dragons sont faibles à la glace, allez ! »

Il me faut un instant de plus avant de me ressaisir tout à fait et d'envoyer, à mon tour, mon propre Pokémon. Hel fait son apparition un instant plus tard et, immédiatement, elle couine et recule, effrayée par l'énorme créature.

« Courage Hel, je suis avec toi. Utilise Vent Glace ! »

Le petit renard bleu s'exécute et c'est nous, aussi, qui commençons à avoir froid. Mais, au moins, l'attaque semble avoir remplit son office puisque notre adversaire laisse échapper une plainte... qui trouve bientôt son écho, plus faible et plus aigu. Qu'est-ce que... ? J'essaie de me rapprocher, retenue en arrière par la poigne d'Allen qui, cette fois, n'a vraiment plus l'air d'humeur à rigoler.

« On se casse. »

« Mais regarde, c'est... Elle a des bébés ! »

« Et moi j'ai l'air de bosser à la crèche peut-être ? On se casse j'ai dit ! On a l'info qu'on est venus chercher, laissons les Reguladors faire leur boulot plutôt que de faire les cons encore, tu veux bien ? Sérieux si j'avais pas déjà les cheveux blancs là... Merde... »

« T'as raison. »

Je rappelle Hel dans sa balle et, maintenant que la créature a été abrutie par son vent glacé, nous avons le champ libre pour prendre la fuite à pleines jambes. C'est, évidemment, le pokémon de mon camarade qui ferme la marche pour plus de sécurité sans doute. Lorsque nous retrouvons l'entrée, et accessoirement le contremaître, j'en ai le souffle court d'avoir autant couru.

« Alors ? Vous avez trouvé ?! »

« Ah ça. »

Mon promis rappelle finalement son insecte dans sa ball avant de poursuivre son chemin vers la sortie à grandes enjambées, visiblement encore sous le choc alors qu'il cherche nerveusement ses poches pour en ressortir un paquet de cigarettes et un briquet. Je m'excuse brièvement auprès du travailleur en chef avant de poursuivre mon binôme parce que, mine de rien, je me sens redevable. C'est moi qui ait décidé de prendre un risque inutile et qui, accessoirement, viens de lui faire toute une frayeur.

« Attends, Allen... Je suis désolée. »

Et je suis reconnaissante aussi, j'avoue. Mais je n'ai pas l'occasion de le lui exprimer puisque, fermé à la conversation, il sort plutôt son portable pour commencer à composer un numéro. Est-ce qu'il appelle un chauffeur ? Est-ce qu'il appelle sa famille à San Camari pour demander à être débarrassé de ce stupide arrangement ? Non. Il me fourre l'appareil entre les mains pour me laisser parler. Au bout de la ligne ? Le bureau des Reguladors. Au moins il n'a pas perdu l'objectif de vue.