Ombre et lumière dansaient de pair sur les murs éclairés de projecteurs. Il fallait reconnaitre une chose ; les Cobalt ne savent pas faire dans la demi-mesure. À l’image de leur famille, le défilé se voulait grandiose et si l’on pouvait trouver une certaine ironie à l’étalement d’opulence utilisé pour amasser des dons, le tout restait à couper de souffle.

Éblouie par les lumières, tout autant que par la foule et œuvres mises en avant, Elsa-Mina avait choisi de se tenir en retrait, laissant la première place aux journalistes affamés de nouveauté et aux influenceurs chanceux. Elle n’était de toute manière pas venue ici pour les vêtements, bien qu’ils soient plaisants à regarder. Non, son attention était portée sur la star de la soirée, une jeune femme qu’elle avait eu l’honneur de rencontrer dans des circonstances pour le moins atypiques.

Si elles s’étaient quittées sur un ton de conflit, la scientifique n’en tenait pas pour autant rigueur à Cali. Elle et Luciano s’étaient cherché les puces pendant tout l’après-midi et s’il était dommage qu’un pokémon ait dû se retrouver coincé au milieu des tirs, l’histoire avait eu une fin heureuse. D’après un mail de madame Da Rocha, l’arkéapti avait pu trouver une famille aimante après un long rétablissement et Cali avait gardé le silence sur ce qui s’était passé. Somme toute, seuls les égos avaient souffert.

Non, ce qui l’inquiétait plus étaient les informations rapportées par Luciano. Elle avait vu à sa tête, le soir où il était rentré de son entretient avec le chef de la Team Zekrom, que quelque chose le tracassait. Elle s’était alors attendue à un complot de grande taille, pas à une jeune femme à talons. Pourtant, une fois toutes les informations réunies, l'origine du malaise de l'intendant était évidente. La situation de Cali faisait écho à celle d'Elsa-Mina, si bien que la scientifique se serait presque demandé si le tout n’avait pas été prémédité.

Elle avait tourné autour de la question pendant de longs mois sans parvenir à trouver du répit ou la détermination nécessaire à agir, mais à chaque fois qu’elle voulait lâcher l’affaire, le visage de la jeune femme revenait la hanter. Maintenant placardée sur les immeubles et magazines, elle ne pouvait plus l’éviter, même la télévision s’était mise à la narguer. Si bien que lorsque la nouvelle de cet évènement caritatif avait atteint les oreilles du duo, Elsa-Mina avait sauté sur l’occasion pour se porter volontaire. Luciano n’était pas dupe mais il n’avait pas posé plus de questions. Il savait que l’inquiétude la rongeait tout autant que la rage de risquer de voir se reproduire « l’accident » de Foldo. Elle avait été à peine plus âgée que Cali lorsqu’elle avait perdu sa moitié et ne souhaitait cela à personne.

Elsa-Mina avait espéré… beaucoup de choses, pour être honnête. Elle savait aussi que la jeune femme avait un tempérament de feu et que la situation pouvait très rapidement tourner au vinaigre. Ce n’était pas pour dire que le doute pointait le bout de son nez - il ne l’avait jamais quitté -, mais la foule avait été plus grouillante que ce à quoi elle s’attendait et Cali Cobalt, véritable joyau de la couronne, attirait toutes les attentions. Était-ce honteux qu’elle soit plus intéressée par la jeune femme que par la cause défendue ? Absolument. Enfin, ce n’était pas comme si le financement des Viridis n’était pas assuré, un don avait déjà été écrit et signé en prévision de l’évènement.

Un jeune homme se tenait juste à côté de Cali, il fallait vivre dans un trou pour ne pas savoir qu’il s’agissait du seul et unique. Allen Wesker, 26 ans, deuxième fils d'un magnat de l'immobilier de San Camari et fiancé de la jeune femme. Elsa-Mina connaissait la famille Wesker sans jamais avoir interagit avec eux, étant originaire de San Camari, ses parents étaient passés par leur boite pour leurs achats immobiliers. Elle n’avait pas d’opinion très marquée sur eux, si ce n’était sa surprise lorsque les médias avaient relayé la nouvelle de leur amour. Le garçon était littéralement sorti de nulle part à un timing pour le moins... suspect.

Il semblait que la jeune femme ne l'ait pas oubliée parce qu'elle sut la reconnaître et l'interpeller dans la foule et ce malgré l'enclin d'Elsa-Mina pour la discrétion. Elle répondit au sourire de Cali d’un même geste. Les politesses étaient lancées et elle n’était pas peu heureuse de pouvoir passer devant le petit monde qui attendait, on aurait pu croire que Lilith Cobalt en personne était venue à cet évènement. Elle jeta néanmoins un coup d’œil précautionneux en direction du partenaire de Cali, il semblait parfaitement amical mais les apparences pouvaient être trompeuses.

« Le plaisir est partagé mais, je vous en prie, appelez-moi Elsa-Mina. » Elle ne fit pas l’affront à la jeune femme de faire écho à leur première rencontre. Cali s'était plus que prouvée sur le sujet de la politique. « Enchantée de même, monsieur Wesker. C’est un honneur de rencontrer l’homme du moment. »

D'une certaine manière, la scientifique éprouvait de l'empathie pour lui et ce malgré les suspicions qui l'entouraient. Le jeune homme avait été propulsé sur le devant de la scène suite à sa relation avec Cali, tous les médias voulaient son avis mais surtout, la fameuse date qui rendrait le tout officiel. Elle avait vécu la même chose lorsqu’elle s’était mariée à Foldo, à un enfant pré. N’ayant rien à son nom si ce n’est ses études prometteuses, elle avait dû faire face aux critiques des journalistes et spéculations de ses pairs sur son goût pour l’argent. Le plus dur avait été d’encaisser toutes les rumeurs sur Aro et les murmures dans les couloirs, heureusement elle n’avait pas eu à y faire face seule.

« Je voulais vous féliciter pour ce soir, Cali. Vous étiez particulièrement radieuse, votre mère doit être fière ! La réussite de cet évènement ne tient qu’à vous. » dit-elle sincèrement. « Vous devriez passer à Borao de temps en temps, Luciano et moi serrions ravis de vous accueillir. »

C’était un tout petit mensonge. Luciano ne serait certainement pas ravi, ni même heureux ou impartial. Elle souhaitait néanmoins pouvoir offrir à la jeune fille un endroit où elle pourrait trouver un peu de répit et elle savait son beau-frère suffisamment pragmatique pour ne pas déclencher une guerre dans sa propre maison.

Le spectacle qui se jouait devant elle était pour le moins curieux. Comme deux enfants à qui on aurait donné un rôle mais pas de texte, les « amoureux » tentaient de mimer leur part avec une maladresse mal déguisée qui aurait pu être mis sur le compte du trac. Elle supposait que cela pouvait tromper les journalistes qui ne voulaient voir qu’une histoire romantique digne d’une nouvelle pour ménagère, voire même les sponsors présents qui, tout compte fait voulaient surtout que la jeune Cobalt agite ses cils en leur direction, mais Elsa-Mina n’était pas dupe, ne l’aurait pas été, même sans ce qu’elle savait.

« Il n’y a pas de mal à prendre son temps, monsieur Wesker. Et puis, quelque chose d’aussi important doit être fait avec le soin et l’attention qu’il mérite. Si vous êtes avec la bonne personne alors, peu importe le temps que cela prendra, le moment venu sera le moment parfait. Alors, pourquoi ne pas patienter un peu plus ? » Elle ajouta avec un clin d’œil. « Dans tous les cas, votre secret sera sauf avec moi. Je suis une très mauvaise commère. »

Elle avait connu l’amour autre fois et si cette époque lui était désormais douloureuse, elle se rappelait la fierté qui faisait briller ses yeux et emplissait son cœur pour ne laisser aucune place au doute. Ce moment où le simple fait d’être à côté de la personne, de partager son temps, son air, sa vie, répondait à un besoin dont elle n’avait jamais soupçonné l’existence. Tout faisait sens. Rien n’était effrayant.

Alors, pourquoi Cali semblait terrifiée ?

Elsa-Mina avait aussi vécu le revers de la médaille. Lorsque son monde s’écroule et que plus rien n’a de sens, tout devient acceptable. Il n’y avait pas de souffrance trop insoutenable parce que le pire avait déjà eu lieu. Chaque problème était une punition méritée, chaque échec une revanche contre ses défauts. Le bonheur en devenait un péché, simplement parce qu'il n’était pas là pour le partager. Liam King comptait-il comme cela pour elle ? A en voire la jeune femme, la réponse était évidente. Pour elle, cependant, tout n’était pas encore perdu. Du moins, pas définitivement.

Elle se devait de parler avec la jeune femme, de s’assurer de sa santé et lui offrir son soutien. Luciano comprendrait les enjeux, autant pour eux-mêmes que pour Aro, c’était une deuxième chance. L’opportunité de faire ce qu’ils n’avaient pas pu, un peu comme une revanche sur la vie. C’était un risque qu’Elsa-Mina prenait, si Milano l’apprenait il se serait arraché les cheveux mais, c’était aussi le cas pour la majorité de leurs plans. Celui-là était plus personnel, elle voulait aider Cali, elle voulait aider Liam. Ce qu’il y avait à gagner était secondaire et l’échec n’était pas une option qu’elle envisageait.

« Ce qui me fait penser, est-ce que vous auriez un moment à m’accorder ? » demanda-t-elle à Cali. « Luciano m’a dit qu’il vous avait déjà contacté pour un partenariat et j’aurais aimé pourvoir en parler plus en détails. »

Il y avait des choses qu’elle aurait aimé lui demander qui n’étaient pas pour les oreilles indiscrètes. Surtout si celles-ci s’appelaient Allen Wesker. Elle savait aussi que toute discussion avec la jeune femme partait après l’apriori de leur précédente rencontre, elle allait devoir être entièrement honnête ce qui impliquait retomber dans de vieux souvenirs. Mais était-ce si difficile à s'imaginer, elle avait l'impression d'avoir en face d'elle un miroir vieux de 8 ans.

Ah, Luciano, toi et ton caractère de cochon ! Non satisfait d’avoir élevé au rang d’art l’antipathie, il avait aussi su se construire une petite troupe de réfractaires qui préfèreraient probablement lécher les sabots d’un tauros plutôt que de lui accorder une faveur. A vrai dire, Elsa-Mina ne savait pas si la jeune femme n’avait pas compris sa demande implicite ou si elle détestait tant l’homme qu’elle ne voulait absolument rien avoir à faire avec lui. Luciano avait probablement omis quelques détails de sa dernière rencontre avec la jeune Cobalt pour que son refus soit si virulent. Elle aimait son beau-frère mais part moment elle avait envie de lui fourrer quelques carottes dans l’œsophage dans l’espoir que ça le rendre plus aimable. En toute amitié, bien sûr.

Ça ne lui facilitait en rien la tâche, bien au contraire. Allen tentait bien de la soutenir mais ses encouragements semblaient plutôt avoir l’effet inverse, si bien que le scientifique en aurait bien souhaité qu’il reste silencieux. Enfin ce serait faux de ne pas reconnaître que la faute était principalement la sienne, elle n'aurait pas dû s’aventurer sur cette pente glissante. Elle aurait pu réfléchir à un moyen moins… risqué de l’éloigner du banquet mais avait choisi une approche plus directe qui s’était révélé être la mauvaise.

« Ne vous inquiétez pas Allen, c’est justement pour cela que je suis venue. » expliqua-t-elle. « Luciano a été la première personne avec qui vous êtes entrée en contact mais c’est bien moi qui souhaiterais être votre interlocutrice. »

Peut-être qu’elle avait trop attendu, que la jeune femme était passée à autre chose, où tout simplement qu’elle avait oublié sa visite à Borao. Ou bien elle était simplement têtue, ça marchait aussi, Luciano était pareil. C’était aussi pour cela qu’elle l’aimait, il était physiquement incapable d’abandonner une cause ou son devoir. Plus qu'un défaut, elle voyait cela comme une qualité, quelque chose qu'elle admirait chez ces deux-là pour autant que ça pouvait ce révéler agaçant. Elle espérait pouvoir chiper un peu de cette force qui était la leur pour cette discussion.

« Le projet Roi me touche particulièrement mais vous encore plus, j’aurais dû vous contacter plus tôt mais les mois ont filé sans que je ne trouve l’opportunité. J’aimerais pouvoir vous apporter mon expérience et peut-être vous rassurer sur certains points ? Je doute néanmoins que ce lieu soit adéquat pour échanger. »

Peut-être aurait-elle dû parler du projet « King » directement, même si réduire le chef de la Team Zekrom a un simple projet était un peu présomptueux – Il nécessiterait à lui tout seul un département en entier pour le gérer – elle craignait néanmoins que quelqu’un, sur un coup de malchance, ne fasse le rapprochement. Peut-être était-ce lui qu’elle aurait dû aller voir ? Il fallait avouer qu'elle ne le connaissait pas personnellement. Néanmoins, elle se voyait mal demander à Allanon une telle faveur. Elle savait qu’il ne serait probablement pas capable de la refuser.

Parfois elle haïssait la politique, elle voulait simplement prendre la jeune fille à part pour lui demander si tout aller bien et la voilà à se plier en quatre pour essayer de faire un passer un message. Elle essayait de la supplier d’agréer, le regard insistant.

« Si faire confiance à Luciano est hors de question, puis-je au moins vous demander de m'accorder le bénéfice du doute ? »

C’était comme si un poids l’avait quittée, pourtant la partie ne faisait que commencer. Elsa-Mina salua poliment Allen qui avait été abandonné pour servir de pâture aux curieux assemblés, s’empressant de suivre la jeune femme avant qu’elle ne change d’avis. Fébrile, elle sentait son pouls s’accélérer alors qu’elles s’enfonçaient dans les profondeurs tortueuses du château. Elle s’imaginait Foldo à ses côtés, la suivant joyeusement avec son sourire radieux et son éternel optimisme. Il se serait probablement arrêté pour pointer du doigt divers objets auquel il avait associé une petite histoire. Il aurait su aider Cali, trouver les mots justes, la soutenir et la rassurer. Elle devait au moins essayer de lui faire honneur.

Finalement, les deux femmes se retrouvèrent âmes solitaires dans une pièce à vivre. L’endroit plus moderne que la salle qu’elles avaient quittée, détachait avec le reste du lieu comme un anachronisme. On pouvait voir un frigo décoré dans un coin, sans doute remplis de boissons périmées et de sandwichs oubliés. Trop anxieuse pour prendre une chaise et s’asseoir à la table, la scientifique fit mine de regarder les alentours avant de se retourner vers la figure austère de Cali Cobalt. Les bras croisés, l’air sombre, elle paraissait presque intimidante sous le faible éclairage qui creusait ses traits. Avait-elle toujours été aussi maigre ou était-ce simplement l’endroit qui donnait cette impression ?

« Je penses que vous avez dû vous rendre compte que je suis au courant pour votre relation avec Liam King. »

Une évidence. Elle hésitait à aborder le sujet, comme si la bravade qu’elle avait mit des mois à construire s’était envolée dans un souffle. Ce n’était pas entièrement le cas, elle réfléchissait surtout à comment aborder le sujet, faire attention à ne pas mentionner Luciano pour ne pas braquer son interlocutrice mais aussi tâter le chemin, histoire de ne pas se jeter tête baissée dans une fosse. Quant au courage…

Elle s’appuya sur la table, s’agrippant au rebord pour plus de stabilité mais surtout avoir quelque chose pour occuper ses mains qui se seraient autrement retrouvée à brasser l’air de manière désordonnée.

« Je… » Elle soupira. « C’est un sujet difficile. Pour moi, je veux dire. Mais… je pense qu’il est nécessaire de parler. Pour ton bien. »

Elle sentait qu’elle buttait sur les mots, ses années de négligence envers Aro se faisaient sentir. Elle avait presque oublié comment être douce. Luciano n’avait pas eu besoin de compassion, n’en avait jamais demandé. Peut-être à tort. Il préférait régler ses problèmes lui-même et elle le connaissait suffisamment pour le savoir capable de s’en tirer tout seul. Mais maintenant, quand elle en avait le plus besoin, les mots lui faisaient défaut.

Il lui semblait impossible de simplifier le sujet. De nommer la grandeur de son deuil et du vide laissé par l’homme qu’elle avait aimé. Là où tout le monde était passé à autre chose, elle restait. Inlassablement, on lui disait qu’avec le temps cela passerait mais comment pouvait-on laisser une vie derrière soi ? Quand la simple odeur du café le matin, lui rappelait sa présence. Quand elle posait machinalement quatre assiettes sur la table pour elle et les trois hommes de sa vie qui avaient été réduit à un. Elle ferma les yeux quelques secondes pour se ressaisir avant de continuer.

« Ce qui se passe avec Liam, je l’ai vécu. » Sa gorge se noua, même après tout ce temps le sujet restait difficile. « Ce qui nous est arrivé à Foldo et moi, je ne le souhaite à personne et… j’ai peur qu’il vous arrive la même chose. »

Comment ne pas voir les similitudes ? C’était comme si le destin s’était amusé à se copier lui-même, non satisfait de la manière dont s’était résolu l’histoire de la scientifique et du champion, il voulait tester une nouvelle fois sa chance avec la belle et la bête. C’était injuste. C'était leur vie.

« Cali, avant tout chose… comment tu tiens le coup ? Allen, toute cette histoire de mariage, c’est- c’est pour le protéger n’est-ce pas ? »

Elle s’était attendue au pire, ou du moins elle l’avait cru. Il semblait que la jeune femme avait trouvé par elle-même le moyen de creuser encore plus profond dans le ressentiment, au point où la scientifique se demandait si la communication était encore possible à ce stade. C’était une douche froide, évidemment. Un discours tout aussi violent que catégorique. Elsa-Mina aurait très certainement courbé l’échine et disparu de sa vue à tout autre moment mais, elle s’était mise en tête qu’elle devait cette mission à Foldo, tant dans sa mort qu’en esprit et l’homme aurait très probablement répondu à cette explosion avec un éclat de rire et du miel dans sa voix.

« Cali, attendez. »

Attendre quoi ? Que les saisons passent pour que la colère disparaisse, remplacée par de l’apathie ? Ça n’avait aucun sens, peut-être qu’elle s’était fourvoyée. Pourtant elle avait cru… Non, elle avait vu ce qu’il s’était passé. Allen, le mariage, sa visite à Borao, tout cela pointait vers une vérité que ses mots n’admettaient pas. La question était, comment se montrer digne de sa confiance ? Elle qui n’avait même pas réussit à être à la hauteur pour son propre fils venait mettre le nez dans les affaires d’une autre.

« Culottée, oui. Mais je dirais que c’est un point que nous avons en commun. Depuis le début, vous balancez des accusations comme si cela allait résoudre quoi que ce soit. Oui, j’aurais dû venir plus tôt vers vous mais, j’avais peur, des conséquences, de votre réaction. » Elle la regarda quelques secondes avant de continuer. « Haïssez-moi si vous le souhaitez mais n’abandonnez pas. Je veux juste vous aider. »

Ça avait sa plus grande erreur et celle qui la hanterait pour toujours. Elle aurait pu tenir tête au gouvernement, tenter de venger la mort de son époux. Au lieu de cela elle s’était renfermée sur elle-même, avait mangé dans le creux de leur mains les miettes qu’ils daignaient lui donner. Tout cela pour quoi ? Ça lui avait coûté son fils. Et maintenant la vie de Luciano était menacée. Il n'y avait pas de limite à leur avarice, que l'on se rebelle, que l'on s'agenouille, cela ne changeait rien. Il y allait forcément y avoir quelque chose qui ne plaisait pas et lorsque cela arriverait, elle ne voulait pas que la jeune femme y fasse face seule. Cali avait encore le temps de sauver Liam. Allanon et Luciano veilleraient à ce que rien ne lui arrive, il n’y aurait pas de Mexanto, pas d'erreur. Elle voulait au moins pouvoir soulager ce poids de ses épaules.

Se redressant, comme prise d'une énergie nouvelle, elle s'avança pour plaider sa cause. Peut-être qu'elle s'identifiait trop à la jeune femme. Mais c'était comme si tout avait été fait pour. Sa relation avec Liam, son déni, son rejet complet de lui. Elle savait ce que c'était. La bile qui lui montait aux lèvres lorsqu'elle devait rigoler lorsque l'on se moquait de la folie de son époux. La rage qui habitait son corps alors qu'elle rejetait tout ce en quoi ils avaient cru. Luciano avait été là pour elle. Pour partager ses tourments, la soutenir lorsque qu'elle se sentait incapable d'avancer. Vers qui donc Cali pouvait-elle se tourner ?

« Les devoirs ne font pas une vie. Vous avez tant donné à la région, votre gentillesse a sauvé des vies, vos actions ont suscité l’espoir, qui oserait vous demander plus que cela ? Vous avez le droit d’aimer ! » Argumenta-t-elle. « Vous savez que le gouvernement ne tolère pas l'opposition. Vous savez que quoi que vous fassiez, tant qu'il reste à leur portée, il sera en danger ! »

Elle se tu quelques secondes, elle savait que chaque seconde comptait. À tout moment la jeune femme risquait de lui claquer la porte au nez. À tout moment, elle-même risquait de s'écrouler. Il fallait qu'elle la convainque de sa bonne volonté, pour que tout cela ait du sens. Pour que la mort de Foldo ait un sens. Après tout, n'était-ce pas ce pourquoi ils se battaient chaque instant, pour ne pas bafouer un sacrifice qui au final aura été en vain ? Milano l’aurait probablement étranglée pour la suite de son discours. Prise dans les émotions, elle en oubliait la raison. La gorge serrée et le regard brouillé de larmes qui menaçaient de tomber, elle continua. Rage à son impuissance mais aussi désespoir à l'idée de voir cela se reproduire.

« La mort de Foldo était un meurtre. » expliqua-t-elle. « Ils l’ont tué alors qu’il s’était rendu, parce qu’il représentait une menace pour le gouvernement. Son assassin était un membre de la Guarda du nom de Mexanto. Caldwell est au courant. C’est ça, le grand secret des Viridis. »

Elle baissa les bras, épuisée. Aussi surprise par son admission que si c'était quelqu'un d'autre qui l'avait dit. Pourtant, les mots continuaient de quitter sa bouche dans un flot qu'elle ne contrôlait plus.

« Chaque jour je dois bafouer sa mémoire. Pour mon fils, pour Luciano et tous les autres. Et je n'ai même pas le réconfort de savoir qu'il va bien, que ce sont juste des mensonges pour gagner du temps jusqu'à ce que je puisse le revoir. » Elle hoqueta légèrement. « Pas un jour ne passe, sans que je souhaite qu'il soit là, à mes côtés. Je l'aime tellement. Ne vous infligez pas ça, par pitié... »

Elle encaissa la colère de Cali qui éclatait comme un aveu. Petit à petit la façade de la jeune femme se brisait, révélant la profonde douleur qui l’habitait. Une peine si intense que son corps semblait à peine capable de la contenir. Patiemment, Elsa-Mina pris conscience de l’ampleur des émotions jusque-là retenues. Si elle avait eu un doute sur le fait que la jeune femme ait été abandonnée à son sort, maintenant ce n’était plus le cas.

Elle se demandait comment Luciano avait fait pour tout supporter. Lui qui s’était retrouvé à devoir élever son neveu comme un fils sans avoir l’opportunité de faire le deuil de ce frère qu’il admirait tant. Il avait été là pour le pire, sans même avoir pu profiter du meilleur, sans jamais rien demander en retour. Un saint déguisé en diable.

Cali lui était si semblable. Pas surprenant qu’ils se détestent. A porter le poids entier du monde sur leur épaules, ils en oubliaient leur propre bonheur si bien que celui-ci prenait l’allure de bavure. Sa dévotion à l’homme, ce criminel, tâchait ses joues de larmes épaisses à en fendre le plus dur des cœurs. Elsa-Mina ne savait pas si Liam King méritait toute cette attention et très franchement elle ne s’en souciait pas. Les sentiments de Cali parlaient pour eux-mêmes. Ils contaient l’histoire du plus doux des amours et de la plus amère des tragédies.

Elsa-Mina s’avança vers la jeune femme, d’abord hésitante. Voyant sa voix se briser sur les mots et ses pleurs éperdus, elle fit la seule chose évidente et l’enlaça. Serrant tout contre elle le corps tremblant de Cali, comme si elle pouvait étouffer toute sa douleur et ses maux. Elle l’aurait tenue ainsi, maintenant et pour toujours, face aux vents et aux marées. Pour la protéger, la garder loin de ce monde fou où les martyrs font de jolies affiches à placarder et les éperdus d'amour finissent derrière les barreaux. Ô combien, elle maudissait cette région de toute son âme. Cinza la belle, cinza la douce. La grise Cinza avec son perpétuel orage qui arrache et déchire les cœurs.

« Je suis désolée, Cali. » murmura-t-elle. « Je suis désolée. »

Elles restèrent ainsi, jusqu’à ce que les larmes de la jeune femme se tarissent. Dans le silence de cette pièce isolée, le monde pouvait tout aussi bien s’être arrêté de tourner. Elsa-Mina se recula lentement, gardant la jeune femme à bout de bras au cas où elle aurait eu besoin d’elle. Elle attrapa un paquet de mouchoir qui trainait pour le lui tendre, n’osant lui essuyer elle-même les sillons laissés par ses pleurs.

« Dis-moi comment je peux vous aider. Quoi que ce soit. »

A ce moment. A cet instant précis. Elle aurait retourné le monde pour elle.

Tout son corps était pris d’un élan à peine contrôlable. Le besoin de protéger. Elle avait été ébranlée de la même manière lorsqu’Aro était né. Il avait été si petit, si fragile dans ses bras. Ça avait comme une révélation, comme si sa vie entière avait finalement du sens. Elle avait su à ce moment que ce petit être serait la source de ses plus grandes joies et ses plus terribles peines. Qu’il avait obtenue sa dévotion entière et totale. A jamais.

Et pourtant, cette évidence-là n’avait pas été assez pour la sortir du gouffre dans lequel elle était tombée. Ce qu’elle aurait dû protéger, garder de sa propre vie quel qu’en soit le prix avait été brisé. Ce lien si sublime et unique, bafoué. Vulnérable. Voilà comment elle se sentait. Complètement éperdue, à la merci de cette jeune femme qui se tenait devant elle. Mise à nue face à ses défauts et ses péchés.

Elle voulait la protéger, lui assurer que tout s’arrangerait que l’univers punissait les méchants et que l’amour triomphait. Elle avait espéré que ce soit le cas mais, le rêve se brisait tôt. Trop tôt. Et avec lui l’espoir d’un monde meilleur. Alors on se contentait d’un monde moins pire. Un monde mauvais où parfois de bonnes choses se passaient. C’était le pari qu’ils avaient fait. Une vie contre la chance de faire bouger les choses, lentement, à la cadence d’une caratroc.

Cali ne méritait pas cela. Ni Aro. Ou aucun autre de ces enfants privés de joie et d’innocence. Ils devraient pouvoir courir dans les champs, danser sous la lune, hurler au vent. Pourtant, Cali était là. Maigre, hagarde et perdue. Désabusée par un monde qu’elle protégeait mais qui aurait dû veiller sur elle. Quel honneur. Quelle injustice.

« J’aimerais pouvoir répondre que l'amour peut surpasser toutes les difficultés mais nous savons toutes le deux que ce n’est pas vrai. »

La princesse de Sercena portait toujours ses robes et parfois son diadème mais cela fait bien longtemps qu’elle avait été privée de ses rêves. Elsa-Mina faisait une bien piètre marraine. Pas d’ailes pour l’emporter au loin, pas de baguette pour lui offrir un carrosse, pas de poudre magique pour ridiculiser ses problèmes. Elle n’avait même pas de bénédiction à offrir si ce n’était…

« Ce que je peux faire en revanche c’est m’assurer que King aille bien. Les visites sont interdites mais, entant que Viridis, j’ai le droit à quelques privilèges. S’il y a quoi que ce soit que vous vouliez lui transmettre… »

Elle savait que Luciano avait été strict sur le sujet. Il espérait que la pression face flancher l’homme. Tous ces mois passés sans que rien de change, elle commençait à douter que ce soit la bonne solution. Un peu de compassion pouvait aller loin. C’était une denrée rare, chérissable. Elle comprenait l’intérêt que représentait Liam King, l’opportunité d’avoir accès à l’underground. D’avoir accès à Aro. Mais de là à priver le couple d’un contact dont ils avaient tant besoin ? Elle ne pouvait s’empêcher de penser que les évènements avec Isadora n’avaient pas aidé à adoucir le cœur de l'intendant.

« Il faut aussi que vous preniez soin de vous Cali. Il vous aime n’est-ce pas ? Quoi que vous fassiez, je suis sûre que vous êtes parfaite à ses yeux. Tout comme il est parfait pour vous. Que Giratina emporte ce que pense votre mère ! Elle n’est pas vous. Ne le sera jamais. En tant que mère, je peux vous assurer que mon plus grand bonheur est de voir mon fils s'épanouir, même si c'est loin de moi. Vous méritez de même. »

Tu es parfaite. C’était ce que Foldo lui disait tout temps. Le pauvre homme passait plus de temps à combattre les insécurités d’Elsa-Mina que ses challengers. Il s’en amusait parfois. C’état un défi. Ensevelir sa femme sous les compliments jusqu’à ce qu’elle en oublie ses doutes. Elle espérait qu’il savait que cela fonctionnait, encore maintenant, elle portait avec elle ses mots doux. Le matin elle ne mettait pas sa chemise verte mais la chemise « qui fait ressortir tes yeux ». Et lors qu'elle hésitait à présenter ses recherches elle se rappelait qu'elle était « la femme la plus brillante que j'ai jamais connue et si ces abrutis sont trop coincés pour s'en rendre compte, que Giratina les emporte ! ». Ça ne rendait pas sa vie moins solitaire, mais ça aidait. Comme un pensement sur une blessure ouverte.

« Je trouverais une solution, Cali. Quoi qu’il advienne, je trouverais un moyen que vous soyez ensemble. Je te le promets. »

Les Viridis pesaient leurs mots. Et si Elsa-Mina ne savait pas encore sur quel chemin elle s’avançait, elle n’avait aucun doute que cette promesse, elle l’accomplirait. Au nom de son époux.

Elsa-Mina ne put s’empêcher de sourire au regain d’énergie de la jeune femme. Elle parlait des pokémons de son amant avec une passion tout juste contenue, le débit rapide et les yeux brillants de fierté comme s'ils avaient été les siens. Luciano avait tenu promesse et si Cali ne savait probablement pas que la femme devant elle avait fait attention d’accompagner la greninja et le zorua jusqu’à bon port, son discours à lui seul suffisait à donner un sens à toute cette opération. Elle ne savait pas qui était ce fameux « Dan » et ne voulait probablement pas le savoir mais elle doutait qu’il puisse chouchouter les deux créatures aussi bien que la princesse, pourtant elle faisait confiance au jugement de Cali. Après tout, c'était bien elle qui avait permit à l'arkéapti d'obtenir les soins appropriés.

Les mains froides de jeune femme sur les siennes envoyèrent un frison remonter le long de son échine. La scientifique n’aurait jamais espéré que la fille de Lilith Cobalt puisse ainsi se confier à elle. Loin d’en être fière, elle en était désolée. Ses réactions en disaient long sur sa vie familiale et si elle avait cru impossible de tomber encore plus en amour avec cet adorable pour de femme, elle s’était grandement fourvoyée. Il y avait une honnêteté dans ses propos qui touchait droit au cœur. Elsa-Mina se retrouvait sans voix face à la vulnérabilité de la princesse de ces lieux.

« Cali... » Elle soupira, laissant transparaitre un sourire. « Évidemment. Je vous le promets. » Comment pourrais-je te refuser quoi que ce soit ?

Était-ce réellement aussi simple ? Non, clairement pas. Si la prison de Borao était parmi les plus humaines de Cinza, elle restait ce qu’elle était, un lieu de misère dédié à punir le mal. Ou du moins à garder hors de la société les personnes ennuyantes. Et avec la politique d’austérité que Luciano avait imposé à l’homme concerné… Non, les choses ne pouvaient rester telles quelles. Enhardie par la discussion, elle sentait une détermination l’enivrer comme elle n’avait pas connue depuis des années. Elle aurait presque sauté dans le premier taxi pour foncer tout droit dans sa cellule.

« Gardez votre cœur pour le Roi. Je suis sûre qu’il saura le protéger jalousement. Je me contenterais de votre bonheur à tous les deux, d’accord ? »

C’était réellement tout ce qu’elle souhaitait au final. Une chance de la mettre à l’envers au système, de dire : « Regarde ! Regarde cet amour que tu ne briseras pas ! Regarde-le s’épanouir comme les fleurs au printemps ! Et supplie qu’ils te pardonnent un jour tes offenses ». Comme une vengeance, un cri d’espoir. Il y en avait si peu de nos jours.

Mais cela serait pour plus tard. Elles avaient un évènement de charité qui les attendait et Elsa-Mina s’en voulait un peu d’avoir abandonné le pauvre Wesker à la foule. Surtout qu'elle n'avait pas été plus éclairée quant à sa relation avec la demoiselle. Elle craignait aussi que leur absence prolongée ne se fasse suspicieuse mais, vu l’état de Cali, il était hors de question de retourner là-bas comme ça.

« Est-ce que vous avez besoin d’un peu plus de temps ici ? Il doit bien y avoir un verre qui traine… »

Elle jeta un coup d’œil aux alentours. Abandonnées près d’un évier, quelques couverts attendaient sagement de se rendre utile. Elle alla attraper un verre, vérifiant qu’il avait l’air propre, avant de le remplir d’eau. La tuyauterie râla un peu mais finit par s’accommoder.

« Dès la soirée terminée je rentre à Borao. Je devrais pouvoir obtenir une visite assez rapidement. Est-ce que vous voulez mon numéro au cas où ? »

Elle lui tendit le verre. Quand pourra-elle la revoir ? Pas assez tôt malheureusement. Elle espérait au moins pouvoir garder le contact même si elle craignait que Lilith n'ait la merveilleuse idée de mettre son nez dans les affaires de sa fille.

« On va s’en sortir. »

C'était plus un encouragement qu'une affirmation mais parfois ça faisait du bien de le dire à voix haute.

Cali essuya ses larmes. Brave comme nulle autre, cette fille. Déjà elle remettait son armure, ce sourire qu’elle avait poli depuis des années. Doux comme la rosée, aussi furtif qu’elle, aussi. Précieux. Rare. Il accompagne ses paroles pour emporter le cœur d’Elsa-Mina. Elle n’avait pas été ainsi happée par un être depuis la naissance d’Aro, depuis Foldo. En Cali, elle voyait une âme jumelle. Sa solitude, enfin comprise. La discussion avait un sens, les mots pouvaient être dits, sans jugement. Honnêtes.

Elle la laissa partir, se perdre dans la foule avec regret. Elle brillait parmi toutes ces choses qui voulaient la dévorer. Les invités semblaient se resserrer sur elle, dans leurs sourires et leur murmures un secret pouvait se faire entendre. Allen était sur la scène. Petit pantin articulé qui a si tôt fait de réciter ce qui lui a été donné. Tout comme Cali il a son rôle à remplir pour que la tragédie soit entière. Dans toutes les pièces, il y a ce moment d’espoir. Il est particulièrement important, sans lui l’œuvre perd tout son sens. C’est l’espoir qui fait de ce moment une tragédie. On se dit que tout est possible, que tout peut changer. On s’y accroche avec violence et rage alors même que cette vérité s’effrite sous nos doigts.  

Elsa-Mina regarde Cali. Si jeune, si fragile. S’avancer sur l’échafaud. Cette scène vers laquelle tous les regards se tournent, le souffle coupé, la gorge serrée. On sent les frissons parcourir les corps, l’anticipation de la grande révélation. Celle-ci ne vient pas dans une explosion mais dans un souffle, un rire, une blague dite à demi-mot. Par le temps que Cali accepte de sceller son destin, les larmes mouillent déjà les joues de la Viridis. C’est une excellente spectatrice. Elle se laisse emporter dans l’émotion, disparait dans les applaudissements de la foule. Elle ne sait que trop bien ce que cela veut dire. Cali a fait son deuil.

Elle fuit les lieux sans un aurevoir. Elle sait qu’elle porte avec elle l’Espoir. Celui avec un grand E. Jamais elle ne s’était imaginée autrice. Poser sur l’encre des idées, peindre un monde pour le faire danser à son image. Pourtant aujourd’hui elle aurait bien pris la plume. Elle aurait rayé les Allen pour les remplacer par des Liam, elle aurait rajouté quelques lignes dans les dialogues de Lilith. Des je t’aime et je suis fière de toi. Elle aurait effacé son rôle parce qu’elle préfère être inutile que porteuse de désespoir. Elle sait qu’elle n’y peut rien. Tout est déjà écrit et elle n’a pas d’encre à son nom.

Elle n’appelle pas Luciano tout de suite, elle sait qu’il sera là pour elle, les bras ouvert et toute son attention disponible. Son sanctuaire, sa bouée dans la tempête. Elle a besoin de lui, mais elle a aussi besoin de jouer son rôle, aussi petit soit-il. En tant que personnage secondaire, elle se doit de jouer ses cartes avec patience. Elle n’a pas le bénéfice du doute, ne l’a jamais eu. Le taxi file à toute vitesse, on ne lui demande pas ce qu’il s’est passé mais on lui tend des mouchoirs et un sourire bienveillant. Horatio est à l’autre bout du fil. Son chevalier roux est prêt à se battre pour elle. Il ne restait plus qu’à convaincre le dragon.

Le trajet est long. Trop long, elle a le temps de réfléchir. De repenser à ce qu’elle a dit, ce qu’elle aurait pu dire et ce qu’elle dira. Elle a le temps de penser à lui et au lit solitaire qui l’attend. On dit que la douleur s’estompe avec le temps. Que les cicatrices se referment. On ne dit pas que l’on finit par se taire, tout prendre sur soit pour ne pas déranger avec sa douleur. Une vie n’est pas quelque chose que l’on peut oublier, ou remplacer. Ce n’est pas une perte qui peut s’estomper, ça ne va pas mieux. Ça n’ira jamais mieux. Les mains tremblantes, elle envoi un premier message pour inaugurer la discussion avec Cali. Elle y réfléchit longtemps. Efface et recommence. Rien ne la satisfait. Au final, elle écrit ceci :

« Merci pour la soirée. Je pense à vous. De tout mon cœur, Elsa-Mina. »