Murmures Sylvestres

« Ne croyez rien de ce que vous entendez, et seulement une moitié de celle que vous voyez » (Edgar Allan Poe)

Forêt Ucaya, Août 2022
Après les découvertes liées à l’Île aux Monstres
Trois mois avant le Dia de los Muertos

C’était ici que Luciano avait fait la rencontre de Gare à Toi, et Foldo celle de Vaillant. Les deux garçons avaient croisé ce jour-là la route d’une amitié née bien avant leur arrivée, une amitié qui avait perduré encore et encore, unissant les deux pokémons en un lien indéfectible qui n’avait jamais cessé d’exister. Aujourd’hui encore, malgré la disparition de Vaillant, Luciano pouvait voir Gara scruter le ciel de temps à autre à la recherche de son ami perdu, de cette moitié que l’intendant n’avait jamais su retrouver pour eux, pour elle. Seul dans cette forêt où la Lougaroc pouvait s’ébattre, Luciano avait laissé son esprit divaguer et se perdre dans les souvenirs de cette période qui semblait appartenir à une autre vie. Combien de temps se laissa-t-il errer sans vraiment en avoir conscience ? Longtemps sans doute, et il fallut l’intervention de Gare à Toi pour le sortir de cette torpeur dans laquelle il s’était plongé corps et âme.

Du mouvement attira finalement son attention quelque part dans la forêt, et les grondements de mécontentement qui s’en suivi lui annoncèrent que la Lougaroc avait fait la rencontre de la faune locale. Qu’avait-elle fait encore ? Luciano ne la voyait pas, mais cela ne l’empêcha pas de l’interpeller.

« — GARA ! » gronda-t-il à travers la forêt.

Luciano quitta le sentier à la recherche de la louve et bientôt, il tomba sur une jeune femme aux cheveux blonds, muni d’un appareil photo dont l’usage ne faisait aucun doute. Gare à Toi avait-elle fait irruption dans le tableau de la photographe ? Luciano le devinait aisément et un instant, l’homme s’en trouva navré, désolé. Non sans gratifier au préalable la Lougaroc d’un regard réprobateur, l’intendant reporta finalement son attention sur la jeune femme dont l’identité ne lui apparut pas immédiatement. Il fallut attendre les paroles de la fille et leur étrange familiarité – qui était-elle pour le tutoyer et l’appeler par son prénom ?! – pour voir sa mémoire lui revenir.

« — Perle Asterope » prononça-t-il en guise de salutation.

Trop affairé à détailler la jeune fille, Luciano en oublia de lui répondre.

Luciano Viridis n’avait pas oublié la fille de Thorben Asterope, l’ancien champion de San Camari qui, en des temps qui lui paraissaient désormais bien lointains, avait fait partie du cercle restreint des dresseurs estimés par Foldo Viridis. Fiers des valeurs qu’ils partageaient, les deux hommes s’étaient plu à devenir amis et, de fils en aiguille, l’ancien champion et sa fille avaient fini par rencontrer le reste du clan Viridis, Milano et, évidemment, Luciano. Après la Nova Existência et l’arrestation de Thorben, la fille Asterope s’était retrouvée livrée à elle-même et incapable d’abandonner la fille d’un ami cher à son frère, Luciano avait fait en sorte de lui faciliter la vie, jouant de ses relations pour lui offrir l’esquisse d’une vie. Si l’intendant ne s’en était pas chargé lui-même, l’homme y avait veillé de loin dans le secret le plus total, et loin d’avoir eu conscience de l’existence de ce bienfaiteur anonyme Asterope avait fait son bout de chemin, seule.

Luciano n’avait jamais eu l’occasion de croiser de nouveau la jeune fille, pas depuis la Nova Existência. Pourquoi l’aurait-il eu ? Une part de lui ignorait également quel sentiment la fille Asterope entretenait à son égard … la détestait-il, comme la plupart des gens à Cinza ? Luciano faisait partie de ceux qui avaient permis à la Team Plasma de prendre possession de la région après tout. Indirectement, l’homme était responsable de l’arrestation de Thorben, pourtant en découvrant sa présence la fille était restée calme, maître d’elle-même. Pourquoi ?

« — Vous avez grandi » fit remarquer l’intendant.

Bien sûr qu’elle avait grandi. Combien de temps s’était écoulé depuis la dernière fois qu’il avait posé les yeux sur elle … 5 ans ? 10 ans ? Du coin de l’œil, désormais discrète mais pas moins présente, Luciano aperçut Gare à Toi s’approcher de la jeune fille et flairer son matériel.

« — J’espère que Gara ne vous a pas importuné » déclara-t-il, tout de même un peu gêné.

Perle avait connu la louve du temps où elle n’était qu’une petite Rocabot, mais la nouvelle forme de Gara ne lui avait certainement pas échappé. Comment l’aurait-elle pu ? Gara était souvent vue aux côtés de l’intendant de Borao, qui lui-même était rarement épargné par les journalistes et autres reporters.

Ignorant l’ampleur des potentiels ressentiments de la fille, Luciano tâtonnait encore, demeurait prudent. Malgré son calme apparent, Asterope était tout à fait en mesure de s’en prendre soudainement à lui d’une manière ou d’une autre … c’était là une éventualité qui n’était pas tout à fait étrangère à Luciano Viridis, dont les actions étaient finalement rarement appréciées, parfois à juste titre.

Murmures Sylvestres

« Ne croyez rien de ce que vous entendez, et seulement une moitié de celle que vous voyez » (Edgar Allan Poe)

S’attardant sur des politesses, la jeune fille s’affaira à rassurer l’intendant quant à la scène que, finalement, Gare à Toi lui avait bel et bien fait manquer. Luciano s’en serait certainement voulu si par sa présence seule la Lougaroc n’était pas venue apporter une sorte de compensation, s’attirant au passage l’attention de cette fille qui avait su garder dans sa mémoire d’enfant la louve. Bien trop satisfaite de l’intérêt qu’on lui portait et plus encore des paroles élogieuses dont elle était la destinataire, Gara s’était mise à battre de la queue avec vigueur, laissant paraître son contentement à qui voulait bien le voir. Rarement affective à l’encontre de quelqu’un, Luciano s’amusa un moment du comportement de la Lougaroc, qui ne cessait de multiplier les coups de langues sur les doigts de la photographe. L’instant passé, Gare à Toi s’éloigna finalement pour vaquer à ses occupations, abandonnant les deux humains au passé commun.

Par la suite, contre toute attente Perle s’engagea sur un chemin sans doute plus tortueux qu’elle ne l’imaginait. Reflexe qui au fil du temps était devenu instinct, Luciano s’était d’abord fermé avec intensité. Si la fille avait d’abord prit soin de le rassurer – oui, il existait des gens qui ne le détestaient pas ! Au fil des âges, Luciano avait finis par en douter – les questions qu’elle lui posa par la suite le laissa d’abord silencieux, hésitant. Quelqu’un l’avait-il déjà confronté aussi singulièrement à cette histoire, cœur de toutes ses problématiques ? Non, jamais, jamais aussi directement, et la chose le troubla un moment. Sa mésaventure avec Foldo Viridis était devenu tabou ou peu s’en fallait. Pour des raisons évidentes, jusqu’à présent personne ne s’était jamais risqué à lui réclamer la vérité, aujourd’hui pourtant, du haut de sa vingtaine d’années Perle s’y hasardait, s’aventurant dans les eaux troubles de ce passé sur lequel demeurait un voile que les Viridis n’avaient jamais levé.

Un moment, Luciano considéra le fait de lui mentir, de lui offrir la rengaine qu’il réservait à celles et ceux qui s’essayaient à lui tirer les vers du nez … mais le pouvait-il vraiment ? Pouvait-il vraiment mentir à cette fille qui avait vu son père se faire arrêter par la Guarda, à cette fille qui les avait connu, lui et ses deux frères, en un temps où leurs problèmes se résumaient à des détails qui, aujourd’hui, leur auraient paru sans importance ? Pouvait-il vraiment se résoudre à briser ce dernier lien que Perle disposait, cette esquisse d’amitié, de soutien qu’il pouvait représenter pour elle ?

Trop long, le silence de l’intendant ne manqua pas de trahir toute l’hésitation qui s’était emparé de lui … et puis, finalement, Luciano se décida. L’intendant ne pouvait pas lui dire la vérité, non, mais l’homme n’était pas obligé de lui mentir.

« — A-t-on toujours ce que l’on mérite dans la vie ? » finit-il par demander.

Sur la jeune femme blonde comme les blés Luciano avait posé son regard cristallin, et durant une poignée de secondes l’homme laissa sa question en suspens et faire le chemin jusqu’à sa conscience. L’intendant n’attendait pas de réponse, car l’évidence de celle-ci ne faisait aucun doute : non, personne n’avait vraiment ce qu’il méritait dans la vie … du moins, Foldo Viridis n’avait pas fait partie des rares élus.  

« — Je ne peux pas vous dire la vérité Perle, mais je peux vous dire ceci : fiez-vous à ce que vous savez » poursuivit Luciano au bout d’un temps « Vous nous avez connu, peut-être pas autant que certains, mais vous savez qui nous sommes, qui les gens pensent que nous étions »

Qui ils étaient toujours.

« — Les gens ne changent pas, ils apprennent juste à porter des masques. Cela sied à certains mieux qu’à d’autres » dévoila l’intendant.

Et il fallait dire que le masque qu’ils portaient leur seyait à merveille, eux qui finalement n’avaient pas dû faire tant d’efforts que cela pour se faire détester. Naturellement, l’orgueil et la fierté des Viridis faisaient peu l’unanimité et avaient représenté un terreau fertile pour les fleurs du mal qu’ils avaient semé. Les gens avaient eu tôt fait d’oublier les bonnes actions au profit des mauvaises, quant à la suite … la suite, tout le monde la connaissait.