Prenez une grande inspiration.
Mon nom est Corvus de la maison d’Eddar, et voici mon histoire.
Je suis né le 5 novembre 1995, à Sercena naturellement. Très vite, mon père m’apprit la réalité de la vie et de ce qui m’attendait. Il m’enseigna que le monde était divisé en deux types de gens, les privilégiés et les autres et que, puisque notre nom de signifiait rien dans cette région, nous faisions partie des autres, de ceux qui devaient se battre et redoubler d’efforts là où d’autres n’avaient qu’à claquer des doigts pour avoir ce qu’il voulait. Sans autre fortune que celle du savoir que nous possédions, j’appris à grandir dans la fange, j’appris à tomber et à me relever, à me battre pour ce que je voulais, à œuvrer ; j’appris la valeur des choses, et non pas leur prix. Si mon père avait sa réputation à Sercena, nous n’en étions pas pour autant avantagés … car Alistair Eddarson ne faisait pas toujours l’unanimité dans les salons et les forums. Ses paroles dérangeaient parfois, souvent, il disait des vérités que les grands de ce monde ne voulaient pas entendre … combien il est étrange d’entendre les gens réclamer la vérité, pour finalement la trouver amère lorsqu’on la leur sert. A l’école j’étais loin d’être le meilleur, la faute à un système qui demande à tout le monde de faire la même chose sous l’égide de l’égalité, au détriment de l’équité. J’étais bien plus passionné par les pokémons que par les équations, par l’action que par la lecture … je n’étais pas fait pour le formatage, et tout le monde le savait.
On me trouva finalement un talent avec les animaux, avec les pokémons : de manière presque innée je suscitais leur intérêt, gagnais leur confiance. Lorsque j’avais 12 ans, je revins un jour chez moi les bras chargés d’un étrange pokémon malmené par la vie … ou bien par un combat un peu trop brutal ? Je ne sus jamais ce qui était arrivé à cette Tritox, mais une chose est sûre : cette lézarde de feu serait morte sans moi et l’aide de ma mère. Éclairé par ses conseils, je parvins à la remettre sur pied, et commença alors une étrange relation qui, plus d’une fois, mit ma patience à rude épreuve. Salava – ainsi avais-je nommé la Tritox – se révéla être un pokémon fourbe : ce qu’elle perdait en puissance était compensé par une ruse qui aurait surpris le plus malin des Roublenard. Rancunière, débrouillarde, obstinée, la dette de vie qu’elle avait envers moi semblait lui déplaire et elle mit longtemps avant de me pardonner l’affront de l’avoir mise dans cette situation. Fière, la bestiole ? Si peu. Avec le temps cependant, elle se laissa aller et amadouer, pour finalement cesser de cacher sa reconnaissance, et débuta alors une relation qui dure encore. Aujourd’hui, je sais que Salava donnerait sa vie pour me protéger et que, malgré son sale caractère et toute la jalousie dont elle peut faire preuve, la désormais Malamandre ne blessera mon cœur qu’une seule fois : le jour où elle partira.
Revenons à notre histoire.
Comme tous les adolescents, je rêvais de révolutionner les choses, de changer la donne, de faire la différence. Sourd aux conseils des plus âgés, je m’imaginai pourquoi changer le monde, renverser la balance, faire changer ma condition, et comme bien d’autres avant moi j’échouai, bien évidemment. Comment aurait-il pu en être autrement ?
A mes 15 ans arriva à Cinza un étrange groupuscule aux idées étranges, mais qui semblaient faire écho aux désirs de certains parmi la population. Libérer les pokémons de l’oppression humaine ? Interdire les combats ? Les idéaux de ces marginaux ne manquaient pas de faire sourire, mais mon père, lui, ne riait pas du tout. Nombreux étaient ses contacts par-delà le monde et Alistair n’était pas sans connaître l’histoire de la Team Plasma à Unys. "Méfiance !" criait-il, quand les autres se riaient d’imaginer Cinza sous leur joug. Ce jour-là, jamais mon père n’avait prononcé paroles plus sages. A 16 ans, tandis que le monde continuait de tourner, j’entrepris une formation qui me révéla enfin. Quittant l’école et ses portes fermées, je me consacrai à l’apprentissage du dressage des pokémons. Vous croyez que les pokémons deviennent des pokémontures toute seule ? De toutes les créatures capables de nous transporter, mon cœur s’éprit des oiseaux et de leur liberté. Etonnant ? Pas vraiment … petit, mon père ne cessait de me conter les aventures d’Eddar et de son Corvaillus, chevalier noir de Galar. Très tôt, je m’étais trouvé une passion pour ces créatures volantes, aussi ma spécialisation faisait-elle sens … n’avais-je pas cela dans le sang après tout ?
Avec l’apprentissage vinrent les premiers salaires, prémices de l’indépendance. Parce que je n’étais pas le genre de gars à se laisser faire, je n’étais pas sans une certaine réputation à Sercena. L’éducation stricte de mon père, basé sur le respect de soi et d’autrui, rendait ma vie injuste, car les règles que je m’imposais ne semblaient pas s’imposer aux autres. Il m’arrivait d’être amer, de perdre mon sang froid, et comme l'avait prédit mon père l’on me reprocha longtemps des méfaits qui auraient été ordinaires pour les autres. Esprit rebelle, je peinais à accepter ces idées, ces injustices, et plutôt que d’apprendre à user de ce courant pour avancer, je luttais contre la rivière, avec l’espoir vain de la vaincre un jour … oui, déjà à l’époque, ce trait de caractère me suivait, au grand désarroi de mon père. J’ignorais encore à quel point cette part de moi-même allait déterminer ma vie. Mes choix auraient-ils été différents si je l’avais su ? Surement oui … hélas, vous savez ce que l’on dit : si jeunesse savait, si vieillesse pouvait. C’est à cette période là que je fis la rencontre de Shama, mon deuxième pokémon, un Osselait pleurnichard que Salava était venu importuner au détour d’un rocher sur les flancs des pics de Niebla. Sans vraiment que je sache pourquoi, le pokémon orphelin trouva bon de me suivre et de ne plus me quitter … était-ce à cause de la baie oran que je lui avais donné en compensation de tous ses malheurs – il fallait dire qu’il avait cassé son os en tentant de frapper Salava ! – ? Aucune idée, mais depuis ce jour Shama me suit partout où je vais.
En 2014, durant le premier mois des vacances estivales, je fis la rencontre de celle qui, indéniablement, allait donner un sens nouveau à ma vie, mais aussi la changer.
Si j’étais loin de m’en douter à l’époque, cette rencontre brillait pourtant par sa singularité. A San Camari pour les affaires de mon patron – il fallait bien vendre et livrer les pokémons dressés, non ? – mon regard tomba sur un stand d’adoption où mon cœur s’éprit d’une petite créature au destin bien tragique : un petit Pichu nommé Soleil, abandonné par son ancienne jeune maîtresse qui lui avait préféré un mignon Ponchiot … c’était ce que le vieil homme du stand m’avait raconté en tout cas. Conscient de l’utilité des pokémons électriques sur ceux du type vol, je n’hésitai pas longtemps à adopter le Pichu à ce vieil homme, et c’est ainsi que Soleil devint mon deuxième pokémon. Tout, cependant, ne se passa pas exactement comme prévu. Très vite – et quand je dis très vite, je veux dire le jour même – Soleil fit preuve de méfiance à mon égard. A la fois triste et apeuré, submergé par ses émotions le bébé pokémon ne cessait de pleurer, attirant sur moi les regards des passants, qui ne manquaient pas de se questionner : que faisait un grand gaillard comme moi avec un si petit pokémon ? Alors que je tentais bien en vain de calmer le Pichu, ma route croisa celle d’une femme enceinte jusqu’au cou, accompagnée de son amie … ou bien est-ce elle qui vint à ma rencontre ? Sans doute un peu des deux. Je me souviens de l’avoir bousculé par mégarde, trop occupé à faire taire Soleil, je me souviens de ma main tendue vers elle, et de cette peur dans son regard à mon approche. De fil en aiguille, à l’écart de la foule elle m’aida finalement à trouver un terrain d’entente avec Soleil, à créer un lien avec lui … et à découvrir, aussi, certains de ses pouvoirs. Ai-je un jour été plus ridicule que ce jour-là sur la plage de San Camari, paralysé par le statik de mon nouveau Pichu ? Je ne crois pas. Nous nous séparâmes finalement avec comme unique information nos prénoms respectifs, sans rien échanger davantage … pour quoi faire ? Je ne m’imaginais pas retrouver ces filles de San Camari un jour, nous n’appartenions pas au même monde après tout … cette rencontre n’était qu’une lumière dans l’obscurité de ce gouffre qui nous séparait, et qui n’aurait certainement pas eu lieu si Léonie et Akeira avaient su qui j’étais vraiment.
C’est durant ce même été que je fis la capture de Skadia, ma fabuleuse Airmure à l’allure si particulière. Je survolais les Pics de Niebla à la recherche de nouvelles montures pour mon patron lorsque son ombre me jeta un instant dans l’obscurité. Bien plus grande que ses semblables, deux cornes au lieu d’une, Skadia me tapa tout de suite dans l’œil et abandonnant ma mission du jour, je mis tout en œuvre pour l’attraper. Me croyez-vous si je vous dis que c’est le peureux Soleil qui lui a mis le coup fatal ? Son inespéré Fatal-Foudre lui grilla la tête et parfois, je me demande si l’Airmure n’en a pas gardé des séquelles. Par la suite, le dressage de Skadia s’avéra plus ardue que prévu. Esprit libre, elle me donna bien du fil à retordre, mais c’était sans compter sur ma patience qui, finalement, vint à bout de sa nature pressée. Comme je l’avais espéré, elle devint une monture formidable, que tout le monde apprit bien vite à reconnaître.
C’est en octobre 2014 que mon destin croisa de nouveau celui de Léonie, cette fois à Sercena. Les richards de la ville avaient organisé une réception pour la fête des morts et bien décidé à y mettre mon grain de sel, je m’y étais rendu accompagné de quelques amis à moi. Est-ce que nous avions des invitations ? Bien sûr que non, mais vous croyez vraiment que cela nous a arrêté ? Y retrouver Léonie fut une véritable surprise, et contre toute attente ma présence sembla lui plaire, ou du moins l’arranger. Soleil fut le premier à déceler sa présence et je dois bien avouer que sans lui, je n’aurai certainement pas remarqué qu’elle était là. Je lui permis de s’éclipser de cette "fête" de mauvais goût emplie d’hypocrisies et lui fit découvrir la ville, elle qui n’avait jamais vraiment eu l’occasion de la découvrir. Nous apprîmes à nous connaître un peu, juste un peu, et après une excursion dans le ciel – son attrait pour Skadia et ma condition de cavalier ne m’avait pas échappé – nous retournâmes à la fête pour quelques pas de danse qui, pour toujours, resteront gravés dans ma mémoire. Lorsque nous nous séparâmes pour retourner à nos réalités respectives, nos cœurs étaient plus légers que d’autres jours – du moins était-ce le cas pour moi – et quelque part, je crois que cela n’échappa pas à ma mère une fois rentré chez moi. Une part de moi, malgré nos différences, espérait la revoir … quelque chose en elle attirait mon esprit, oserai-je dire mon cœur, et cela n’avait rien à voir avec ses yeux d’ambre. A l’époque, je ne parvenais pas à mettre de mots sur ce sentiment … ou bien peut-être le savais-je au fond de moi, sans vraiment l’accepter. Elle me semblait brisée, esseulée, perdue dans l’océan, sans phare pour l’aider à rejoindre la rive … mais qui étais-je pour espérer pouvoir l’aider ? Personne, juste une racaille portant un nom d’un autre monde. Tout nous éloignait l’un de l’autre et pourtant le destin, bien évidemment, n’en avait pas terminé avec nous.
Deux mois plus tard, tandis que j’arpentais les Pics de Niebla à la recherche d’un Tylton pour l’un de nos clients, ma route croisa pour la troisième fois celle de Léonie. Attirée par son odeur – ou peut-être bien ses cris – Skadia me traîna jusque dans les galeries de la montagne. Je me souviens d’avoir pesté ce jour-là et d’avoir maudit sa stupidité, elle qui peinait à se frayer un chemin dans les couloirs de roches … avant de découvrir la raison de son obstination. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir Léonie perdue dans les boyaux de la montagne, qui plus est accompagnée de son fils né quelques mois plus tôt ! Non sans la maudire intérieurement pour son manque de prudence, je m’échinai à l’aider à sortir de là, mais bien vite je ne tardai pas à découvrir la raison de tous ses malheurs : les galeries s’effondraient et non content de l’avoir piégé, de nouveaux effondrements me piégèrent moi aussi, vraisemblablement causé par Skadia et son entêtement. Coincés sous la montagne, trempés, morts de froid et de fatigue, sans moyen de contacter la surface, la raison nous poussa à passer la nuit dans la caverne. A plusieurs mètres sous la montagne, les téléphones ne fonctionnent pas, bien évidemment. Et puis, vous croyez quoi, que j’aurai eu l’idée de prendre le mien sur moi ? C’est mal me connaître. Cette nuit-là, je découvris sur le corps de Léonie la face émergée de l’iceberg, celle qui donna sens à bon nombre de ses réactions et craintes à mon égard. Si mon esprit, à cette époque irrationnellement optimiste, avait tenté de se convaincre que ce n’était rien, mon cœur, lui, comprit sans doute aucun de quoi il en retournait.
Nous fûmes réveillés dans la nuit par l’arrivée de celle qui, je l’appris après, était censée retrouver Léonie dans les galeries de la montagne. Retardée elle aussi par les éboulements, mes souvenirs la reconnurent vaguement : c’était la vieille folle de Sercena, celle qui vivait en ermite à l’écart de la ville ! Azmitia – ainsi la nommait-on – s’étonna de ma présence et plus encore de la confiance que me portait visiblement Léonie … quoi, parce que j’étais un vaurien, je n’avais pas le droit à ce qu’on me fasse confiance ? En vérité, c’était plus compliqué que cela et je le savais. Azmitia et moi-même entamâtes une ronde de reconnaissance durant laquelle nous échangèrent quelques mots, avant de réveiller Léonie pour le départ. La connaissance d’Azmitia concernant les galeries nous permirent de trouver un chemin vers la sortie, mais croire nos malheurs terminés était bien utopique. Peu avant la sortie, nous fûmes pris en embuscade par un groupe de Kabutops aux lames tranchantes et acérées, qui nous donnèrent bien du fil à retordre. Épuisés tout comme nous par notre séjour dans les galeries, nos pokémons peinèrent à repousser les ennemis et l’un d’eux eu l’audace de vouloir s’en prendre à Léonie … et je fis alors la seule chose qui me paraissait juste : je m’interposai entre elle et le coup. Après cela, la suite est floue dans mon esprit … je me souviens d’une douleur lancinante traversant mon torse, de la moiteur du sang sur ma peau, des cris, puis du noir qui s’en suivit. Comment Léonie et Azmitia se sortirent de là ? Je ne sais pas vraiment, mais elles parvinrent finalement à nous sortir des galeries et à contacter les secours. Inconscient, je fus conduit aux urgences de l’hôpital de Sercena où l’on me prodigua des soins qui permirent mon rétablissement. A mon réveil, contre toute attente Léonie était là et tandis qu’elle me reprochait mon inconscience à l’idée de l’avoir protégé au péril de ma vie, je compris que quelque chose en moi ne renoncerait jamais à cette idée. Léonie Valencia était devenue pour moi quelque chose et sans m’étendre, je n’eus pas l’indécence de m’en cacher. C’est ce qu’il y a de bien avec moi – ou de mal, tout dépend du point de vue – je ne fais pas l’autruche, ne fuit pas la vérité ; je dis les choses, même si les conséquences risquent d’être dramatiques. De nouveau, nous nous quittâmes non sans une once de regret léger … en se promettant, cette fois, de ne plus laisser le destin décidé de nos rencontres.
En janvier 2015, mon patron m’envoya travailler à San Camari, pour mon plus grand plaisir. Mon talent et mon professionnalisme m’avait fait grimper les échelons et il me nomma responsable du dressage d’un groupe de Lokhlass destinés à balader les touristes le long des plages de la ville côtière, un projet d’envergure, en collaboration avec les dirigeants de San Camari et censé rapporter gros, logé nourris blanchi au frais de la ville … que demander de plus ? Ma réserve naturelle me poussa à ne pas venir importuner Léonie dès les premiers jours, mais croire que nous ne nous reverrions pas rapidement était mal la connaître. Un soir, elle m’invita finalement chez elle et me présenta à celles qui partageaient son quotidien et vivaient sous son toit. Que dire du souvenir que j’ai de cette soirée ? Je me souviens encore de Liora et ses enfants – je me découvris un talent pour eux ce jour-là ! – d’Imany et de son merveilleux repas, et de sa méfiance aussi. Je me souviens du présent – une pokéball gravée d’une étoile – fait à Aster, le fils de Léonie, en l’honneur de ses quatre mois – cette soirée était pour lui, je ne l’avais pas oublié ! – et je me souviens aussi, bien sûr, de sa confidence qui précéda notre premier baiser, et de ma promesse de ne jamais suivre les pas de celui qui m’avait précédé. Je suis resté avec elle cette nuit-là, et tandis qu’elle s’endormait contre moi je me souviens de cette révélation qui m’avait alors frappée, évidente pour tous sauf pour nous : je l’aimais, pas pour son corps ni pour son rang, mais pour toutes ces choses qui avaient fait d’elle ce qu’elle était … les bonnes autant que les mauvaises.
Dire que je ne fis pas durer ma mission à San Camari serait un mensonge. Vous devinez bien pourquoi, non ? Ma relation avec Léonie n’était pas sans difficultés : Arthur, l’homme qui m’avait précédé dans ce rôle encore nouveau pour moi, avait laissé des marques profondes, dans tous les sens du terme. Mon statut social bas de gamme plaisait peu aux parents de Léonie, qui voyaient d’un mauvais œil cette relation naissante. J’avais aussi le malheur de ressembler au démon et beaucoup, dans l’entourage de Léonie, craignaient de voir l’histoire se répéter ; de tous, son Libégon Aetius se montra le plus vindicatif. Il découvrit un jour notre rapprochement et montra ce jour-là combien il avait grandi, et combien sa fureur pouvait être grande. Par peur plus que par agressivité, il s’en prit à moi avant d’être chassé par Danaé la Lucario, deuxième des sept pokémons de Léonie. Aetius prit la fuite par la mer et parce que je ne pouvais me résoudre à laisser l’un des compagnons de celle que j’aimais en proie au malheur, nous décidâmes, Léonie et moi-même, de partir à sa recherche le jour même. Sa trajectoire nous mena sur une île forestière au sud-est de Cinza, envahie ce jour-là par une brume qui nous força à cheminer à pied. L’hostilité des pokémons de cet endroit du monde nous frappa et malgré la vaillance de nos pokémons, nous serions certainement morts si ma Tritox, Salava, n’avait pas ce jour-là évolué. S’il était certain que Salava n’aurait pas manqué de trouver une certaine satisfaction dans la mort de Léonie – jalouse, Salava détestait Léonie. Le jour de la fête à Sercena, elle avait déchiré ma veste en sentant son odeur dessus – me laisser mourir n’était pas une option et nouvellement évoluée, la Malamandre nous permit de nous rendre jusqu’au point d’atterrissage du Libégon. Par la suite, Léonie se chargea seule de raisonner son pokémon et lorsqu’elle revint finalement avec lui, le regard d’Aetius à mon sujet avait changé, un peu, rien qu’un peu.
Les semaines passèrent, sans émousser notre idylle. Ma relation avec Léonie n’était pas parfaite, mais elle me contentait malgré ses craintes et ses constantes excuses à son égard. Au mois de mai de la même année, suite à mon désir de rencontrer Foldo Viridis, champion de l’arène de Borao et tout comme moi grand amateur de pokémons oiseaux, nous fîmes le choix de nous rendre à la cité végétale pour un temps, loin de San Camari et de la pression des parents Valencia. Très différente de Sercena, Borao disposait d’une atmosphère particulière qui, loin de me déplaire, me donna la sensation d’être quelqu’un d’autre. Là-bas, je n’étais plus un vaurien : on me traitait pour les actions que je commettais et non en fonction de ce que l’on disait de moi. Borao, la ville du renouveau, portait bien son nom. Foldo Viridis nous offrit l’honneur d’une rencontre et j’eus alors l’occasion de découvrir son fabuleux Roucarnage, joyau de son équipe. Skadia impressionna beaucoup le champion, et il offrit même l’occasion à Léonie de le défier en haut de la Tour Viridis. J’aimais bien cet homme, un peu moins ses frères, et lors d’une énième entrevue il nous déclara un jour : "Vous devriez rentrer chez vous les jeunes. Une tempête se prépare". Les Viridis sont parfois étranges avec leurs paroles mystérieuses, et je pris ses mots au pied de la lettre, pensant qu’un orage nous attendait le soir-même … loin de m’imaginer que le monde, tel que nous le connaissions, s’apprêtait à changer.
Baigné dans les manifestations, le nœud du problème et le véritable enjeu de l’opposition se révélèrent à moi : non seulement ce nouveau système imposait ses lois, mais il empêchait aussi ses opposants de le mettre en déroute. Comment ? Grâce à une arme sortit de nulle part, le Système Pérola, qui inhibait la combativité et l’agressivité des pokémons … mais il en fallait plus pour nous faire reculer. Lors des manifestations, Skadia se révéla être une alliée redoutable : son attaque Vent Arrière parvenait à dissiper les gaz du Système Pérola, et son corps recouvert d’acier l’immunisait contre les fléchettes hypodermiques de la Guarda, la nouvelle forme d’autorité … mais parmi nos compagnons pokémons, tous n’eurent pas cette félicité.
La Nova Existência diminua drastiquement nos libertés de mouvement et bientôt, voyager à travers Cinza – quitter ne serait-ce qu’une ville ! – devint compliqué, pour ne pas dire impossible pour nous qui refusions de céder à l’oppression. Établi à Sercena, mon père mena la "rébellion" derrière les remparts de la cité médiévale, motivant de ses paroles les manifestations organisées partout ailleurs et plus encore à la capitale. Ne vous y trompez pas en croyant qu’il se cachait, non : Alistair avait sa place, et ses alliés les leur. Loin d’être insensibles à cette cause que nous n’étions pas les seuls à défendre, Léonie, Akeira, Imany et Liora nous gratifièrent de leur soutien, nous rejoignant parfois à Sercena pour défendre cette liberté qui, de jour en jour, s’éteignait à petit feu. Sans compromis possible, les conflits s’éternisèrent et ce qui n’était que des manifestations se transformèrent en émeutes lors des premières arrestations de décembre 2015. La suite, vous la devinez bien, n’est-ce pas ? Les choses s’envenimèrent, le ton monta, et l’imprévu mena à l’improvisation. A mon grand soulagement, face aux manifestations qui se faisaient de plus en plus violentes Léonie se retira de l’équation – j’avais finis par craindre pour sa sécurité ! – une décision avisée qui n’aurait pas pu mieux tomber : quelques jours plus tard, véritable étincelle au cœur de la poudrière, un officier de la Guarda tira le premier coup de feu, celui qui, sans qu’il ne le sache, allait mettre fin à ces longs mois de conflits. Il tira et tua le pokémon de Sedjem Mendoza, l’un des manifestants … son geste avait-il été volontaire ? Je ne vous mentirai pas en vous certifiant que oui, car à mes yeux le drame avait davantage l’air d’un accident, mais il n’en avait pas fallu plus à la foule pour devenir agressive … c’était le geste de trop, celui que personne ne pouvait pardonner et encore moins laisser passer. Ce qui s’apparentait à un accident fut cautionné par certains au sein de la Guarda et, loin de chercher à apaiser les choses, les plus zélés répétèrent cette erreur et s’en suivit ce qui, aujourd’hui encore, est considéré comme la plus sanglante des manifestations qu’ait vécu Cinza à ce jour. Alistair, désarmé, fut abattu en tentant de raisonner la foule ; son Arcanin, Effie, fut criblée de balles lorsque de rage elle s’en prit à la Guarda. La suite est floue dans mon esprit, car le chaos qui s’en suivit trouble mes souvenirs. Je me souviens d’avoir vu les parents de Magda gisant à même le sol, mais aussi le corps de ma mère et ceux de tellement d’autres opposants, froidement assassinés pour ce qui n’était, finalement, que des convictions. Alors que je fuyais les rues dans l’espoir de conduire en sécurité le jeune Magda, désormais orphelin, une vérité s’empara de moi comme un vautour saisissant sa proie : c’est à cet instant précis, alors que je courrais à travers les ruelles de Sercena pour échapper à la Guarda, que je su que ma vie, telle que je l’avais connu, ne serait plus jamais la même.
Traqués par la Guarda qui était parvenue à nous disperser, nous errâmes un moment entre Sercena et San Camari, non sans craindre pour nos vies désormais bien compliquées. Rendre les armes n’était pas une option : je ne comptais pas vivre le restant de mes jours en prison pour des crimes que je n’avais pas commis – le gouvernement nous tenait responsable du bain de sang de Sercena et de ses morts ! – et puisque je ne pouvais me résoudre à imposer cette vie de hors-la-loi à Léonie et son fils, je pris la décision la plus dure de toute ma vie, celle que mon cœur seul n’aurait jamais été capable de prendre mais que ma raison, déterminée à les protéger et convaincue qu’il s’agissait là de la bonne, me poussait à choisir. Quelques jours après la mort de mes parents, je parvins à la rejoindre à San Camari en toute discrétion pour ce qui, je le savais, promettait d’être notre dernière entrevue avant longtemps, très longtemps. J’aimais Léonie, je l’aimais, et parce que je l’aimais je devais faire ce choix, celui de ne plus la voir. Je savais que le gouvernement, tôt ou tard, ne manquerait pas de la relier à moi ; continuer de se voir était dangereux et je ne pouvais me résoudre à lui faire courir ce risque. Comment me pardonner, si elle se faisait un jour prendre en ma compagnie ? Malgré ses contestations je me tins à cette décision, abandonnant avec elle une part de moi-même … et loin de m’imaginer qu’elle gardait en elle un secret qui, sept mois plus tard, pointerait le bout de son nez.
Magda, ce qu’il restait des rebelles et moi-même fûmes forcés de nous cacher et de disparaître. Recherchés par le gouvernement et la Guarda, nous trouvâmes refuge dans les endroits les plus improbables de Cinza. Mettant de côté cette vendetta dont mon cœur se languissait, je fis le choix de nous concentrer sur notre survie. Qu’aurions-nous pu faire de plus, de toute manière ? La Team Plasma avait gagné et persévérer dans notre opposition aurait été du suicide. Avec le temps, nous fondâmes plusieurs refuges pour ceux qui, comme nous, étaient traqués par le gouvernement. Naturellement, celui de Sercena fut le premier d’entre eux : dissimulée au cœur des galeries de la cité médiévale, la chapelle secrète nous accueillit pendant presque longtemps. Là-bas, sous le regard de la grande statue d’Arceus nous reprîmes des forces, rassemblâmes les derniers opposants. Beaucoup voyaient en moi l’héritier d’Alistair et de ses idées … la vérité ? Je ne me voyais pas prendre la place de mon père dans cette entreprise. Si j’en voulais bien évidemment au système, une part de moi avait compris que pour l’heure, pas grand-chose de plus n’était envisageable : la Grande Libération devrait attendre. La victoire du gouvernement n’était pas due au hasard et sans nouvel atout pour faire pencher la balance en notre faveur, l’issue d’une nouvelle rébellion ne serait pas différente de la première. Fort de ma volonté de venir en aide aux opprimés, d’autres repères et autres points de chute virent le jour à Cinza, tandis qu’en surface les arènes des champions de la région se fermaient les unes après les autres. Mon refus de reprendre le combat me fit perdre bien des "fidèles", mais je savais mon choix juste, censé.
Un jour, alors que Magda et moi-même étions de passage à San Camari pour terminer l’établissement d’un nouveau point de chute, je perdis Soleil mon Pichu d’une manière qui aurait pu être évitée si mon esprit avait su se montrer plus prévoyant. Loin d’avoir moi-même fait la paix avec l’idée de ne plus revoir Léonie, j’eu tout le mal du monde à expliquer à Soleil combien il nous était impossible de revoir celle qui, pourtant, faisait battre nos cœurs. Loin d’accepter cette idée, le petit Pichu s’insurgea contre ce concept et, de colère, il s’échappa en direction de la côte où, je le savais, se tenait la demeure de celle à qui il ne comptait pas renoncer. Comment lui donner tort ? Mon propre cœur saignait encore de ce choix que j’avais fait. Loin d’ignorer où Soleil comptait se rendre, je décidai de ne pas le poursuivre et de le laisser partir, lui aussi … le forcer à partager avec moi cette vie de hors-la-loi aurait été égoïste et quelque part, je savais que mon Pichu ne manquerait pas d’être heureux après de Léonie … comment aurait-il pu en être autrement ?
Plus vite que je ne l’aurai cru, les années passèrent vite, trop vite. En mars 2017, nous fûmes confrontés à l’émergence de nouvelles têtes dans notre monde qui, faute de pouvoir changer le système, crurent bon de s’en servir pour s’enrichir. Abusés, ils cheminaient à contrecourant, brisaient toutes les lois du gouvernement, et dans ce terreau d’illégalité naquirent de nouvelles mœurs, de nouvelles habitudes qui, bien au-delà d’aller à l’encontre du système, brisaient les lois de l’humanité elles-mêmes, celles que j’avais naïvement pensé universelles et inviolables. Certains de nos repères furent investis par ces gens-là, parmi eux celui de La Isicao, caché dans l’ancien métro. Bien d’autres suivirent par la suite, nous forçant à nous retrancher dans d’autres endroits. Je perdis beaucoup de crédibilité cette année-là, la plupart des gens me reprochant – encore une fois ! – ma passivité, mais il y avait pourtant, dans le combat qu’aurait représenté un conflit entre nos deux camps, une improductivité qui aurait dû apparaître à ces penseurs prompts au jugement mais que je fus, vraisemblablement, le seul à percevoir : le grand gagnant de toute cette histoire aurait été nul autre que le gouvernement, qui aurait vu deux de ses problèmes disparaître sans même lever le petit doigt. Face à ces mondes grandissant nous nous éclipsâmes donc, jusqu’à finalement devenir à notre tour des marginaux dont la cause ne fut plus vu que comme un lointain fantasme, un idéal naïf auquel plus grand monde ne croyait. Lentement je disparu des sujets de discussion et une part de moi se désœuvra de voir les choses prendre cette direction : le monde changeait, et mon cœur trop accroché au passé refusait de l’accepter.
Alors que je pensais l’ancien monde définitivement perdu, en décembre 2021 se fit entendre un nouveau groupe, une nouvelle voix emplie d’une volonté que je ne connaissais que trop bien. Sur internet apparurent les M.U.N.J.A. dont les membres, sans doute lassés de mon inactivité, avaient fait le choix de suivre leur propre voie. Tout n’était donc pas perdu puisque je n’étais pas seul, mais demeurait pourtant en moi une question, véritable raison de toutes ses années à ne rien faire : les M.U.N.J.A. étaient-ils sortis des impasses auxquelles je m’étais heurté plusieurs années plus tôt ? Avaient-ils trouvé un moyen de contrer le Système Pérola ? Ou leurs promesses n’étaient-elles, finalement, qu’une esbroufe pour effrayer ? Aujourd’hui, les rencontrer me paraît être la meilleure option, mais la tâche s’avère plus dur que je ne l’imaginais, mon manque d’enjouement pour la technologie jouant en ma défaveur, mais je ne désespère pas. Si bien des questions restent encore sans réponses, une chose demeure certaine : dans l’ombre, quelque chose se prépare.
Le combat n’est pas terminé.