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One Drop too Many | DORIANO EP. II Pt. 1

Posté le Mer 1 Juin - 11:55
Isidora C. Terren
Isidora C. Terren

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One Drop too Many
FT. LUCIANO VIRIDIS

Sept ans.
Isidora Terren n’a jamais fait attention aux contraintes éphémères du temps; résolue face à son pouvoir étranger elle se laisse guider au gré du vent et des saisons sans trop se questionner ni sur le passé ni sur l’avenir. La nécessité de cet exercice s’avère toutefois si urgent, car négligé depuis bien trop longtemps, qu’à l’occasion son acharnement à rester dans le moment présent lui fait faux bon. Le temps, oui, comme bien des choses, lui échappe. Ce soir, la jeune femme peine à comprendre l’immensité de ce chiffre qui la heurte de plein fouet. Il lui semble que cet événement date d’hier, il lui semble que cet événement était il y a une éternité. S’il ne tenait que d’elle, cette date aurait sombré dans l’oubli, car Dora n’a qu’un désir : celui d’oublier. Pourtant son père s’acharne à le souligner à chaque année d’une grande fête qui épuise déjà sa fille. Plus que les dernières années, la Championne de Pavlica se sent dépassée à la perspective de cette soirée. Les derniers mois ont porté des coups lourds à une santé mentale déjà fragilisée; elle baigne désormais dans un état secondaire, presque complètement détaché. Assidue, elle participe aux préparatifs, serre des mains, sourit, rigole et se montre charmante, le tout en état sur le pilote automatique, incapable de véritablement fonctionner. Jamais elle ne s’est sentie aussi seule qu’entourée de tous ces convives. Eduardo ne lui a pas permis de libérer son acolyte Tanzanite de peur que l’agressif scorpion ne s’en prenne aux invités. Une idée en soi pleine de sens, mais qui participe au déséquilibre prenant dans lequel sa désormais aînée évolue.

Sept ans aujourd’hui, sept ans depuis la mort de Camila.

Non, Eduardo ne l’a pas oubliée, comment le pourrait-il ? Son deuil encore inachevé, il aspire ce soir s’accrocher à ce qu’il lui reste de sa fille bien-aimée, sa favorite et la prunelle de ses yeux. Père endeuillé, l’homme de Pavlica ne s’est jamais permis d’accepter le décès tragique de sa précieuse Cam. Ce soir, deux ou trois verres de trop dans le nez, on le trouve souriant mais émotif, plus vulnérable qu’à son habitude. Se retrouver ainsi entouré, dans un moment aussi difficile de l’année, lui apporte un grand soulagement non partagé par Isidora. Le bruit des conversations, la fausseté des sourires, la musique… tout l’agresse ce soir alors que pourtant elle se nourrit habituellement de l’énergie qui émane de ce genre d’événement, se pavanant dans l’espoir d’attirer l’attention. On la trouvera ce soir brutalement humble et discrète. Même son accoutrement et sa chevelure sont drastiquement différents de son habitude : son père a insisté longuement pour qu’elle se départisse de la strie violette de ses cheveux pour l’occasion, ainsi on la retrouve avec sa couleur sombre naturelle. Couplée d’une robe noire qui appartenait à sa grande sœur, dans un élan macabre de son père, Isidora fait miroir à cette jeune femme partie trop tôt. Quiconque la croise ce soir ne pourra nier l’incroyable ressemblance entre les deux sœurs. Encore une fois, Eduardo a voulu la calquer à l’image de Camila. Dora, n’ayant la force de le contredire, s’est laissée faire une fois encore.

Dans un hommage sincère envers Camila Terren, son père lui a dédié cette soirée qui rassemble plusieurs centaines de convives à leur demeure de Pavlica, l’hacienda de grande renommée. Magnifique domaine entouré de jardins mettant en vedette la végétation si particulière à cette région aride, il ravit les invités de divers agréments, à commencer par un succulent buffet et des alcools fins. Eduardo a invité les plus nantis des quatre coins de la région pour faire honneur à sa Camila; pour l’occasion il rassemble aussi, pour divers organismes de recherche pour les soins visant à contrer la leucémie et autres cancers, de sommes impressionnantes. Ses convives généreux encore une fois ne se montrent pas avares. L’ambiance est légère, presque sereine. Un Eduardo particulièrement souriant se glisse entre les invités et monte sur l’estrade où on a érigé une sorte d’autel à l’effigie de sa première-née. Soufflant quelque prière à voix basse, il fait dos un instant à la foule qui s’est tue pour l’observer; après tout le gérant de Pavlica ne passe pas inaperçu et ses moindres faits et gestes n’échappent pas aux gens rassemblés autour de lui. Sa main passe contre le cliché qu’on a posé là de Camila et il pince les lèvres avec un sourire tendre avant de faire face à la foule, les yeux humides. On lui amène un microphone puisque tous savent qu’est venu le moment du discours de l’hôte.

«Sept ans.» fait-il d’abord, sa voix enrouée. «Aujourd’hui, il fait sept ans que j’ai perdu ma chère Camila. Ma fille incarnait tout ce qu’un père peut espérer chez une fille. Elle était dotée d’une force de caractère impressionnante pour son âge et je voyais en elle toutes les qualités requises pour me succéder un jour. Minha querida filha, elle avait ce cœur généreux et jusqu’à la fin elle s’est battue pour faire avancer les connaissances autour de sa maladie. Elle a toujours désiré laisser sa marque sur le monde, et nul doute qu’elle y serait parvenue si elle en avait eu la chance. Comme père, je ne pouvais être plus fier que d’avoir une enfant comme elle. Elle était mon nascer do sol. Aujourd’hui, je poursuis ce qu’elle a commencé en rassemblant ces fonds pour la Fondation pour le Cancer de Cinza. Camila a fait de moi une meilleure personne, et il n’y a pas un jour où je la regrette.»

Un silence solennel s’installe dans la salle. Eduardo laisse planer cette ambiance le temps de se reprendre, lui au bord de l’épanchement. Il titube quelque peu, avant d’adresser un grand sourire ému à la foule et de brandir son verre.

«À Camila !»

D’une traite, Isidora, depuis un coin de la salle, avale le liquide ambré qui se trouvait dans son verre. Elle l’abandonne ensuite sur le plateau d’un serveur tandis que la foule applaudit puis se disperse. Le regard rivé vers l’autel, la directrice marketing pèse un instant les paroles de son père. Un rictus se forme contre ses lèvres encore humides d’alcool. D’un pas résolu, elle avance en direction de la petite scène, s’y hisse avant de contempler le portrait de sa sœur. Dora scrute ce visage si semblable au sien, envahie de souvenirs amers. De gestes tendus, elle allume un cierge et adresse une prière dans sa langue maternelle, avant de reprendre son examen intense de la photographie de Camila. Son estomac se noue désagréablement, comme à chaque fois où elle repense à sa sœur. Une part d’elle veut lui rendre hommage; l’autre s’est perdue sur les chemins de la rancune. Aujourd’hui encore, Dora a eu la confirmation de tout ce qu’elle soupçonne et entretient en elle-même : jamais au monde elle ne saura combler son père comme Cam l’a fait avant elle. Jamais elle ne parviendra à remplir les chaussures qu’elle a laissé à sa suite. Encore et toujours, Camila se dresse entre elle et quelque perfection qu’Isidora cherche à atteindre. Éternelle rivale, même après sa mort, jetant son ombre sur l’enfant du milieu lacunaire. La dresseuse lentement se détourne puis s’éloigne, portant sur les épaules un poids incommensurable, cherchant parmi la foule quelque regard compatissant.

Pourtant Isidora ne cherche pas la compassion, ni même l’aide de qui que ce soit. Sitôt on l’approche qu’elle s’éclipse, s’enfonçant toujours plus profondément en direction du bar où elle réclame, une fois encore, de quoi étancher sa soif qui forme un nœud dans sa gorge. Tio Paulo, un vieil ami de la famille, tient le bar en sourcillant de cette énième visite de la jeune femme. Lorsque cette dernière lui réclame une bouteille entière, cette moue de surprise se change progressivement en désapprobation. Ce n’est guère la première fois que cet allié des Terren voit la fille d’Eduardo abuser des bonnes choses, et habituellement il ne se gêne pas pour céder à tous les caprices de celle qu’il appelle affectueusement sa princesa. Or cette fois, son expression provocatrice figée ne lui inspire aucune confiance, ni l’éclat terne de son regard. Devant son hésitation, Dora insiste avec impatience.

«Desculpa, princesa, está a ficar tarde (désolé, princesse, il se fait tard.)

«Não te metas comigo, Tio.» fait-elle d’un ton qui suggère qu’elle a déjà atteint un certain niveau d’ivresse. «J’ai besoin d’un autre verre.»

Paulo connaît Isidora depuis sa plus tendre enfance. Il l’a vue grandir, a suivi son évolution d’une place privilégiée. À ses yeux, cette jeune femme lui faisant face n’a pourtant pas beaucoup changée depuis la gamine gâtée qu’elle était jadis si ce n’est de cette blessure qu’elle s’efforce ce soir une fois de plus de noyer. À l’image de son père, l’héritière préfère refouler ses émotions plutôt que de les affronter, laissant de sombres démons dévorer son âme. Parfois, Tio a crainte qu’elle ne se perde, ce soir en fait partie.

«C’était un beau discours que ton père a fait.» fait-il pour changer de sujet. Bien entendu la Championne de Pavlica réalise son petit stratagème, sauf que plutôt que de se réfugier derrière son désintéressement habituel, elle se laisse gagner par une fureur qui crépite un instant dans ses prunelles violettes. «Não, princesa

«Tu sais quoi, Tio ? Il y a des jours où je pense que papai aurait été bien mieux si c’était moi qui avait crevé à sa place. Il n’y aurait pas eu de beaux discours, pas de fêtes. Et il aurait été bien plus heureux.»

«Dora…»


La jeune femme ne l’écoute pas. Elle se penche derrière le bar et attrape une bouteille pleine de tequila sur le comptoir avant de se redresser, brandissant celle-ci avec triomphe. Elle se retourne ensuite en direction de la salle, comme pour narguer qui que ce soit tenterait de l’interrompre dans le projet qu’elle dessine sous son crâne. Elle reconnaît de nombreux visages autour d’elle. Il y a même Luciano Viridis quelque part non loin du bar. Isidora se questionne quant aux raisons qui ont poussé son géniteur à l’inviter, si ce n’est que pour inlassablement la mettre au test. Si elle osait lui parler ce soir, son père n’en profiterait-il pas pour l’accuser de tous les maux à nouveau ? Eduardo n’attend qu’un faux-pas pour s’en prendre à sa victime favorite et Dora n’a pas l’intention de lui offrir ce plaisir. De toute manière, elle n’a aucune envie d’adresser la parole à l’intendant de Borao, ni même à Rachel qui traîne quelque part, ou à Adonis qu’elle a vu aussi parmi les convives. La native de Pavlica veut simplement se soustraire de l’équation, de cette soirée, du regard de son père constamment insatisfait d’elle. Se détournant, elle emporte la bouteille avec elle malgré la voix de son oncle de cœur qui l’appelle à sa suite. Personne, au final, ne vient l’empêcher de se glisser hors de l’hacienda, ni de traverser les jardins. Personne ne la suit tandis que ses pas mal assurés la mènent au-delà des murs du domaine. Personne derrière ne la regrette, même quand elle abandonne ses chaussures sur le sentier qui zigzague entre les hautes herbes de ce terrain vague qui borde la maison. Ce soir, Dora ne veut pas briller, ne veut pas être vue.

Ses pas la mènent ailleurs, toujours plus loin. S’accompagnant de nombreuses gorgées qui viennent émousser ses sens, ils semblent au moins assurés sur leur destination. Petite, Isidora n’a cessé de se lancer à l’assaut de ces champs de la pampa. À l’instar de la petite fille qu’elle était, elle laisse ses doigts courir contre cette végétation sèche, parfaitement adaptée à la vie aride de la région. Devant elle, l’immensité de la pampa et de ses plateaux lui fait face et la nuit lui offre ses plus belles couleurs. Au-dessus de sa tête, un ciel audacieux s’est paré d’étoiles troublées, à l’occasion, par la discrète vapeur des nuages. La lune, petit croissant sombre, ne parvient pas à leur faire compétition. L’air nocturne apporte un semblant de soulagement à la jeune femme, tout comme le chant des insectes dissimulés tout autour d’elle. Il règne ici une quiétude délicieuse dont se nourrit l’introvertie insoupçonnée qu’elle est. Loin de la foule et des attentes qu’on place envers elle, Isidora se sent lucide. Elle s’autorise enfin à se livrer à des pensées qui la torturent et qui pourtant se doivent d’être adressées. Elle repense aux mots de son père tout à l’heure, à l’affection intense qu’il vouait à Camila. Puis d’une longue traite elle boit et boit encore pour tenter, maladroitement, de mettre fin au supplice qu’elle ressent sitôt elle rouvre la boîte de Pandore que sont ses réflexions les plus profondes.

Presque soudainement, les herbes hautes s'éclaircissent pour céder place à un grand terrain à l'allure sobre, piqué de tombes éclairées par l'éclat de la lune. Le cimetière de Pavlica a toujours été à portée de marche de la demeure Terren, si bien qu'Isidora l'a souvent visité dans ses errances, à la recherche de quelque sensation forte. Sans la moindre hésitation (si ce n'est que celle causée par l'alcool), elle se fraie un chemin entre les pierres tombales pour se diriger vers la plus grande d'entre elles, parée de la statue d'un ange aux airs de martyrs. Un instant, Dora en considère le visage drapé, se disant franchement que l'image n'a jamais collé avec celle à qu'elle honore. Dora n'a pas connu sa soeur comme étant une sainte, bien à l'inverse. Camila avait de nombreux défis, tout comme elle-même d'ailleurs. Leur relation s'est ponctuée d'une compétition malsaine qui aujourd'hui ternit les souvenirs de Dora. C'est en plissant les yeux que la Championne scrute le monument, écœurée par les idées de grandeur de son père lorsqu'il l'a fait construire. Une fois de plus, elle est habitée de la certitude probablement fondée qu'elle n'aurait pas connu le même traitement si elle avait connu un sort semblable à celui de son aînée.

Pleine d’amertume, pleine de rancœur, la jeune femme fait face à celle qui l’a quittée, comme si elle s’y trouvait toujours. À la place de cette statue, elle peut presque voir Camila la scruter avec ce rictus qui la caractérisait, un peu comme le sien. Cette moue assurée, un peu provocatrice, que rien ne savait ébranler à l’exception de sa sœur qui connaissait bien les manières de la faire réagir. Sauf que cette fois, c’est Isidora qui se présente à elle colérique, un poing fermé, l’autre brandissant sa bouteille de tequila comme s’il avait s’agit d’une arme. La poitrine enserrée, elle s’adresse à cette apparition en laissant le flot de ses émotions l’emporter. La vague se déferle en elle avec violence, animant son corps de toutes sortes de réactions auxquelles elle n’est pas attentive. L’ébriété a émoussé ses dernières barrières, laissant libre cours au déferlement qui se produit.

«Ta gueule Cam-Cam.» pourtant, la tombe n’a rien dit. Comment l’aurait-elle pu ? «Ça t’amuse de me voir comme ça, hein ? Je te gage que tu aurais bien aimé assister à la petite scène de papa tout à l’heure. Il a chanté tes louanges encore une fois, c’était beau à voir. À l’entendre parler, on pourrait presque oublier qu’il a d’autres enfants, tiens. Ça lui sert à rien, puisque tu es parfaite.»

Parfaite. Telle a toujours été la perception d’Isidora de sa grande sœur. Le mot, de sa bouche, n’est plus que venin. Véritable poison en elle, la rancune s’est frayée un chemin parmi le tumulte de ses sentiments, s’hérisse toute entière pour faire vibrer tout son corps d’une rage sourde. Longtemps avant sa mort, la jeune femme l’a entretenu alors que liguées l’une contre l’autre les deux aînées de la famille Terren ont lutté pour prendre leur place chez les leurs. Toujours cette même compétition inachevée que la plus jeune des deux a encore l’impression d’avoir achevée. Dora n’en peut plus. Cette fois elle doit adresser tout ce qui lui pèse sur le cœur, tout ce qui gangrène là depuis toujours.

«T’sais quand t’es morte comme une idiote, tu ne m’as jamais laissé la chance de te dire ce que je pensais de toi. J’ai toujours trouvé que tu étais une vraie petite garce. Je t’ai toujours détesté, Camila, meu Deus, j’ai cru qu’une fois que tu serais morte j’aurais au moins un répit, mais non ! Tu continues de me pourrir la vie comme tu l’as toujours fait, je sais pas trop à quoi je devais m’attendre. Tu sais quoi ? Je t’emmerde ! Tu m'as laissée avec ta vie et j'en veux pas !»

Jurons et insultes dans les deux langues de la jeune femme pleuvent contre l’innocente statue qui l’observe de ses prunelles vides. Alors que la tirade tire à sa fin, Isidora abat son poing contre la pierre, se cassant un doigt au passage. Dans un autre juron se brisant dans un sanglot elle retombe au sol en se prenant la main de douleur. Son majeur de la main droite, tordu, ne répond plus à ses commandes et enfle déjà à une vitesse folle. N’y voyant pas d’autre issue, la Championne attrape la bouteille qu’elle a laissé tomber sur le sol poussiéreux du cimetière et boit encore. Gémissant tout bas, elle se met à chantonner quelque chanson décousue en fixant le vide. Après seulement quelques minutes, elle somnole contre la tombe de sa sœur, sa main valide toujours refermée sur sa bouteille presque entièrement consommée.

Un bruit près d’elle la tire brusquement de sa rêverie. On brandit une lumière vive dans son visage, lui arrachant un nouveau gémissement. Le gardien du cimetière surgit de derrière la lueur de sa lampe, scrutant le visage de celle lui faisant face. En bon habitant de Pavlica, il a bien sûr reconnu l’héritière du clan Terren et son sang ne fait qu’un tour. Il espère pouvoir convaincre la jeune femme de quitter les lieux sans incident. L’homme sait ce qu’il risque s’il froisse un des maîtres de sa ville après tout.

«Excusez-moi, madame ? Vous ne pouvez pas rester ici, le cimetière est fermé.»

Pendant quelques secondes, Isidora le dévisage, visiblement confuse, ivre et encore somnolente. Elle se remet difficilement sur ses pieds avant de prendre une nouvelle gorgée de tequila, comme si elle n’avait rien entendu de l’intervention de l’homme lui faisant face. S’éclaircissant la gorge, le gardien répète sa requête avec un peu plus de fermeté. Cette fois, la Terren redresse les yeux vers lui et il se sent transpercé par ses prunelles d’améthyste.

«Vous voyez pas que je suis en train de régler un truc ?»

«Vous devez partir, madame, ou je devrai appeler les autorités…»

«C’est MOI l’autorité ! Et j’ai dit que j’allais danser toute la nuit sur la tombe de cette garce !»


Le gardien sait très bien qu’il ne parviendra à rien. Un conflit avec Isidora Terren est la dernière chose qu’il espère, ainsi il quitte la scène avec un soupir. Travaillé par l’idée de la laisser là, il rebrousse chemin en direction de sa petite cabane, quand une autre silhouette apparaît dans le cimetière. Croyant d’abord à une apparition spectrale, il sursaute, avant de réaliser qu’il s’agit d’un autre convive de la fête qui a lieu là-haut, sur la colline. Il pâlit en reconnaissant Luciano Viridis, autre figure importante de Cinza. Doit-il le chasser lui aussi ? Le blond lui semble comme étant quelqu’un de plus raisonnable que la jeune personne qu’il a laissé contre la tombe de sa sœur, peut-être pourrait-il l’aider… ? Un peu hésitant, l’homme s’approche de l’intendant de Borao.

«Excusez-moi monsieur ? J’aimerais vous demander votre aide… Il y a mademoiselle Terren là-bas et… Elle ne peut pas être ici. Pourriez-vous m’aider avec…»

Il désigne Dora dont on devine la silhouette dans l’obscurité, en train de chanter à tue-tête une chanson populaire qu’elle fait jouer sur son téléphone, le tout en dansant de manière désordonnée.

«Tout ça ?»

La peur se lit dans sa voix; vraiment la dernière chose qu’il désire sont des représailles de la part des Terren. Il n’est qu’un honnête homme tentant de faire son travail… mais à quel prix ? Luciano Viridis saura-t-il le défaire de cette situation épineuse ?

Dora, leur faisant dos, n’a rien remarqué de l’approche de son rival et partenaire d’infortunes. Elle se contente de danser avec la rage toujours dans le cœur, même si le grand sourire qui barre son visage suggère autrement. Elle veut danser et boire toute la nuit pour mieux engourdir sa peine.

Sept ans. Comment a-t-elle pu vivre aussi longtemps ainsi ?


TRADUCTIONS:
Posté le Lun 6 Juin - 6:01
Luciano Viridis
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Une Goutte de Trop

"Tout passe", ce n’est pas si vrai que ça (…)
Je dirais plutôt que "tout se surmonte" et qu’on va de l’avant



“Quel que soit l’ampleur du traumatisme généré par la perte, l’endurance émotionnelle n’est pas sans limite. Qu’importe leur force, les émotions ne sont pas éternelles, et même le chagrin a une fin.”
(Roberta 'Bobbie' Draper, The Expanse)

Demeure des Terren, Pavlica, Mai 2022

Luciano abhorrait Pavlica, presque plus que La Isicao … était-ce la chaleur qui l’incombait ? Ou bien le fait qu’elle soit aux mains des Terren ? L’intendant n’aurait su le dire, et à vrai dire cela lui importait peu : comme toutes les choses que son cœur n’appréciait pas, Luciano Viridis l’évitait dès qu’il le pouvait, autrement dit très souvent. L’intendant de Borao avait son rôle à jouer dans cette inimité largement influencée par la méconnaissance qu’il avait de la ville : l’homme n’avait jamais cherché à gâcher un seul instant de sa vie à la découvrir … pourquoi faire ? Aucune ville, à Cinza, n’étaient plus drastiquement opposées que Borao et Pavlica et cela lui suffisait à justifier son manque d’entrain à l’idée de visiter la cité des Terren. Et puis, faire du tourisme et risquer de les croiser ? Non merci, Luciano préférait largement ses arbres et ses tours végétalisées. Il avait cependant, en tant que figure politique, des obligations auxquelles il ne pouvait déroger et qu’il était obligé de s’infliger pour permettre à la fragile paix sociale des Grandes Familles de prospérer, et se rendre aux réceptions auxquelles il était invité faisait partie de ces obligations, quand bien même cela devait-il le mener au repère même de ceux-là qu’il n’avait jamais su supporter.

A quel moment se disait-on que fêter l’anniversaire de mort d’un des membres de sa famille était une bonne idée ? Luciano l’ignorait, mais telle était la raison de la réception qu’Eduardo Terren avait organisé en ce jour de mai qui, plusieurs années plus tôt, avait vu mourir la fille aînée de ce qui avait été le très discuté couple Terren-Cobalt. Comment s’appelait-elle déjà ? Ah oui, Camila. Camila. Invité pour faire bonne figure et éviter tout incident diplomatique – le père Terren était orgueilleux mais pas tout à fait idiot – Luciano s’était donc rendu à Pavlica pour cette soirée aux goûts douteux et au thème qui lui semblait scandaleux. Eduardo Terren utilisait-il la mort de son aîné pour justifier cette réception dans l’unique but de parader et d’étaler sa richesse ? Luciano ne savait pas trop quoi en penser et l’homme de Borao préférait ne pas se torturer à trop y réfléchir : se montrer mais pas trop, ne pas faire de vagues, voilà tout ce dont on attendait de lui pour aujourd’hui et Luciano le savait bien. Sa mésaventure quelques mois plus tôt avec Isidora Terren n’avait pas manqué d’attiser les tensions entres Terren et Viridis et s’il fallait faire bonne figure pour permettre à l’opinion public de ne pas sombrer dans le commérage, beaucoup connaissaient la vérité : un rien, désormais, serait en mesure de briser l’équilibre instable de la paix, qui plus que jamais peinait à se maintenir.

Laissée pour l’occasion à Borao, Gara brillait par son absence. Quant bien même Luciano Viridis ne se dépâtissait-il jamais de sa Lougaroc, l’intendant n’avait pu se résoudre à imposer à la louve une telle soirée où, de toute évidence, elle n’aurait pas été la bienvenue. Malgré les craintes du puîné, la soirée se déroula sans encombre, sans accrochage … ni de près ni de loin, contre toute attente il ne croisa pas une seule fois Isidora Terren. N’était-ce pourtant pas son fief ? Etrange, mais la suite de la soirée et le discours d’Eduardo Terren ne manquèrent pas d’éclipser les questionnements de Luciano à ce sujet ; à la place, la tirade du père Terren apporta son lot de réponses aux incertitudes qui avaient gagné l’intendant concernant la véritable but de cette soirée, et la vérité l’irrita bien plus qu’elle ne l’émeut.

Non, Eduardo n’étalait pas ses richesses comme Luciano avait pu le penser.
Eduardo étalait sa tristesse, sa peine, ce chagrin qu’il n’avait jamais su faire passer.

Il l’étalait au grand jour, en faisait un spectacle qui agaça l’intendant plus qu’il ne l’aurait voulu. Oui c’était triste, sa fille chérie était morte … et puis ? Si Luciano n’était pas insensible au drame qu’avait traversé les Terren, une part de lui ne pouvait s’empêcher de juger la peine du patriarche démesurée, chroniquement disproportionnée. Ainsi perché sur son estrade, Eduardo ressemblait à une vieille bête hurlant au loup sa tristesse … à la différence que les bêtes, elles, savaient s’arrêter. Depuis combien de temps déjà Eduardo leur chantait-il sa complainte ? Beaucoup trop longtemps. Comptait-il un jour se reprendre, tourner la page et aller de l’avant ? La vie continuait, avec ou sans les gens. A la lumière du discours d’Eduardo Terren, ce qu’il savait désormais être un déballement émotif avait quelque chose de déplacé, de malsain. Eduardo avait le droit d’être inconsolable, mais de là à le crier sous tous les toits ? Non, cela dépassait l’entendement de Luciano … avait-il fait un foin à la mort de Foldo ? Non, les Viridis avait gardé ça pour eux. Bien que les circonstances de sa mort les en aurait empêché – on ne rend pas hommage aux traitres après tout, non ? – Milano et Luciano n’avaient pas une seule fois émis cette idée, même entre eux. A quoi bon ? Les morts n’étaient plus là pour fêter quoi que ce soit.

Le discours d’Eduardo lui laissa un goût amer en bouche et ce qui était jusqu’à présent une réception supportable se transforma finalement en quelque chose d’exécrable qui, lentement mais surement, venait grignoter l’humeur de l’intendant de Borao. Le pire ? Luciano n’en voulait à personne, si ce n’était au maître des lieux. Que pensaient ses enfants de tout cela ? Luciano ne les avait pas croisé une seule fois, ni même aperçu. Malgré lui, l’intendant ne pu s’empêcher d’avoir une pensée pour Terren. Son extravagance ne l’étonnait désormais plus : comme il devait être dur de briller derrière le l’éclat louangé de Camila Terren, qui semblait perdurer bien au-delà de la mort.

Souvent interpellé, Luciano erra un moment de convives en convives, arrêté çà et là pour des choses sans importance (c’était du moins son avis). Passant de groupe en groupe pourtant, le puîné arriva finalement à ses fins, celui de rejoindre le bar. Un verre ne serait pas de trop et loin d’avoir eu l’occasion de remarquer le passage de Terren en ce lieu, enfin seul Luciano s’affaira à commander une boisson. Le barman avait l’air un peu contrarié, mais Luciano s’en fichait bien.

« — Une téquila » demanda un peu brusquement l’intendant.

L’ambiance générale et l’exaspération lui avait fait perdre la notion de politesse, mais l’homme derrière le bar y était surement habitué … on l’était forcément lorsque l’on servait au domaine des Terren, non ?

« — J’en ai plus, senhorita » répondit-il au puîné Viridis, presque acerbe.

Pendant un moment, Luciano fixa l’homme avec sévérité. Loin de tout à fait saisir le dialecte de celui qui était – de toute évidence – un natif de Pavlica, l’intendant s’irrita davantage de l’absence de tequila que de ce qui aurait pu – dû – être pris pour une insulte de la part de l’un peu trop téméraire barman. Quoi, vraiment ? Il n’y avait pas de téquila à Pavlica ? Luciano s’apprêtait à répondre quand une vibration dans la poche de sa veste interpella son attention. Non sans jeter un dernier regard noir en direction de l’homme, l’intendant avisa son téléphone … qui l’appelait à cette heure ? C’était sans importance : cet inespéré coup de fil lui offrait une trop bonne raison de s’éclipser de la réception et répondant à l’appel, Luciano s’éloigna des festivités et du brouhaha environnant.  

Combien de temps dura cet appel ? Luciano n’aurait su le dire mais son interlocuteur lui tint la jambe longtemps, très longtemps. Machinalement, l’intendant avait laissé ses pas le conduire en dehors de la villa et de ses convives, à l’extérieur où la nuit faisait briller des étoiles d’une rare clarté. Perdu dans sa discussion, son regard avait rencontré au loin une paire de chaussure abandonnées là, confortant Luciano dans l’idée qu’il se faisait de Pavlica et de ses habitants … les gens civilisés n’abandonnaient pas leurs chaussures comme ça, non ? Raccrochant enfin, l’intendant prit un instant pour savourer la douceur de la nuit, accueillant non sans ferveur le calme de l’endroit. De loin, Luciano avait toujours préféré la quiétude aux bruyants rassemblements et passant une main dans ses longs cheveux blonds, l’intendant s’y attarda, appréciant l’instant. De nouveau pourtant, son attention fut attirée par un bruit de voix en contrebas. C’est MOI l’autorité ! distingua-t-il vaguement et le ton lui fit froncer les sourcils. Devait-il s’en mêler ? Luciano n’en était pas certain. Il n’était pas chez lui après tout, et les problèmes qui sévissaient chez les Terren ne le regardaient pas, pourtant … pourtant, quelque chose en lui refusait de fermer les yeux sur l’éventualité d’une dispute qui pouvait mal tourner.

Avisant derrière lui dans l’espoir un peu vain d’apercevoir un autre témoin, définitivement seul Luciano s’affaira à rejoindre le lieu d’origine de ce tumulte fugacement perçu. Quittant la terrasse de l’immense villa qui abritait les Terren, l’intendant de Borao s’aventura sur un sentier bordé d’herbes plus hautes qu’ailleurs. Loin de savoir où il allait et trop peu convaincu du bien fondé de ce qu’il tentait de faire, Luciano s’apprêtait à rebrousser chemin lorsqu’un homme l’interpella au loin. L’obscurité de la nuit l’empêchait de clairement distinguer son visage mais ce détail avait peu d’importance car déjà, l’homme s’approchait, visiblement décider à le rejoindre. Ce qui semblait être un gardien ou peu s’en fallait lui réclama de l’aide avec nul autre que mademoiselle Terren, et le cœur de l’intendant eut alors un raté … si Luciano n’était pas sans savoir que Pavlica abritait deux mademoiselle Terren – Isidora avait une sœur, non ? – un pressentiment le portait à croire qu’il n'y en avait qu’une pour faire parler d’elle de la sorte. D’abord immobile, Luciano fixa à instant le gardien, un peu perplexe.

« — Et pourquoi ne serait-elle pas en droit d'être là ? » lui demanda l’intendant.

Loin de deviner l’état de ladite Terren, Luciano se questionnait quant à l’origine de cette peur qu’il lisait dans le regard de son interlocuteur … que se passait-il encore, qui vaille ainsi tant de crainte ? L’intendant accepta finalement de suivre l’homme, le laissant le guider parmi les pierres tombales dressées un peu partout sur la parcelle. Était-il vraiment en train de suivre un étranger dans ce qui était, de toute évidence, le cimetière de Pavlica ? Laissant sa conscience prendre un peu de recul vis-à-vis de cela, Luciano ne put s’empêcher de se demander ce qui n’allait pas chez lui pour ainsi se laisser embringuer dans pareille situation.

Lorsqu’ils arrivèrent enfin à ce qui semblait être leur point d’arrivée, Luciano entendit Terren bien avant de la voir – elle, ainsi que le boucan qu’elle faisait – et lorsque, immanquablement, le regard de l’intendant se porta sur sa silhouette qui dansait dans la nuit, l’homme l’observa un moment, interdit. Terren … pourquoi fallait-il toujours que ce soit elle ? Luciano l’observa longuement sans tout à fait savoir ce qu’il voyait, avant d’apercevoir la bouteille de téquila fermement tenue dans l’une de ses mains, vide au trois quart – ou bien était-elle complément vide ? Luciano n’en était pas certain – et dangereusement secouée par sa danse décousue. Était-elle ivre ? Son allure générale laissait peu de place au doute. Si, dans l’obscurité, Luciano n’était pas tout à fait en mesure de pleinement la distinguer, il parvenait cependant à remarquer ce qui n’était pas là … où était le violet de ses cheveux ? Où était la couleur dont elle avait tant l’habitude de se parer ? Il y avait, dans son accoutrement, une sobriété qui ne lui ressemblait pas et ce détail n’échappa pas au regard avisé de l’intendant.

Profitant des derniers instants d’invisibilité qui s’offraient à lui, Luciano sentit quelque chose au fond de lui se serrer – son cœur ? – à la vue de la fille de Pavlica ainsi perdue dans la nuit … car il savait que l’ivresse solitaire ne trouvait jamais son origine dans l’euphorie. Jamais.

« — Laissez-nous » déclara finalement l’intendant à l’intention du gardien.

Si se retrouver de nouveau seul avec Terren n’était peut-être pas la meilleure idée qui soit au vu de leur dernière mésaventure, Luciano avait l’assurance de croire qu’il était en mesure de gérer cette situation par lui-même. Une part de lui également, animée par un étrange désir de bienveillance, aspirait à limiter les témoins par égard pour sa bien malgré lui comparse d’infortune. Lorsque le gardien fut enfin hors de portée, l’intendant fit le choix de sortir de l’ombre, rompant la distance qui le séparait de Terren et de la tombe – dont il ignorait encore l’identité – qu’elle avait choisi pour subir ses déboires.

« — Terren » l’interpella-t-il.

Le visage de l’intendant était marqué d’une neutralité qui ne rendait pas justice au fond de ses pensées. Luciano n’était pas indifférent à la scène qui se tenait devant lui, non, mais il en savait encore trop peu sur les évènements qui avaient amenés Terren à en venir à là pour pouvoir adapter son comportement en conséquent ; et se laisser berner par des jugements trop hâtifs était bien la dernière chose qu’il souhaitait.

« — Tu es dans un sale état, Terren » fit-il remarquer.

C’était le moins que l’on puisse dire.
Posté le Lun 6 Juin - 15:19
Isidora C. Terren
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One Drop too Many
FT. LUCIANO VIRIDIS

Danse Isidora, danse tandis que tu le peux.
Il émane de ses gestes une détresse réelle que pas tout œil extérieur ne peut parvenir à déceler. Il faut nommer, tout de même, que la jeune femme s’efforce à la taire aux oreilles indiscrètes, y compris aux siennes. La jeune femme de Pavlica cache son jeu depuis si longtemps qu’il est aisé de s’y méprendre. Pourtant sa consommation ce soir n’a rien d’habituelle et ses réactions dépassent ceux de la raison. Dépassée par ses émotions, elle tente encore maladroitement d’obtenir une forme de contrôle sur elle-même, sur ce qui se produit en elle et qui menace à tout moment de l’entraîner vers les pentes abruptes de la vulnérabilité. Comment pourrait-elle s’octroyer ce luxe ? Oh non, se montrer vulnérable est à ses yeux de se montrer faible, alors elle danse pour faire taire son mal-être et se convaincre qu’elle est heureuse de se débarrasser de cette sœur contre qui on l’a liguée toute sa vie. Maintenant que le gardien l’a laissé tranquille, elle aspire à finir la bouteille de tequila et de se rendre ivre jusqu’à ne plus rien ressentir. On la retrouvera probablement endormie aux pieds de la pierre tombale de sa sœur demain matin. D’un côté, elle l’espère presque. Peut-être ainsi son père s’inquiétera-t-il moindrement pour elle. Dans son esprit embrumé, il s’agit d’une solution sensée à son problème d’attention chronique.

Dora veut simplement qu’on l’aime.

Elle aurait voulu que Camila, avant de partir, le lui dise plutôt que d’avoir gardé le silence tel qu’elle l’a fait. L’a-t-elle simplement aimée ? L’aînée, peu démonstrative, n’a jamais prononcé les paroles à sa sœur qui lui aurait prouvé une fois pour toutes son affection. Dans la famille Terren, ces choses-là demeurent des non-dits. Ainsi Isidora fonctionne elle aussi, sursautant soudainement en entendant quelqu’un l’appeler non loin. Trop soûle pour reconnaître la voix auprès d’elle, elle croit d’abord au retour du gardien et peste dans sa barbe d’une voix pâteuse qui en dit long sur son état :

«Mais tu vas me laisser tranquille, toi ? J’t’ai dit que je partirais pas !»

Puis faisant difficilement volte-face, elle réalise l’écart significatif en termes de taille et de carrure entre l’homme qu’elle a croisé tout à l’heure et celui lui faisant face désormais. Dans l’obscurité, la directrice marketing distingue une silhouette difficile à manquer, celle de son rival Luciano Viridis. Prise de court par la présence de l’intendant de Borao au cœur de cet instant intime à ses yeux, elle l’observe un moment, les paupières lourdes et les bras ballants. Un instant, on l’entend émettre un gémissement confus, comme si elle peinait à croire en cette apparition; pourtant Luciano se trouve bel et bien à ses côtés, venant interrompre une fois de plus quelque crise existentielle qui ponctue son existence à nouveau. Progressivement plus fréquents dans sa vie, ces instants de doute l’ont laissée plus seule qu’elle ne l’aurait cru. Habitée par la même sensation qui la tenaillait un peu plus tôt lors de la réception, elle se sent alourdie d’une terrible solitude mêlée de honte.

Pourquoi ? Pourquoi doit est-ce lui ? Pourquoi le destin force-t-il cet homme auprès d’elle lors de ses instants les moins rutilants ? Pourquoi ne la laisse-t-il pas vivre sa peine et sa colère seule dans ce cimetière tranquille, sous la bienveillance des étoiles ? Dégoûtée d’avoir été surprise dans ce moment d’ivresse par son rival, de lui offrir une fois de plus quelque pouvoir potentiel sur elle, elle se sent se rétracter en elle-même telle une enfant pris en flagrant délit, attendant son sermon. Que dira Luciano Viridis d’elle ? Quelle mauvaise opinion se fera-t-il de cette pauvre gamine ? Déjà, Isidora lui en veut. Elle voudrait le repousser et lui dire de la laisser tranquille, pourtant ce soir elle se sent trop seule, trop seule… Malgré son état d’ébriété, elle se décide finalement à se laisser entrer non pas dans sa bulle vulnérable, mais dans son monde imaginaire, celui où elle se convainc d’avoir la situation sous contrôle. Elle renifle un coup avant de s’exprimer cette fois avec un peu plus de netteté :

«Luci-chou ! Tu te joins à ma petite fête ? On a de la musique et de la tequila !»

Le «nous» implicite de ses paroles désigne qui, exactement ? Sa sœur qui, depuis où elle est, semble toujours la narguer ? Isidora et sa peine ? La jeune femme ne semble pas motivée à s’expliquer et c’est d’une démarche fort hésitante qu’elle se dirige en direction du Viridis.

«C’est drôle comment tu es toujours là, Viridis. C’est à croire que…» elle s’interrompt brusquement dans sa phrase en se prenant les pieds sur une pierre tombale un peu plus basse que les autres. Titubant, elle se raccroche à la première chose qui lui passe sous la main, soit son interlocuteur. Prise d’un fou rire, elle tente très maladroitement de se remettre sur ses pieds convenablement, sans grand succès. Comme sa tête lui tourne, elle pose celle-ci contre le torse de Luciano le temps de se remettre de sa chute. «Hum. Tu sens bon. Tu es comme elle, bordel c’est frustrant. Toujours parfait. J’sais pas pourquoi mon père il t’aime pas.» elle se retire finalement pour le regarder d’un air courroucé et perdu. «Il aurait dû t’adopter tiens, ça lui aurait fait toujours un enfant plus satisfaisant que moi. Tu veux de la tequila ? Il m’en reste plein. Oh… oups, il n’en reste plus beaucoup, mais tu peux avoir le reste. T’aime quoi comme musique ?»

Toujours aussi peu assurée sur ses pieds, elle lui remet la bouteille puis se dirige vers son téléphone, au pied de la tombe de Camila. Elle fait jouer «Call Me Maybe» et glousse toute seule.

«Tu sais quand j’étais petite une fois avec Camila on s’était bagarrées, je l’ai mordue au bras, si fort qu’elle saignait. Et puis cette garce m’a fait tomber et elle a tenu ma tête sous l’eau du bassin si longtemps que j’ai presque perdu connaissance. Papa était content. Il a dit qu’elle était forte comme lui. Pourtant c’est moi qui suis encore là puis elle…»

Sa voix se brise. Quoi dire de plus de toute manière ?
Posté le Mer 8 Juin - 7:32
Luciano Viridis
Luciano Viridis

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Une Goutte de Trop

"Tout passe", ce n’est pas si vrai que ça (…)
Je dirais plutôt que "tout se surmonte" et qu’on va de l’avant




A quel hasard devaient-ils d’être constamment rassemblés aux heures les moins propices ? Luciano l’ignorait. L’intendant de Borao n’était pas homme à croire au destin. Singulièrement, le puîné Viridis était convaincu que les vies des individus étaient rythmées par leurs choix et par les instants que ces choix généraient ; ces même choix, qui donnait à leur vie un sens aux deux acceptations du terme, une direction, mais aussi une signification. Si certaines situations s’imposaient inévitablement à lui – cela avait été le cas lorsqu’il s’était éveillé à moitié nu aux côtés de Terren – ce qu’il avait fait de cette situation lui avait appartenu, en partie. Maître de son destin, Luciano avait fait le choix d’agir d’une manière et pas d’une autre, exactement comme aujourd’hui. Cela signifiait-il qu’il choisissait d’interagir avec Terren, et qu’il considérait chacune de leur rencontre comme étant de son ressort ? Pas exactement … en revanche, il choisissait de ne pas l’ignorer, de ne pas lui tourner le dos, et ce choix-là lui appartenait.

Parfois, Luciano se demandait ce qui lui prenait de faire ça … qu’avait-il à prouver ? Rien du tout, pourtant demeurait en lui le désir de faire le bien, et ce avec justesse. Si Luciano Viridis était loin d’être un bon samaritain – à ses yeux, rares étaient ceux à mériter son aide – résidait en son cœur un désir trop souvent inassouvis et que les circonstances avaient rendu difficile à contenter, celui de vouloir aider les autres. Par bonté d’âme ou par égocentrisme – aider les autres, c’était aussi se faire valoir, non ? – les avis à ce sujet ne manquaient pas de diverger, mais aucune parole, bonne ou mauvaise, n’avait su ébranler cette volonté trop peu connue chez l’intendant. Et Terren dans tout ça ? Terren ne faisait pas exception à la règle : la jeune femme ignorait l’existence de cette facette chez l’homme de Borao, elle qui n’avait toujours vu en Luciano Viridis qu’un rival qui, implacable, n’avait eut de cesse de lui renvoyer sans vaciller chacun de ses coups. Si Luciano n’avait jamais offert à Isidora Terren un seul instant de répit, ce soir pourtant sa détresse le touchait et dans ce processus, leur récente mésaventure n’y était pas pour rien ; indéniablement, les évènements avaient fait naître entre eux un lien, quelque chose que l’intendant – encore une fois – choisissait de ne pas ignorer.

Lorsque Terren l’aperçu enfin, la jeune femme l’interpella non sans le gratifier de ce sobriquet qu’il détestait tant. Luci-chou … si Luciano n’aurait pas manqué de s’en courroucer en d’autres circonstances, l’intendant savait bien qu’il ne servait à rien de parlementer ce soir … à quoi bon ? Au prorata, dans les veines de Terren coulait certainement plus d’alcool que de sang et Luciano ne l’ignorait pas … laisser couler était sa meilleure option. Par la suite, à son humble avis un peu trop hasardeuse, Terren s’affaira pourtant à vouloir le rejoindre, et arriva ce qui devait arriver : trahis par sa démarche incertaine, la native de Pavlica buta sur une pierre tombale et son élan la projeta vers l’avant. Par réflexe plus que par chevalerie, Luciano eu un mouvement dans sa direction et l’impact fut immédiat : l’intendant sentit les doigts de la jeune femme s’accrocher à ses bras, et loin de s’en contrarier Terren s’en amusa, laissant échapper un rire largement animé par l’alcool. Luciano cru naïvement que les choses s’en tiendraient à là, mais non : la tête mise sens dessus dessous par le mouvement sans doute un peu trop brusque, Luciano la sentit tanguer … puis poser sa tête contre sa poitrine, presque naturellement. Pris de court par la proximité, un frisson dont il ignorait la nature exacte lui traversa un instant l’échine. Le pire ? Luciano se trouva incapable de la remettre à sa place et de la repousser. Cherchant à se donner bonne conscience, l’intendant se persuada de la futilité de se mettre en colère : Terren ne savait pas ce qu’elle faisait et en cela résidait une part de vérité.

Les commentaires qui suivirent n’arrangèrent en rien les choses. Il sentait bon, vraiment ? En tout cas, il sentait meilleur qu’elle et ses effluves d’alcool, c’était certain. Bien qu’il savait que l’ivresse était connue pour libérer certaines paroles habituellement réduites au silence, là encore Luciano tâcha de ne pas lui en tenir rigueur. Sans doute regretterait-elle amèrement ses paroles demain … pour peu qu’elle s’en souvienne.

Se redressant, la jeune femme lui tendit finalement la bouteille, non sans avoir surestimé son contenu. Comprenant enfin la raison de l’absence de l’alcool au bar, l’intendant attrapa le reliquat,  renifla son contenu avant de plisser du nez … la téquila était pure : dans sa folie, Terren avait au moins eu la décence de ne pas faire de mélange. Si Luciano avait pu avoir envie d’un verre plus tôt dans la soirée, ce n’était désormais plus le cas et profitant de l’occupation de la jeune femme partie faire il ne savait quoi au pied d’une des tombes, l’intendant déposa le cadavre de la bouteille au coin d’une pierre gravée, non sans avoir au préalable laisser s’écouler au sol ce qui avait miraculeusement échappé à l’ivresse d’Isidora Terren. S’était peu comparé à ce qu’elle s’était enfilé, mais cette partie là au moins ne ferait plus de mal à personne. Loin de prendre en considération les questions de Terren – portait-elle vraiment de l’intérêt à ses goûts musicaux ? Sans doute pas – Luciano l’observa s’abaisser pour pianoter sur son téléphone … qu’allait-il faire d’elle ? L’intendant n’en avait pas la moindre idée.

Troublant la paix tout à fait relative de la nuit, la chanson qu’elle lança lui fit lever les yeux au ciel. Y avait-il message plus explicite ? Encore une fois, Luciano tenta de ne pas y faire attention, attribuant de nouveau sa dérive à l’ivresse qui, plus que jamais, avait pris possession d’elle. S’approchant de la tombe sur laquelle la native de Pavlica avait élu domicile, pour la première fois l’homme de Borao avisa l’identité de celle qui reposait là … Camila, bien sûr que c’était Camila. Comment pouvait-il en être autrement ? Sur le visage de Luciano s’esquissa alors l’air d’un regret, teinté d’une tristesse qui ne lui appartenait pas … et puis, son regard se posa sur Terren.

Pourquoi ressentait-il autant de peine pour elle ?
Pourquoi les choses ne pouvaient-elles pas redevenir comme avant, lorsque leur relation se résumait à de simples entrevues rythmées de piques incessantes ?
Pourquoi sentait-il sur ses épaules le poids d’une responsabilité, celle de devoir l’aider ?

Tandis qu’elle lui contait sans filtre un souvenir d’enfance qui lui parut particulièrement cruel, un profond et long soupire gonfla la poitrine de l’intendant. Les mains désormais dans ses poches, Luciano laissa son récit s’écouler puis s’éteindre dans un brisement de voix qui ne laissait aucun doute quant à l’état émotionnel de la conteuse. Partagé entre sentiments et raison, une part de lui voulait échanger avec elle et accueillir sa détresse, et une autre, plus terre à terre, savait qu’en l’état l’intendant avait peu de chance d’obtenir quoi que ce soit … mais pourtant, parfois, les émotions criaient plus fort que la logique, et même l’impassible et très distant Luciano Viridis pouvait s’y trouver confronter. Se décidant enfin, l’homme quitta son immobilité pour rejoindre Terren. La dominant de sa hauteur, il s’approcha si près qu’elle dut lever les yeux pour soutenir son regard.

« — Opprimer les autres, ce n’est pas être fort » fit remarquer Luciano, brisant le silence qui s’était installé.

L’intendant était de cet avis du moins, mais il se doutait bien que l’éducation d’Eduardo Terren avait laissé dans l’esprit de sa fille une toute autre version, plus trash, plus musculeuse … soit, Luciano n’était pas là pour remettre en cause les principes largement connus de ces brutes de Terren.

« — Camila est morte et toi, tu es encore là » poursuivit-il, finissant la phrase inachevée de la jeune femme.

Y mettre des mots avait plus d’importance qu’elle ne pouvait le croire. Luciano l’avait compris ce soir : l’aînée disparue était le cœur des problèmes des Terren, et sa mort avait laissé une blessure commune, qu’aucun des membres de la famille n’avait été en mesure de refermer. Privé de l’enfant prodige, le cheval de tête qu’avait été Eduardo Terren n’avait su faire avancer le char, forçant ses enfants à l’immobilité.

« — Tu dois aller de l’avant, Terren, et laisser le passé là où il est. Ton père n’a pas su le faire, mais cela ne signifie pas que tu ne le peux pas » déclara l’intendant.

Les paroles énoncées plus tôt par Terren ne lui avait pas échappé. L’homme de Borao avait saisi leur sens ainsi que leurs sous-entendu, et s’il ne les avait pas relevé jusqu’à présent, cela ne signifiait pas qu’il comptait oublier leur message … bien au contraire.

« — Tu n’es pas parfaite, mais tu ne dois pas t’en vouloir … parce que personne ne l’est. Ni ton père, ni ta sœur, ni même moi, personne ; et si ton père ne voit pas ta valeur, ce n’est pas parce que tu n’en a pas. Il est juste trop préoccupé a regarder ce qu’il a perdu pour voir ce qu’il lui reste » affirma Luciano.

Les paroles de l’intendant parviendraient-elles à cheminer dans l’esprit embrumé de la jeune femme ? Quand bien même savait-il la situation loin d’être propice, Luciano essayait. Loin de se concentrer sur la forme, l’intendant s’attardait sur le fond de toute cette histoire, celle qu’il pensait entrevoir entre les lignes à moitié énoncées et qui, lentement mais surement, prenait forme dans son esprit. Une histoire, qui le laissait de moins en moins indifférent et pour cause :  à sa manière, et bien que différente en bien des aspects, cette épreuve ne lui était pas étrangère.
Posté le Ven 10 Juin - 21:15
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One Drop too Many
FT. LUCIANO VIRIDIS
Opprimer est régner.
Isidora le sait, aussi clairement que de compter ou de réciter son alphabet. Il s’agit d’une notion qu’on lui a inculqué dès son plus jeune âge, une dont elle ne peut se défaire complètement. Plusieurs des fondements de son âme et de son caractère reposent désormais sur cette idée peu commune d’une société moderne; à l’instar de sa famille elle incarne un mode de pensée basé sur les plus bas-instincts de l’humain, sur les plus fondamentaux et les plus primitifs. Dora répond aux lois de la nature, à celle du plus fort. Pour elle son père possède tous les droits puisque de bien des manières il lui est supérieur. Jusqu’à sa mort elle lui devra des comptes, ainsi va l’ordre des choses. Ainsi elle lui doit obéissance et bien plus encore : elle veut l’honorer et suivre ses enseignements pour ainsi espérer un jour recevoir le même respect. Sauf qu’en ce sens la nouvelle aînée de la famille ne peut que décevoir : plus sensible que les autres membres de sa fratrie, elle n’a jamais eu l’estomac assez solide pour se jeter dans la même violence extrême dont son père fait preuve. Elle espère trop qu’on l’apprécie pour s’imposer par la peur. Alors elle détruit, faute de mieux. Elle détruit tout, y compris elle-même.

Reconnaître le bien-fondé des paroles de Luciano à cet égard lui est tout bonnement impossible, non par orgueil (bien qu’il y ait de cela aussi). Simplement qu’elle n’a jamais eu de preuve qu’un autre mode de pensée puisse faire le moindre sens. Encore et encore, la jeune femme a eu la preuve de ce qu’elle avance avec autant de véhémence dans ses relations avec les autres, dans ses échanges avec les membres de sa famille. Elle l’a observé partout à Pavlica, où elle est princesse couverte d’attentions et de privilèges. Pourquoi diable voudrait-elle aller à l’encontre de ce principe alors que de bien des manières il l’avantage ? En le choix de son compagnon, Eduardo n’a rien laissé au hasard : il lui a offert un prédateur, un chasseur, ce Rapion agressif qui lui rappelle constamment qu’ainsi on fait sa place dans ce monde. Oui, Isidora est forte. Plus qu’on ne pourrait le croire. Il y a chez elle une résilience singulière, doublées de profondes faiblesses qui tôt ou tard finiront par l’engloutir. En lui tendant la main aujourd’hui, le Viridis fait un pas que peu ont franchi auparavant. Un geste qui pourrait lui permettre de guérir, peut-être, d’une certaine façon. Ou tout du moins d’avancer à contre-courant de tout ce qu’elle a cru jusqu’à présent.

Aller de l’avant représente un défi difficile à surmonter pour la Terren. Non pas qu’elle n’en ait pas l’ambition. Néanmoins son incapacité à faire face à ses émotions ainsi que sa fierté déplacée l’empêchent de se soumettre à cet exercice. Ses sentiments vont quelque part pour y gangréner. Son père lui a dit si souvent que les émotions étaient garantes de faiblesse, ainsi Isidora s’efforce de ne pas en avoir, du moins en apparence. Luciano a été le témoin de la puissance de celles-ci, brutes, relâchées et sauvages, après tout. Dora ne peut se retenir véritablement de ressentir, c’est bien la fatalité qui l’habite et à la fois l’espoir qui lui reste. Son père a laissé une part de son humanité quelque part sur les chemins tortueux de sa vie; il reste encore toute son âme à sa fille ou presque. Oui, elle est encore là. Elle tend à l’oublier, comme elle l’a dédié à un homme qui n’a jamais su l’estimer, mais elle a une vie à vivre.

Puis ce soir ? Isidora se trouve butée à une impasse. À quelqu’un qu’elle méprise par dépit. Luciano Viridis fait partie de ces adversaires que la jeune femme ne sait affronter. Car il est fort d’une manière qui lui échappe. Il est stable là où sa propre démarche se fait hésitante. Il dit exactement ce qu’il faut, ce qu’elle n’a jamais entendu, ce que son esprit manipulé par des années à vivre dans une famille criminelle ne peut comprendre.

Elle a une valeur.

Une valeur à l’extérieur de celle que lui octroie sa famille.

Voilà donc une idée insensée à ses yeux. Ces paroles, elle ne peut les entendre ce soir. Mais plus tard ? Ce que tente de dire Luciano aujourd’hui se perdra dans la brume de l’oubli, pour mieux ressurgir… quand ? Demain ? Plus tard encore ? Pour l’instant, elle n’est simplement pas prête, pas prête à l’entendre et encore moins à l’assimiler. Elle préfère même ne pas y répondre, fredonnant sa chanson distraitement en laissant un inconfortable silence s’installer, sa tête dodelinant de part et d’autre comme si elle n’avait pas entendu. Mais elle a entendu. Tous deux le savent bien. Il n’y a pour elle aucune échappatoire confortable à ses yeux.

«Mais si, j’suis parfaite, tu sais bien.» fait-elle un peu mollement.

Voilà donc tout ce qu’elle trouve à dire ? Sentant sa tête lourde et ses jambes de moins en moins assurées, la native de Pavlica vient s’asseoir contre la base de la statue. Tout à coup elle paraît plusieurs années plus âgée, ses traits gris et ses yeux bordés de cernes insoupçonnées.

«Le seul souci c’est que c’est moi qui aurait dû crever à sa place. Comme ça tout le monde aurait été content.»

Le sceau alors cède.
Malgré l’état d’ébriété, Isidora n’aurait pas pu se montrer plus sincère dans ses paroles. Depuis longtemps elle cultive l’idée. Avant même le décès de Camila, la jeune femme entretient une forme de culpabilité alimentée par les agirs inconscients de son père.

Elle ne réalise pas pleurer jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Son échine se plie, ses jambes se blottissent contre sa poitrine et ses cheveux recouvrent son visage humide. Elle pleure sans éclats, sans sanglots. Depuis combien de temps n’a-t-elle pas pleuré ? Une éternité lui semble-t-il. Pire. Elle pleure devant lui, son ennemi, le loup de Borao. Sans redresser le menton, elle s’adresse à lui avec force :

«Dégage Viridis, laisse-moi tranquille.» bien sûr il ne bougerait pas. Isidora ne sait comment réagir à ceux qui restent. Elle s’est entraînée depuis longtemps à repousser. «Va t’eeeeeeeeeeeeeeen !»

Elle se redresse avec difficulté à nouveau, assommée par l’alcool, le regard hagard. Sans conviction, elle le pousse dans l’espoir de le faire partir. Parmi ses larmes, elle lui offre son sourire arrogant.

«Aller, va rejoindre les autres, si t’es sage j’te ferai venir une gamine ou deux pour t’amuser !»

Elle rit d’un ton mesquin, mais sa voix la trahit. Tout la trahit. Elle appelle à l’aide.
Posté le Sam 11 Juin - 18:06
Luciano Viridis
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Une Goutte de Trop

"Tout passe", ce n’est pas si vrai que ça (…)
Je dirais plutôt que "tout se surmonte" et qu’on va de l’avant

Luciano Viridis avait ce talent-là, celui de savoir quoi dire aux instants les plus critiques, celui de savoir quoi dire pour avancer. Loin de le faire par complaisance ou dans l’espoir de plaire – bien au contraire – l’intendant de Borao avait le cran de dire ce que les gens devaient entendre et non pas ce qu’ils voulaient et ce sans détour, là où d’autres auraient tourné autour du pot pendant cent mille ans. S’il savait y mettre les formes et ne pas fermer les yeux sur les émois de ses interlocuteurs, Luciano n’en restait pas moins un homme peu apprécié pour cela, comme tous ceux qui avaient l’audace de mettre au grand jour la vérité dénuée de tout artifice. Si peu de gens les portaient dans leur cœur, il fallait pourtant de ces Hommes pour aller de l’avant et Luciano le savait ; ce rôle, l’intendant l’avait toujours embrassé, tant par nécessité que par conviction, et ce soir ne faisait pas exception à la règle.

Isidora Terren avait-elle besoin d’un de ces Hommes-là ? Oui, nécessairement, car seule, l’intendant doutait de la voir soulever d’elle-même le masque ô combien lourd de ses illusions, celles qu’elle avait cumulé toutes ces années durant. S’il épargnait à la jeune femme bien d’autres vérités qui lui venaient pourtant en tête, Luciano savait bien qu’Isidora Terren avait besoin d’entendre ce qu’elle ne voulait pas, le mal … tout autant que le bien. Ce soir n’était que les prémices de ce jour qui promettait de venir ; et le silence de la jeune femme, incapable de donner réponse aux paroles du puîné, le confortait dans la justesse de ses théories. La gamine pouvait bien feindre le contraire, fredonner dans son coin et répondre pour la forme, on ne trompait pas si facilement Luciano Viridis.

La suite lui serra le cœur plus qu’il ne l’aurait cru. Sans vraiment prévenir – pourquoi faire ? – Terren partit s’asseoir contre la tombe de son aînée, avant de lâcher un commentaire qui glaça un instant l’intendant. Loin de le laisser indifférent, ses mots lui firent froncer les sourcils et le figea l’espace de quelques secondes … car il savait que cette fois, ses mots n’avaient rien à voir avec la confusion de l’ivresse et que ce qu’elle disait n’était pas le fruit de ses trop nombreux verres. Terren pensait ce qu’elle disait, y croyait foncièrement, l’avait assimilé comme une vérité absolue.

Elle en était là.

Son changement d’attitude sortit Luciano de sa torpeur. Se rassemblant sur elle-même, Terren baissa la tête et son regard disparu derrière ses cheveux, ne laissant d’elle qu’une masse sombre dans la nuit. Luciano eut un instant d’hésitation à la vue des larmes silencieuses qu’il percevait sans avoir à les voir. Le visage enfoui dans ses genoux, recroquevillée sur elle-même, la fille de Pavlica lui paraissait plus vulnérable que jamais. Silencieux, l’intendant l’observa un moment … quoi faire, quoi lui dire pour apaiser en elle ce regret d’être en vie ? Tout comme elle ne pouvait empêcher le soleil de se coucher, Terren ne pouvait changer le cours des choses ; en cela, la fille de Pavlica n’avait jamais eu voix au chapitre. Camila était morte, et elle était en vie … si l’inverse aurait immanquablement offert une tournure différente au clan Terren – meilleure ou pire, qui pouvait le prédire ? – la réalité s’imposait cependant à eux, à elle. A quoi servait de rester sur des si, de s’étendre en conjectures et de souffrir de leurs hypothétiques vérités ? Rien n’était plus incertain que des postulats destinés à n’être jamais vérifiés. Les choses auraient-elle vraiment été mieux si Isidora et Camila avaient échangé leur place dans la mort ? Différentes était le seul et unique terme acceptable … rien ne promettait, rien ne certifiait que les Terren s’en seraient mieux sortit et Isidora avait tort de croire le contraire.

Se décidant finalement, Luciano s’accroupit pour parvenir à sa hauteur.

« — Isidora » l’interpella-t-il doucement.

Son prénom résonna étrangement dans sa bouche. L’avait-il déjà appelé ainsi ? Pas dans ses souvenirs en tout cas, et Luciano s’en rendit compte bien après que le son ait traversé ses lèvres. Animé par la volonté d’attirer plus que jamais son attention, ce choix lui avait paru aussi naturel que réfléchis. Loin de se laisser amollir par ce détail, avec prudence l’intendant leva une main vers elle, qu’il déposa sur son épaule non sans une dernière once d’hésitation, que la lenteur du mouvement n’avait pas manqué de trahir. Ses doigts se refermèrent sur leur prise et désireux de lui faire entendre raison quant à la futilité de ses projections, l’intendant s’apprêtait à poursuivre lorsque la jeune femme le repoussa ; bête blessée acculée, Terren gronda, chercha à faire fuir celui qui l’avait mis là.

Parce que les paroles ne suffisaient pas – s’il avait retiré sa main, Luciano n’en avait pas pour autant bouger d’un pouce, bien évidemment – Terren se leva finalement, non sans quelques mouvements incertains qui conféraient à son projet une dynamique fortement risquée. La suivant dans son mouvement, l’intendant ne la quitta pas des yeux jusqu’à ce qu’elle parvienne enfin à se remettre sur pied … avec plus ou moins de succès. Mollement, elle tenta de le chasser de nouveau, choisissant bien en vain la force – la force, c’était un bien grand mot – là où les mots avaient échoué. Isidora y serait peut-être parvenue si elle y avait cru, mais son geste désespéré manquait tant de convictions qu’il conforta l’intendant à l’idée de rester. Tentant le tout pour le tout, la jeune femme le gratifia d’une pique dans laquelle il la reconnaissait bien, mais qui manquait pourtant de ce mordant qui la caractérisait tant … l’imagination d’Isidora Terren avait connu des jours meilleurs.

« — C’est ce que tu as trouvé de mieux, vraiment ? » lui demanda Luciano. L’homme lui jeta un regard entendu dans l’espoir de la dissuader de poursuivre dans sa tentative de lui faire quitter les lieux … à quoi bon ? L’un comme l’autre savaient ce qu’il en retournait vraiment « Je ne repartirai pas d’ici sans toi. Tu pourras me promettre toutes les filles de Pavlica que ça n’y changera rien » assura l’homme de Borao.

Luciano laissa ses paroles résonner un instant dans la nuit. Une part de lui espérait également les voir s’ancrer dans l’esprit embrumé de Terren … non, il ne comptait pas la laisser ici seule à broyer du noir. Bien au-delà de l’aspect émotionnel, terre à terre Luciano savait que le gardien ne manquerait pas de revenir si Terren restait là à traîner telle une âme errante.

« — Je resterai là toute la nuit s’il le faut » poursuivit l’intendant « On peut rester là, à se regarder en chien de faillance à attendre que tu décuves, ou bien on peut discuter de ces choses que tu gardes au fond de toi et que tu parviens à cacher aux autres, mais pas à moi » déclara-t-il. Sa phrase comportait sans doute un peu trop de mots, mais le puîné s’en fichait bien « C’est toi qui vois, Terren »

C’était un choix que Luciano lui accordait, tout en sachant pertinemment qu’elle finirait bien par parler à un moment donné. L’alcool avait ce pouvoir-là : celui de délier les langues, parfois un peu trop. Si Luciano la savait loin d’être elle-même, ses démons, eux, restaient les mêmes et galvanisés par l’ivresse, ils dansaient, invisibles mais bien audibles.

« — Tu n’es pas seule. Pas ce soir » ajouta-t-il finalement.

Malgré leurs différents, malgré leur rivalité, Luciano pouvait-il vraiment faire office de confident et être cette épaule dont elle avait besoin ce soir ? Pourquoi pas ? Luciano lui avait-il déjà donné une raison de se défier de lui ? Non, jamais. Malgré la réputation qui lui ceignait, le puîné Viridis n’avait jamais pris Isidora Terren à revers et ce soir ne verrait pas ce jour venir.
Posté le Dim 12 Juin - 11:54
Isidora C. Terren
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One Drop too Many
FT. LUCIANO VIRIDIS

Existe-t-il, aux yeux d’Isidora, des relations égalitaires dans sa vie ? Celles-ci se comptent sur les doigts d’une main et encore… Elle ne saurait le reconnaître de manière aussi explicite. Effectivement, ce rapport de pouvoir n’existe pas pour elle dans véritablement deux cas particuliers : Adonis et Rachel. Le premier fait office de frère de plus d’une façon; en sa présence la jeune femme se sent pleinement comprise. Donnie et elle partagent bien des points communs, ont grandi au cœur de pressions familiales semblables. Rachel, tant qu’à elle, est tout aussi brisée, frivole et perdue. À ses côtés, Dora abandonne à l’occasion ce masque qu’elle porte en permanence et se permet de baisser les armes. Malgré tout, l’un comme l’autre n’ont jamais osé pénétrer dans ses jardins secrets, n’ont jamais causé délibérément un déséquilibre réparateur chez elle. Isidora s’entoure consciemment de gens qui lui ressemblent, ceux qui sont les moins susceptibles de la dérouter. Malgré elle, les personnes stables, celles qui ont leur vie rangée, l’effraient. Inflexible, elle ne peut comprendre qu’il existe d’autres modes de vie que ceux qu’elle emprunte. Cela impliquerait de reconnaître une faiblesse qu’elle n’est pas prête d’assumer. À Pavlica, son nom lui octroie certes de grandes responsabilités, mais aussi un respect qu’elle est certaine de ne pas mériter. Peut-on lui en vouloir de s’y raccrocher à tout prix ?

Une raison de l’animosité que porte la Terren envers son rival s’explique ainsi. Au-delà de la situation de leurs familles respectives, Dora ne peut le supporter pour tout ce qu’il représente. Un arbre, aux racines profondément ancrées dans le sol, solide et immuable. Elle n’est que fleur éphémère, plus colorée, plus rayonnante. Elle attire le regard, mais demain elle se fanera et que restera-t-il de son passage sur cette terre ? De bien des manières, la jeune femme s’est convaincu que sa vie prendrait fin avant qu’elle ne parvienne à trouver réponse à cette question. Le décès prématuré de deux membres de sa famille l’ont laissée avec la pensée implicite qu’elle subirait le même sort, tôt ou tard. Les Luciano de ce monde auront tôt fait de l’oublier. N’est-elle pas qu’une étincelle ? Elle jalouse son vis-à-vis qui lui survivra, qui aura une existence bien plus satisfaisante qu’elle. Lui qui est libre. Il est libre n’est-ce pas ? Au final, Isidora ne le connaît pas vraiment, a fondé son opinion de lui sur de nombreux stéréotypes pour certains infondés. Ce soir leur relation prend un détour inattendu, puisque loin de se laisser impressionner par ses lâches tentatives de le repousser, le blond s’obstine à lui faire face, à elle et ses démons.

Son obstination attise chez elle la colère. Elle se bute à une force de caractère plus grande que celle soupçonnée, une volonté qu’elle ne comprend pas. Pourquoi le Viridis lui impose-t-il sa présence ? Pourquoi rester alors que la Championne lui est insupportable ? Convaincue du mépris de l’intendant de Borao, elle ne peut que prêter de sombres dessins à son obstination. Une part d’elle se cambre, résiste et peste. Elle émet un grognement qui en dit long sur ses pensées : il veut rester pour mieux se moquer d’elle ! Pour mieux se jouer de ses faiblesses ! N’est-il pas là pour la considérer de haut, pour la traiter de gamine encore une fois ? L’alcool la rend d’autant plus émotive et plus du tout joueuse. Habituellement arrogante et provocatrice, elle ressemble désormais plus à une enfant molle qu’on aurait contrarié. Une gamine, oui certes, capricieuse qu’on aurait froissé. Ses sourcils se froncent, figeant son expression dans une confusion teintée de colère.

«Pourquoi ? T’es chiant à la fin ! Pourquoi t’es toujours là à me faire chier ? J’ai rien demandé moi, j’ai rien demandé !»

À mesure que la rage tend sa voix, ses larmes se font plus abondantes contre ses joues. Elle tire désormais sur son poignet, comme pour l’amener ailleurs, pour le faire disparaître de son champ de vision. Évidemment, avec ses nombreux kilos en plus et verres en moins, la jeune femme ne parviendra pas à faire bouger son adversaire du jour. Jurant dans sa langue maternelle, elle fait volte-face un peu trop brusquement et doit se rattraper une fois de plus sur la chemise de Luciano.

«Pis je garde rien ! Tu sais rien de moi alors arrête de faire semblant !» fait-elle en abattant sans force son poing sur sa poitrine. «Je vais pas rentrer ce soir, je veux plus le voir. J’vais rester là.»

Isidora se sent si fatiguée. À nouveau, elle pose sa tête contre Luciano, jetant progressivement les armes. Ses larmes prennent encore de l’ampleur, venant mouiller le vêtement de son rival. Contre lui, elle s’est mise à trembler, étourdie par sa consommation de ce soir. La poitrine de l’intendant lui paraît chaude et intolérablement rassurante. Elle y enfouit son visage pour tenter, d’une certaine manière de ravaler sa honte. Or, son corps refuse de lui obéir, de la détacher de son ennemi. Alors, contre elle-même, elle vient enserrer ses bras autour de lui, non sans une hésitation palpable. Entre deux halètements à déchirer le cœur, on l’entend gémir tout bas.

«J-e-e te dé-é-é-teste…» parvient-elle misérablement à articuler.

Écartelée entre le dégoût que lui inspire de lui faire confiance, de se montrer vulnérable et de prendre appui sur lui, et le soulagement ressenti face à cette intervention silencieuse, elle sent un poids alourdir sa poitrine. Elle ferme les yeux pour fuir le tournis désagréable qui s’est emparée d’elle après tant de remous et d’émotion.

«T-tu veu-eux que je dise qu-quoi ? J-je s-sais p-pas parler. E-el-le me m-manque à moi aus-s-si, cette s-s-tupide garce ! J-je veux j-juste p-pas sa vie…»

Se lovant un peu plus contre lui, elle se laisse pleurer franchement, incapable de toute manière de retenir le flot qui s’écoule contre ses joues. Elle ne réfléchit plus à l’impact de ses actions ou de ses mots, dépassée par elle-même, par ses ressentis, par la violence de ses émotions. Si on la surprenait, là tout de suite, dans les bras de Luciano ? On s’imaginerait encore des choses qui ne sont pas, encore une fois elle subirait les foudres de son père. Elle ne peut pas y penser, pas tout de suite du moins.

«Je veux p-pas y retourner…»

À quoi fait-elle mention ? À son chez-soi, qui illumine la colline de ses mille feux ? Sous l’œil sévère de son père ? Dans l’obligation de vivre la vie que Camila menait avant sa mort ? Difficile à dire. La Championne de Pavlica s’exprime sans réfléchir, sans raison ou sens.

Quel sens y a-t-il à se faire de tout cela de toute manière ?
Posté le Mar 14 Juin - 18:08
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"Tout passe", ce n’est pas si vrai que ça (…)
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Elle n’avait rien demandé, non, et c’était bien pour cela que Luciano était décidé à rester ; pour ça, et pour toutes ces autres choses qu’elle gardait sous silence, tant aux autres qu’à sa propre conscience. Si Luciano se gardait bien de prétendre tout savoir d’elle, il en savait déjà plus qu’elle-même sur elle. Comment ? La réponse était simple, en partie : Luciano avait vécu plus longtemps qu’elle, et avait par ce fait emmagasiné une expérience de la vie qu’elle ne possédait pas, pas encore. Bien qu’indéniablement différentes, leur existence se teintaient également de similitudes que Terren, dans sa méconnaissance de l’homme, ne pouvait percevoir. Comment l’en blâmer ? Lui aussi faisait semblant après tout, et en vérité bien mieux qu’elle.

De nouveau la jeune femme tenta de le faire partir, le tirant dans l’espoir de le faire bouger. Fair-play Luciano esquissa un pas, par convenance plus que par contrainte … elle allait finir par se blesser à tenter ainsi l’impossible et l’intendant voulait l’éviter autant que possible. Son cœur ne saignait-il déjà pas suffisamment comme ça ? Terren pouvait bien mettre dans son œuvre toute la force dont elle disposait, aucune réalité ne lui offrait la satisfaction de parvenir à ses fins, et encore moins celle dans laquelle elle se trouvait ce soir. Trop absorbée dans sa tâche pour prendre garde, trahis encore une fois par son équilibre incertain, la gamine chancela pour se rattraper à lui, s’agrippant si fortement à sa chemise que Luciano sentit le vêtement se froisser entre ses doigts. Primitif instinct, l’intendant lui attrapa le bras dans l’espoir de la garder sur pied … allié traitre, l’alcool ne lui laissait aucun répit, ne lui pardonnait rien.

En guise d’ultime révolte à l’encontre de cet homme et de ses mots un peu trop vrais, réfutant ses paroles la jeune femme frappa son torse sans force aucune, à croire que cela aussi avait fini par l’abandonner. L’attention happé par ses dernières paroles, Luciano se surprit à se questionner : qui était ce lui qu’elle ne voulait plus voir ? Son père, surement … qui d’autre ? Loin de laisser le geste désespéré de Terren l’irriter, l’intendant se contenta de rester immobile, inébranlable chêne face aux assauts du vent. Presque brusquement enfin, Luciano la sentit s’arrêter, comme si une chose en elle avait subitement baissé les bras, abandonnant le combat … sa résistance peut-être ? L’intendant n’aurait su le dire mais l’instant d’après, Terren déposait de nouveau sa tête sur sa poitrine, laissant sa peine la gagner entièrement.

Cette fois, Luciano s’y était attendu.

Bientôt, contre lui l’homme de Borao la sentit tremblante. Dans leur fureur, les émotions laissaient derrière-elles peu de choses si ce n’était le vide de leur soudaine absence, et éreintée Terren s’abandonna au contact, laissant à Luciano l’occasion de percevoir toute l’ampleur de ce qu’elle avait jusqu’alors su contenir, mais plus à présent. Sur sa poitrine, le visage de la jeune femme se fit plus pressant, plus présent, humidifiant par ses larmes la chemise contre laquelle elle avait trouvé refuge … et puis, finalement, l’intendant sentit les bras de la fille de Pavlica se refermer sur lui, non sans une lenteur qui le fit longtemps douter quant à son achèvement. Âme esseulée, Terren se raccrochait à la seule chose qui s’offrait à elle ce soir.

Pendant un instant, Luciano ignora quoi faite et où poser ses mains. Si en d’autres circonstances l’homme ne s’en serait pas préoccupé, ce soir pourtant l’intendant ne pouvait se permettre de laisser ses gestes être mal interprétés. La vulnérabilité de Terren, couplé à son désespoir et à sa proximité soudaine, le portait à entrevoir une issue qu’il souhaitait éviter ce soir. S’il ignorait encore quelle tournure comptait prendre leur relation – Luciano n’avait pas l’impudence de dire jamais – il savait cependant avec une certitude extrême que la laisser franchir le pas ce soir – si franchissement de pas il devait y avoir – n’était pas correcte, ni décent. Luciano n’était pas de ces charognards profiteurs et l’homme avait conscience que la Terren qu’il connaissait ne manquerait pas de le remercier pour cela … l’intendant ne comptait pas la laisser faire n’importe quoi ce soir et pour ce faire, il devait lui-même rester prudent, circonspect, et chasser toute ambiguïté.

En cela, Luciano n’eut pas tant de difficulté : l’intendant n’avait jamais vraiment su se montrer affectueux en quelque matière que ce soit, réservant ce privilège aux rares personnes qui avaient un jour su toucher son cœur ; mais parce qu’il ne pouvait décemment pas la laisser seule dans cette étreinte, l’homme tâcha de trouver un juste milieu. Enfouissant une main dans sa propre poche, Luciano laissa la deuxième se poser sur l’épaule de la jeune femme, glisser sur ses omoplates pour finalement terminer sa course de l’autre côté de son dos, aux abords de sa seconde épaule. Ainsi positionné, son bras lui barrait le haut du dos, et entre deux sanglots Luciano l’entendit souffler quelque chose. Elle le détestait, oui, bien sûr qu’elle le détestait.  

« — Je sais, Terren. Je sais » répondit-il, frottant doucement son dos l’espace de quelques mouvements.

Et il savait aussi que ce sentiment qu’elle lui portait ne trouvait pas sa source dans une haine profonde et viscérale, non. Avec une exactitude dont il était presque certain, Luciano savait ce qui lui valait cette animosité, l’avait toujours su, plus ou moins : l’intendant représentait tout ce que Terren n’avait pas – pensait ne pas avoir – et la native de Pavlica l’exécrait pour cela. D’une certaine manière elle le jalousait, comme une enfant jalouse un aîné, et puisqu’elle ne pouvait l’égaler Terren avait tenté de le briser, de l’ébrécher, en vain : éternel adversaire invaincu, malgré toutes ses tentatives Isidora Terren n’avait jamais su le faire plier, jamais, renforçant ainsi son aversion pour lui. Ce soir, elle le détestait d’autant plus qu’il était là, dans son improbable bienveillance, jouant un rôle que l’orgueil de la jeune femme peinait à accepter.

Par la suite, malgré ses propos et ses affirmation, Terren lui parla plus qu’elle ne l’imaginait. Le regard fixé au loin, Luciano referma sa prise sur elle tandis qu’il percevait sur son visage s’écouler des larmes trop longtemps contenues. L’intimité de l’instant le rendait prévenant et sérieux comme jamais ; affable, l’intendant l’accueillait, elle et ses paroles, avec une bénévolence qu’elle ne lui connaissait bien évidemment pas, mais qui ne manquerait pas – il en était certain – de laisser dans sa mémoire un souvenir qui, à tous les coups, viendrait narguer sa fierté pendant encore longtemps.

Terren ne voulait pas de la vie de sa sœur … quoi de plus normal et évident ?

« — Si tu ne veux pas de sa vie, alors ne la vis pas » lui répondit finalement Luciano « Ne te crois pas responsable de devoir accomplir ce qu’elle n’a pas eu le temps de faire, ni de prendre une place qui n’est pas la tienne. Tu n’es pas Camila Terren, et tu ne le sera jamais » affirma l’intendant « Et c’est tant mieux » ajouta-t-il « Tu dois vivre ta vie, Terren. Pas celle d’une autre »

Si Eduardo Terren jouait indéniablement un rôle dans tout ça, Luciano n’était pas sans savoir qu’en cela, Isidora avait également sa part de responsabilité : si son père était insidieusement parvenu à la convaincre de reprendre le flambeau laissé par sa sœur, c’était que quelque part, Terren s’était convaincue elle aussi de devoir le faire. Pourquoi ? La culpabilité bien sûr, tout était question de culpabilité.

« — C’est normal d’être triste, d’avoir de la peine, d’avoir mal, et c’est normal de vouloir perpétuer ce que les morts ne peuvent plus faire, et de vouloir combler le vide de leur absence. On s’en croit responsable, parce qu’on est encore là et pas eux, mais c’est une erreur. Ta sœur n’aurait pas voulu ça » assura l’homme de Borao. Il fit une courte pause, s’aventura dans des suppositions « Qui sait, peut-être ta sœur ne voulait pas elle-même de sa vie. Certaines personnes sont douées pour faire semblant, suffisamment pour qu’on y croit » déclara-t-il.

Quel message y avait-il derrière ses derniers mots ? Malgré l’alcool qui lui embrumait l’esprit, peut-être Terren serait-elle en mesure de le percevoir … oui, certaines personnes étaient douées pour tromper les autres, elle par exemple ; et puisqu’elle l’était, n’était-il pas envisageable de croire que sa sœur l’avait été aussi ? Jusqu’où Isidora Terren avait-elle connu Camila ? La relation entre les deux sœurs – que Luciano devinait conflictuelle – trouvait peut-être son origine dans la jalousie de l’aînée à l’égard de sa cadette. Si Camila avait un tant soit peu ressemblé à Terren, et si tout comme elle le joug de leur père l’avait forcé à embrasser une destinée dont elle ne voulait pas, cette perspective n’était pas si improbable que cela.

« — Fait ce que tu veux, et non pas ce qu’on attend de toi. C’est le meilleur hommage que tu puisses lui faire » assura finalement Luciano.

Et pour la première fois, le puîné abaissa son regard d’acier vers elle, permettant à ses yeux de croiser les siens. Désormais silencieux, l’intendant la dévisagea pendant longtemps, cherchant sur son visage le signe d’une réaction, d’une preuve infime qui lui permettrait de croire qu’une part de ses paroles avait cheminé dans son esprit, un peu, juste un peu.
Posté le Dim 19 Juin - 8:26
Isidora C. Terren
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One Drop too Many
FT. LUCIANO VIRIDIS

Faire du sens de son vécu est quelque chose qu’elle a déjà tenté de faire, par le passé. Grâce à l’intervention de plusieurs de ses connaissances, Isidora a tenté sa chance en thérapie auprès d’un psychologue privé réputé de Pavlica. Alors tout comme aujourd’hui, elle s’est trouvée confrontée à une incapacité de taille : celle de communiquer ses émotions. Depuis toujours on lui a appris à les refouler de manière à ce qu’elles n’embêtent personne, y compris elle-même. Ainsi pleurer de fait aucunement partie de son quotidien, bien à l’inverse. Les dernières versées doivent remonter certainement à 2015, lorsque sa vie de plus d’une manière a pris un détour dramatique. Le décès de sa sœur, la perte de ses alliés, la fin brutale de plusieurs de ses projets, sa rupture avec son ex… Pourquoi ce soir se permet-elle cette démonstration ? De bien des façons, Dora n’a pas fait son deuil de cette époque. Une fatigue, très certainement, s’installe et avec elle l’ultimatum d’une décision qu’elle n’est pas encore prête à prendre. Grâce à sa perspicacité, Luciano Viridis a cerné une part de l’ampleur du problème qui l’incombe, sans en comprendre encore toutes les composantes. Bien des détails lui échappent, or, dans l’état où elle se trouve, la jeune femme se trouverait dans l’impossibilité de lui expliquer. Puis de toute manière, elle ne sait pas parler.

Pourtant Isidora sait s’exprimer. Parfois colorée dans ses propos, elle n’en demeure pas moins une talentueuse oratrice, capable de captiver son auditoire et d’user de mots aussi fins que justes. Lorsqu’il s’agit d’elle-même toutefois, la princesse de Pavlica perd tous ses moyens. Si personne n’a pris la peine de lui nommer ses émotions, on a plutôt validé ses comportements : lorsqu’elle prenait la parole pour écraser l’autre, lorsqu’elle asseyait sa supériorité sur autrui, lorsqu’elle imposait, ou même lorsqu’elle se battait. On l’a façonnée avec pour modèle la violence, de bien des manières. Si Dora est bien moins violente et agressive que pouvait l’être Camila, ou que peut être encore à ce jour Adelina, il demeure qu’elle s’investit auprès de l’autre toujours dans un rapport de force. Ses relations sont teintées de ce déséquilibre entre l’un et l’autre; or en Luciano elle a trouvé un adversaire de taille et se trouve désormais dans une vulnérabilité peu commune – non ! rarissime ! – qui n’est pas due seulement à l’alcool. Qu’il soit l’accueil de ses misères n’est pas dû simplement au hasard de leur rencontre. De par ses mots qu’elle n’a jamais entendus, il est venu ébranler ses fondations fragilisées par sept ans de perdition.

Vis ta vie, pas celle d’une autre.

Plus facile à dire qu’à faire. Isidora n’a pas guéri des événements du mois de mai 2015, ne s’en remettra probablement jamais tant qu’elle ne parviendra pas à ouvrir le sceau de ses souffrances. L’intendant de Borao n’en a ce soir qu’un infime aperçu. Aujourd’hui, ses paroles ne sont qu’une goutte qui fait déborder un vase plein depuis des années. Aussi justes soient-elles, la jeune femme n’est simplement pas prête à les recevoir, à les assimiler tel qu’il l’aurait fallu. Devant ses mots, son esprit embrumé par l’alcool interprète difficilement, ainsi lorsqu’il baisse les yeux vers elle, elle le regarde sans vraiment comprendre. Tout ce qu’elle ressent n’est qu’un malaise soudain face à sa tentative de l’aider, à leur proximité, à cette bienveillance qu’elle n’a que peu rencontré dans sa vie. Une Dora en état de le faire l’aurait probablement affronté dans ses mots, mais ainsi affectée par ses excès de la soirée, la Championne manque d’énergie pour combattre. Ainsi, non sans une certaine mollesse, elle se détache de lui pour essuyer ses larmes, même si en elle sa peine gronde toujours.

Une part d’elle aimerait lui dire que la vie qu’elle aimerait mener est illégale et impossible. Que les rêves auxquelles elle aspirait se sont dissous entre ses mains au décès de Camila, lorsqu’elle a dû reprendre la tête de sa famille. Que malgré tout, sa famille compte pour elle plus que n’importe quoi.

«Comment ils disaient dans le film là, tu sais ? Hakuna signifie famille ? Nah, Hahona… Hakuna Matata ?» elle rigole, même elle se rend compte qu’elle ne fait pas beaucoup de sens. «Família c’est important, Viridis.»

En cette simple phrase, la jeune femme vient d’exprimer une de ses plus profondes valeurs. Aussi dysfonctionnelle soit sa famille, elle passera toujours en priorité pour Isidora. La jeune femme ne fait confiance à personne si ce n’est que de ces liens de sang; son père, Adelina et Diego sont tout ce qu’il lui reste. Les Terren forment un clan que rien ne peut briser, à l’exception peut-être d’eux-mêmes. Dora a pour désir, louable, de les honorer. De prendre sa place dans l’empire de son père. De protéger sa fratrie.

«J’sais pas c’que je veux. C’que j’veux c’est impossible à cause de gens comme toi. Je veux juste pas être à la maison ce soir.»

Elle se rassoit contre la tombe de sa sœur lourdement et ferme les yeux tandis qu’une chanson remplace Call Me Maybe sur son cellulaire, abandonné dans l’herbe. Isidora ferme les yeux, les frottant vigoureusement pour éviter qu’ils ne se remettent à couler. Pourtant la chanson, provenant d’un film lui aussi, rappelle tristement sa réalité.

«Okay, j’ai parlé, maintenant quoi ? Tu peux aller me chercher d’autre tequila ?»

Dora n’a pas réellement soif. Elle veut juste engourdir ce mal dans sa poitrine, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que l’inconscience. Demain au moins cette date sera passée.
Posté le Mar 21 Juin - 9:47
Luciano Viridis
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Une Goutte de Trop

"Tout passe", ce n’est pas si vrai que ça (…)
Je dirais plutôt que "tout se surmonte" et qu’on va de l’avant

Luciano Viridis faisait-il le bon choix ? Quelle sagesse y avait-il à venir en aide à cette gamine de Pavlica, à la fille désormais héritière de celui qui était son ennemi ou peu s’en fallait ? Sans doute y en aurait-il eu une si son geste avait été pourvu d’une arrière-pensée, ou bien animé d’un appât du gain – tous les gains n’étaient pas matériels ! – ou d’un espoir de pouvoir, à terme, l’avoir sous sa coupe, la contrôler, l’influencer … hélas, la motivation de l’intendant de Borao ne trouvait sa source dans aucune de ces choses-là. Alors quoi ? Qu’est-ce qui le poussait à laisser les problèmes d’Isidora Terren le concerner, et donc l’atteindre d’une certaine manière ? N’avait-il pas assez de problèmes et suffisamment de démons ? Il fallait croire que non.

Luciano n’était pas certain de la justesse de son choix, ni de la légitimité de la place que, par ce fait, il prenait. Être là dans les instants critiques d’Isidora Terren n’était-il pas réservé aux membres de sa famille, à ceux qui partageaient son sang, ou du moins sa vie depuis plus longtemps que lui ? Où était la Rachel dont il avait entendu parler à La Isicao ? Cette place qui ne lui était pas destinée, Luciano la tenait pourtant ce soir, en tout état de cause ou presque ; éthogramme primitif trop souvent contenu, l’intendant ne parvenait pas à fermer les yeux dessus, lui qui avait l’exclusive occasion d’y jouer un rôle.  

Chargé d’incompréhensions, le regard qu’Isidora leva vers lui à la suite de ses paroles termina de le persuader du mauvais timing de son discours ; l’esprit trop perdu, la jeune femme peinait à en imprimer tout le sens, toute l’ampleur … tant pis. Luciano avait bon espoir de voir ses mots se figer dans sa mémoire – au moins en partie – et dans le cas contraire, lui n’oublierai pas. Une prochaine fois peut-être ? Peut-être … après tout, l’intendant n’avait pas eu la prétention de croire qu’il saurait à lui seul en un soir régler tous les problèmes d’Isidora Terren. Le pouvait-il simplement ? Sans doute pas. Se détachant finalement de lui et de leur étrange étreinte, Terren tenta d’effacer ses larmes que Luciano savait loin d’être terminée, et en guise de réponse la jeune femme lui offrit une référence, dont l’approximation le laissa un instant perplexe … venait-elle vraiment de lui citer un Disney ? Maintenant qu’il y réfléchissait, l’intendant se souvenait de cette phrase, tout droit sorti d’une histoire où s’opposaient des lions à la manière d’Hamlet. Loin d’être spécialiste en la matière, Luciano doutait pourtant de la pertinence de sa citation … que signifiait cette phrase déjà ? Trahit par sa mémoire que l’alcool rendait incertaine, Terren déraillait un peu, pourtant ses derniers mots firent raisonner quelque chose dans le cœur du puîné, une chose qu’il aurait aimé ne pas voir s’éveiller ce soir.

Família c’est important, Viridis.

Oui, Terren ne savait pas si bien dire ; elle ne le savait pas, ne le pouvait pas. Si les paroles de la jeune femme ne semblaient pas lui être destinées, elles venaient pourtant faire immanquablement écho aux problématiques des Viridis, à l’un de ces rares point sensible que Luciano mettait – croyait-il avec succès – tant d’énergie à dissimuler. Bien plus unis qu’ils ne le laissaient croire ou même percevoir, les Viridis souffraient pourtant d’une réputation peu glorieuse concernant leurs liens familiaux, que le temps et les évènements n’avaient pas manqué d’effiler, fil après fil. Comment ne pas douter de leur loyauté, lorsque derrière-eux traînaient cette trahison fratricide qui avait vu mourir Foldo Viridis, et quelques années plus tard celle d’Aro, qui avait fait le choix de rejoindre l’ennemi ? Force était de constater que l’opinion publique, largement influencée par les évènements officiels, portait peu de crédit à cette valeur-là chez les Viridis … mais la vérité, pourtant, était bien différente, à un point que Terren ne pouvait s’imaginer. Le pire ? Au risque de trahir la mascarade que les Viridis entretenaient depuis près de six ans, Luciano ne pouvait lui dire combien ce principe lui était cher à lui aussi, et combien il l’entendait. Sans doute trop ivre pour percevoir le trouble que dissimulait le silence de l’intendant, la jeune femme poursuivit, loin de remarquer la portée qu’avaient eu ses mots sur cet homme d’ordinaire impassible. Celles qui suivirent, cependant, ne laissèrent pas tellement plus de répit à sa conscience.

C’que j’veux c’est impossible à cause de gens comme toi.

L’attention de Luciano s’attarda sur ces paroles … que voulaient-elles dire exactement ? Une part de lui n’était pas certain de vouloir le savoir. Demeuraient, concernant les Terren, des rumeurs loin d’être infondées et dont beaucoup de gens avaient connaissance, pour ne pas dire tout le monde : le clan dominant de Pavlica avait pour réputation de tremper dans un paquet  de choses que les gens "comme lui" avaient rendu illégales, et si la version officielle réfutait bien évidemment ces racontars, la vérité n’était inconnue de personne. Isidora faisait-elle exception à la règle ? Surement pas … pourquoi le ferait-elle ? Après tout, Luciano ignorait toujours comment la gamine de Pavlica avait obtenu l’adresse où il avait retrouvé Gara à La Isicao. Comme beaucoup d’autres choses, le combat que Luciano Viridis menait contre les manquements aux lois de Cinza faisait de lui un ennemi des Terren … était-ce à cela qu’Isidora faisait référence ? Les défendeurs du système – dont Luciano faisait partie – avaient-ils par leurs actions brisé les rêves de la jeune femme ? Et qu’étaient-ils, ces rêves qui ne lui étaient plus permis ? Loin de s’imaginer la véritable identité de Terren au sein de ce monde que l’intendant haïssant tant, Luciano fit le choix de ne pas relever ses paroles … tout en se gardant bien de les oublier. L’observant s’installer contre la tombe de Camila, Luciano écouta d’une oreille distraite la chanson entrante … dans leur hasard, pourquoi ses titres devaient-ils être si pertinents ? Ses deux mains retournées dans ses poches, Luciano fit quelques pas vers elle, la rejoignant d’un mouvement lent.

« — T’as bu toute la téquila, Terren » lui répondit-il « Je te conseille de passer à autre chose. De l’eau, par exemple » proposa-t-il.

Une réponse qui n’allait sans doute pas lui plaire, mais qui reflétait bien le sous-entendu de l’intendant : la fille de Pavlica avait suffisamment bu comme ça, beaucoup trop à vrai dire, et apporter de l’eau à son moulin – ou plutôt de l’alcool – était la dernière chose qu’il comptait faire. Décidant à la place de donner réponse à ses paroles énoncées quelques instants plus tôt, Luciano se figea devant elle, le regard baissé sur sa silhouette qui ne payait pas de mine.

« — Si tu ne veux pas rentrer chez toi ce soir, où est-ce que tu comptes aller, hum ? » lui demanda-t-il « Tu ne peux pas rester là, Terren. Si tu ne décarres pas d’ici le gardien va revenir, et je pense que cette fois, il ne sera pas seul » assura l’intendant « Je t’aime bien, mais pas au point de me faire prendre ici, seul avec toi au milieu des tombes. Je ne pense pas que nous ayons besoin de ce genre de publicité en ce moment, pas ce soir en tout cas » affirma-t-il.

Elle bien plus que lui en vérité, car qui savait ce qu’Eduardo Terren était capable de faire s’il apprenait ce soir que sa fille avait été vu dans le cimetière aux côtés de ce satané Luciano Viridis … rien d’enviable en tout cas et l’intendant le savait bien, le devinait. Refusant d’écouter plus longtemps la chanson qui passait et dont le sens apportait à l’instant une lourdeur dont ils pouvaient se passer, l’intendant s’approcha de l’endroit où gisait le téléphone, plia les genoux pour rejoindre le sol. Faisant glisser ses doigts sur l’écran tactile l’homme lança une nouvelle musique, plus douce à bien des égards, mais tout autant chargé de sens.


« — Là, c’est mieux » déclara-t-il pour lui-même tandis que la chanson commençait … émettre un jugement sur les goûts musicaux d’Isidora Terren n’était pas son intention. Laissant la chanson dévoiler ses premières paroles, Luciano se releva pour faire de nouveau face à Terren, dardant son regard sur elle « Alors, où est-ce que tu veux aller ? » demanda-t-il.

Lui faire quitter cet endroit serait déjà une belle victoire.
Posté le Mer 22 Juin - 15:11
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One Drop too Many
FT. LUCIANO VIRIDIS

Prêter quelque intention qu’il soit à la jeune femme qui lui fait face serait totalement inutile. Ses faits et gestes relèvent de pensées solubles qui s’envolent sitôt elle les formule, créant chez elle un profond lunatisme. Ses émotions et réflexions ne sont plus que bulles de savon; certaines se laissent emporter au vent alors que d’autres se percent avec un certain fracas. Progressivement, Isidora sent ses moyens lui échapper et l’avènement désiré approcher. Combien de temps encore avant que tout dans son corps et dans son esprit ne se couvre des ténèbres de l’inconscience ? Difficile à dire. Il lui semble qu’un obstacle de taille se place entre elle et son désir le plus profond. Luciano Viridis, encore une fois, s’est borné à l’enquiquiner cette fois certainement un peu plus volontairement qu’à son habitude. Dora laisse ses mains quitter les yeux fatigués, couler contre ses joues en y dessinant les lignes noires que formaient son maquillage quelques instants plus tôt. L’ocre pailleté de son ombre à paupière dessine désormais contre ses pommettes une constellation brillante qui rappelle celles qui dansent au-dessus de leurs têtes. Ses prunelles d’améthyste luisent d’un éclat remarquablement vivant, vivace, saisissant, malgré l’ébriété qui émousse ses sens. C’est bien là son drame; Isidora n’est jamais vraiment parvenue à mettre sa vivacité de côté, ne peut s’empêcher de penser et d’une certaine manière de se faire du mal. Sauf peut-être en parvenant au bout, tout au bout des limites de son propre corps, lorsque celui-ci cède aux assauts de l’alcool.

Alors ces deux perles s’élèvent vers celui qui la surplombe de ses presque deux mètres, qui la considère de là où elle voudrait être. Isidora, ce soir, a perdu son courage. Il est des jours où le poids de son nom l’écrase, où elle voudrait être quelqu’un d’autre. Quelqu’un de libre, quelqu’un au final qu’elle ne connaît pas beaucoup. De son perchoir privilégié, Luciano l’a-t-il entraperçue ? Cette femme qu’elle aimerait inconsciemment devenir, cette part d’elle qu’elle dissimule avec tant d’ardeur ? Ou s’attardera-t-il à ses jeux, à sa fumée, à la haine qu’elle lui réserve ? Un instant, elle soutient son regard et l’observe avec une étonnante lucidité, comme si elle mesurait le poids de cette conversation. Comme si d’une certaine manière elle comprenait ce qu’il disait malgré le monde qui tourne, tourne, tourne autour d’elle. Puis l’instant se dissipe en une moue déçue lorsqu’il évoque l’absence de tequila; comme il est frustrant, pense-t-elle. À toujours être cette frontière entre elle et ses ambitions. Comme il est frustrant.

«J’m’en fous du gardien, il peut aller baiser sa mère !»
fait-elle d’une voix trop forte. «Puis j’t’ai pas sonné toi non plus.»

S’il veut partir, qu’il le fasse se dit-elle, sans vraiment y mettre de cœur. Car malgré sa hargne elle n’a aucun désir de le voir partir. Malgré ses discours, malgré ce qu’elle perçoit tel de la condescendance, sa volonté à ne pas rester seule est plus grand encore que celui de perdre la maîtrise d’elle-même. Isidora pourrait se le permettre avec lui. Car Adonis, Rachel… comment pourrait-elle agir ainsi sans crever l’abcès ? Sans franchir un pas qu’elle ne pourrait jamais effacer ? D'une certaine manière, les gens avec qui elle saurait se montrer vulnérable n'ont jamais eu le plaisir de la voir ainsi. Au moins la jeune femme a la décence de le reconnaître : baisser les armes devant eux serait de mettre fin définitivement à leurs rapports. La Terren ne peut se permettre d'offrir du pouvoir ainsi à quelqu'un, prouvant à quel point ses relations avec autrui sont malsaines et erronées pour elle. Elle les garde donc tout près, sans leur accorder le loisir de vraiment s'approcher. Elle ne voudrait pas avoir à les couper de sa vie. Elle a bien trop besoin d'eux après tout. Voilà le paradoxe qui l'habite.

Sauf que le Viridis n'a en rien son affection. Couper les rapports avec lui suite à cet instant de faiblesse ne sera pas difficile pour elle. Pourrait-elle donc lui donner une chance ce soir ? Un instant, longuement, elle reste silencieuse face aux questions de son interlocuteur, si bien qu'on pourrait presque la croire endormie. Son esprit enseveli par ses excès tente misérablement de réfléchir convenablement à la situation, de l'analyser, sans parvenir à une réponse acceptable. Elle se sent simplement blessée, encore une fois, de la suggestion du tort qu'elle pourrait causer à la réputation du blondin. Elle s'insurge intérieurement : s'il a crainte d'une atteinte à son fameux prestige, pourquoi s'obstine-t-il auprès d'elle ? La part d'elle trop atteinte ignore ce fait évident transmis par les actions de l'homme lui faisant face. Ce qu'il propose est plutôt de lui éviter tous les problèmes que sa présence à lui causerait si on les surprenait tous les deux. Il la protège, dans un sens, comme elle a pu le faire dans la Raikar quelques mois plus tôt. Une idée trop saugrenue pour qu'elle puisse l'assimiler.

Puis Luciano se met en mouvement, la faisant presque sursauter elle qui commençait à s'assoupir. Isidora l'observe tandis qu'il attrape son téléphone, curieuse de ce qu'il en fera. À l'interruption de sa musique elle grogne un peu en guise de désapprobation, néanmoins elle prête une oreille attentive lorsqu'une autre chanson s'élève. Aussitôt, la jolie mélodie capte son intérêt. Laissant ses frustrations s'envoler, elle écoute attentivement la chanson, oscillant la tête au rythme de la musique et chantonnant une fois qu'elle a pris l'air en main. Les paroles et leur sens lui échappent, mais un sentiment de bien-être englobant, celui qu'il recherchait sans le savoir, l'envahit. Un sourire véritable se peint contre ses lèvres, faisant revivre ce visage pâteaux et fatigué.

«C'est bien ce morceau. J'l'aime bien.» fait-elle avec une douceur étonnante. Un instant elle a ignoré sa question, si bien que bientôt elle l'oublie momentanément. Finalement, elle s'adresse de nouveau à lui, prête, un peu plus que tout à l'heure, à trouver des solutions. «Le Casino. Je veux aller chez moi. Tu veux bien m'aider à me relever ?»

Tant bien que mal, la Terren se remet sur ses pieds. Sa tête est lourde, son estomac de travers, ses mouvements désarticulés. Pourtant elle se met à marcher de sa démarche vacillante, en direction de la route qu’on devine dans la pénombre du cimetière. Elle n’a pas l’habitude de regarder derrière elle pour voir si on la suit; non elle préfère œuvrer seule. Dans sa réponse à Luciano, il n’y avait aucune invitation, aucune arrière-pensée. Toute sa vie on lui a montré à ne faire confiance à personne, à travailler seule plutôt qu’en équipe. Pourtant presque imperceptiblement, elle se retourne vers le blond et le regarde non sans une certaine confusion et un sourire amène.

«Alors, tu viens ?»
Posté le Dim 26 Juin - 14:08
Luciano Viridis
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Une Goutte de Trop

"Tout passe", ce n’est pas si vrai que ça (…)
Je dirais plutôt que "tout se surmonte" et qu’on va de l’avant

L’intendant de Borao devait bien le reconnaître : il y avait, dans l’infaillible volonté de Terren à repousser son aide, une résistance extrême qui perdurait sans se laisser abattre, pas même par l’alcool ; en digne habitude elle revenait, présente bien qu’agonisante, jamais vraiment éteinte. Dans ce regard qu’elle avait levé vers lui,  Luciano avait pourtant sentit quelque chose, une chose qui s’était finalement heurtée à ce primitif instinct contre lequel il ne pouvait pas faire grande chose – pas encore – un instinct, qui sans doute s’était vu titillé par le refus de l’intendant d’offrir à sa propriétaire ce qu’elle souhaitait. Sa réponse – dont le charme lui ressemblait bien – ne se fit pas attendre et Luciano ne put s’empêcher d’esquisser un sourire aux mots doucereux qu’elle réserva au gardien … fougueuse même aux heures les plus sombres, certaines étincelles ne s’éteignaient jamais.

« — C’est poétique » déclara-t-il pour toute réponse.

Comme il en avait maintenant pris l’habitude, Luciano avait ignoré ses paroles à son encontre, celles qu’elle avait prononcé dans l’espoir de lui faire quitter les lieux et qu’il ne voyait ni plus ni moins que comme une tentative machinale et coutumière qu’elle offrait aux personne qui s’aventuraient à lui tendre la main. Face à l’intendant de Borao, cette habitude avait bien du soucis à se faire ; tenace, Luciano n’était pas de ces hommes à abandonner facilement – à abandonner tout court – et c’était d’autant plus vrai lorsqu’il savait son combat juste, nécessaire. Désormais, Terren pouvait bien lui balancer ce qu’elle voulait, Luciano ne comptait plus laisser à sa fierté la satisfaction d’obtenir ce qu’elle voulait. Et s’il devait s’en faire détester pour cela ? Cela ne lui posait pas problème, ne lui faisait pas peur … Luciano Viridis ne faisait pas l’unanimité à Cinza aussi avait-il l’habitude ; un peu plus, un peu moins, cela lui importait peu.

Si Luciano ne s’était pas attendu à voir sa chanson changer quoi que ce soit, l’atmosphère nouvelle qu’elle apporta à l’instant lui octroya une satisfaction qu’il n’avait pas su prévoir, qu’il n’avait pas espérer. Renforçant cette sensation, l’expression qui naquit sur le visage de Terren ne lui échappa pas, et le sourire qu’elle afficha redonna un semblant de vie à sa mine jusqu’alors bien morne. Terren "aimait bien ce morceau" et pour la première fois depuis longtemps, pour un temps qui ne dura qu’une fraction de seconde, les lèvres de Luciano s’étirèrent à leur tour.  D’un sourire discret, presque invisible, à peine perceptible et pourtant présent, le mouvement subtil trahissait le sentiment de l’intendant à l’égard de cette information banale pour beaucoup de gens, mais pas pour lui. Oui, pour son air autant que pour ses paroles, lui aussi aimait cette chanson et cette vérité supposait l’existence d’un point commun qui le laissa non sans un certain contentement, qu’il ne pouvait clairement expliquer. Se pouvait-il, finalement, que Terren et lui-même puissent se voir unir par autre chose que des différences ? Si Luciano n’imaginait pas un seul instant voir la jeune femme saisir le sens des paroles et encore moins le message qu’elles laissaient sous-entendre, cette perspective animait cependant quelque chose en lui … quoi donc ? L’intendant n’avait pas de mots pour cela non plus mais fugacement, l’impression d’être un peu moins seul le gagna, timidement. C’était un peu idiot, mais pourtant avéré.

La requête de la jeune femme le sortit de ses pensées, de cet état étrange dans lequel l’avait laissé la chanson et ses révélations. A la mention du Casino, les sourcils de Luciano se froncèrent … le Casino, vraiment ?  L’aidant non sans difficulté à la relever, Luciano laissa son esprit divaguer à la recherche d’une bonne raison de se rendre là-bas. Si la plupart de Pavlica se trouvait ce soir chez les Terren, Luciano n’avait pas la naïveté de croire que l’attraction phare de la ville serait vide de monde. Là-bas, lui autant qu’elle – elle plus que lui ! – seraient forcément reconnus et l’intendant doutait de voir cette information ne pas faire le tour de Pavlica. Luciano Viridis et Isidora Terren, ensemble au Casino ? Non, autant retourner à la réception efflanqué d’Isidora, et narguer en directe Eduardo Terren. Loin de saisir le sens exact de ses paroles – qu’entendait-elle par "chez elle" ? – Luciano accorda à la jeune femme  l’espoir d’y croire … quitter le cimetière était déjà une belle avancée et l’intendant aurait tout l’occasion de lui faire entendre raison une fois cet endroit derrière eux.

Partant la première d’un pas pourtant mal assuré, Luciano la regarda s’éloigner et augmenter la distance les séparant, et pour la première fois l’intendant remarqua l’absence de chaussures à ses pieds. Mais … où étaient-elles passées ? Se contentant de l’observer d’un air presque incrédule, le puîné tenta de ne pas se poser trop de questions ; à la place, il se laissa de nouveau surprendre par le regard discret que Terren jeta derrière elle, suivit d’une interpellation qui lui était destinée et qui, là encore, le laissa perplexe, étonné. Si bien des choses, chez Isidora Terren, lui était encore inconnues, Luciano n’était pas sans deviner que la fille de Pavlica n’était pas de celles à se retourner. Lui qui la pensait égoïste l’imaginait peu s’attarder à vérifier si on la suivait ou non, au sens propre comme au sens figuré. Que ce soit par peur de découvrir que non ou par pur indifférence, cela avait peu d’importance, car le résultat revenait au même … mais alors, comment interpréter son regard en arrière ? L’étrange état de Terren rendait les choses complexes, floues : Luciano ne pouvait fermer les yeux sur ces détails d’ordinaires bien cachés et qui ce soir parvenaient à faire surface … sans pour autant pouvoir y donner crédit. Différencier l’inconscient de l’ivresse était une tâche obscure, bien trop difficile pour lui qui la connaissait trop peu, et s’il était pénible pour lui d’accepter de ne pas tout comprendre avec précision, l’intendant était bien forcé de composer avec. Avisant la direction prise par la jeune femme, Luciano l’interpella à son tour.

« — Terren. Les voitures sont par-là » fit-il remarquer en désignant une direction tout à fait opposée à celle prise par la jeune femme.

L’y conduire coulait de source, évidemment … à moins que dans la folie de son ivresse, Terren se soit mise dans l’idée d’y aller à pied ? Si Luciano connaissait peu Pavlica, il savait cependant que le Casino n’était pas à côté … et puis, de manière tout à fait personnelle, l’intendant de Borao n’était pas friand des longues marches. A bien des aspects, la Raikar était une bonne option : d’ici à ce qu’ils y arrivent, Luciano avait le temps de lui faire changer d’avis – tenter du moins – et s’il n’y parvenait pas, à son bord la fatigue finirait peut-être par avoir raison d’elle … peut-être. Accélérant le pas pour arriver à sa hauteur, l’intendant esquissa un regard dans sa direction, se surprit à l’observer un instant … même dans ses pires jours, Isidora Terren gardait cet attrait, celui qui ne laissait pas grand monde à Cinza indifférent, pas même lui et ses critères haut placés.

« — Terren » l’interpella-t-il de nouveau « Le Casino, c’est chez toi de quelle manière exactement ? » lui demanda-t-il « Tu t’y sens comme chez toi, ou est-ce que c’est chez toi, littéralement ? »

L’intendant brûlait d’éclaircir cette question, dont la réponse – il le savait – ne manquerait pas d’influer le cours des choses. Terren vivait-elle au Casino, y avait-elle un pied-à-terre ? Encore une fois, Luciano la connaissait trop peu pour le savoir.
Posté le Lun 27 Juin - 20:51
Isidora C. Terren
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One Drop too Many
FT. LUCIANO VIRIDIS

Osera-t-il ce soir s’aventurer sur les sentiers battus ? Ceux-là dont elle a bloqué l’accès trop souvent, surtout à des adversaires tels que lui ? Ce n’est pas la première fois que l’alcool émousse ses sens, bien au contraire. Adepte de la bouteille et d’autres distractions à ses démons, Isidora sait contourner son manque d’inhibition depuis longtemps et détourner ceux qui se risquent trop près, trop près. Alors quoi ? Est-ce l’enjeu de la soirée qui a délié sa langue ? Qui a tendu la main ? Qu’espère-t-elle désormais de lui maintenant qu’elle fait voler en éclats les réserves habituelles de leur relation conflictuelle ? Dora ne pourrait faire de sens de ses propres actions. Elle est loin de se douter quel casse-tête ses motivations représentent pour son interlocuteur cherchant encore à percer des secrets dont elle ne connaît même pas l’origine. La Terren n’a jamais fait l’exercice des perspectives. Elle n’a jamais regardé en elle-même pour comprendre ce qui la pousse à agir ou non. C’est une femme d’action doublée d’une intelligence instinctive, bien différente de celle du Viridis. Même lucide, elle n’aurait pas su dire pourquoi ce soir elle veut qu’il soit là, qu’il l’accompagne dans ses errances. Arriverait-elle-même à le reconnaître ? Au moins, son orgueil de côté, elle saura reconnaître non sans gratitude l’élégance de Luciano dans toute cette affaire. Elle n’a pas l’habitude. Pas du tout.

Isidora ne saurait l’expliquer, pourtant voilà bien ce qui ce soir la motive. Elle veut être vue, malgré elle, sans son masque et ses machinations. Le Viridis peut se permettre de l’approcher : ils appartiennent à la même classe d’élus intouchables. De bien des manières, il peut comprendre ce qui l’habite. Il est digne, car son égal social. Plus encore. Ce n’est pas la première fois qu’elle expose une certaine vulnérabilité face à lui sans le voir en profiter pour asseoir son pouvoir sur elle. Sans véritablement s’en rendre compte, le blondin a jeté les semences d’une confiance qui n’en est encore qu’à ses prémisses chaotiques et hésitantes. Pourtant elle est là. La preuve se manifeste dans ses actions ce soir. Oh, elle combattra encore; bien entendu. Jeter les armes ne fait pas partie de ses manières et aujourd’hui n’en voit pas le commencement bien au contraire. L’alcool l’a certainement rendu plus suggestible toutefois, et son état physique qui se dégrade rapidement la rend d’autant plus dépendante à son interlocuteur, bien plus qu’elle ne l’aurait voulu. Comme elle en a l’habitude, Isidora préfère se perdre dans ce qu’elle ne comprend pas pleinement plutôt que de s’échiner à tout comprendre. Un contraste intéressant avec le Viridis que les neurones doivent chauffer à force de le voir tenter de déchiffrer le mystère que la Terren représente à ses yeux.

Pour chauffer, le cerveau noyé de la jeune femme s’y adonne. Les paroles de son interlocuteur lui paraissent de plus en plus confuses. Les voitures ? Même complètement soûle, Dora reconnaît ses limites, dont celle de conduire. Jamais elle n’aurait l’audace de s’aventurer sur la route dans une condition pareille. Son père, malgré ses défauts, a toujours insisté pour une conduite des plus sécuritaires, surtout quand il s’agissait de consommer. Ainsi l’héritière Terren l’observe comme s’il avait prononcé une ineptie, ce qui pour elle l’est tout à fait – avant de réaliser qu’il fait probablement référence à sa propre voiture. Plutôt que de se laisser par l’orgueil, un grand sourire un peu enfantin vient éclairer ses traits.

«Oh ouiiiii, la Raikaaaar ! Un jour, tu me laisseras la conduire Luciii ? Promis j’y ferai attention !»

Elle lui offre une moue suppliante qui aurait mis la honte au Chat Potté, avant de glousser doucement. Toute la tequila a visiblement fait son chemin et son état d’intoxication avancé. Elle peine à marcher sans trébucher, y compris lorsqu’il n’y a absolument aucun obstacle qui se dresse devant elle. Devant se concentrer sur sa démarche, Isidora sursaute en entendant la voix de son interlocuteur et fait volte-face un peu trop brusquement, devant une fois de plus s’accrocher sur l’intendant de Borao, cette fois pour ne plus le lâcher. Sa tête tourne désagréablement, faisant osciller son corps de manière incertaine. Finalement, elle dresse un sourcil devant la question du Viridis, qu’elle ne comprend qu’au prix de fabuleux efforts et d’un très long délai durant lequel elle le scrute d’un regard absent.

«Hun ? C’est chez moi moi. J’veux dire c’est à moi. C’est dans le Casino, mon chez moi, avec mon lit et tout. Mais vas pas te faire d’idées, hein Viridis ?»

Son ton qui se voulait séducteur échoue lamentablement vu le tournis qui la rend complètement misérable. Forcée de poser sa tête sur son épaule, elle le suit en direction du stationnement, tout en expliquant maladroitement comment trouver l’accès de son appartement, situé à l’arrière de la bâtisse. Elle se roule en boule sur le siège côté passager et ferme les yeux. La Raikar lui paraît rassurante et le silence qui y règne est la bienvenue. Isidora soupire d’aise en posant son front contre la vitre. Soudain, un mouvement la saisit et elle se redresse sans rouvrir les yeux. Comme cherchant quelque chose dans la pénombre de l’habitacle, elle étire son bras vers le côté conducteur.

«Hum Luciano ?»

Ses doigts rencontrent le bras de Luciano, celui-là même ou sa tête reposait quelques instants plus tôt. Son corps raidi par la légère panique l’ayant saisi, elle se laisse retomber dans sa position initiale, beaucoup plus détendue. Quelques instants plus tard, on l’entend respirer doucement; elle s’est endormie.
Posté le Ven 1 Juil - 13:02
Luciano Viridis
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Une Goutte de Trop

"Tout passe", ce n’est pas si vrai que ça (…)
Je dirais plutôt que "tout se surmonte" et qu’on va de l’avant

La mention du parking et implicitement de la Raikar suscita chez Terren une réaction qui manqua de faire sursauter l’intendant. Peu enclin aux éclats, le très posé Luciano Viridis avait toujours su susciter chez autrui calme et tempérance, sa propre tranquillité demeurant un exemple dont certains à Cinza tentaient de s’inspirer. Bien évidement, confirmant la règle, des exceptions paraissaient parfois,  offrant ainsi au puîné des échanges qui le laissaient au mieux indifférent, au pire agacé. Si la placidité de l’intendant n’avait jamais su faire naître la moindre convoitise chez Isidora Terren – Terren ne lui avait jamais prouvé le contraire du moins – il savait cependant que la réaction de la jeune femme, ce soir, n’était pas sans une certaine démesure … comme beaucoup d’autres choses d’ailleurs. Comme une enfant dans l’attente d’un présent, elle lui fit part de sa volonté de conduire un jour la Raikar (au moins avait-elle le bon sens de ne pas le lui réclamer ce soir !), s’exaltant à cette idée d’une manière qui le laissa … flottant, hésitant, et étrangement surpris. Son attrait pour la Raikar était-il avéré, ou simplement le fruit d’une lubie d’ivresse ? Pendant un instant, l’intendant se remémora l’échange qu’il avait eu avec elle quelques mois plus tôt, ainsi que l’intérêt qu’elle avait alors porté à la voiture … se pouvait-il que cela soit vrai ? Une part d’elle-même aspirait-elle vraiment à conduire la Raikar un jour ? Hum … pourquoi devait-il se poser tant de questions en cette heure, en cet instant si peu propice ?

« — Un jour, peut-être » lui répondit l’intendant.

C’était en vérité peu probable – quoi que ? – mais débattre avec la jeune femme ce soir était la dernière chose à laquelle il devait – voulait – s’aventurer. Poursuivant en direction du parc automobile, Luciano l’observa chanceler dangereusement de droite à gauche, de gauche à droite, et sans qu’il ne puisse s’en empêcher, son cœur se soulevait parfois d’effrois à voir sa démarche si hasardeuse, si incertaine. Finalement, percevant sa question, la jeune femme se retourna vers lui avec toujours autant de délicatesse, si bien qu’elle dû de nouveau s’agripper à lui pour ne pas chuter … n’avait-elle pas retenue la leçon depuis le temps ? Il fallait croire que non. Clément, l’intendant lui offrit un bras sur lequel s’accrocher, comme si sa proximité lui était désormais familière, naturelle. S’y était-il déjà habitué ? Dans sa bienveillance, Luciano y avait bien été obligé … il y avait été forcé, oui, sans pour autant en éprouver le moindre ressentiment. Cela faisait-il de lui quelqu’un de mauvais, d’opportuniste ? Alors qu’il sentait Terren, dans ses errances, s’appuyer contre lui parfois plus, parfois moins, le puîné tentait de se persuader du contraire, sans trop de difficulté. Parfois à son grand désarrois, Luciano Viridis savait très bien qui il était et ne souffrait pas d’ignorer sa valeur. Il faisait ce qu’il fallait, même si cela pouvait paraître étrange et facilement mal interprétable.

La réponse que lui offrit la jeune femme et plus encore son sous-entendu lui firent soulever un sourcil dans sa direction. Avait-elle vraiment tenté d’y mettre en plus le ton ? Le temps d’un instant, un sourire s’esquissa sur le visage de l’intendant. Se faire des idées ? Hum, non, cela ne risquait pas. En ces circonstances tout à fait particulières, Luciano avait la décence d’être un homme correct, convenable … en avait le projet du moins. Il n’était pas question ce soir de céder aux instincts primitifs qu’Isidora Terren pouvait parfois – plus souvent qu’il ne voulait l’admettre – susciter en lui. Ils étaient civilisés, non ? … n’est-ce pas ? Rapprochant sa main libre de celle que Terren avait accrochée à son bras, l’intendant tapota doucement le dessus de sa main, comme pour la rassurer.

« — Ne t’inquiète pas pour ça, Terren. Je saurai me tenir » assura-t-il.

De plus en plus mal, Terren en vint à poser sa tête sur son épaule, offrant ainsi un tableau qui aurait trompé n’importe quel regard extérieur. La nuit et son obscurité, cependant, n’étaient pas sans être en leur faveur et Luciano avait bon espoir de passer inaperçu … après tout, les gens n’étaient-ils pas affairés à lécher les bottes d’Eduardo Terren, et donc trop occupés ailleurs ? Tâchant de faire fi de ses craintes, Luciano dut user d’un effort surhumain de concentration pour comprendre les explications de Terren concernant la manière d’atteindre son appartement et en cela, son ignorance totale concernant la disposition du Casino et de ses alentours n’était pas pour l’aider. Abandonnant l’idée d’obtenir des informations tout à fait claires, l’intendant se contenta du peu qu’il avait compris, jugeant qu’il aviserait bien le moment venu.

La Raikar enfin en vue le cœur de Luciano s’allégea quelque peu, et par la suite Terren ne se fit pas prier pour y entrer. Etrangement silencieuse, démarrant la voiture Luciano l’aperçut se blottir contre la vitre, comme si l’endroit avait été pour elle familier. Était-ce le cas ? Statistiquement, non. A sa connaissance, Terren n’avait pas remis ses fesses dans la Raikar depuis qu’ils s’étaient quittés aux abords de son hôtel à La Isicao … pourtant, la jeune femme n’avait pas hésité un seul instant à se laisser gagner par la léthargie, qui sans aucun doute avait trouvé dans les vibrations de la voiture un rythme hypnotique.

Le trafic à Pavlica se révéla fluide ; désertes ou presque, les rues et les routes principales brillaient par cette tranquillité qu’elles devaient à l’absence de ces gens, rassemblés ailleurs, en un autre lieu. Parfois, les lumières des lampadaires venaient éclairer l’intérieur obscur de la Raikar, donnant aux silhouettes de ses occupants une perspective étrange, inhumaine. Concentré sur la route, Luciano manqua de se faire surprendre par un mouvement brusque de la part de Terren, qui immanquablement attira son regard du côté passager. Brisant le silence de l’habitacle, son prénom dans l’obscurité suivit d’une main tendue dans sa direction lui firent tourner la tête, et percevant finalement un contact sur son bras, les yeux de l’intendant se portèrent sur les doigts qu’Isidora Terren venait de poser sur lui. Luciano les fixa un instant, avant de laisser son regard glisser jusqu’à la jeune femme, dont les paupières toujours closes trahissaient une sorte d’inconscience, ou peu s’en fallait. Terren ne l’effleura qu’un bref instant, mais Luciano perçut ses doigts se détendre avant de le quitter, comme si … venait-elle vraiment de vérifier qu’il était là ? Bientôt, retrouvant sa place contre la portière de la voiture, Luciano sentit la somnolence la gagner de nouveau ; endormie, l’instant avait dû lui échapper, contrairement à lui qui s’en trouva troublé, pensif. Désormais seul ou presque, laissant son habitude et le GPS conduire machinalement la Raikar, Luciano s’accorda un instant pour penser à ce qu’il était en train de faire et prendre un certain recul … dans quoi était-il encore en train de se fourrer ? Il avait Isidora Terren bourrée dans sa voiture et s’apprêtait à la ramener chez elle, et non content de cela l’homme lucide qu’il était parvenait à déceler certains signes, certaines évidences que la jeune femme, dans son ivresse, laissait entrapercevoir et distinguer … et que Luciano parvenait de moins en moins à ignorer.

Leur relation changeait, indéniablement.

Le poids de cette éventualité – de cette vérité – pesa soudainement sur sa conscience, conscient de sa responsabilité dans cette entreprise. Oui, Luciano y avait joué un rôle … il y avait joué un rôle en lui autorisant des points d’attaches, des zones sur lesquelles Terren avait pu s’accrocher et qui l’avait rendu, de ce fait, plus perméable. Lui permettre de l’aider à retrouver Gare A Toi avait été l’une d’elle et puisqu’elle ne l’avait pas déçu ni pris à revers, l’intendant s’était autorisé à croire qu’Isidora Terren était peut-être – peut-être ! – digne d’une certaine confiance, et donc d’un certain intérêt. Fier de cette idée, Luciano s’était alors montré moins … froid, moins distant, moins indifférent, et aujourd’hui en était une preuve concrète : sans cela derrière eux, l’homme de Borao ne se serait surement jamais attardé dans ce cimetière. L’adulte qu’il était le savait bien, et clairvoyant quant aux risques que ce rapprochement faisait encourir à Isidora Terren, une part de lui ne pouvait s’empêcher de se questionner quant aux bienfaits réels de tout ça. Le fait même de considérer Luciano Viridis comme autre chose qu’un ennemi représentait pour elle un danger, qui trouvait sa source en la personne d’Eduardo Terren. Avait-elle les épaules pour le supporter ? L’intendant n’en était pas certain. Plus sensible et vulnérable qu’il n’y paraissait, l’homme ignorait quel genre de décision Terren avait pu prendre les concernant et sans cette information, le puîné préférait se montrer précautionneux, pour elle bien plus que pour lui.

Forcé de s’arrêter à un feu devenu rouge, Luciano se permit un nouveau regard en direction de Terren, dont le corps se soulevait au rythme lent de sa respiration. Ainsi lovée, plongée dans un sommeil qui l’immunisait de ses problèmes, la jeune femme lui paraissait sereine, paisible. L’aurait-elle été n’importe où ailleurs ? Laissant ses yeux la parcourir, Luciano se posa la question. Perdu dans ses pensées, combien de temps resta-t-il à la fixer dans la pénombre ? L’intendant n’aurait su le dire, mais un coup de klaxon en arrière le fit lever les yeux vers le rétroviseur, le sortant brusquement de sa contemplation. Le feu était passé au vert … depuis combien de temps exactement ? Suffisamment pour que la voiture derrière-lui perde patience, sans doute.

Le Casino et ses milles lumières apparurent enfin à l’horizon et tâchant de se remémorer les indications de la jeune femme, l’intendant contourna le bâtiment pour finalement garer la Raikar à ce qu’il espérait être le bon endroit. Coupant le contact, le puîné se tourna vers la native de Pavlica, encore endormie.

« — Terren » l’interpella-t-il sans succès. A n’en pas douter, l’alcool l’avait plongé dans un sommeil profond, dont sa voix seule n’aurait su la tirer. Tendant un bras vers elle, le puîné déposa sa main sur son épaule, resserra doucement ses doigts autour d’elle « Dora » l’appela-t-il de nouveau, cette fois un peu plus fort.

La voyant s’éveiller, Luciano rompit le contact, retira sa main.

« — On est arrivé » déclara-t-il.

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One Drop too Many | DORIANO EP. II Pt. 1


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