Les jours s’écoulent et se ressemblent. Quatre murs étrangers, blancs, éteints. Un sommeil qui fuit, fuit, fuit, jusqu’aux premières lueurs du jour où, d’épuisement et de désarroi, je m’écroule dans une inconscience agitée. Je ne sais plus quel jour on est. Seuls mes appels à celui qui devrait être mon ennemi, au plus sombre de la nuit, me tirent de mon inactivité fiévreuse. Le reste me paraît embrumé et incertain. Depuis combien de temps vis-je ici, déjà ? Une, deux semaines ? Depuis lors, je ne suis plus sortie, je ne me suis pas douchée ou presque, j’ai à peine mangé. De bien des manières, je me suis laissée mourir. Loin du regard de mes amis, de mes proches, de ma… Je ne dois plus penser au mot « famille ». Je n’en ai plus. Je dois m’y faire.
Passé midi, je m’éveille devant les soubresauts d’une langue contre ma peau. Cornaline, depuis le sol, s’est mise à lécher mes doigts avec une conviction doucereuse. Voyant que je quitte enfin le sommeil sans repos dans lequel j’ai baigné ces dernières heures, elle redouble d’ardeur, s’emballant visiblement de me voir toujours vivante. Tanzanite, se trouve près d’elle, lui juché sur le lit à m’observer sans la moindre compassion, plissant les yeux alors que je croise son regard. Jaspe, entraîné par la réaction de la Caninos, émet un braillement sympathique, rapidement imité par le bébé Scarhino juché sur son dos. Je soupire et grogne en guise de protestation : non vraiment, je n’ai aucune intention de sortir du lit aujourd’hui. À quoi bon? Du moins c’est sans compter l’intention déterminée de mes compagnons. Voyant mon refus, je sens la bouche du Cochignon se refermer contre une cheville laissée à l’abandon par ma couverture. D’un coup sec, il me tire du matelas et je m’écroule contre le sol dans un bruit mat et un cri, suivi de près par une pluie de jurons. Pas le temps de m’attarder que déjà Tanzanite me menace de ses crochets, me poussant en direction de la salle de bain. J’ai compris. C’est une intervention en bonne et due forme. Et je ne suis pas du tout consentante.
Forcée d’aller à la douche, je prends mon temps sous le jet. Malgré mon désespoir, je dois avouer que de me laver, de sentir les gouttelettes contre ma peau, m’apporte une forme d’apaisement que je n’avais pas ressenti depuis mon arrivée dans la maison. Je sors de la douche propre et un peu moins faible. Mes Pokémon m’attendent toujours, poussant en ma direction une pile de vêtements confortables et étonnamment assortis. Je me sèche grâce à une serviette que Benito me tend et enfile docilement les fringues, non sans ronchonner un peu. Puis la petite délégation m’entraîne au rez-de-chaussée, vers la cuisine où m’attend un plat gastronomique : un bol de céréales. À contre-cœur, je l’avale, jetant des regards autour de moi. L’endroit ressemble à un véritable dépotoir. Je n’ai rien nettoyé ni ramassé depuis mon arrivée. Des piles de déchets et des cartons que je n’ai pas pris le temps de défaire traînent partout où mon regard se porte. Je soupire. Ce n’est pas moi de laisser mon chez-soi devenir une vraie porcherie.
J’ai emménagé dans cette maison il y a moins de quatorze jours, après avoir passé un bon moment à surfer de canapé en canapé chez des amis. Elle m’appartient désormais, mais je ne m’y sens pas exactement chez moi. Petite maison de ville, il s’agit d’une construction récente et moderne, constituée d’un salon, une cuisine et une salle d’eau au rez-de-chaussée, ainsi qu’une chambre avec sa propre salle de bain et un bureau en mezzanine qui offre une vue sur le salon. Rien de bien compliqué. Des murs blancs. Des planchers à la mode. Mais surtout, un petit jardin qui permet à mes Pokémon et à moi-même de respirer. Nous sommes loin de l’hacienda, de sa piscine, ses jardins luxuriants et ses commodités. Cela fait l’affaire. Et si je veux m’y sentir chez-moi un jour, je devrai commencer par faire de l’ordre, que je le veuille ou non.
Ainsi une fois mon petit-déjeuner avalé, je mets la main à la pâte. Au départ, le travail me paraît insurmontable. Mais à nous cinq, nous avançons lentement mais sûrement. Je mets un peu de musique et entreprends de ramasser ce que je n’ai pas su jeter. Je lave la vaisselle et ouvre les premiers cartons, ceux de la cuisine. La majorité et tout cela est neuf, et je passe presque tout l’après-midi à nettoyer et placer l’endroit à mon goût. Je suis en nage quand j’ai terminé, mais pour la première fois depuis une éternité il me semble, j’affiche un sourire satisfait. Il en reste beaucoup à faire, mais au moins je peux compter sur le fait qu’une pièce est moins problématique que toutes les autres. Au moment où je considère attaquer le plus gros problème, le salon, j’entends la sonnette retentir. Je me fige un instant, le cœur battant. Qui peut me rendre visite ? Pendant un instant, je suis incapable d’esquisser un geste. Ça ne peut pas être Luci, tout de même… pas vrai ? Je blêmis à cette idée. Je ne suis pas maquillée, pas présentable, et que dire de la maison… Je m’approche avec prudence de la porte et observe au-travers l’œil magique qui peut bien se trouver là.
Non, c’est pas Luciano. Au moins avec Luciano, il y aurait eu un peu de plaisir.
J’ouvre la porte à la volée pour fusiller ma cousine du regard.
« Mas que porra, Cali ?! Qu’est-ce que tu fous ici ? »
Au vu du regard dont je l’affuble, elle devinera bien vite qu’elle n’est pas la bienvenue. Elle veut la petite fille parfaite ? Venir me narguer chez moi ? Ça ne se passera pas comme ça. Elle ferait mieux de s’expliquer, et vite.
Dans la voiture je ne peux m'empêcher de repasser en revue les articles et les vidéos qui parlent de la déchéance récente de ma cousine, Isidora. Je ne l'ai certes pas vue récemment et nous ne sommes pas forcément proches... Mais ce qui lui arrive est honnêtement désolant. Je me mords l'intérieur de la joue, ne pouvant m'empêcher de me faire une réflexion que j'aurais préféré ne pas avoir : partager le lit de l'intendant de Borao était un faux pas politique d'envergure et elle aurait dû se douter des répercussions possibles. Sauf que, aussi vrai que ce soit, ce n'est pas utile pour autant. Beaucoup sont ceux qui partagent mon avis et qui le lui ont déjà fait savoir de façon extrêmement claire... en la chassant du Casino et de sa demeure par exemple. Rien de ce que je pourrais dire ne lui apprendrait quoi que ce soit.
Alors pourquoi suis-je dans cette voiture ? Pourquoi ai-je fait tout le trajet séparant Sercena de Pavlica ? Si les mauvaises langues diront que c'est impossible pour une Cobalt de faire quelque chose par pure bonté d'esprit cela ne veut pas dire que c'est vrai, bien au contraire. Je suis là parce que, si ça devait m'arriver à moi, je sais très bien que je serais misérable et c'est peu dire. Si je sais que ma cousine n'est pas aussi zélée et dévouée que moi, cela ne change pas les faits : les Terren ont la réputation d'une famille très proche. Certes j'aurais pu en profiter, ricaner alors que, pour une fois, ce ne sont pas les Cobalt qui brillent par leur désunion, mais là encore je m'en voudrais de le faire parce que ce n'est pas le genre de chose qui se fait. Pas lorsque l'on connait l'individu qui vient de perdre son chez soi ainsi que tous ses repères familiaux et professionnels. Ce qu'on fait, dans ces cas-là, c'est de sauter dans une voiture dès qu'on en a l'occasion pour mieux aller visiter celle qui a besoin de support plus que jamais dans sa vie. Sans doute ne sera-t-elle pas enchantée de voir que, de tous les gens de son entourage, c'est moi qui sonne à sa porte, mais c'est un risque à prendre.
Et pendant qu'il est question de sa porte... Mon chauffeur se gare devant la nouvelle demeure de ma cousine et j'ai enfin le loisir de la découvrir de mes propres yeux. C'est... ça n'a pas le charme des maisons de Sercena, ça c'est certain. Mais bon, la situation ne se prête pas au grand luxe et, dans tous les cas, c'est plus qu'acceptable comme lieu de vie. Je réveille Lucifer, remercie le chauffeur et fais mon chemin jusqu'à la sonnette. Mon miaouss a les yeux encore à moitié fermés, se léchant la patte lassement alors qu'il regrette probablement de ne pas m'avoir simplement attendue sur la banquette. Il est néanmoins trop tard pour se défiler puisque l'on nous ouvre somme toute rapidement et que je découvre l'état déplorable de ma cousine. J'en aurais presque sursauté si je ne m'attendais pas un peu déjà à tomber sur une hécatombe. Au moins son caractère, lui, semble toujours aussi bien trempé... Ce que je fous là ? Toute une façon d'accueillir une membre de sa famille, surtout dans sa situation actuelle.
« Salut Cali, comme ça fait longtemps. Je suis si contente que tu ais pris la peine de te déplacer juste pour venir me voir. »
Moi, une petite peste ? Oui, ça m'arrive, surtout quand on me réserve un accueil aussi marabout. J'ai croisé les bras, mon regard perçant plein de reproches. D'accord, je devrais peut-être y mettre un peu plus d'effort si je ne veux pas être venue jusqu'ici pour rien.
« En tout cas moi je suis contente de te voir, Isidora, même si tu as une tête horrible. Est-il donc si difficile de croire que je suis ici parce que je tiens à ma cousine préférée ? »
Je déteste cette princesse précieuse de Cali. La voir à mon seuil donc, n’est ni désiré, ni bienvenu. À vrai dire, je suis tout à fait tentée de lui claquer la porte sous le nez et de la laisser poireauter là sans lui laisser l’occasion de s’expliquer. Je n’ai jamais considéré ma cousine comme un membre de ma famille au même titre qu’Adonis ou Nyx. Nous n’avons pratiquement rien en commun. Elle est jeune, immature, centrée sur elle et une incorrigible fille à maman. Puisque j’ai tout autant de respect pour ma tante qu’une vieille chaussette qui traîne dans un coin de ma chambre depuis plusieurs semaines, autant dire que sa fille, qui tente de se calquer à son image, ne me plaît pas plus qu’il ne le faut. Je suppose que je n’ai jamais donné sa chance à Cali. Bien vite, je me suis accoquinée avec son aîné sans plus lui offrir d’attention. Les six ans de différence en âge n’y sont pas pour rien, j’imagine. Dans tous les cas, je me retiens de la jeter dehors pour une seule raison : la curiosité. Vraiment, je n’ai aucune idée pourquoi elle a fait tout ce chemin jusqu’ici, mais le timing n’est certainement pas dû au hasard. Non, bien entendu, elle a eu vent de ma déchéance récente et à présent veut ajouter son grain de sel dans mon histoire déjà bien compliquée.
Je me doute déjà que sa venue sera de courte durée. Je ne peux lui prêter d’intention louable : ma cousine n’est ni généreuse, ni attentionnée et elle ne me porte aucune affection particulière. Elle n’est pas ici pour me prêter main forte, mais bien pour combler quelque besoin malsain chez elle. Peut-être maman lui a-t-elle demandé d’enquêter sur la situation et m’a-t-elle cru assez naïve pour lui révéler quoi que ce soit ? Probablement un truc du genre ouais. En tout cas, sa réponse me lever les yeux au ciel, son ton sarcastique tout autant. Je salue les gens dans ma maison comme je veux, je n’ai pas besoin d’un cours de politesse de sa part. Si elle connaissait quoi que ce soit dans ce domaine, de toute manière, elle ne serait pas ici à m’enquiquiner. Elle aurait pris la peine de s’annoncer.
« Tu sais ce qu’elle te dit, ma tête horrible ? Va te faire foutre. Tu ne tiens absolument pas à moi, alors cesse tes minauderies, ça m’agace. C’est quoi, ta précieuse petite maman t’a demandé de mener ton enquête ? Tu as vu maintenant, alors rends-moi service et dégage. »
Le sang bout dans mes veines. Je suis fatiguée, exténuée même. Je n’ai besoin de me rappeler à quel point j’ai une sale mine. L’altercation entre Cali et moi a attiré l’attention de mes Pokémon qui, jusqu’à présent, faisaient leur truc chacun de leur côté. Le premier à me rejoindre est Benito, qui se cache derrière ma jambe en scrutant la blanche d’un air impressionné. Par réflexe, je caresse la tête du petit Scarhino, sans détacher mon regard de la jeune femme. C’est sans compter l’intervention de Cornaline qui se faufile entre mes jambes pour aller accueillir notre « invitée » de jappements. Elle se hisse sur les jambes de Cali, réclamant caresses et baisers. Je fusille du regard cette traître de Caninos qui n’a définitivement pas compris le « vibe » de cette conversation.
« Cornaline… » je siffle furieusement entre mes dents.
Mais rien à faire. Putain, pourquoi je l’ai ramenée de l’île elle déjà ? Heureusement que je lui dois la vie, hein.
Ma cousine préférée est toujours aussi charmante à ce que je vois. Impulsive comme elle est et avec une poubelle dans la bouche en plus de ça, la voilà qui me dis d'aller me faire... voilà, sans la moindre hésitation. Pas étonnant que ce soit elle qui, de ceux de notre génération, ait subit la pire humiliation publique des dernières années. Peut-être que si elle tournait sa langue dans sa bouche quelques fois avant de parler, et d'agir, ça lui aurait évité plusieurs maux de tête. Oh et ça lui aurait peut-être évité de tomber comme par hasard dans le lit de Luciano Viridis et de perdre tout ce qui lui était cher. Je dis ça je dis rien. En tout cas ce n'est pas moi que l'on surprendrait dans une situation comme ça vu que, contrairement à elle, j'ai de la jugeote. Preuve étant qu'elle s'imagine sincèrement que je suis là pour enquêter sur sa situation pour le compte de ma mère. Quelle blague. Elle ne réfléchit vraiment jamais avant de parler ?
« Erh, tu crois vraiment que— Ooooh, coucou toi. »
Je m'interromps lorsqu'un joli petit chien s'empresse de m'accueillir avec tout l'enthousiasme que je mérite. Charmée comme tout, je m'accroupis pour lui offrir des gratouilles tout plein sur la tête, derrière les oreilles et dans le cou. J'entends Isidora prononcer son nom et j'en profite pour en rajouter un tout petit peu, parce que je le peux. Derrière moi Lucifer tire une mine si dégoûtée qu'il pourrait presque faire concours avec la Terren.
« Comme tu es jolie, mademoiselle Cornaline. Tu veux bien expliquer à ta maman que sa petite histoire a fait le tour des médias et qu'il n'y a plus rien qui mérite une enquête ? Owi, tu es belle toi. Tu as compris que ma mère ne se soucie pas assez de sa nièce pour m'envoyer ici et que, de son point de vue, mon déplacement est une perte de temps en plus de mettre ma propre réputation en danger en m'associant avec elle, n'est-ce pas ? Bon chien. »
Je termine en lui déposant un petit bisou sur son joli front tout poilu avant de me remettre droite sur mes jambes et de replacer les plis de ma robe. Après cela vient aussi le petit hairflip, histoire de replacer ma longue couette blanche à sa place, derrière mon épaule. Cette fois c'est à ma cousine que je m'adresse, une fois de plus, directement. Espérons que ma petite démonstration de franchise aussi malpolie que la sienne suffise à ce qu'elle me donne le bénéfice du doute.
« Je n'ai rien à gagner en étant ici, bien au contraire. Alors, tu me fais visiter ? »
Cornaline, généralement, se montre perceptible et de bon jugement lorsqu’il s’agit de se faire une tête sur les gens qu’elle arrive à croiser. Plus permissive que moi, je ne m’attendais tout de même pas à la voir se ruer avec un tel enthousiasme vers quelqu’un que je n’ai jamais réussi à blairer. J’avoue, je me sens un peu trahie, d’autant plus qu’à mes yeux Cali n’a aucune raison saine de désirer ma présence aujourd’hui. On peut me dire méfiante; j’ai grandi dans un monde bien différent du sien où un œil vaut un œil et une dent vaut une dent. Je n’ai jamais témoigné la moindre gentillesse envers cette enfant gâtée et je n’attends pas du tout en retour. Je ne la crois même pas capable d’empathie : la preuve si elle avait la moindre elle m’aurait laissée tranquille à crever toute seule dans mon coin. Nah, c’est certain, elle est ici pour enquêter, peut-être même est-elle rangée du côté de sa mère, au courant des événements de l’île, un pantin entre les mains de la Team Plasma… L’idée me dérange, c’est bien fâcheux. Je pensais que je me fichais d’elle, mais quand même l’imaginer comme un vulgaire outil entre les mains de mes ennemis ne me plaît guère.
Cali, avec sa délicatesse légendaire, explique à Cornaline les raisons de sa visite, ou du moins élimine certaines de mes hypothèses. Devant sa tentative de me calmer, je lève les yeux au ciel. Tout de même, l’argument de sa réputation a valu mon écoute, car je sais bien comment cette petite impératrice aime avoir l’attention positive.
« Tu ne sais rien, Cali, rien du tout. Je pensais que ta vie dans la mire des médias t’aurait au moins appris ça : ce qu’on y voit n’est pas toujours la réalité. Dans ce cas-ci, ne joue pas celle qui a tout vu et n’espère pas obtenir plus de réponses de moi. Mais surtout ne me fais pas l’affront de croire tout ce qu’ils disent à mon sujet. »
Selon eux, j’ai foutu mes relations familiales en raison d’une liaison avec Luciano. J’ai lu des tas de groupes qui en discutent, certains hostiles, d’autres qui « shippent » notre relation comme s’il avait s’agit d’un feuilleton pour adolescents. Ces gens-là passent à côté d’une histoire qui dure et perdure depuis toujours, qui a teinté qui je suis, qui m’a blessée et écartelée. Personne pour dire à quel point je souffre de mes décisions, à quel point j’ai mal d’avoir déçu les miens, à quel point je suis perdue sans ma famille. À quel point cette dernière était devenue toxique pour moi et qu’il a fallu m’en détacher. « Si tu veux, » je concède finalement, m’écartant pour la laisser passer. « C’est tout ce que j’ai réussi à trouver dans les circonstances. »
Fini le grand luxe, finie la belle vie pour moi. À présent sans travail, je dois vivre plus sobrement, ce qui est bien loin de me plaire. Au moins j’ai récupéré mon mobilier dans mon appartement, après tout c’était bien moi qui l’avait payé. Mais la belle fresque que m’avait peinte mon ami, disparue, tous les souvenirs de cet endroit. Je laisse Cali entrer dans cette jungle de boîtes, ce bordel, ces éclats de ma vie qui a implosé sous mes yeux. Je n’ai pas le cœur de m’excuser pour le piètre état de la maison, me félicite tout de même d’avoir débuté ma journée en ramassant les monticules de déchets qui reposent maintenant dans des sacs noirs dans un coin.
« Bienvenue… ici. » car je n’arrive pas à dire chez moi. J’en suis incapable. Chez moi se trouve au-dessus de la colline, dans l’hacienda, auprès des miens. « La cuisine est par là et à l’étage il y a deux chambres. Là-bas y’a la cour, c’est petit mais au moins mes Pokémon peuvent se dégourdir les jambes. Tu vas me dire pourquoi tu es ici maintenant ? »
Trop lasse désormais pour être hostile, je prends place sur le sofa, le cœur lourd. Cornaline, fidèle à elle-même, vient se blottir contre moi en traînant Benito derrière elle. Le Scarhino, timide, se glisse sous mon bras en observant la nouvelle venue, incertain de cette visite.
Je ne connais rien, bien sûr. Donc elle n'a pas couché avec Luciano, n'a pas été virée de chez elle et travaille toujours au casino ? Tout va bien alors, non ? On va quand même garder ces remarques là pour mon for intérieur parce que sinon j'ai l'impression que j'aurai surtout définitivement réussi à me faire barrer à vie du cercle social de ma cousine. N'empêche, c'est gentil de sa part de me confirmer qu'il y a des choses qui n'ont pas été mentionnées, ou qui ont été modifiées pour offrir une meilleure histoire au public. Enfin, ce n'est pas si surprenant non plus, mais maintenant elle a piqué ma curiosité qui, jusque là, dormait bien gentiment. Pas de chance.
Au moins elle se résigne à me laisser entrer, sans doute consciente que je suis à l'image d'un rendez-vous chez le dentiste : inévitable, mais plus vite on accepte de se laisser examiner et plus vite c'est terminé. Je ne prends d'ailleurs pas la peine de retirer mes talons à l'entrée puisque, de toute manière, je sais qu'ils sont propres. Probablement plus que son plancher d'ailleurs vu que la Terren ne doit plus avoir les moyens de se payer quelqu'un pour les laver à sa place. Je découvre d'ailleurs les boîtes, les sacs poubelles entassés plus loin. C'est... Tout ce qu'elle a réussi à trouver. Bienvenue ici ? Mon walk-in est plus joli. Enfin, contrairement à ce que pense Isidora je ne suis quand même pas ici pour me moquer alors tentons quand même d'être gentille.
« C'est sûr que... Enfin, avec beaucoup d'amour et un décorateur intérieur ce sera pas si mal. »
C'est réussi ? Pas sûre, surtout que peut-être que le commentaire sur le décorateur qu'elle n'a plus les moyens d'embaucher ce n'était pas très le tact. Je peux peut-être proposer de le payer de ma poche pour lui rendre service ? Vu sa mine fatiguée et la façon dont elle me demande les vraies raisons de ma présence je me dis qu'il vaut peut-être mieux éviter. À la place je m'installe dans un fauteuil pour faire face à Isidora pendant que Lucifer, de son côté, a décidé de s'installer sur le dossier de mon nouveau siège pour mieux juger les environs de son regard de chat.
« Je peux, mais si tu es décidée à ne pas me croire ça ne nous mènera pas bien loin. »
Je marque une pause, un peu nerveuse peut-être de devoir me montrer plus sincère avec elle. J'ai peur qu'elle le prenne mal, qu'elle m'accuse d'avoir de mauvaises intentions ou que sais-je encore. Mine de rien ça me fait peur cette idée d'être rejetée alors que, pourtant, je dis la vérité.
« J'étais inquiète. Si c'était moi à ta place... Si je me mettais ma mère à dos... Je voulais juste être certaine que tu allais bien et... Je sais que je ne suis pas Donis, mais voilà. Je suis ici. Tu n'as pas perdu toute ta famille, même si je fais sans doute ironiquement partie de la branche dont tu aimerais te débarasser. »
La maison a l’avantage d’être neuve, ou presque. Un avantage pour ses planchers, sa cuisine et ses deux salles de bain modernes, néanmoins elle manque cruellement de vie, d’identité, de… moi. Je sais très bien que la blanche se retient au niveau des commentaires; personnellement je ne l’aurais pas épargnée. On est bien loin du luxe auquel je goûtais avant. Néanmoins l’endroit est propre, petit mais confortable je suppose.
« C’est largement suffisant pour l’instant. J’ai d’autres chats à fouetter que de penser à la décoration. »
Pas d’énergie à y consacrer, surtout. Juste de placer l’essentiel dans la cuisine a fini de gruger mes dernières réserves, alors composer avec cette greluche de Cali en plus ? Oui, effectivement, un décorateur et quelques milliers de pesos aiderait certainement, néanmoins nous savons tous les deux que je n’en ai plus les moyens, une idée parfaitement humiliante. Je déteste me sentir ainsi démunie. Ma cousine ne fait que me rappeler cruellement à quel point j’ai perdu ce que j’aimais le plus au monde : ma famille et l’argent. Cette maison me rappelle constamment que je suis en perdition, que je me suis éloignée du chemin que je suivais jusqu’à présent. Luciano m’a parlé du changement, il a nommé de chemins meilleurs. Pour l’instant je n’y trouve pas mon compte. Je me seulement vide, aussi vide que les murs blancs qui m’entourent.
Cali repasse à l’attaque. Je l’ignore, l’observant d’un œil terne. Si elle veut jouer à ce jeu, elle jouera toute seule. Maintenant qu’elle est entrée c’est à elle de s’expliquer et non l’inverse. Heureusement, elle se ravise finalement et se met à parler. Si c’était elle. Je laisse m’échapper un petit rire du nez, sec, venimeux. C’est donc bel et bien pour ses petites insécurités malsaines qu’elle s’est aventurée jusqu’à Pavlica. Parce que la fille de maman ne pourrait se permettre de perdre sa place. « Ne t’en fais pas, chérie, tu es un bon Ponchiot de poche, tu ne risques rien avec ta mère. Tu es parfaite comme Camila l’était pour mon père, et bien entendu ta mère ne risque jamais de mettre sa sainteté à la porte. Je ne suis pas comme vous deux, moi, tu te souviens ? Je suis juste Dora la déception. »
Si mes mots pouvaient être du poison, depuis longtemps Cali aurait succombé. Elle est si semblable à Camila : sûre d’elle, impératrice, toujours convaincue d’avoir raison. Et surtout louangée par son parent. Je la hais. Je la hais probablement un peu aujourd’hui car elle a l’amour de sa mère alors que je ne suis que dégoût pour mon père, malgré tous mes efforts. Il y a des jours où j’ai simplement envie qu’on me prenne, qu’on me dise que je ne suis pas la sous-merde que tous croient que je suis. Que Cali se rassure : je ne lui arrive pas à la cheville, bien entendu, et somme toute elle n’a aucune raison de se soucier de vivre la même situation que moi.
« C’est fou, tu n’as jamais même imaginé que je sois partie, que c’est ce que j’ai voulu, hein ? Je ne suis pas la martyr éperdue d’amour que les médias croient que je suis. Mon père m’a à dos parce que j’ai osé lui dire qu’il faisait de la merde. Alors soit. Je suis seule, Cali, mais au moins je vis selon mes principes. Peux-tu en dire autant ? »
A-t-elle simplement un jour cru en quelque chose qui soit contraire à ce que sa mère l’a engagée ? J’en doute fortement. Contrairement à Adonis, qui lui aussi a coupé les ponts, a vu ce que j’ai vu, qui a compris et mûri. Cali, de bien des façons, n’est qu’une gamine qui a peur qu’on l’abandonne. Je soupire, exténuée, passe une main sur mes traits gris.
« Tu ne sais rien, Cali, et tu serais la première à me trahir si l’occasion se présentait. Ne fais pas semblant que tu es là pour moi. Tout ira bien pour toi, t’en fais pas, alors maintenant tu peux me laisser dans mon bordel. »
Ouais. Laisse-moi donc dans mon bordel. Je baisse les yeux, incapable de supporter son aura de petite miss parfaite. J’étouffe.
À dire vrai je ne sais pas trop à quoi je m'attendais. J'avais espéré qu'elle prenne mon avertissement au sérieux, qu'elle décide de s'ouvrir à son tour pour considérer mes mots avec bonne foi, mais non. C'était mal connaître Isidora Terren et son caractère. Son rire me fait reculer dans mon fauteuil en fronçant les sourcils. Je n'ai rien dit de drôle pourtant, mais rien non plus qui devrait générer une telle réaction antagoniste. Mon empathie se fait piétiner alors qu'elle me traite de bon petit ponchiot à sa maman qui ne risque rien parce que je suis parfaite. Cette fois c'est moi qui ait envie de lui dire qu'elle ne sait rien alors que, pourtant, elle devrait. A-t-elle déjà oublié où Adonis a passé son adolescence ? Certes ça lui a réussi au final, mais le fait demeure : ma mère a déjà sciemment éloigné l'un de nous par le passé et, pour toutes les qualités que je lui vois, je ne me leurre pas sur les risques que je pourrais encourir à la décevoir.
Mais Isidora se fout bien de tout ça. Elle préfère continuer à faire la victime en se traitant de déception. Comme s'il n'y avait qu'elle sur qui on avait placé des attentes, comme si elle était la seule qui pouvait échouer. Mes traits se font plus durs afin de dissimuler l'impact de ses mots sur moi. Pour cacher ma véritable tristesse de la voir se comporter ainsi alors que je n'ai fait que lui tendre la main dans son moment de faiblesse. Et, de son côté, ma cousine demeure aveugle au changement d'attitude qui s'est opéré en moi ou, plus simplement, elle n'en a rien à faire. Ne me suis-je donc jamais imaginé qu'elle était partie de son plein gré ? Non, ma chérie, parce que les gens qui partent d'eux mêmes n'ont pas l'air d'avoir été recrachés par un ouragan. Pas la martyr éperdue d'amour ? Elle joue bien le rôle pourtant. En tout cas c'était facile de la faire parler finalement puisqu'Isidora m'avoue que les réelles raisons de sa mise à pied se trouvent en fait dans une dispute avec son père. Tiens donc. Je la laisse continuer, peut-être qu'elle a d'autres choses sur le coeur. Ah non, juste une autre pique sur mes principes. Charmant.
Encore une fois, je ne sais rien. Peut-être, mais si tu continues comme ça je n'en serais pas si sûre à ta place. Et puis moi, la première à la trahir ? Sa définition de la trahison est bien vaste et elle semble tant décidée à me haïr qu'elle me dépeindrait sans doute comme la plus vile femme de l'histoire juste pour avoir mangé le dernier cookie. Mais je ne dois pas faire semblant, bla bla bla. Elle est totalement fermée dans son petit monde et sa petite vision des choses. S'imagine avoir tout compris à mon sujet et n'avoir rien à apprendre ou à recevoir de moi. À mon tour de sourire amèrement, respirant un bon coup pour conserver ma contenance et ne pas me laisser aller plus que nécessaire.
« C'est bien, faut que ça sortes ces choses là. Au moins maintenant j'ai de vrais conseils à te donner. »
Ils ne lui feront certes pas plaisir, mais au final qu'est-ce que je m'en fous là tout de suite. Puis c'est peut-être mieux que ça vienne de moi de toute façon puisqu'elle ne m'endure déjà pas. Je ne risque pas d'empirer notre relation en étant honnête alors, de ce point de vue là, peut-être qu'il n'y a que moi pour lui faire ce petit reality check. Je croise les jambes, faisant mine de regarder mes ongles parce que je n'ai pas la force de la regarder directement ses yeux.
« Tu sais, j'ai moins l'impression que t'es une déception que t'as juste des principes de merde en fait. Tu repousses tout le monde juste sur tes impressions, même quand ils te veulent seulement du bien et qu'ils aimeraient t'aider ou élargir ta vision des choses et des possibilités. Et après ça tu te retrouves toute seule dans ta petite maison de ville à pleurer parce que personne ne t'aime alors que, au fond, ils t'aimaient tous beaucoup avant que tu les envoies se faire foutre. Peut-être même qu'ils t'aiment encore, mais que tu ne veux juste pas le voir parce que ça entrerait en conflit avec ton idée de Dora la déception. Après bon, qu'est-ce que j'en sais. Je ne sais rien de toute façon, pas vrai, chérie ? »
Elle croit quoi ? Qu’elle vient ici pour me sauver ? Je le vois bien que mes attaques ont touché, que je lui ai fait du mal, c’était bien mon objectif d’ailleurs. Si je la saigne assez, elle s’en ira et me laissera dans mon trou, celui où je m’enfonce un peu plus chaque jour. Pourtant, elle s’acharne. Ses paroles viennent me hérisser, m’embraser toute entière d’une rage que je peine à contenir. Des principes de merde ? On en parle des siens ? Aussitôt je me redresse, pointant vers elle un doigt aveugle, l’insultant dans ma langue natale en y mettant tout mon sel et mon venin. Lorsqu’enfin se tarissent mes mots en portugais, je m’assure qu’elle aille bien compris le sens de mes paroles, usant cette fois du français. Juste au cas où. Tout de même, déjà l’intensité du feu qui me consume s’est amoindri. Je me rassois, d’autant plus épuisée.
« Tes conseils, tu peux te les mettre où je pense. Encore une fois tu penses tout savoir, tout connaître. Mes principes de merde essaient de sauver Cinza, putain, mais tu t’en fous, tant que tu peux lécher les orteils de ta mère. C’est justement parce que j’ai élargi mes horizons et que j’ai arrêté de penser qu’à moi que je me retrouve dans ce merdier. Et peut-être que là, juste là, j’ai envie d’être dans ma maison toute seule et de pleurer plutôt que de satisfaire ton égo démesuré. »
Je peux sentir un étau dangereux se refermer sur ma poitrine, couper mon air, ensevelir ma gorge. Je détourne le regard un instant, cherchant l’oxygène qui semble manifestement convaincu de m’éviter. Puis je redresse les yeux, le braquant sur elle à nouveau.
« Tu me parles d’amour, le seul amour qui compte est celui de ma famille et je l’ai perdu. Ne vas pas me dire que tu m’aimes, Cali, je te jure je te fous une baffe. »
Et pourtant, un visage s’impose à moi avec une telle fureur que j’ai du mal à m’en détacher. Contrairement à elle, Luciano aurait les mots justes, il respecterait mon orgueil, il me tiendrait contre lui. Je rêve de ses bras, de sa réassurance. J’ai envie de lui, de l’avoir à mes côtés dans ces temps difficiles… pourtant je ne parviens pas à l’inviter, et j’évite soigneusement toute mention de se revoir pour l’instant. Dans un moment de faiblesse je me suis octroyée un séjour chez lui alors que je me trouvais sans domicile mais maintenant que j’ai les pieds quelque part je refuse son aide. Putain. J’ai vraiment envie qu’il soit là et qu’il me dise que tout ira bien. J’ai vraiment, vraiment besoin de l’entendre en ce moment. Sans le réaliser, j’ai laissé échapper une larme, puis une autre. Elles coulent contre mes joues, salées mais surtout amères. Dans un petit gémissement, Cornaline se blottit d’autant plus contre moi, vient lécher ma main pour me signifier sa présence.
« Tu dis que tu veux mon bien, Cali, mais tu viens ici pour me dire que je fais de la merde. Et je sais, d’accord ? Je le sais. J’essaie d’être meilleure, mais ce n’est jamais assez, je… je ne sais pas comment faire pour être mieux. »
Pour mériter l’amour que certains veulent me donner. Pour mériter ma famille. Pour le mériter lui. Mes doigts parcourent la fourrure de Cornaline, silencieusement.
« Alors vas-y, moque-toi si tu veux, juge ce que tu veux. Dis-moi que je n’aurais pas dû coucher avec Luciano Viridis ou contredire mon père. À ce stade-ci… »
Ma voix se brise. C’est bon, elle a gagné. C’est ce qu’elle voulait, non ?
Il semblerait que j'aie réussi à toucher une corde sensible en tout cas vu les trucs qu'elle me crache au visage. L'ironie c'est qu'elle ne fait que me prouver la justesse de mes mots en rabaissant sciemment mon point de vue simplement parce que, dans sa vision des choses, il n'y a qu'elle et ses principes qui peuvent... sauver Cinza ? Je hausse un sourcil, me demandant si elle n'est pas en train de délirer. Sauver Cinza de quoi ? Puis ce n'est pas en devenant la risée des familles qu'elle aura l'influence de faire grand chose dans un sens ou dans l'autre. Elle rajoute autre chose sur mon ego et franchement ça m'exaspère d'entendre ce même refrain qui tourne en boucle. Je ne l'aime pas, je suis ici pour mes propres envies égoïstes, et cetera. Elle ne fait que régurgiter ses croyances erronées pour mieux s'y accrocher comme à une bouée. Pathétique.
Ça ne va d'ailleurs pas en s'améliorant vu que maintenant elle commence à pleurer. Génial, j'ai vraiment du talent moi pour remonter le moral des gens. Je deviens inconfortable alors qu'elle avoue savoir qu'elle fait de la merde, mais ne pas savoir comment faire mieux. C'est un sentiment un peu trop compréhensible et auquel je n'ai moi-même pas envie de faire face. Au moins elle m'aide à me changer les idées en me disant que je peux me moquer, la juger et lui faire la morale. Bon on n'est pas plus avancées, mais je prends ce que je peux.
« Parfois vouloir le bien de quelqu'un c'est aussi lui dire les trucs chiants que personne d'autre n'ose lui dire. »
Je quitte mon fauteuil et, derrière moi, Lucifer me fait les gros yeux comme s'il questionnait mon prochain geste avant même que je ne l'ai commis. Car oui, je viens m'asseoir sur le sofa, aux côtés de Dora.
« Alors tu veux que je dise quoi ? Haha, je m'amuse trop, j'adore te voir souffrir ça valait le détour ? Tu me croiras si je te dis ça ? Mais pas si je te dis que tu me fais vraiment pitié et que je suis là pour essayer de t'aider à aller mieux parce que t'es ma cousine et que je tiens un tout petit peu à toi ? »
Je détourne le regard en croisant les bras, prête à lui concéder quelques points.
« Bon d'accord, c'est vrai que je te juge, mais ça je peux le faire de mon petit chez moi à Sercena. Ce que je ne peux pas faire de là bas, par contre, c'est te rappeler que t'es pas aussi seule que tu veux le prétendre. »
Bien sûr, Cali, bien sûr. Tu t’es dit que tu te dédierais à conduire jusqu’à Sercena pour me dire « ces trucs chiants » qui devraient me servir et me faire du bien. Quelle naïveté. Ma cousine a vécu dans un cocon toute sa vie, elle ne connaît absolument rien du monde réel et des relations avec autrui plus ou moins normales alors ses pseudo-remontrances me laissent tout bonnement indifférente. Mon père m’a appris à gérer mon bordel, c’est ce que j’ai l’intention de faire. Ces décisions que j’ai prises, je les assume même si elles me font du tort aujourd’hui. Cali ne peut se l’imaginer, bien entendu. Aller à l’encontre de l’autorité parentale ? Quoi de pire pour la petite princesse de Sercena ! Je l’observe quitter son siège pour se rapprocher, s’asseoir à mes côtés, me prendre en pitié. Mon dieu ça me rend malade. Je préférerais largement qu’elle se moque. Sa pitié me l’effet d’une gifle, d’une insulte en plein dans le cœur. Elle pense m’aider, ah ! Si elle avait vraiment mon intérêt à cœur, elle serait restée là où elle était plutôt que de me casser les couilles.
« Y’a pas de pitié à avoir. Je suis retombée sur mes pattes et j’avance malgré tout; putain je ne suis pas parfaite mais au moins je suis libre, Cali. Quelque chose que tu ne comprendras jamais. Alors épargne-moi ce manège à la con. Ça m’agace. Et ça ne te sied pas bien. Tu veux passer du temps ensemble ? Me montrer que tu es là ? »
Mes épaules tendues et mon regard sévères soudain s’adoucissent. Je soupire et vient pincer l’arête de mon nez. Quelque part, je le sens qu’au fond elle ne veut pas me nuire. Même si elle vit dans son propre monde, qu’elle s’imagine avoir du pouvoir sur ma détresse alors que non. Au fond, ça me rassure un peu de savoir que je ne suis pas seule, même si j’aurais préféré une autre compagnie que celle de Cali Cobalt.
« Suffisent les conseils. Ou la pitié. On peut faire ça, je crois ? Je veux bien que tu restes, on ne passe pas beaucoup de temps ensemble puis ça me changera. »
Je me redresse, allant vers un carton que j’ouvre. Des photographies y trônent. J’en retire quelques cadres que je pose sur la table. Des photos d’Adonis et de Nyx, de mes copains, d’Adélina, Diego, mes parents et même Camila. La dernière, la plus récente, est un selfie que j’ai pris avec Luciano un peu à son insu. Non sans un sourire tendre, je la pose à son tour près des autres.
« Tu peux m’aider avec les cartons si tu veux. Ou juste rester là et causer. Qu’est-ce que tu fais de bon ces temps-cis ? »
Il est évident que je me force, que je fais des efforts. C’est vrai tout de même que je n’ai jamais beaucoup laissé sa chance à ma cousine, compte tenu de son lien avec sa mère, ma tante, que je déteste
La communication avec Isidora est toujours aussi difficile. On est juste assez différentes pour que les atomes crochus ne s'alignent pas et pourtant juste assez pareilles pour que nos caractères compliqués entrent en conflit quasi constant. Preuve étant que, encore une fois, elle me rappelle que je ne peux rien comprendre, qu'elle au moins est libre et que je ne pourrai jamais le comprendre. À ses yeux je suis une petite poupée parfaite qui dance aux rythmes imposées par son marionnettiste. Ça me rendrait bien service tiens de ne plus avoir aucun défaut, vraiment. Dommage que ça ne soit pas le cas. Puis je ne suis pas aussi prisonnière que ça non plus. J'aime faire de la charité, j'aime faire de mon mieux pour rendre ma mère fière de moi, j'aime prendre mes responsabilités pour le bien de notre famille. C'est un honneur plus qu'un boulet pour moi et c'est vexant qu'elle essaie de le retourner contre moi dans une tentative de prouver que je ne suis pas assez bien pour la comprendre ou l'aider. Même que ça commence à m'énerver et que je suis à deux doigts de lui dire de se débrouiller toute seule si elle veut tant se comporter comme une pauvre petite ado incomprise. Heureusement que la Terren se rattrape et que, si je respecte ses conditions, elle veut bien accepter que je reste. On n'était pas loin d'une mini catastrophe.
« Va pour ça, plus de conseils, promis. »
De toute façon elle ne les écoutera pas et je vais juste me faire chier plus que d'autre chose à essayer d'atteindre cette tête de mule. Je la regarde s'éloigner vers les cartons, hésitant à la suivre ou pas avant qu'elle ne me le propose plus directement. Je peux aider ou rester assise et juste parler. Un coup d'oeil à ma manucure toute fraîche me donne envie d'opter pour la seconde option, mais en même temps je n'ai pas envie de lui donner la satisfaction de voir que je suis trop princesse pour me salir les doigts un tout petit peu. Alors je quitte mon siège, vient timidement la rejoindre sans trop oser fouiller dans ses choses. Je me rabat finalement sur une boîte qui, selon ce qu'on a écrit dessus, contient de la vaisselle et autres ustensiles de cuisine. Parfait, je devrais pouvoir m'en tirer sans trop d'accrocs et ne pas tomber sur des trucs que ni elle ni moi n'avons envie que je vois. Qu'est-ce que moi je fais de bon ces temps ci ? La question difficile vu que, mine de rien, mes passe-temps sont relativement limités.
« Les cours reprennent bientôt alors j'essaie d'en profiter d'ici là. Je passe des entrevues avec des journalistes, je fais de la charité, la routine quoi. D'ailleurs j'ai de bonnes relations avec un ou deux refuges pokémon alors s'il te manque quoi que ce soit pour tes petites bêtes je peux passer quelques coups de fils pour t'obtenir tout ce dont tu as besoin. »
J'empile des assiettes sur le comptoir, près du lavabo pour les laver avant de les ranger dans ses nouvelles armoires. Je m'arrête toutefois dans mon mouvement pour me retourner vers elle, index levé en l'air pour mettre un truc au point avant que la Terren n'ait la chance de rouspéter.
« Et je sais que tu n'as pas besoin de mon aide et que tu peux déjà subvenir à tes besoins, je te l'offre juste parce que ça me ferait plaisir. Et parce que ce joli petit chien était vraiment trop adorable. Cornaline, c'est bien ça ? Tu me présentes les autres aussi ? De mon côté je crois que tu connais déjà Lucifer ? »
À vrai dire, je n’ai pas trop suivi les péripéties de ma cousine ces dernières années. Je ne cesse de changer de chaîne lorsque son visage paraît à l’écran, peu désireuse de la voir déblatérer sur les bienfaits d’un système qui me pue au nez. Maintenant que j’ai fait le choix conscient de me placer contre mon père, cela fait-il de ma cousine et moi des ennemis fondamentaux ? Malgré tout ce que je peux lui reprocher, je ne peux considérer la blanche ainsi. Elle n’a simplement pas toutes les informations entre les mains pour faire un choix avisé. Même moi… suis-je vraiment contre le gouvernement ? En grande partie, maintenant, oui. Mais contre le pouvoir des Familles, absolument pas. Je crois que Cali et moi avons certains intérêts en commun mais d’autres… Adepte de la Nova Existencia, elle ne serait pas bien d’accord avec moi lorsqu’il s’agit de combat Pokémon je suppose. Enfin.
Ce qu’elle me répond ne me surprend guère. De la charité pour bien paraître, des entrevues pour bien paraître, la routine parce que c’est tout ce qu’elle sait faire pour bien paraître. Je l’écoute à peine lorsqu’elle nomme un refuge, la possibilité de m’aider à trouver des trucs pour mes bestioles. J’aimerais lui dire qu’elle pourrait s’amuser aussi parfois, pour faire changement, néanmoins contrairement à Adonis, je doute qu’elle sache le faire. Un jour il faudra que je lui montre, si elle se décoince un peu du fion d’ici là. Ce n'est pas gagné néanmoins. Au moins elle s’est mise à m’aider dans mes cartons, ce qui me soulage un peu vu tout le boulot qu’il y a à faire. Je reste plutôt dans le salon pour replacer les meubles et y placer quelques objets. Je mets les photos sur la petite table de coin, y apportant un soin méthodique. Pareil pour les coussins du sofa, que j’époussette avec grande attention avant de placer de manière à mettre mon décor en valeur. Lui présenter mes Pokémon ? Oui, je suppose que cela peut se faire.
« Cornaline, ouais c’est ça. Le Scarhino suspendu à ma jambe c’est Benitoïte euh… tu ne te souviens probablement pas de Saphir, la Scarhino de ma mère. C’est son fils. Tu connais déjà Tanzanite, il n’a pas changé, il vaut mieux pas s’approcher. Et le truc plein de poils là, c’est Jaspe. Je veux bien pour de la nourriture pour lui, c’est un vrai glouton. »
Le-dit glouton suit d’un œil attentif la nouvelle venue, excité par le bruit des assiettes qu’on entrechoque. Jaspe le Marcacrin aime bien les gens, mais jamais autant que la nourriture.
« Ce déménagement leur a causé bien du tort. Ma petite cour, ce n’est pas pareil que les jardins de l’hacienda. C’est ce que je regrette le plus dans cette histoire, c’est qu’ils n’ont plus accès à toute cette place. En attendant que je trouve ce que je vais faire de ma vie, nous allons devoir nous contenter de ça. »
Je soupire. J’ai bien un diplôme en poche, mais rien n’égalera de gérer le Casino. Je m’arrête dans mon entreprise de défaire mon carton. Qu’est-ce que je vais faire pour gagner ma vie ? J’ai des réserves, mais rien pour me faire vivre la vie de luxe à laquelle j’aspire. Les lèvres pincées, je ravale ma fierté mise à mal.
« Enfin, j’espère que tu profites de ton été quand même en t’amusant un peu. T’as quelqu’un dans l’œil? »
L'ambiance semble s'être détendue un minimum, pour l'instant. C'est un réel soulagement parce que, à dire vrai, j'ai généralement du mal à bien m'entendre avec ma cousine. Maintenant que l'on a arrêté de s'envoyer des reproches du coup c'est plutôt encourageant. Loin de moi l'idée de vouloir crier victoire trop rapidement, mais je suis heureuse de voir qu'elle accepte de me présenter sa petite troupe de Pokémons. Je n'en connais qu'un des quatre, probablement encore une fois dû au fait que nous ne sommes pas très proches en règle générale.
« Ravie de vous rencontrer tous. Et c'est noté pour la nourriture, je m'en occupe. »
J'espère qu'ils prennent aussi bien soin de Dora qu'elle doit prendre soin d'eux. La baisse de qualité de leur environnement de vie semble vraiment l'affecter et ça me rappelle que, mine de rien, elle est au moins capable de douceur avec eux. Puis je suis contente qu'elle ait pu tous les conserver malgré les circonstances, bien que je m'interroge sur la nécessité d'avoir quatre pokémons pour commencer. Pourquoi en adopter autant ? Cherchait-elle à combler un vide existentiel ou bien affectif ? Non, la réponse était probablement bien plus simple que cela et reposait dans de vieux souvenirs. Si la Nova Existência n'était jamais entrée en vigueur, si la Ligue Pokémon était toujours la norme à Cinza, il ne lui manquerait techniquement que deux têtes pour former la classique équipe complète du parfait dresseur. Ça me fait me poser des questions, ça me donne envie de fouiller dans ce qui ne me concerne pas et de la mettre en garde. Surtout qu'ils sont si adorables tous les... trois. Tanzanite ne se qualifiait pas vraiment dans mon idée d'adorable, mais qu'importe. Dora ne serait quand même pas cruelle au point d'envoyer cette jolie Cornaline dans une arène, n'est-ce pas ? Ou même de mettre en péril le bien être du jeune Scarhino simplement pour son plaisir personnel. Certes elle avait mauvais caractère, mais elle-même venait de prouver qu'elle avait de l'empathie pour ses petites bêtes. Je devais me faire des idées, forcément.
Le changement de sujet est la bienvenue, même si je ne comprends pas immédiatement là où elle veut en venir. Comment ça elle espère que je profite de mon été ? Je viens de lui dire que c'était le cas, je viens de parler de mon engagement avec des charités et de— Ah. La Terren parle de s'amuser et d'avoir quelqu'un dans l'oeil comme si j'étais libre de profiter d'une amourette d'été. Je n'ai plus douze ans quand même. Enfin, l'on pourrait dire que même quand j'avais douze ans je ne me comportais pas comme l'aurais fait une gamine standard, mais là n'est pas la question. Sauf qu'elle attend une réponse et que j'ai peur de la décevoir si je reste entièrement honnête. Enfin, non, j'ai peur qu'Isidora soupire et réitère son opinion selon laquelle je ne sais pas vivre vraiment. Il faut que je trouve quelque chose à dire, quitte à embellir la vérité. Oh, je sais !
« J'ai profité d'un petit week-end de détente il n'y a pas longtemps. Manicure et pédicure, avec massage inclus. Nettoyage du visage en profondeur, spa et chef renommé sur place. C'était pas mal. »
Et on ne dira pas que j'ai passé la majorité de ce temps-là à écouter des livres audios en guise de révision préparatoire à la rentrée scolaire. Non seulement elle n'a pas besoin de le savoir, mais en plus elle dirait sans doute que c'est encore ma façon de jouer les filles parfaites alors que, bien franchement, j'ai surtout l'impression d'être chiante et un tout petit peu névrosée. Quant au reste...
« Et non, personne en vue de mon côté. Enfin, j'ai bien quelques prétendants, mais... Erh. »
Quelque part j'ai l'impression que ça veut tout dire. Ceci étant dit... C'est elle qui a amené le sujet, pas vrai ? Je me mords la lèvre inférieure, songeuse. Ça pourrait très mal se finir, maaaaais... Je décide de tenter ma chance sur un ton innocent, espérant que cela va me permettre d'obtenir des réponses quitte à me les faire crier à la tête.
« Et puisqu'on parle d'affaires de coeur... Puisque tu es plus libre que jamais de vivre selon tes envies... Ça veut dire que tu vas en profiter pour être enfin avec ton Luciano ? Enfin, je ne connais pas toute l'histoire vu que comme tu dis les médias ce n'est pas fiable, mais s'il s'est passé un truc entre vous déjà alors je suppose que... ? »
Il y a probablement là le potentiel pour quelque chose de plus entre vous deux ? Et maintenant on croise les doigts pour qu'elle ne se décide pas à me jeter par une fenêtre dans les trente prochaines secondes.
Cali et Camila se ressemblent tant parfois que j’ai du mal à ne pas faire le rapprochement. Comme sa grande cousine, la blanche a de la difficulté à lâcher prise sur ses responsabilités, c’est évident. Ma cadette serait la première à me reprocher mon manque de sérieux et d’application; à force j’ai l’habitude qu’on méprenne ma nonchalance permanente pour un désintéressement ou une paresse envers ce qui m’est demandé. Mon père aussi entretient cette pensée, alors que depuis mon passage dans l’administration de nos affaires illégales et du Casino, jamais nous n’avions connu autant de succès. Je fonctionne simplement différemment, trouve des avenues détournées pour parvenir à mes fins. On me connaît, on me fait confiance, non pas parce que comme Cali j’ai fait des études dans le domaine politique ou que je réponds gentiment lors de mes entrevues. Je ne cherche pas à bien paraître, du moins pas des mêmes manières que ma cousine. Je veux régner, pas plier l’échine. Maintenant qu’on m’a retiré mon trône, je persiste à croire que d’avoir tracé les mêmes pas que Cali ou Camila m’aurait rendue profondément malheureuse. J’ai besoin de briller autrement. Comment ? Cela reste à déterminer. Cependant je ne laisserai personne me dire que je ne faisais pas bien mon travail. Si Camila avait été là, j’aurais pu habiter les coulisses, faire fleurir nos affaires dans l’ombre de mon aînée. Être au-devant n’a jamais été mon souhait. C’est en observant la jeune femme que j’en fais la réalisation, non sans un pincement de lèvres. Je veux honorer ma famille, être une fierté pour mon père… Mais je ne peux pas aller à l’encontre de qui je suis pour autant. Je cherche encore mon équilibre. Le trouverai-je simplement un jour ?
Quand même, j’aimerais inculquer la notion de relâchement et de plaisir à Cali, qui est si bornée dans sa quête de perfection que… Inévitablement, elle se brûlera les ailes. Je me garde bien d’émettre le commentaire, sachant qu’il s’agirait d’un autre cas de dispute. Un jour où j’aurai envie de bien me torturer, je tâcherai de lui montrer un peu. Car en ce sens elle a beaucoup à apprendre. Un weekend à se faire dorloter ? Un sourire étire mes traits avec un amusement un peu moins provocateur que tout à l’heure. Sa manière de l’évoquer ne laisse aucun doute sur ce qu’elle a pu en penser réellement.
« Je te gage que tu as bien réussi à te détendre avec un weekend pareil. Pas pensé à tes responsabilités une seule fois. » je fais sarcastiquement, plus pour l’embêter que pour être méchante. Elle ne me dupe tout simplement pas.
Sa manière de nommer des « prétendants » aussi me tire un sourire. Papa, heureusement, n’a jamais cherché à me caser. Mais je me doute que ces hommes dont elle fait mention doivent être approuvés par l’hydre qu’est sa mère.
« Pas facile de dater quand on est au sommet. »
Je dois bien lui concéder ça. Ma propre histoire de couple s’est finie justement car Jasper a reproché à notre famille d’avoir soutenu la Nova Existencia. Je soupire longuement. Je me demande bien ce que mon ex fait maintenant. Il me semble que pour ma part, j’ai reculé plutôt qu’avancé, six ans après notre rupture. Je redresse la tête alors que Cali évoque « mes histoires de cœur ». Je sourcille avant de la dévisager avec méfiance. Qu’est-ce qu’elle va me sortir encore elle ? L’entendant évoquer Luciano et la nature de notre relation, je me sens blêmir, puis rougir, puis rebrunir.
« Mon Luciano ? Tu as rencontré l’homme, Cali ? Luciano Viridis n’appartient à personne et encore moins à moi. Ce que les médias ont mépris pour une grande histoire d’amour à la Roméo et Juliette n’est en réalité qu’une relation basée sur le sex. C’est mon ami et nous baisons, jusqu’à ce que nous nous détestions un jour à nouveau. C’est tout. »
Non mais de quoi elle se mêle celle-là ? Elle vit dans un monde de cacas Papillusions pour s’imaginer que tout est aussi simple.
Je me renfrogne lorsque ma cousine sous-entend très directement que, même dans un spa, je suis incapable de me détendre et de ne pas penser à mes responsabilités. D'accord elle a raison, mais ce n'en est pas moins vexant pour autant ! Puis on ne peut pas tous se laisser porter par le vent sous prétexte qu'on est une âme libre et tout le bla bla. Certains d'entre nous doivent garder les pieds sur terres pour que d'autres, comme Isidora, aient la possibilité d'être égoïstes et de suivre leurs petites passions. Moi, amère ? Non, bien sûr que non. Le mot que vous cherchez c'est salée. Ahem. Au moins s'il y avait un truc sur lequel nous étions à même de nous comprendre c'était les difficultés qui venaient avec les relations de couple tout en étant au sommet de la hiérarchie sociale de Cinza.
« Effectivement. »
Voilà, je suis humble et gentille, capable de lui concéder des trucs lorsque je suis vraiment en accord avec ses paroles. Je suis quelqu'un de bien et de facile d'approche moi, je ne suis pas celle des deux qui risque d'exploser et d'envoyer l'autre se faire foutre pour un oui ou un non. Bon, je suis aussi la plus rancunière des deux probablement ou, à tout le moins, la plus passive agressive des deux. Mais qu'importe, revenons en à notre conversation sur les relations amoureuses. J'avais pris une chance, décidé de prendre un risque en évoquant Luciano Viridis. J'ignore si je dois dire que je n'ai pas été déçue ou si, en l'occurrence, je n'ai pas eu bien plus que ce que je n'étais prête à entendre. Vraiment, je suis choquée.
« Ah. »
C'est cru comme façon de le dire. Puis ça m'étonne véritablement, mais pas à cause des médias. Mon joli petit esprit se met à tourner et, déjà, une histoire se forme en mon for intérieur. Je sais qu'on avait dit plus de pitié, mais là c'est tellement triste. J'en ai le coeur tout brisé pour ma cousine et délaisse même mon ouvrage pour venir lui parler plus directement, avec douceur et bienveillance.
« Je suis si désolée Dora, je ne pensais pas. Surtout depuis le temps quoi... Depuis que je te connais tu crush sur lui et à notre première rencontre à toi et moi je ne savais même pas encore marcher alors bon, autant dire que c'est depuis toujours. »
J'essaie de trouver les bons mots, d'être compatissante, mais ferme.
« Même si tu veux être avec lui à tout prix, ça ne veut pas dire que tu peux te contenter de moins que ce que tu mérites ou que ce que tu veux. Tu ne peux pas le laisser s'en tirer comme ça et ne t'offrir rien de plus. Tu mérites tellement mieux ! Si j'étais à ta place je lui montrerais la porte jusqu'à ce qu'il soit prêt à s'engager et s'il ne l'est jamais alors c'est qu'il ne t'apprécie pas à ta juste valeur et qu'il ne t'aurait jamais méritée de toute façon ! »
Moi, me mêler de ce qui ne me regarde pas en sautant aux conclusions ? Ce n'est pas mon genre, voyons.
J’espère franchement que ma cousine se satisfera de cette réponse, ou du moins qu’elle reverra ses idées au sujet de ma relation avec Luciano. Je devrais en rire; ce n’est pas la première fois que je fais l’objet de rumeurs parfaitement ridicules, mais malgré moi je ne peux m’en empêcher : toute cette attention que mon histoire avec le Viridis reçoit me pèse et m’irrite. Surtout que tous semblent vouloir y mettre leur grain de sel alors que cela ne concerne absolument personne d’autre que deux adultes consentants. À commencer par mon père, qui crie à la traîtrise alors que ce que je partage avec le blond n'est rien plus qu’une partie de jambes en l’air une fois de temps en temps. Plus frustrée que je n’aimerais l’admettre, je constate les dégâts que les derniers jours ont porté sur mon humeur. Je suis fatiguée et irritable. Et la présence accaparante de Cali n’aide en rien à me reposer. Tout de même j’apprécie l’aide pour les cartons. Comme ça ce sera fini au plus vite. Comme cette conversation je l’espère.
Raté. Cali revient à la charge en me prenant en pitié (nah mais je rêve ?) et en parlant d’un crush imaginaire que j’aurais eu sur Luciano depuis belle lurette. Je redresse la tête et la dévisage comme si elle venait de m’annoncer qu’elle a marié un alien de la planète Mars. Et ça ne s’arrête pas là. Avec ce qu’elle croit être du courage et de la compassion, elle fabule d’autant plus en me disant ce que je mérite et comment je devrais « attaquer » ce problème. Voilà, j’hallucine. Je me suis réveillée dans un mauvais sitcom, j’attends juste d’entendre la trame sonore des rires pour m’en convaincre. Mais quel Apitrini l’a piquée elle ? Elle a été échappée à la naissance ou quoi ? Remarque, ça expliquerait bien des choses. Mon irritation passe à un niveau supérieur, néanmoins ses paroles sont tellement empreintes de ridicule et de méconnaissance que j’ai du mal à vraiment lui en vouloir.
« Cali, je sais que ta vie amoureuse est aussi palpitante qu’une pampa aride, mais quand même t’es pas obligée de m’inventer des histoires pour rendre la tienne plus intéressante. »
J’ai envie de lui dire qu’elle est injuste. Que ce qui me lie à Luciano est bien plus complexe que tout ce qu’elle pourrait s’imaginer. Un instant je m’assombris. Je me souviens de cette nuit que nous avons passé tous les deux à la Tour, quand nous avons fait l’amour sous les étoiles. Je ne suis pas amoureuse de lui. Mais… Tout de même, je me sentais moins seule à ses côtés. À présent il est préférable de prendre mes distances, de ne pas faire de vagues pour éviter d’aggraver mon cas auprès de papa. Il va me manquer tout de même. Tout de même.
« Bon, au lieu de dire n’importe quoi, tu m’aides avec ces cartons ou non ? »
Sujet clos, je l’espère. Non mais sérieusement, what the phoque Cali.
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