Ils naquirent dans le scandale.
Existe-t-il, de toute manière, une autre façon d’entrer dans le monde pour un membre de la famille Terren ? Les quatre enfants d’Eduardo, dernier héritier de l’empire familial, connaîtraient ce sort eux aussi. D’autant plus que de par l’affection que leur père portait à leur mère, il n’aurait pu en être autrement. Il avait choisi d’aimer à contre-courant, n’en faisant qu’à sa tête tel qu’on le connaissait même jadis. Ensorcelé de cœur et d’esprit par la cadette de la famille Cobalt, une jeune dresseuse effrontée du nom d’Asmodée, Eduardo prit le pari insensé de braver des interdits qui sans être écrits modulaient les comportements là-haut dans les hautes sphères. Les Familles se côtoient, elles s’entraident lorsque l’instant s’y prête. Mais le mélange entre elles relève du contre-nature. À son habitude, l’héritier Terren ne se formalisait pas des lois même celles implicites et sacrées.

Asmodée et lui se complémentaient parfaitement. Il y avait chez les deux jeunes gens une forme de complicité qui ne se découvre qu’une fois dans une vie; il suffisait de les observer quelques instants pour voir crépiter entre eux les étincelles d’une affection profonde. Leurs rencontres hasardeuses se multipliaient jusqu’à devenir complètement indispensables. Eduardo avait trouvé en Asmodée une partenaire pour ses affaires, la reine de son royaume là-haut à Pavlica. Il suffit d’une poignée de mois pour les convaincre de faire le pas qui prit de court tout Cinza. Ils se marièrent incognito au cœur des Pics de Niebla, dans une chapelle ancienne dans les galeries difficiles à repérer pour ceux ignorant son existence. Il y eut beaucoup de résistance mais les protestations demeurèrent vaines puisque tous se trouvaient devant le fait accompli et la jeune Cobalt prit sa place auprès de son époux. Elle abandonna derrière son nom et adopta celui des Terren, une décision qui causa, pendant quelque temps, des tensions entre elle et le reste de sa famille à Sercena.

Une année suivant les épousailles, le premier enfant naquit. Hybride, disait-on. Dans la ville, on doutait de plus en plus de l’homme qui pourtant tirait les ficelles depuis le décès soudain de son père quelques années plus tôt. Qu’adviendrait-il de sa lignée, maintenant teintée de ce sang provenant d’ailleurs ? Si tous sont la bienvenue à Pavlica, on regardait du mauvais œil cette progéniture au sang Cobalt.  Eduardo se fichait bien des doutes qui se formaient parmi sa cité : il venait d’assister à la naissance de sa fille, Camila, qui deviendrait bientôt sa favorite. Comme elle lui ressemblait tant, les inquiétudes se dissipèrent rapidement : la petite montrait clairement des traits de caractère typiques des Terren et, sous la tutelle de son paternel, promettait de devenir tout aussi tyrannique que lui. Elle jouissait d’un statut presque princier partout où elle allait et Eduardo ne manquait aucune occasion de l’exposer avec fierté. Ses agirs accentuaient les tendances naturelles de l’enfant : elle devint une gamine gâtée, capricieuse et bagarreuse. Aux yeux du père, il n’y avait pas de plus précieuse créature que sa fille.

Un peu plus de deux ans ensuite et Isidora vit le jour une nuit d’été, après une grossesse laborieuse pour Asmodée. Quelque peu prématurée, elle tranchait déjà avec l’enfant forte et bien portante qu’était Camila avant elle. La bambin détesta d’ailleurs sa petite soeur au premier regard; il semblait que les deux gamines se destinaient à une longue rivalité qui se poursuivrait pendant des années. Tandis que Dora (tel qu’on la surnomma bien vite) grandissait pour devenir une petite fille plus introvertie, énergique et casse-cou, toujours en recherche de sensations fortes et de stimulation, Camila était extraversion mais aussi recherche de calme et de tranquillité. Isidora se pendait aux jupes de sa mère alors que Cam était l’ombre de son père. À mesure que la cadette vieillissait, elle ressemblait de plus en plus à son aînée, si bien qu’on les croyait souvent jumelles. Or, les deux sœurs n’auraient pas pu être plus opposées et leur vie à deux se ponctua de querelles qui amusaient leur géniteur. Cette rivalité lui semblait bien normale et il l’encourageait plus souvent qu’autrement.

La venue d’une troisième sœur ne changera rien à la dynamique de la dyade. Isidora n’avait que peu d’intérêt pour cette petite dernière. Elle passait ses journées à poursuivre les Pokémon de la maisonnée, nager dans la piscine familiale ou faire les quatre cent coups sitôt on lui donnait l’occasion de s’ennuyer. On ne se souvient plus quand la jeune fille évoqua pour la première fois ce rêve qui lui deviendrait très cher : elle avait pour désir de suivre les traces de sa mère et devenir une grande dresseuse. Lorsque Asmodée participait à des tournois ou des compétitions, même à l’extérieur de la région, elle amenait toujours Dora auprès d’elle qui se faisait son assistante et qui tentait maladroitement de la conseiller dans la stratégie de ses combats. La mère devait reconnaître chez l’enfant une intuition toute naturelle pour les combats Pokémon, ainsi se faisait-elle un plaisir de partager sa passion avec elle.

Isidora possédait un instinct tout spécial pour bien d’autres aspects dans sa vie. Tout semblait lui venir aisément à l’exception faite de ses relations sociales. À l’école, elle se plaignait constamment de s’ennuyer, elle bâclait ses exercices alors que ses enseignants répétaient toujours repérer chez elle un potentiel académique énorme. Ses notes ne reflétaient pourtant pas son aisance naturelle, puisqu’elle ne fournissait aucun effort; contrairement encore une fois à Camila qui brillait par son acharnement au travail. Dora s’entourait constamment d’une foule d’«amis» qui la craignaient davantage qu’ils ne l’appréciaient. À l’instar des membres de sa famille, elle confondait terreur et respect. Petit tyran de la cour d’école, elle se bagarrait souvent, un comportement qu’on ne lui reprochait pas à la maison bien au contraire. On encourageait trop souvent ses tendances violentes et on la récompensait pour sa force de caractère. Ainsi Isidora n’apprit jamais qu’elle pouvait avoir tort. De plus en plus il se creusait entre elle et les autres enfants un écart important. Dans son esprit, elle se trouvait au-dessus, une petite princesse qui ne demande jamais, elle ordonne.

La petit avait neuf ans lorsqu’elle apprit, contre toute attente, que sa mère attendait un autre enfant. On lui avait mentionné à la naissance d’Adelina qu’il s’agirait du dernier bébé. Asmodée vivant très difficilement chaque grossesse et les risques encourus étant trop importants pour tenter sa chance de nouveau, la décision avait été prise d’empêcher toute conception dans l’avenir. Or, le sort en décida autrement et l’ancienne Cobalt tomba enceinte à nouveau. Incapable de mettre fin à la grossesse malgré les risques pour sa santé, elle prit la décision de la mener à terme. Une décision approuvée par son époux. Toute la famille était comblée. Tous sauf peut-être Dora.

Sa mère ne pouvait plus voyager, et resta alitée pendant une bonne part de cette grossesse ardue. Isidora détestait voir sa mère ainsi vulnérable et lui tenait compagnie dès qu’elle le pouvait. Mais comme tout enfant capricieux, elle rechignait souvent, portant le blâme sur sa mère et sur ce «stupide bébé» de la priver de sa mentor de dressage et sa meilleure amie. Peu compréhensive, la petite se montra particulièrement exécrable pendant ces quelques mois, ce qu’elle regretta amèrement plus tard, lorsqu’elle comprit la portée de son attitude. Ces mois durant où elle avait fait la misère à Asmodée. Les derniers de sa vie.

La date vint finalement. Le fœtus cognait aux portes de l’existence à grands coups, déterminé à voir les premières lueurs du jour. La rupture des eaux annonça sa venue, tous s’en ravissaient jusqu’à ce qu’Asmodée ne réalise l’urgence de la situation. Se présentait avant le bébé le cordon ombilical, une complication très dangereuse qui nécessita aussitôt l’intervention d’une équipe médicale. Dora n’a jamais oublié la lueur des phares de l’ambulance, clignotant sous son regard d’enfant alors qu’ils emportaient sa mère et ce bébé pressé. Son père ne lui dit rien tandis qu’il sautait dans sa voiture pour suivre le véhicule d’urgence jusqu’à l’hôpital. Les trois petites filles, laissées derrière, se blottirent les unes contre les autres. Il y avait cette pesanteur qui planait, comme cette certitude macabre dont elles ne parvenaient à se détacher.

Une césarienne d’urgence et plusieurs complications plus tard, Diego vint au monde, premier et seul garçon de la fratrie. Il allait bien malgré tout, mieux que ce à quoi on aurait pu s’attendre. On ne pouvait toutefois en dire autant de sa mère. Elle avait sombré dans un coma qui dura plusieurs jours. Sa famille la veilla avec l’énergie du désespoir mais leurs prières demeurèrent vaines. Asmodée rendit son dernier souffle tardivement dans la nuit alors que son mari se trouvait près d’elle.

Le monde d’Isidora vola en éclats. Elle n’y crut d’abord pas; comment pouvait-elle-même imaginer vivre sans sa mère ? Il y eut quelques jours ainsi où sa vie ne connut pas d’embrouilles. La réalisation se fit d’un trait, près d’une semaine plus tard. Alors on ne la reconnut plus. Alors que tous se relevaient difficilement, Dora s’enfonçait un peu plus chaque jour. On ne l’avait jamais connu particulièrement réactive hormis quelques excès de colère à l’occasion. La perte de sa mère venait d’ouvrir la boîte de ses émotions, celles qu’on ne lui permettait pas souvent d’exprimer. Elle avait toujours dû se montrer forte, se montrer brave. Cette fois, il ne restait plus rien de cette petite fille provocatrice et hyperactive. Les premiers jours, elle passa tout son temps à laisser s’exprimer sa peine, de pleurs et de destruction. Lorsqu’enfin sa rage s’apaisa, Dora n’était plus qu’une ombre. Elle évitait le regard des autres. Elle ne pipait plus mot. Elle ne bougeait presque plus.

Isidora n’entendit rien des reproches de son père, lui-même se relevant difficilement de la perte de sa bien-aimée. Ni l’aide que tentait de lui apporter son aînée sous le couvert de piques provocatrices. Elle s’éteignait. Un jour qu’elle se reposait dans les jardins de l’hacienda familiale, un Pokémon de sa mère la rejoint. Sa favorite parmi les alliés de sa mère, Saphir la Scarhino se posa près d’elle et ensemble, elles observèrent le flot de la fontaine. Elles ne dirent rien. Du moment que ce rendez-vous impromptu eu lieu, il se reproduisit journalièrement. Dora sentait qu’auprès de Saphir, son cœur se faisait plus léger. Ce petit rituel l’apaisait, la réancrait au moment présent. Les mois s’écoulèrent ainsi et Isidora se sentait guérir. La Scarhino ne la quittait plus sitôt elle passait l’imposante grille de l’entrée à la fin de sa journée d’école. Ensemble elles renouèrent avec la passion d’Asmodée : celle du combat. Mais avant tout, elles étaient amies, le port d’ancrage une pour l’autre.

À douze ans, Isidora ne doutait plus de la nature de sa destinée. Elle deviendrait dresseuse, à l’instar de sa mère. Elle portait toujours en elle ses enseignements, sa guidance. Elle se promettait de lui faire honneur un jour. Cette année-là, on lui fit cadeau comme à tous les enfants Terren de son tout premier Pokémon. Eduardo l’avait choisi lui-même et n’aurait pu combler davantage sa fille. On lui fit don d’un Rapion à la personnalité tout aussi difficile qu’elle. Cela causa bon nombre de flammèches au départ, mais bornée comme elle était Dora ne se laissa pas décourager et entreprit ses premiers sauts dans des compétitions junior de la région. Son père ne lui laissait pas souvent l’occasion de vaquer à ses occupations, puisque comme sa sœur il l’introduisait aux affaires familiales, particulièrement au Casino où l’adolescente passait la majeure partie de son temps en dehors de l’école. Elle l’accompagnait dans toutes sortes d’affaires, de l’administration à la menace des mauvais payeurs ou autres activités illicites. Elle fut témoin de violences qui bientôt la laissaient totalement indifférence : elle développa une forme de tolérance envers les actes les plus perfides perpétrés par son père et ses hommes.

Isidora s’imaginait avoir sa place dans cet empire, celui des Terren. Même si son rêve l’amènerait ailleurs un jour, sous les feux des compétitions internationales, elle ne pouvait totalement s’empêcher de désirer une place auprès de son père. Camila était pressentie à prendre la place d’Eduardo un jour, Dora en avait pleinement conscience… mais n’y avait-il pas une place pour elle aussi dans ce portrait ? Les années et la perte soudaine de leur mère avait un peu rapproché les deux sœurs mais il subsistait entre elles de nombreuses tensions et conflits. Camila était la perfection aux yeux de leur père; elle suivait ses pas et il ne pouvait être plus fier d’elle. La jeune fille avait toutefois énormément de difficulté à se sentir près des autres jeunes de son âge, tandis que Dora devenait progressivement plus populaire, plus appréciée aussi. La plus jeune avait appris, enfin, à plaire. Le caractère trop franc de Cam effrayait beaucoup les autres. Elle avait fort à faire de toute manière. Trop pour véritablement en souffrir, du moins en surface.

Isidora profita pleinement de sa vie adolescente, trop peut-être. Peu centrée au niveau identitaire, elle tenta toutes les expériences et les styles, se calquant trop souvent à d’autres afin de mieux se définir elle-même. C’est à cette époque qu’elle se découvrit une affinité toute spéciale avec le type Poison, un amour certainement en partie provoqué par son starter. Elle combattait souvent, se faisant un petit nom dans les compétitions pour sa tranche d’âge. Bien entendu, son nom de famille n’y était pas pour rien. Elle s’en fichait bien. Elle savait ce qu’elle valait, avec ou sans le nom des Terren.

Arrivée à la fin de l’adolescence, elle dut tout de même décider de son avenir. Tout la portait évidemment vers le dressage, mais une part d’elle désirait tout de même l’approbation de son père et sa place dans son univers. Elle emprunta donc une voie surprenante pour elle qui avait caressé le projet d’être dresseuse si longtemps : elle fit des études en marketing pour lesquelles elle s’appliqua peu. Clairement ce sujet ne la passionnait pas, mais son projet de satisfaire son géniteur se réalisa puisqu’il lui promit une place dans l’équipe marketing du Casino à la fin de ses études. Isidora était aux anges. Elle profitait bien de sa jeunesse, elle avait conquis son père et un jour elle serait la plus grande dresseuse de son époque, peut-être même Championne d’Arène un jour !

C’est au sommet de son bonheur que Dora perdit pied. Elle ignore à quel moment exactement sa chute s’est produite, car en repensant à cette époque il lui semble que l’avenir lui souriait sans compromis. Dans une relation stable auprès d’un jeune homme satisfaisant son père, bossant sur ses études et sa carrière de dresseuse, rien ne semblait à même de l’arrêter. Elle festoyait souvent, rentrait tard en titubant jusqu’à chez elle. Elle enchaînait les victoires. Puis, sans prévenir, un malaise s’installa au cœur de son existence et elle mit du temps à en réaliser la source. Camila montrait de plus en plus de signes de fatigue et de faiblesses. La moindre petite blessure mettait un bon moment à guérir et son corps se couvrait d’ecchymoses aux origines inconnues. Sous l’œil aveugle de sa cadette, elle perdait du poids, refusant les repas qu’on lui offrait. L’aînée montrait toujours le même acharnement au travail et luttait contre ces symptômes qu’elle associait à un surmenage dans sa vie professionnelle. On lui avait appris à se montrer forte après tout, elle n’allait certainement pas se plaindre.

Puis Camila atteint le point où il était impossible pour elle de fonctionner normalement. Entre ses palpitations et essoufflements au moindre effort, ces maux de tête et cette fièvre qui allait et venait, on la croyait atteinte d’un virus qu’elle finirait bien par vaincre un jour. Cam consulta finalement et le diagnostic lui tomba dessus tel un mur de briques : leucémie. À un stade avancé qui plus est. La famille Terren se mit en branle pour sauver la leur. Isidora, qui finissait tout juste ses études, se consacra toute entière à l’accompagnement de son aînée dans les traitements, les rendez-vous, tous les suivis médicaux. Elle lui tenait compagnie et s’assurait qu’elle ne manque de rien.

Eduardo, lui, s’écroulait. Sa fille aînée, la prunelle de ses yeux… Comment accepter de la voir ainsi ? Les mois passaient en la voyant dépérir. Le père de famille prit la décision d’assurer pour toujours un avenir singulier à sa précieuse Camila, lorsqu’elle se relèverait de sa maladie. Il s’allia à un groupe qui oeuvrait dans l’ombre jusqu’au coup d’État auquel les Terren participèrent en prêtant ressources mais surtout hommes et armements. Dans ce nouveau monde qu’il tissait, ses enfants seraient royauté. Malheureusement, sa petite princesse s’éteignit avant de pouvoir constater les efforts de son père. Un soir de mai 2015, elle rendit son dernier souffle après des mois de vains combat, entourée des siens. Elle qui avait toujours gueulé plus fort que tous avait levé un dernier regard vers les êtres aimés et elle n’avait rien dit.

Isidora lui tenait la main. Elle ne lui a pas dit que leurs luttes toute leur vie l’avait épuisée. Que si certains jours elle pouvait la haïr, qu’elle l’avait au fond toujours aimé, qu’elle aimerait être plus comme elle. Camila lui glissa entre les doigts avant que Dora n’aille la chance de lui avouer à quel point elle avait fait de sa vie un enfer. À quel point pourtant elle pourrait toujours compter sur elle. N’était-ce pas ainsi qu’agissaient deux sœurs ?

Longtemps elle porta en elle le fardeau de la culpabilité. Il régnait sur la famille un tel silence, un silence que même la Nova Existência qui survint quelques semaines plus tard ne sut briser. Isidora souffrait de honte et de ressentiment envers elle-même : n’était-ce pas sa faute si sa sœur avait péri aux mains de la maladie ? Elle qui ne se remettait jamais en question vécut bien difficilement cette nouvelle épreuve et plus encore que cette fois elle ne pourrait se retourner vers ses sources habituelles de réconfort. La demeure vivait son lot de changements alors qu’on envoyait rapidement les Pokémon familiaux à l’extérieur de la région afin d’éviter de les libérer, quelque part dans la famille éloignée qui en prendrait soin. Dora se vit arracher l’œuvre de toute sa vie : son équipe chérie et avec elle son rêve qui volait en fumée. Son copain de l’époque en profita aussi pour la plaquer devant ce qu’incarnait sa famille au sein de la nouvelle existence de Cinza. Jamais la jeune femme ne s’était sentie aussi seule et aussi démunie de toute sa vie. Voir Saphir partir lui arracha une part d’elle qui demeure jusqu’à ce jour meurtrie.

Alors quoi ? Isidora n’était pas du genre à s’abandonner à sa tristesse, plus comme dans sa jeunesse. Elle était plutôt en colère, une colère qu’elle ravalait difficilement. Son père ne lui donnait pas beaucoup d’espace pour se perdre à son désespoir de toute manière. Maintenant que sa précieuse Camila les avait quittés, Dora allait devoir reprendre les rênes de l’entreprise familiale un jour et devait donc prendre sa place auprès de son père en tant que son bras droit. Une nouvelle réalité qui n’enchantait ni le père, ni la fille. Isidora se retrouva trop souvent la source de comparaisons cruelles avec celle dont elle tentait désormais de remplir les chaussures. Peu importe ses efforts, elle ne satisfaisait jamais son père, perdu par son chagrin, qui espérait d’une certaine manière transformer l’ancienne dresseuse en la fille qu’il avait perdu. Sauf que Dora ne serait jamais Camila. Tous deux le savaient pertinemment.

Trahie de toutes parts et plus isolée qu’elle ne le fut jamais auparavant, Isidora trempa rapidement dans les cercles illégaux de Pavlica, là où des joutes Pokémon s’organisaient tardivement dans la nuit. Elle vit là-bas tout le potentiel des lois interdisant les combats, elle vit à quel point Cinza avait soif de cette vie encore, tout comme elle. Avec l’aide d’Eduardo, Dora mit au point des canaux de vente d’objets illégaux et de paris pour les combats qui survenaient dans l’illégalité. Lentement, le monde underground s’instaura, se calquant sur celui qui s’était installé à La Isicao dans le métro. Et lorsque la Cage fut installée, alors une place de choix lui fut proposée par le propriétaire des lieux, un ami de longue date. Elle deviendrait Championne de cet endroit, l’adversaire à battre. Elle réalisait son rêve, même si ce n’était pas de la manière qu’elle avait escompté. Elle trouvait un nouvel équilibre dans sa vie, du moins en apparence, sans Camila, sans sa mère, mais non pas sans le poids du deuil.

Quatre ans déjà qu’elle occupe ce poste. Aujourd’hui directrice de l’aspect marketing du Casino, elle ne manque pas d’occupations et mène une vie légère qui l’empêche de véritablement se poser et réfléchir à ses choix et ses difficultés. Elle préfère œuvrer dans la mire de son père et tenter éternellement de le satisfaire, sans réaliser que lentement il la calque sur le modèle de Camila.