Mes excursions à San Camari sont nombreuses, ces jours ci. Ce n'est pas de mon ressort, ce n'est même pas né d'une envie personnelle. Certes, j'y vais comme ailleurs pour me produire en spectacle et, parfois, poser pour une marque quelconque, mais il y a plus. Il m'est impossible d'oublier ce qui me relie à cette ville colorée en bord de mer même si, à dire vrai, j'aimerais beaucoup. Elle trône à mon doigt à présent, cette fichue bague de fiançailles qui m'uni à lui. Qui ça ? C'est le seul, l'unique. Allen Wesker, 26 ans, deuxième fils d'un magnat de l'immobilier de San Camari et, accessoirement... La personne avec qui j'étais forcée de passer du temps pour le bien de notre mariage arrangé. Le bas monde devait nous croire fous amoureux et, de ce fait, il était normal que je vienne passer un week-end ou deux ici, loin de la superbe Sercena.

Ceci étant dit... J'avais été contaminée par la fougue d'un tout autre individu, très différent celui-là. Il m'avait ouvert une fenêtre inédite sur le monde, me faisant réaliser que certains de mes désirs pouvaient être tout à fait réalisés sans nécessairement nuire à mes devoirs familiaux. Dans cet esprit, j'avais choisi d'organiser ma rébellion tranquille, mon soulèvement silencieux. Rien, après tout, ne m'obligeait à passer la journée entière avec lui et sa famille ou à m'emmurer dans leur grande demeure qui, malgré tout, faisait pâle figure en comparaison du manoir Cobalt. Certes, c'était sans doute dû à ma mauvaise foi, mais qu'importe. Il était hors de question pour moi de traîner sur le bord de leur piscine des heures durant juste pour maintenir la façade de notre histoire de coeur. Alors j'avais choisi de m'adonner à un hobby. Évidemment depuis que j'étais toute petite j'avais eu l'habitude d'être accompagnée dans mes apprentissages par un professeur particulier et, de ce fait et parce que j'en avais largement les moyens, je m'étais mise à la recherche d'un enseignant pour des rencontres privées. Quel plaisir, tout de même, de prendre toutes mes petites affaires et d'échapper à la maison Wesker telle une ombre pour mieux me diriger sur les lieux de mon rendez-vous. Ce que j'allais apprendre ? Voyons, n'est-ce pas évident ?

J'installai ma toute nouvelle guitare, dans son étui, à l'arrière de la voiture de mon chauffeur. La voiture elle-même était plutôt passe-partout, bien que possédant des vitres teintées par sécurité. Je l'avais achetée deux jours plus tôt (la guitare, pas la voiture), après avoir confirmé mon rendez-vous du jour. Peu désireuse de faire des vagues ou de laisser mon nom se mettre en travers de mon éducation musicale, j'avais d'ailleurs choisi de me faire passer pour une autre. Enfin, pas totalement, mais juste assez. Le nom de Cobalt était, même ici, bien trop connu pour éviter d'attirer l'attention. En soit même mes cheveux étaient un signe fort parlant, mais Allen était bien la preuve que des individus même en dehors de notre cercle fermé pouvaient eux aussi posséder naturellement cette couleur. Tout de même, j'ignorais si je devais me féliciter ou culpabiliser du nom choisi. C'est que, dans l'instant, j'avais simplement prononcé le premier nom qui m'était venu en tête alors que, distraitement, je faisais tourner un médiator entre mes doigts. Noir, on avait imprimé dessus en lettres stylisés un nom et un numéro de téléphone.

« King, c'est au nom de Cali King. »

Quelle stupidité. Si ça se savait... Mais il était trop tard. Le risque avait été prit et il serait plus louche encore de corriger le nom donné maintenant. Et donc nous en revenions au moment présent alors que le véhicule s'immobilisait et que mon chauffeur m'offrait son aide pour sortir mon étui. Aide que je déclinai poliment avant de sortir, mon fardeau accroché à l'épaule. Je portais des vêtements de ville tout ce qu'il y avait de plus classique, incluant mes éternels talons hauts et, pour le cliché, d'une paire de lunettes fumées sensées m'aider à dissimuler partiellement mon visage. De toute façon je ne resterais pas dehors longtemps. Personne n'aurait le temps de savoir que j'étais là.

Telle était l'idée en tout cas alors que je m'approchai de cette charmante maison sans histoire. Le nombre de plantes qui vivaient ici était impressionnant et je ne pu m'empêcher de complimenter mentalement le pouce vert de celui ou celle qui entretenait tout ce beau monde. Si j'avais découvert San Camari à reculons, je ne pouvais nier que ses façades colorées faisaient vraiment envie à leur façon. Enfin, c'était quand même moins luxueux que les grands murs froids de Sercena, mais on fait avec ce que l'on a je suppose. Ahem. Un dernier petit coup d'oeil à ma tenue pour m'assurer que tout était à sa place et que j'allais faire bonne impression et, après ça, il était fin temps de cogner à la porte. Espérons que je sois tombée sur un bon professeur.

Ça s'agite de l'autre côté de la porte et, bientôt, c'est le moment de vérité. On m'ouvre. Je découvre un jeune homme au cheveux roux et au sourire illuminé. Je retiens mon souffle, le laisse me détailler en anticipant une réaction. Va-t-il me reconnaître ? Me poser des questions ? Est-ce que son regard change ? Cali, c'est ça ? Il demande sincèrement, avec juste ce qu'il faut de détachement pour que je recommence à respirer, pour que je lui retourne agréablement son sourire.

« C'est exact. Enchantée également, Sirius. »

Il m'invite à entrer et je m'exécute, tout de même contente de ne plus être dehors, là où je pourrais être reconnue. Vient d'ailleurs le petit bémol : le retour éventuel de ses parents. Ça me paraît logique au fond. Une jolie maison comme ça, pour quelqu'un de son âge qui donne des cours de musique... À moins d'avoir des activités moins que légales à côté ce serait difficile à croire. Puis au fond ce n'est pas un mal, moi aussi j'habite toujours chez ma mère, techniquement. Mais voilà, si lui ne m'a pas reconnue alors quelles sont les chances pour que le reste de la famille non plus ? Je n'aurais pas le choix de gérer en temps et en heure s'ils rentraient, déjà.

« Je comprends, ce n'est pas un soucis. »

Ces quelques politesses échangées, il est l'heure d'entrer dans le coeur des choses. C'est presque comique alors que, pour une fois, c'est moi qui subit le barrage de questions et d'informations que j'ai l'habitude de jeter à la figure des gens. Aurais-je un peu plus d'empathie pour mes victimes ? Vais-je changer ma façon de faire et, à l'avenir, présenter l'information de manière plus digeste ? Voyons, pourquoi tout changer lorsque je peux simplement sourire et me dire : ce garçon est comme moi, besties.

« La seule chose que je sache jouer est twinkle twinkle little star que j'ai apprise il y a quelques mois. Je voulais essayer de me pratiquer un peu en prévision d'aujourd'hui, mais ma guitare est encore neuve et du coup je crois qu'elle n'est pas accordée. Je ne joue d'aucun instrument, mais j'ai un passé de danse classique qui fait que j'ai une assez bonne maîtrise des tempos. Et il y a bien une chanson en particulier que j'aimerais apprendre puisqu'elle représente beaucoup pour moi, mais c'est un peu un vieux classique alors je ne sais pas si vous la connaissez. Et non merci pour le breuvage. C'est très gentil, mais j'aurais peur d'en renverser sur l'une de nos guitares. »

Je conclus mon propre monologue avec un sourire, contente de notre rencontre qui, jusqu'à présent, se déroule bien.