Ces jours ci je n'aime pas être à la maison. Je n'aime pas avoir l'esprit libre, le temps encore moins. Mais il le faut, j'ai des responsabilités. J'ai choisi de les assumer moi-même et, à présent, j'aimerais ne pas le regretter, mais c'est compliqué. Le quotidien n'est plus le même et des présences additionnelles partagent mon foyer : Emily et Robin, les Pokémons de Liam. C'était mon initiative de demander à Luciano Viridis de me les confier pour qu'ils aillent bien, pour qu'on prenne soin d'eux et, surtout, pour que leur dresseur puisse les retrouver lorsqu'il sera en mesure de le faire. L'alternative est un résultat que je ne me pardonnerais jamais. Que je ne pourrais jamais endurer. Déjà que ce qui l'a précédé est bien assez assassin en soi.

Du côté de ma propre équipe, je crois que le plus grand changement a eu lieu, étrangement, chez Echidna. La nidoqueen que j'ai adoptée au refuge de madame Da Rocha, celui-là même où les deux enfants du Zekrom ont atterrit, connait un peu trop bien la douleur du duo. C'est que, avant d'être prise sous mon aile, elle-même appartenait à un dresseur du monde Underground. La reine bleue avait vu plus que sa part de combats et, surtout, avait parfois cet air mélancolique que je ne pouvais que constater avec tristesse. De retour au temps présent, donc, elle paraissait profondément compatissante à la douleur d'Emily et, plus souvent qu'autrement, tentait de rester près d'elle comme pour lui tenir compagnie.

Puis, bien sûr, il y avait Hel. Cette dernière était totalement et irrévocablement sous le charme de Robin. Elle le suivait à toute heure, lui faisait la toilette sitôt qu'il était à sa portée et s'extasiait chaque fois qu'il faisait ses petits tours de passe-passe illusoires. De mauvaise influence, elle s'est assise sur la coiffeuse pour regarder le petit numéro de sa nouvelle star préférée et, connaissant les recoins de ma chambre par coeur, se permet de sortir des crèmes, des poudres et autres outils de maquillage d'un peu partout pour les proposer au Zorua. Je ne suis, dans l'instant, pas là pour les arrêter. Où suis-je donc ? En chemin, c'est déjà ça.

Je suis allée faire un tour en ville, à l'appartement de mon frère et, jusqu'à tout récemment, de celui qui brille par son absence. Ce n'est pas parce que leur vie a été chamboulée que je ne peux pas faire de mon mieux pour leur faire retrouver un semblant de normalité. J'ai donc dû fouiller et ait assemblé mon butin que j'ai tout jeté dans la bassine vide d'Emily. Au final j'ai mis la main sur plusieurs jouets, essayant d'opter pour ceux qui semblaient le plus utilisés, incluant une jolie peluche toute mignonne. J'ai même volé l'une des couvertures de Liam pour leur ramener son odeur et une paire de hoodies... totalement pour eux aussi. Je n'aurais rien pris pour moi, voyons. Ahem. Au moins j'ai réussi à trouver ce que j'ai identifié comme le sac de nourriture de Robin et... et... Oh bon sang. Jamais je n'avais réalisé ce que ça mange, des grenouilles. Le petit vivarium avec les criquets dedans là, j'admets, j'étais pas prête. T'avais ça chez toi tout ce temps là, mais comment tu pouvais vivre dans ces conditions ?! Ha... haha... Maintenant c'est mon tour. Hors de question que j'y touche par contre. Je veux bien porter tout le reste, quitte à presque plier en deux parce que c'est incroyablement lourd et que je ne suis pas très forte, mais c'est mon bras-droit qui s'occupera des insectes. Qui ça ? Lucifer, évidemment. Son regard de dédain vaut de l'or et je serais bien tentée de me moquer de lui si je n'avais pas autrement peur qu'il me la lance dessus pour mieux se délester les pattes.

Lorsque mon chauffeur me voit redescendre, via l'ascenseur heureusement, il se précipite pour me donner un coup de main et me demander si Adonis revient vivre à la maison. J'évite les interrogations avec un rire nerveux et, en deux temps trois mouvements, je suis enfin en route pour le manoir Cobalt. Je décide au dernier moment, malheureusement pour le pauvre homme qui insiste pour m'aider et, surtout, pour mon dos qui crie au meurtre, de finir le trajet jusqu'à ma chambre en solitaire, avec mon matou. Pourquoi ? Disons que j'ai comme un pressentiment qui est lié précisément à la raison pour laquelle je n'aime pas être chez moi dans l'immédiat. Un pressentiment qui s'avère être correct, lorsque je gagne ma chambre.

« Je suis rentrée avec des petites sur.... ! ....prises... »

Il est là. Assis devant ma coiffeuse comme si de rien n'était. Mon coeur se brise, s'affaisse. Hel, prise la main dans le sac, a le réflexe de déserter les lieux en allant se cacher sous un bureau, pour laisser Robin se faire engueuler tout seul. Parce que je le devrais. C'est risqué, ce qu'il fait. Si on le surprend sous cette forme ici... Mais je comprends. Moi aussi il me manque. Moi aussi ça me fait du bien de voir son sourire dans mon miroir. Même si c'est douloureux. Même si ça me noue la gorge. Difficile de vraiment lui en vouloir dans ces cas là. Alors je m'adoucis, m'approche de lui avec gentillesse et passe une main dans sa crinière d'améthyste.

« Maintenant que je suis là je peux te brosser, si tu veux. Mais je ne brosse que les gentils petits renards, pas les grands monsieurs. Puis, après, tu pourras aller jeter un oeil à ce que je t'ai ramené. »

Pendant ce temps, le monarque de ces lieux a lui aussi fait son entrée et, pour sa part, il se dirige vers la grenouille ninja avec l'aplomb d'une dame dans la quarantaine qui veut parler au manager. Il dépose la jarre devant elle et, après un regard de t'es encore pire que ce que je croyais, il fait volte face et va s'installer sur le lit, pour se nettoyer les pattes tel un petit prince maniaque de la propreté. On ne s'ennuie plus chez les Cobalt en tout cas.

Le soulagement est réel lorsque le Zorua reprend sa forme. Lorsque Liam disparait et que je n'ai plus à voir ce sourire qui ne lui allait pas de toute façon. C'est un imposteur et, si j'aimerais me laisser bercer d'illusions, je connais trop bien l'original. Je l'ai admiré trop de fois. J'ai baigné dans la chaleur de ses expressions, de ses mimiques et de ses regards pendant juste un peu trop longtemps pour me faire avoir. Alors je préfère qu'il disparaisse. Je préfère vivre dans la réalité aussi douloureuse soit-elle. Puis au moins, en attendant, j'ai droit à un petit renard tout adorable qui me saute dans les bras.

« Tu es quand même beaucoup plus mignon comme ça. Oh, mais ça doit rester entre nous, sinon Liam sera jaloux ! »

Il a déjà réussi à l'être d'une peluche alors de son pokémon ? Je l'en crois capable. Ça ne m'empêche pas de dire à Robin à quel point je le préfère comme ça. J'essaie de lui faire comprendre que c'est mieux, que ça me plaît plus. Qu'il m'apporte tout autant, sinon plus, lorsqu'il est simplement lui-même. Je sais ce que ça fait de jouer un rôle, de se plier à ce que l'on croit que les autres attendent de nous. Je n'ai pas envie de ça pour lui. Je veux qu'il se sente aimé tel qu'il est, sans besoin de changer. Ça aussi, mine de rien, ça me rappelle quelqu'un.

Au moins le renard fantomatique a le don de me changer les idées puisque, tout énervé, il quitte mes bras aussi vite qu'il les a rejoint et... c'est la catastrophe. Il y a de la poudre partout ! Et elle vaut cher cette satanée poudre ! Valait, en l'occurrence. Je me demande si je peux en sauver une partie ? Au moins celle qui est encore sur mon bureau peut-être ? Erh, à quoi je pense moi ? C'est pas l'important. C'est juste du maquillage et je peux en racheter. Alors je respire un bon coup, récupère ce qu'il reste de la boite de poudre pour mieux la refermer avec un sourire découragé. Je n'ai pas le coeur à être vraiment de mauvaise humeur. Je n'ai pas le coeur à lui faire de grosses remontrances. Alors, dans l'immédiat, on se contentera de ça :

« Si tu voulais te faire pomponner tu pouvais juste demander tu sais. Enfin, là je suppose que je n'aurai pas le choix, il faut te donner un bain ! Mais avant ça... »

J'ai une autre invitée, il n'y a pas que Robin ici ! Même si la grenouille m'intimide, je l'admets. J'ai peur de ne pas être à la hauteur. J'ai peur qu'elle m'en veuille ou que je n'arrive jamais à la réconforter vraiment. Je comprendrais parfaitement puisque Liam est son monde, tout comme il était en train de devenir le mien. Rien ni personne ne pourra jamais prendre sa place ou nous faire l'oublier et ça ne facilite pas les choses, loin de là. Au moins elle semble contente de retrouver certains de ses effets personnels et, encouragée par cela, je vide le contenu de la petite bassine sur le dessus de mon lit. Pendant ce temps, Echidna semble heureuse de voir que la ninja se déride un tout petit peu et lui offre ce qui ressemble à un sourire allié à un doux regard maternel qui dénote sa propre joie. Un échange potentiel auquel je coupe court malgré moi, revenant pour poser la mini piscine devant l'amphibien.

« Alors ! Comment vous faites les choses d'habitude ? Je te mets de l'eau dedans ou tu t'en occupes ? Il faut mettre un truc genre des bulles ou une arôme ou tu préfères l'eau tout court ? Enfin, t'es un pokémon eau donc tu gères sans doute... mais ça a l'air de pas mal d'eau à produire pour une seule grenouille et le but c'est pas de te déshydrater, au contraire même. Alors voilà, guide moi pour qu'on t'installe confortablement et ensuite je vais donner le bain à ton petit frère ! »

Je veux tellement bien faire. Même si Emily ne doit jamais m'apprécier alors, au minimum, j'aimerais qu'elle soit bien. Confortable. Qu'elle ne manque de rien et que les choses soient bien faites, comme elle les aime. Le soucis c'est que, de ce que je constate, ma façon de faire n'est pas au point. Elle s'impatiente, n'a pas envie de coopérer. Elle préfère s'occuper d'elle-même, fière et indépendante. Je culpabilise un peu, j'ai l'impression de ne pas être à la hauteur. Peut-être que, finalement, elle serait plus heureuse avec quelqu'un d'autre. Avec Adonis peut-être ? Probablement. Mais à peine ai-je lâché mon soupir que notre second invité vole à ma rescousse.

Ce n'est pas la première fois qu'il me défend, d'ailleurs. Je me souviens de cette fameuse nuit dont j'avais tout fait pour oublier le début, celle où Robin, sous la forme de son dresseur, avait choisi d'encaisser l'un des jets d'eau de la ninja à ma place. Si l'acte n'est pas aussi héroïque cette fois, je n'en suis pas moins touchée de le voir faire ce que j'imagine être des remontrances à son aînée. Enfin, je ne veux pas non plus donner à la grenouille l'impression que nous sommes à deux contre elle ou qu'elle est forcée de s'ouvrir à moi. Ça prendra le temps qu'il faut et, même si au final elle ne m'apprécie jamais, alors tant pis. Au moins j'aurai pris soin d'elle. Au moins Liam n'aura pas à s'inquiéter pendant qu'il est... ailleurs.

« Ce n'est pas grave, Robin. Elle doit être fatiguée elle aussi, laisse la se reposer et vient plutôt me dire à quelle température toi tu préfères ton eau. »

Le canidé s'exécute, tout docile et gentil qu'il est. Ça me facilite beaucoup la tâche et, je l'admets, je lui en suis reconnaissante. Même si, au fond de moi, je me demande combien de temps ça durera. Combien de temps avant qu'il ne réalise la vérité, l'absence de Liam. Quand il comprendra qu'il n'est pas ici pour un weekend ou même pour une semaine. Je n'ai pas hâte d'y être et, pour mon plus grand soulagement, je n'ai pas l'occasion d'y réfléchir trop longtemps. D'une autre habile transformation, le renard me demande où est Hel, sa nouvelle compagne on dirait bien. J'ai à peine le temps de me retourner et d'appeler.

« Hel chérie ? »

Et hop, elle est arrivée à la course, a sauté dans le bain quitte à pratiquement se vautrer dedans. Mais elle est fière et jolie alors, forcément, elle se redresse, replace son oreille d'une patte royale et, sans plus attendre, se frotte tout le corps à celui de Robin. Super, maintenant elle est sale aussi. Incorrigibles ces deux là... mais aussi incroyablement mignons.

« Je suis ravi d'enfin faire votre connaissance, Cali. Et bon anniversaire. »

Qui me parlait ? Allez, pour la gloire de l'art du copypasta. C'est le seul, l'unique. Allen Wesker, 26 ans, deuxième fils d'un magnat de l'immobilier de San Camari et, accessoirement... Celui qui venait de m'offrir un bouquet de roses pour mon anniversaire qui marquait, également, notre toute première rencontre. Je l'avais froidement remercié et, dès que j'en avais eu l'occasion...

« Je reviens. Je vais aller les mettre dans un vase. »

Mensonge éhonté puisque j'avais plutôt grimpé les marches au petit pas de course, prenant la fuite avec mon fardeau qui était plus épines que roses en mon coeur. Puis, une fois dans ma chambre, je ne m'étais pas fait prier pour jeter l'entièreté de ce cadeau à la poubelle, poussant bien sur le couvercle pour les oublier et me frustrant lorsqu'un pétale tomba en dehors. Saleté de fleurs. Au moins je ne les vois plus, même si je les sens encore. En proie au désespoir, il n'y a qu'une seule chose qu'une princesse comme moi peut encore faire : se jeter dramatiquement au travers du lit et pleurer toutes les larmes de son corps. Je ne pense même plus, dans l'immédiat, aux habitants de la chambre. Je pense juste à cet imbécile. Non, pas celui que je viens de rencontrer. Celui qui n'est pas là, avec moi. Celui avec qui j'aurais voulu célébrer mon anniversaire. Celui qui me manque en cet instant plus qu'en tout autre.

Évidemment que ça finirait par se produire, je le savais. Avant même d'en arriver là où nous en étions avant que Liam ne soit arrêté, je le savais. Je l'avais dit, même, lors de ce date raté avec Aaron Sunderland. À ce moment là c'était encore mon initiative, encore mes tentatives à moi de trouver quelqu'un d'à peu près correct qui, au moins, aurait été choisi par mes soins plutôt que par ceux de ma mère. Puis j'ai réalisé mes sentiments, j'ai fini de sombrer d'amour pour le King et, de là, je m'étais condamnée toute seule. Ce n'était qu'une question de temps avant que nous ne soyons rattrapés par la réalité et, maintenant qu'il était plus que jamais impossible pour moi de faire valoir mon choix, ma mère avait finalement intégré la partie. Allen avait été son choix à elle et, dans les circonstances, je ne me voyais aucune porte de sortie.

Au moins je ne suis pas seule, loin de là. Je suis très bien entourée et, en son absence, ce sont les pokémons du violet de mon coeur qui décident de prendre le relai pour me réconforter. Le petit museau humide du renard me fait d'abord relever la tête et je culpabilise de pleurer devant lui. De l'inquiéter comme ça alors que son grand coeur de Zorua a déjà bien assez souffert sans devoir se soucier du mien. Alors je passe la main dans sa fourrure, j'essaie de forcer un sourire qui n'est que peu convaincant.

« Désolé Robin... c'est rien... Ça va passer tout seul. »

Un mensonge, je le sais. Les choses ne peuvent qu'aller en empirant. Je vais devoir passer du temps avec ce type, en plus de mes autres responsabilités, de mes répétitions de danse et de coordination. De mes déplacements, aussi, parce que je ne me donnerai pas en spectacle qu'à Sercena. Ce sera de plus en plus difficile de m'occuper de ces deux-là comme il faut. Bien sûr je pourrais simplement les intégrer officiellement à mon équipe. Je pourrais faire croire que ce sont les miens, les trimballer à droite et à gauche comme je le faisais avec Lucifer, Hel et Echidna. Sauf que ça ne me paraissait pas juste. Que je ne pouvais m'empêcher de me demander si, vraiment, ça les comblerait.

Et là je la remarque. Oui, tardivement je l'admets. Avec la grosseur de cette énorme peluche c'est quand même gros qu'elle me surprenne, mais passons. Il me faut un moment pour remarquer la grenouille qui trimballe l'Ectoplasma factice et me l'offre. Cet objet qui, pour moi, représente pratiquement Liam lui-même. Je sais que la symbolique échappe probablement à la shinobi, mais pas à moi. Et puis même sans ça, le geste n'est-il pas incroyablement adorable ? Incroyablement bienveillant ? C'est bon je craque. Après des semaines à m'occuper de la grenouille, à avoir peur qu'elle me déteste ou me méprise ou m'en veuille pour les avoir séparés de Liam... C'est bon, c'est trop pour moi.

« Emily... ! »

J'ignore totalement Hades, la peluche on le rappelle, pour plus serrer contre moi celle qui n'a rien demandé et qui doit, tout d'un coup, vachement s'en mordre ses petits doigts palmés.

« Merci, merci infiniment ! J'avais tellement peur que tu me détestes ou... ou d'avoir mal fait un truc je sais pas. Je suis tellement chanceuse de vous avoir tous les deux avec moi. Quoi qu'il arrive à partir de maintenant, n'oubliez pas que je vous aime, tous les deux, du fond du coeur. Tout autant que j'aime Liam. Et seulement Liam. »

L'autre c'est un imposteur. Un sale copypasta que je n'ai pas choisi et qui jamais ne pourra voler cette place en mon coeur. Je veux qu'au moins eux le sachent, à défaut de pouvoir le lui dire à lui.

Sous l'émotion je me suis peut-être un tout petit peu laissée emporter. Que voulez vous, il m'arrive à moi aussi d'avoir des débordements et le geste de la grenouille ninja avait été si adorable, si bienveillant, que je n'avais pas pu résister. C'est lorsque je sens sa petite patte me tapoter maladroitement la tête que je me reprends, soudainement gênée de mon propre geste. Je m'empresse donc de la libérer, me tapotant le coin des yeux pour sécher mes pleurs en dérangeant mon maquillage, fort heureusement hydrofuge, le moins possible.

« Oui, désolé, c'est vrai. Pas de câlins pour les féroces guerrières. »

Parce que, mine de rien, c'est important de respecter ses barrières et de ne pas la forcer. Pokémon ou humain, j'estime que c'est pareil. Si Emily n'aime pas être touchée alors je n'ai pas à le faire contre son gré. Bon, là j'ai fait une bêtise, mais je me promets de faire plus attention la prochaine fois. Je veux qu'elle soit confortable, heureuse et épanouie autant que possible, même si je sais que je n'y arriverai jamais totalement. J'ai bien compris ce que Liam voulait dire, à présent, en disant que certains Pokémons affectionnaient eux-mêmes les combats. C'est quelque chose que je ne pourrai malheureusement jamais lui offrir. Même si c'était légal je pense que, en toute honnêteté, je ne pourrais pas me résoudre à employer quelconque Pokémon dans le cadre d'un combat sauf, bien sûr, en cas de légitime défense. Sans compter que je n'ai pas l'expérience de Liam, que je ne saurais pas où aller, que je ne saurais pas quels ordres donner. Que je ne réagirais peut-être pas assez vite. Puis j'ai beau avoir été présentée à ses hommes, ça en ferait sans doute maugréer plus d'un de me voir maladroitement essayer de faire combattre les Pokémons de leur Boss. Enfin, le Pokémon. Robin c'est hors de question. D'ailleurs, en parlant du renard...

« Robin ? »

L'illusionniste revient tout juste dans la chambre et je m'inquiète déjà à l'idée qu'il ait pu être aperçu à l'extérieur. Inquiétudes qui sont vite remplacées par d'autres lorsque son plan démoniaque s'exécute et que, soudainement, une grande silhouette aux cheveux blancs se trouve dans ma chambre. Je ne peux m'empêcher de déglutir, soudainement mal à l'aise. C'est Robin, c'est juste Robin. Allen n'est pas vraiment dans ma chambre et, si j'ai quelque chose à en dire, il ne le sera jamais. Dans l'immédiat, les autres habitants de la chambre ont été eux aussi réveillés par mon arrivée dramatique et mon duo de petits quadrupèdes montent eux aussi sur le lit. Il n'y a qu'Echidna qui reste à l'écart, levant tout juste la tête sans pour autant quitter son grand lit rien qu'à elle.

« Oh Robin, je ne sais pas si c'est vraiment une bonne idée... »

Que j'essaie de faire comprendre pendant qu'il s'admire dans la glace. C'est malheureusement sans compter sur ma givrali qui, évidemment, ne peut s'empêcher de glapir pour encourager les mauvais coups de son petit chéri. Il n'y a que Lucifer pour rejoindre mon avis et celui d'Emily, décochant au double un regard l'air de dire : j'arrive pas à le croire, par ta faute je suis d'accord avec le crapaud. Son public à présent assemblé, Robin met son plan à exécution et, si je suis d'abord sceptique, le voir faire toutes sortes de simagrées à rapidement raison de mon sérieux. C'est que, même si j'ai honte de l'avouer et de le montrer, moi aussi j'aime bien me moquer de mes prétendants nuls à chier qui n'arrivent pas à la cheville de Liam.

Alors je finis par devoir plaquer ma main contre ma petite bouche pour étouffer un pouffement de rire. Tous n'ont pas cette même retenue néanmoins puisque ma givrali sautille carrément sur place, à deux doigts de rejoindre elle-même le numéro de notre artiste du jour pour en rajouter une couche. Lucifer, blasé, remarque mon début de rire et, comme convaincu, tape doucement ses pattes ensemble, comme pour faire un slow clap qui semble être offert à regret. Et moi ? J'essaie de tenir bon, mais c'est compliqué. Il l'imite à la fois si bien et si mal. Puis l'attention est si gentille, si adorable. Ça me donne envie de me laisser prendre au jeu, j'avoue.

« Oh oh ! Tu devrais lui faire de plus grandes oreilles ! Ou un très grand nez ! Tu as un réel talent d'acteur mon petit Robin, je devrais t'embaucher pour nos numéros de coordination. »

Si j'étais d'abord sceptique et inquiète, ces sentiments s'envolent rapidement au profit de quelque chose de bien plus léger et, surtout, de beaucoup plus positif. Mes mains ne quittent bientôt plus mes lèvres alors que j'essaie d'y étouffer mes rires. De les retenir pour éviter qu'ils débordent. Je n'ai pas envie d'attirer l'attention, qu'on vienne voir ce qui se trame ici. À côté, Hel a les yeux brillants d'admiration et, lorsque le renard reprend sa forme de petit canidé, elle s'empresse d'aller le rejoindre pour lui lécher le front affectueusement en guise de remerciement ou simplement d'affection. C'est rendu encore plus mignon par le fait que la givrali est plus grande que lui, pour l'instant. Tout ceci étant dit, l'artiste en herbe n'en a pas terminé et c'est sans se départir de l'audace qui lui vient fort probablement de son dresseur qu'il kidnappe un ruban et se lance dans son prochain numéro. Mon premier instinct est de lui dire de faire attention, de l'arrêter peut-être, mais je n'y arrive pas. Je m'en voudrais, au fond. Alors je fais l'inverse. Je fais la meilleure chose.

« Tu es un petit renard bourré de talents dit donc ! »

Mais le talent n'est malheureusement pas à la hauteur de son enthousiasme et le numéro improvisé se termine donc presque aussi vite qu'il a débuté. Hel a un petit mouvement de recul, au moment de l'impact du renard par terre. Un peu comme si elle avait eu mal pour lui. C'est donc moi qui m'approche avec douceur, les lèvres toujours étirées en un vague sourire. C'est tendrement que je m'affaire à le dépêtrer, faisant au passage attention à ne pas abîmer le ruban de gymnastique bleu poudre.

« Tout va bien, je m'en occupe. Ne bouge pas. Et ce n'est pas grave tu sais. Dans la coordination c'est important de faire des numéros qui prennent en compte les forces et les faiblesses de chacun. C'est comme ça que l'on fait vraiment briller une star et toi, mon cher Robin, tu as un très bel avenir devant toi dans le métier ! »

L'avenir... Je regrette d'en avoir parlé, même aussi distraitement. Même sur un ton plein d'espoir. Ou peut-être, justement, parce que j'en ai parlé ainsi. D'autant plus que, en temps et en heure, l'histoire me donnerait tort. Emily et Robin n'étaient pas destinés à rester en ma possession pour très longtemps encore, pour mon plus grand malheur.

Je devrais vraiment songer à passer le permis moi. C'est ce que je me dis alors que mon chauffeur le plus loyal se gare dans le coin le plus louche de tous les environs de Sercena. L'endroit où Liam m'a amenée, ce soir-là, pour me présenter à sa Team Zekrom et mettre notre amour à l'épreuve pour la première fois. L'employé doute, surtout lorsque je sors la petite bassine pleine d'items à moi toute seule. Il aurait bien envie de me suivre ou, au minimum, de me décourager totalement de faire ce que je suis en train de faire. Mais il est trop tard pour ça, beaucoup trop tard.

Ce matin je suis rentrée d'un weekend à San Camari. Un long weekend. Quatre jours hors de la ville durant lesquels j'avais travaillé comme une forcenée, ne profitant que de rare moments de repos dans lesquels j'étais forcée de socialiser avec Allen et sa famille. Tout le long j'avais pensé à Emily et à Robin, j'avais culpabilisé. Surtout que, la semaine d'avant, j'avais été coincée dans les shootings photos et dans la préparation d'un énième gala de charité. Au final j'avais l'impression de manquer à mes devoirs, de ne pas être aussi présente que je ne le devrais. C'est que passer de trois pokémons à cinq, tout d'un coup, c'est compliqué. Surtout quand l'un d'entre eux s'amuse à prendre l'apparence d'un individu qui ne doit vraiment pas être aperçu avec moi chez les Wesker, si vous voyez ce que je veux dire. Alors j'ai fini par me résigner à l'évidence. Par accepter qu'il valait mieux faire valoir leur bonheur avant le mien. Avant mon ego aussi. Je vais aller retrouver Dan, je vais les lui confier. Comme ça ils seront en territoire familier, avec des amis, et pourront même reprendre les combats Pokémons s'ils le désirent après plusieurs mois de privation. Et, l'avantage, c'est qu'ils seront quand même en sureté et que, si un jour leur dresseur est en mesure de le faire, il pourra facilement les retrouver.

« Préparez-vous, d'accord ? Ce soir, quand il fera nuit, on va faire une petite sortie. On va aller voir votre ami Dan. Il ne faut rien oublier ici, d'accord ? »

C'est ce que je leur avais dit, n'ayant pas le coeur à poser les termes exacts. Sauf qu'on y était à présent. Que la nuit était tombée et que je laissais sortir Echidna de sa balle, pour m'aider à porter les effets du duo. Certes c'était risqué, mais la Nidoqueen n'était pas mon Pokémon le plus connu, loin de là. Avec un peu de chance ça passerait. C'est ce que j'espérais, en tout cas, en chassant mon chauffeur. Je lui enverrais un message lorsque viendrait le moment de revenir me chercher. Ça ne lui plaisait pas, mais il n'avait pas trop le choix.

Seule dans la pénombre, j'avais enfilé ma casquette et relevé mon masque pour dissimuler le bas de mon visage, ne laissant apparaître que mes grands yeux bleus sous ma visière. La reine bleue me suivit jusqu'à l'orée des passages creusés à même la montagne et c'est là que, nerveuse, je laissai sortir Robin et Emily de leur balle respective. Nous y étions à présent. Il était trop tard pour reculer et je ne pouvais qu'espérer que le grand blond soit là. Nous étions quand même le quatorze alors peut-être que, contrairement à moi, il avait quelqu'un avec qui fêter. Nous verrions bien lorsque nous y serions.

« Vous connaissez le chemin ? Je vous suis. »