Depuis combien de temps Luciano Viridis n’avait-il pas mis les pieds à Sercena ? Longtemps, par choix autant que par obligation. Pourtant sœur de Borao à bien des égards, la ville médiévale avait peu l’occasion de voir en son sein les têtes blondes des Viridis et pour cause : davantage occupés à l’est de la région, le temps jouait en leur défaveur … c’était du moins le cas pour l’intendant de Borao, qui devait composer avec bien des variables. Occupé, le puîné ? Si peu.
Sercena, cependant, attendait en ce jour tout Cinza ou peu s’en fallait. Hommage aux morts qui ne manquaient pas de teinter l’histoire tant récente que lointaine de la région, la ville médiévale avait été choisie pour organiser le Dia de los Muertos ; un choix jugé avisé par les têtes pensantes de Cinza. Plus que ses comparses, Sercena s’illustrait par son passé sanglant et aujourd’hui encore, à bien y regarder et malgré les efforts des Cobalt pour les dissimuler, la ville gardait les traces laissées par la Nova Existência. Loin d’être dupe, Luciano n’était pas sans deviner les vrais desseins du gouvernement, mis à mal par les évènements de la Ilha Monstruosa et ses dérangeantes révélations, que Caldwell s’était empressée de nier, évidemment. Distraction, la réception était là pour faire diversion, pour offrir à la population d’autres choses à penser … la Chancelière s’imaginait-elle pouvoir éclipser le scandale grâce à cet hommage national ? Sans doute, c’était du moins le but que Luciano Viridis octroyait à cette mascarade dont il était malgré lui acteur.
Le cœur assombri par bien des raisons, Luciano s’était laissé persuader de se rendre à Sercena bien avant le début des festivités et la responsable de cet exploit n’était nul autre qu’Elsa-Mina Viridis, la femme de feu son frère, qui de tous partageait le plus son quotidien. Plus aventureuse que son beau-frère, Mina lui avait fait part de son désir de profiter de la ville, une volonté dont les vrais desseins n’avaient pas échappé à l’intendant : soucieuse autant qu’affable, la scientifique avait voulu par ce fait le sortir lui, s’imaginant à l’occasion pouvoir lui changer les idées, et reconnaissant ses efforts le puîné avait finis par accepter. Qu’avait-il à perdre après tout ? Changer d’air n’était pas sans avantages.
Egale à elle-même, Sercena n’avait pas changé depuis sa dernière visite. Nichée contre les montages, la cité médiévale possédait un charme particulier indéniable, qui contentait à n’en pas douter les nostalgiques de l’âge du fer et du sang. Connu pour sa multitude de lieux culturels, le Quartier Sud faisait honneur à sa réputation malgré la présence de vestiges d’un héritage dont la ville, sans doute, se serait bien passée. Hasard ou inconscient intérêt, Luciano n’aurait su le dire, mais son regard fut attiré par une marque sur l’un des murs de la cité. Vieux graffitis malgré tout intact, non recouvert là où d’autres n’avaient pas eu cette félicité, ailes déployées se tenait l’esquisse un Corvaillus sur lequel étaient inscris des mots ô combien significatifs.
Le combat n’est pas terminé.
Qui, à Cinza, ignorait la référence ? Personne. Figure de l’opposition, le père Eddarson avait laissé derrière lui un héritage et Luciano connaissait bien l’histoire. Symbole de leur lignée venue de Galar et, par extension, d’une partie des opposants qui avaient suivi son mouvement, le Grand Corbeau avait aujourd’hui sombré dans l’oubli pour beaucoup … mais pas pour tous. Qui le savait mieux que Luciano Viridis ? Malgré l’ombre dans lequel il s’était terré, Corvus Eddarson avait encore des cartes à jouer et l’intendant de Borao le savait bien, avait agi en conséquence. L’arrachant à sa contemplation, la voix d’Elsa-Mina le sortit de ses pensées.
« — Regarde, l’Université » déclara-t-elle en désignant un large bâtiment se profilant à l’horizon. Evidemment, le regard de l’intendant se porta dans la direction indiquée. L’université de Sercena n’avait rien à envier à celle de Borao « Cela fait bien longtemps que je n’y ai pas mis les pieds » fit-elle remarquer. Le sous-entendu n’échappa pas à l’intendant « Tu crois qu’Adonis s’y trouve actuellement ? »
Malgré les années passées à l’ignorer, Luciano n’était pas sans connaître le rôle qu’avait désormais Adonis Cobalt au sein de la prestigieuse Université de Sercena. Bravant les attentes de sa mère, le jeune homme avait trouvé une place parmi les enseignants, offrant aux étudiants son savoir concernant l’Histoire.
« — Nous aurons tout l’occasion de croiser Adonis lors de la réception » assura l’intendant. L’absence des Cobalts – dont Adonis – était impensable « Laissons-lui les quelques heures de répit qu’il lui reste » poursuivit-il, un sourire fugace sur le coin des lèvres. Dans ses paroles résidait une part de vérité : quand bien même sa relation avec Adonis était-elle différente, Luciano avait à cœur de le préserver de toutes les mondanités qui l’attendait ce soir, et qui viendraient bien assez vite « Allons plutôt sur les hauteurs » proposa Luciano « Gardons les bains de foule pour ce soir »
Gara s’ébroua en guise d’approbation. A l’instar de son maître, la Lougaroc avait toujours préféré les grands espaces naturels aux zones pavées et la perspective d’une marche l’animait, la contentait … mais les choses se passaient-elles vraiment comme on le prévoyait ?
Je n'arrivais pas à croire que cet imbécile de professeur pas organisé pour deux sous m'avait vraiment fait venir à l'Université aujourd'hui. De tous les moments où il aurait pu me forcer à me déplacer c'était quand même extrêmement vexant que ce soit tombé sur la dia de los muertos. Tout ça parce qu'il avait perdu l'un de mes documents pour un projet sur lequel j'avais travaillé plusieurs semaines durant. Inutile de dire que j'étais livide, mais m'étais pliée à la demande de mon enseignant de lui amener une copie supplémentaire. Au moins si ça avait pu tomber sur n'importe qui d'autre, mais là j'étais en droit de me poser des questions. Aurait-il une vendetta contre les Cobalt ? Était-ce sa façon de me pourrir la vie à moi spécialement pour me faire faire un faux pas plus tard dans la journée ? Étais-je simplement de mauvais poil à cause du stress et cela me portait à poser des accusations illégitimes ? Nous ne le saurions jamais.
L'important c'est que j'étais ressortie du bâtiment universitaire avec un pas de conquérante, mes talons claquant contre la chaussée avec la détermination d'un marteau piqueur. Le message était clair : quiconque se met au travers de mon chemin va payer le prix fort aujourd'hui. Au moins mon attention était presque totalement concentrée sur mon portable alors que je tentais de rejoindre mon chauffeur, estimant avoir perdu déjà beaucoup trop de temps sur mes préparatifs. Cela m'empêcha donc de jeter des regards mauvais à tout vent, pour le plus grand soulagement de mes camarades de classe n'ayant aucune envie de se frotter à un ouragan Cobalt.
Le côté négatif de tout cela ? Je m'approchais dangereusement d'un duo d'invités de marque sans même les avoir reconnus ou interpellés. Heureusement qu'il y avait, sur mes talons, un félin plus attentif que moi. Impossible pour Lucifer de manquer le chien à l'air franchement inquiétant. Sa petite voix de chat s'éleva en miaulement destinés à m'alerter et ce fut un succès. Le Miaouss n'était pas du genre à faire des efforts sans bonne raison et j'étais bien placée pour le savoir alors évidemment que je n'allais pas ignorer ses mises en garde. Relevant les yeux presque au dernier moment, je me figeai sur place, pile devant la délégation de Borao, alors que mes neurones mirent une ou deux secondes de trop à se toucher.
Son visage m'était familier, d'autant plus que l'association avec Luciano Viridis m'avait vite aidé à avoir la puce à l'oreille. Je savais qu'elle avait un lien avec leur famille et avec la politique de la ville végétale, mais ne me souvenait plus de son nom exact. N'était-elle pas la veuve du frère Viridis ayant péri durant le passage à la Nova Existência ? Je ne me souvenais plus si elle avait reprit son nom de jeune fille ou pas. Qu'importe, sans doute me corrigerait-elle, le fait était que je devais faire une bonne première impression même dans une rencontre aussi fortuite que celle-ci.
« Votre séjour à Sercena se passe bien ? S'il y a quoi que ce soit que je puisse faire pour vous aider à patienter jusqu'au début des festivités de ce soir ce serait avec grand plaisir. »
« Well, guilt is like salt : you put a little on, and it hides all the bitterness »
Le regard perdu à aviser les montagnes dont les chemins promettaient d’être escarpés, Luciano n’aperçut pas tout de suite la tête blanche s’approchant, et trop peu attentif le pire n’aurait pas manquer d’arriver si un petit ange gardien n’était pas venu donner l’alerte. Couvrant le bruit environnant, un miaulement se fit entendre, attirant immanquablement l’attention de ceux qui se trouvaient à portée … et lorsque l’intendant se retourna pour voir ce qu’il en était, l’homme se retrouva nez à nez ou peu s’en fallait avec une jeune fille que sa mémoire reconnaissait bien : Cali Cobalt. Dénué du moindre doute – comment douter avec des cheveux blancs pareil ? – Luciano se laissa un moment gagner par la surprise ; heureusement pour lui, Elsa-Mina fut là pour rectifier le tir.
« — Cali Cobalt, quelle agréable surprise. Appelez-moi Elsa-Mina, gardons les politesses pour nos amis politiciens » déclara-t-elle, offrant à l’intendant un regard amusé.
Jusqu’à présent silencieux, trop occupé à détailler la jeune fille et plus encore le Miaouss qui l’accompagnait, l’attention de Luciano se porta finalement vers leur interlocutrice, qui s’était empressée de s’inquiéter du bon déroulement de leur petit excursion à Sercena. Quoi de plus normal, pour une Cobalt, de souhaiter voir ses visiteurs y passer du bon temps ? Sans compter que ces visiteurs n’étaient pas n’importe qui : les dominants de la ville avaient tout intérêt à voir les Viridis s’y plaire. L’attrait de Cali Cobalt concernant leur séjour était-il politique, ou bien sincère ? Luciano la connaissait trop peu pour vraiment le savoir.
« — Parfaitement, c’est aimable de vous en inquiéter, Cali » répondit le puîné, un air affable sur le visage. Ce n’était pas la première fois que Luciano Viridis faisait la rencontre de la fille Cobalt, aussi s’octroyait-il le droit d’user de son prénom « Sercena n’a rien perdu de sa superbe, la ville porte bien son surnom » assura l’intendant.
Non, malgré les années, Sercena la Somptueuse n’avait pas pris une ride. Curieuse, Gara avait fini par s’approcher elle aussi, flairant la jeune fille non sans prudence tout en surveillant du coin de l’œil son atypique Miaouss. Si celui d’Adonis ne lui était pas étranger, ce félin-là lui était encore inconnu et comme à chaque fois qu’elle rencontrait quelque chose – ou quelqu’un – qu’elle ne connaissait pas, la louve crépusculaire se montrait défiante, réservée.
« — A vrai dire, nous comptions nous aventurer sur les flancs aménagés des montagnes » poursuivit Luciano, désignant à l’occasion les monts qui surplombaient la ville « Peut-être avez-vous des sentiers à nous conseiller ? Des chemins, plus accueillants que d’autres ? »
Se perdre en montagne et y faire de mauvaises rencontres était bien la dernière de ses volontés. Loin de connaître Sercena et ses secrets, Luciano méconnaissait les environs et le puîné Viridis ne s’en cachait pas. Roi de la forêt bien plus que de la montagne, l’intendant de Borao préférait s’en référer à quelqu’un des environs, et qui mieux pour savoir ce genre de choses que Cali Cobalt, qui avait grandi là ? Un Regulador peut-être, mais Luciano avait appris à se contenter de ce qui s’offrait à lui … le plus souvent.
« — Ne vous avisez pas de nous tendre un piège, Cali, vous auriez tôt fait de le regretter » plaisanta l’intendant.
Une pointe d’humour qu’on ne lui connaissait pas, mais qui connaissait vraiment Luciano Viridis ? Personne.
Elsa-Mina, juste Elsa-Mina. Les politesses nous pouvions les garder pour nos amis les politiciens. Je lui offrit évidement un sourire qui se voulait empreint de gratitude, dissimulant mon sentiment réel. Au plus creux de mon être cela avait eu le goût d'une pique subtile et adroite, bien que sans doute involontaire en réalité. La blonde ne pouvait sans doute pas savoir que je me destinais moi-même à la politique et que, si l'on devait véritablement me demander mon avis sur la question, je dirais sans hésiter que j'en faisais depuis ma naissance. Peut-être même avant, connaissant ma mère. Me faire dire de laisser à d'autres les jeux politiques parce que je n'étais pas encore une vraie politicienne... Non, je devais le voir comme une chance. Jouer le jeu et en profiter pour me vêtir de cette bonne excuse qui m'aiderait à adoucir les faux pas et à obtenir plus facilement la bienveillance de mes aînés.
« Vous avez bien raison. Je ne suis pas pressée à ce point de m'engager dans l'arène publique. »
Tels avaient été finalement mes mots pour la blonde, avec le sourire toujours, bien évidemment. Lucifer, lui aussi, avait retrouvé son aplomb. Remarquant l'intérêt que lui portait l'Intendant de Borao, il avait pris la pose pour laisser tout le loisir au blond de l'admirer. Le chat ne se fit plus réservé et méfiant qu'à l'avancée de son ennemi naturel : le chien. C'est là que j'avais posé ma question polie à Luciano et qu'il y avait répondu, complimentant au passage la beauté de la magnifique Sercena. Inutile de dire que j'étais aussi flattée que si c'est moi qu'il avait déclarée somptueuse.
« Merci beaucoup, je ne manquerai pas de partager votre sentiment à ma mère. Je suis certaine qu'elle sera tout aussi flattée que moi. »
Je me fis d'ailleurs intéressée lorsqu'il parla de profiter de leur visite pour marcher le long des flancs de montagne. C'était une bonne idée en plus d'être un endroit que les touristes adoraient. Bien sûr j'y étais déjà allée plusieurs fois, mais ce genre d'attraction tend à perdre de son charme lorsqu'il se trouve dans notre propre ville et que l'on peut y aller n'importe quand. On tend à les prendre pour acquis et à les négliger pour plutôt s'émerveiller des jolis paysages des autres. Et je disais ça en tant que Cobalt, un véritable blasphème à n'en pas douter, mais pas moins une réalité pour autant. Quant à ne pas leur tendre de piège...
« Quel dommage, j'étais pourtant résolue à vous montrer le plus beau des sentiers pour vous faire tomber irrévocablement sous le charme de Sercena. »
Dit sur le même ton d'humour poli qu'emprunté par l'amant de ma cousine. Et en parlant d'Isidora, sans doute qu'elle aussi allait se déplacer pour faire acte de présence durant la journée des morts, non ? Pouvais-je me permettre d'y mettre mon petit grain de sel ? Ce serait sans doute déplacé en présence d'Elsa-Mina, mais ma curiosité demandait des réponses, quitte à le mettre un peu à l'épreuve. Dora avait été forcée de payer le prix fort à cause de lui alors il pourrait bien endurer un petit inconfort en compensation, n'est-ce pas ? Il ne me restait qu'à feindre l'innocence à l'aide de mes talents innés d'actrice pour faire passer le tout comme une lettre à la poste.
« Mais j'y pense, ne serait-il pas mieux d'attendre l'arrivée de ma cousine pour profiter de la vue ? Je suis certaine qu'elle serait enchantée à l'idée de nous accompagner tous les trois. »
« Well, guilt is like salt : you put a little on, and it hides all the bitterness »
Les désirs de Cali Cobalt de rejoindre la scène politique ne lui étaient pas inconnus. Luciano Viridis aurait été bien peu avisé de ne pas le savoir : en tant que fille de Lilith Cobalt, qui de toute était la plus proche de la Chancelière, Cali promettait d’avoir une place de choix dans ce panier de crabes … pour peu qu’elle s’en montre digne, car le sang ne faisait pas tout : à double tranchant, la célébrité offrait peu de marge d’erreur et sans doute Cali risquait de s’en rendre compte assez rapidement. Pour l’heure ? Elle n’était encore qu’un petit poisson au cœur de ce vaste océan, pour autant les paroles de Mina s’étaient voulu sincères, dénuées d’animosité. Malgré son rang et son statut, encore éclipsée par l’ombre de sa mère, la fille de Lilith Cobalt ne faisait pas encore partie de l’échiquier, mais le lui rappeler n'avait pas été dans les intentions de la scientifique. Cette idée, cependant, faisait à ses yeux office de chance, elle qui savait qu’une fois dans la partie, plus rien n’était comme avant.
« — Profitez bien de ces derniers instants, Cali » déclara la scientifique lorsque la jeune fille assura ne pas être pressée « Une fois dans la cour des grands, il n’y a pas de retour possible » ajouta-t-elle.
Qui le savait mieux qu’Elsa-Mina Viridis, qui côtoyait chaque jour ou peu s’en fallait deux des plus gros joueurs de la région ? Combien de gens aspiraient à intégrer le jeu, pour finalement le regretter après ? Sans doute trop jeune et ambitieuse pour déceler la sagesse des paroles énoncées, Cali devait trouver la scientifique bien rabat-joie.
Evidemment, la jeune fille se complut à entendre les compliments de l’intendant de Borao concernant sa ville, mais les paroles qu’elle lui donna en réponse manqua de le faire tiquer. Était-ce vraiment une bonne idée de mentionner Luciano Viridis en la présence de la mère Cobalt ? Sans doute pas. Luciano n’oubliait pas l’influence qu’il avait eu sur son fils, Adonis, une influence qui était venue contrecarrer bien des enseignements que Lilith avait cru à tors acquis. Non, Lilith Cobalt ne portait pas le puîné Viridis sans son cœur, ni aucun d’entre eux d’ailleurs … Cali l’avait-elle oublié, ou bien venait-elle par ce fait d’enclencher subtilement les prémices d’une hostilité ? L’intendant n’en était pas certain, aussi lui offrit-il le bénéfice du doute.
« — Je n’en doute pas un seul instant » assura-t-il en guise de réponse.
Un instant, le regard de Luciano la dévisagea, soudainement incertain … Cali Cobalt lui vouait-elle une animosité ? Leur dernière entrevue datait, et l’homme n’était pas sans connaître l’influence que sa mère avait sur elle ; l’âge, également, avait sans doute façonné ses pensées, lui faisant à l’occasion changer d’avis concernant le puîné Viridis.
Non dénuée de répartie, Cali s’empressa de rebondir sur les dernières paroles de l’intendant … avant de mentionner sous un air naïf sa cousine. Cette fois, le doute se dissipa dans l’esprit de l’intendant, et un silence tendu s’empara de l’instant. Bien des semaines séparaient sa dernière soirée avec Isidora Terren et Luciano ne s’imaginait pas une seule seconde que l’information ne s’était pas su, chez les Terren autant que chez les Cobalt. C’était donc ça, n’est-ce pas ? Cali Cobalt lui en voulait-il pour ce qui s’était passé ? Mais de quoi se mêlait-elle ? A ses côtés, Luciano avait senti Mina se crisper, incertaine quant à la réaction que promettait d’avoir l’intendant. Isidora Terren était un point sensible, un chemin houleux sur lequel il ne valait mieux pas s’aventurer sur ce ton … Cali Cobalt n’avait pas la moindre idée du guêpier dans lequel elle venait de se fourrer. Trahissant un amusement nerveux, un sourire échappa à l’intendant … cette gamine croyait-elle vraiment pouvoir se jouer de lui ? C’était bien mal le connaître.
« — Il me semble avoir cru comprendre qu’Isidora, dernièrement, se complaisait à profiter d’un autre type de vues dont l’attrait, je gage, ne saurait être concurrencé par Sercena et ses sentiers tortueux » déclara-t-il « Je doute que votre cousine nous fasse l’honneur de sa compagnie, mais je serai ravi de vous avoir avec nous à sa place, puisque vous semblez y tenir » poursuivit l’intendant, un peu trop mielleux « Votre tact est si délicieux, Cali, je me languis d’en découvrir l’inspiration »
Cali avait-elle cru le mettre mal à l’aise en s’invitant ? Joueur émérite, l’intendant de Borao avait plus d’un tour dans son sac. Luciano arbora encore un temps un large sourire, dont l’hypocrisie était à peine dissimulée … c’était mérité et la gamine ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même. Finalement, presque soudainement, le masque de l’intendant tomba, dévoilant à l’occasion son véritable état d’esprit. Les traits brusquement moins affables, l’intendant désigna d’un signe de tête la direction qui menait aux sentiers.
« — Passez devant » lui intima-t-il, le ton empli d’une froideur peu engageante.
Comprenant les paroles de son maître, avec fougue Gare à Toi s’élança en direction des chemins, attrapant au passage la queue du Miaouss, qui n’avait vraisemblablement rien demandé à personne. L’excitation à l’idée d’aller faire un tour bien plus que la méchanceté avait animé la Lougaroc, et du groupe la louve était bien la seule à se satisfaire totalement de ce projet. Silencieux, Luciano observa la Cobalt … lui qui s’était naïvement cru débarrassé de l’acerbité d’Isidora s’en voyait resservir par nulle autre que sa cousine. Foutue famille.
« Merci pour votre bienveillance, Elsa-Mina. Je tâcherai d'en profiter autant que je le peux. »
Voilà ma réponse pour la blonde qui fait moins d'apparitions publiques que moi, avec sourire et gentillesse toujours. La sincérité n'y est pas, malheureusement, mais c'est qu'elle devrait arrêter de me parler comme à une gamine si elle voulait que je la considère sérieusement. Mais qu'importe, là n'était pas l'échange le plus intéressant, et surtout pas le plus important, de cette rencontre encore toute neuve. Le sourire venimeux de l'intendant, combiné à ses mots eux-mêmes et à la réaction de la blonde qui se trouvait également avec nous, me laisse vite comprendre que j'ai touché une corde sensible.
Luciano parlait d'un autre type de vue qui ne saurait concurrencer Sercena et je compris l'allusion à peine voilée. Était-ce donc le doux parfum de la rancoeur qui entourait le cervidé tel un nuage sombre ? La façon mielleuse dont il accepte mon intrusion me laisse également à penser qu'il a vu là une opportunité de jouer avec moi, si l'on peut appeler ça un jeu. Il complimente même mon tact et, parce que ça m'amuse, je fais mine d'être sincèrement flattée par ses mots.
« Je suis ravie de vous être de bonne compagnie, monsieur Viridis. J'aspire à être une présence aussi plaisante qu'inspirante pour tous ceux que je rencontre, mais je ne croyais pas être à la hauteur de vos éloges. »
Par contre s'il croit s'en tirer aussi facilement sur le dossier Dora c'est bien mal me connaître, malheureusement pour lui.
« Et n'oubliez pas que je suis sa cousine préférée. À mon invitation, je suis certaine qu'elle serait prête à revoir ses opinions sur la vue de Sercena, si tant est que je trouve que la compagnie en vaut la peine. »
Alors s'il a envie d'un petit coup de pouce il ferait mieux de changer de ton et de commencer à me faire de la lèche, sinon c'est fort possible que je fasse des pieds et des mains pour que, au contraire, cette chère Isidora continue de l'éviter. C'est que ma cousine mérite le meilleur et que je ne compte pas laisser un homme qui ne l'aime pas vraiment ou ne tient pas à elle se l'accaparer. C'est déjà mal parti que ce soit lui qui réagisse ainsi à sa mention alors que, pourtant, c'est Dora qui a le plus perdu au cours de leur petite aventure. Mais qu'importe, on m'offre de passer devant avec froideur et cela ne m'informe que d'une chose : le blond est mauvais pour dissimuler ce qu'il ressent. Voilà qui va faciliter ma petite enquête. Je dirais que pour l'instant ça se passe plutôt bien... Jusqu'à ce que le clébard de notre honorable visiteur décide de s'en prendre à mon pauvre bébé sans défenses en l'attrapant par la queue.
« Lucifer, mon bébé ! »
Le félin se contorsionne dans tous les sens en essayant de se libérer, crachant et criant tout en brandissant les griffes pour une attaque, justement, griffe. Il vise le museau de son assaillant et, inquiète, je m'empresse de les rejoindre au petit pas de course pour récupérer le félin dans mes bras et le serrer contre moi.
« Oh mon pauvre petit chat, est-ce que ça va ? Maman est là, le danger est passé. »
Le félin se tord dans mes bras, lâchant des miaulements d'agonie et de douleur avec mélodrame. Le pauvre doit vraiment avoir eu mal pour être dans un tel état et il ne m'en faut pas plus pour foudroyer le propriétaire du chien avec sévérité.
« Si votre pokémon est aussi mal élevé, vous devriez peut-être penser à vous munir d'une muselière avant qu'il ne blesse grièvement quelqu'un d'autre. »
« Well, guilt is like salt : you put a little on, and it hides all the bitterness »
Luciano Viridis était-il aveugle et sourd aux faux semblants que leur offrait la cadette des Cobalt ? Bien sûr que non. Le jeu auquel ils s’adonnaient avait un goût de réchauffé, éveillait en lui une sensation de déjà-vu, et désormais animée son adversité se montrait cruelle, acérée, ne cherchait aucun compromis. L’amusement, lentement, avait fini par s’estomper pour laisser place à un sentiment moins noble, moins louable, largement suscité par l’injustice de la scène … car oui, cette vendetta si habillement menée par Cali était à ses yeux injuste, non méritée. Qui de censé pouvait croire le contraire ? Quand bien même le dissimulait-il avec ferveur, la tournure qu’avait pris sa relation avec Dora n’était pas sans le peiner, et les circonstances n’arrangeaient en rien les choses ; des circonstances, que Cali Cobalt ne connaissait décemment pas. Comment pouvait-il en être autrement ? Luciano ne parvenait pas à comprendre comment, en tout état de cause, une âme éclairée pouvait lui en vouloir à lui, et lui tenir rigueur de l’issue de toute cette histoire.
« — Sa "cousine préférée", vraiment ? Et pourtant, vous m’avez l’air bien peu au fait des choses concernant la situation » rétorqua l’intendant.
Le sous-entendu était à peine dissimulé … peut-être n’était-elle pas si préférée que cela, finalement. Luciano, certes, avait été l’amorceur de tout ce tumulte, mais ses agissements et ses mots n’avaient pas été sans fondements. Sans doute Isidora avait-elle oublié de mentionner certains détails, si tant était qu’elles en avaient effectivement parlé … une chose, dont l’intendant de Borao doutait de plus en plus.
Le puîné Viridis n’avait aucun désir à voir la cadette des Cobalt prendre sa défense ou même parler en sa faveur. A ses yeux, Luciano n’avait rien à se reprocher et en cela résidait une part de vérité, malgré tout ce que Cali et même Dora pouvaient croire et prétendre. Isidora avait fait son choix et l’intendant ne comptait sur personne pour lui faire changer d’avis … était-ce simplement possible ? Sans doute pas. Luciano n’oubliait pas les paroles échangées, et son orgueil l’empêchait de considérer qu’un nouveau départ était possible, envisageable. Cali pouvait toujours s’y hasarder si cela lui plaisait, Luciano savait bien que tenter de faire changer Isidora Terren d’avis était voué à l’échec. Aveugle, Dora semblait incapable d’ouvrir les yeux … ou bien s’obstinait-elle à les garder fermé par choix ? Cela revenait au même : même avec toute la volonté du monde, personne n’était en mesure de montrer à quelqu’un ce qu’il ne voulait pas voir, personne, pas même une cousine préférée.
« — Je vous laisse volontiers vous aventurer à défendre … Sercena … si le cœur vous en dit, et libre à vous d’en trouver la compagnie plaisante, ou non » poursuivit-il « Mais gardez-vous bien de vous en faire un avis trop hâtif. On voit rarement le soleil lorsque le temps est à l’orage … vous trouverez sans doute difficile de l’apercevoir, mais cela ne signifie pas qu’il n’existe pas » déclara le puîné.
Non, Cali ne voyait pas l’intendant sous son meilleur jour, mais en cela la gamine avait sa part de responsabilité. S’il se fichait quand même assez bien de l’opinion des autres le concernant, Luciano refusait de voir Cali Cobalt le cataloguer et le trouver salé après y avoir elle-même ajouté son grain de sel. Une part de lui, malgré tout, trouvait de l’importance à rétablir les vérités.
Les coupants dans leur si charmant échange, un hurlement inattendu attira soudainement l’attention du puîné et l’espace d’un instant, Luciano demeura interdit face à la scène qui se déroulait devant eux. De manière absolument excessive, toutes griffes dehors le Miaouss hurlait à n’en plus finir, criant au monde entier sa douleur et sa misère. Surprise tant par ses cris que par son attaque désespérée, Gara lâcha prise, libérant le félin qui se précipita dans les bras de sa maîtresse. Aux paroles que la jeune femme réserva à son chat, Luciano ne put réfréner un sourire, manqua de peu de laisser s’échapper un rire railleur.
« — Allons, elle ne fait que jouer » assura l’intendant en réponse aux paroles de la Cobalt. Gare à Toi, mal élevée ? Affaire de point de vu « Je suis navré que votre chat ne partage pas son enthousiasme » ajouta-t-il, faussement désolé.
A ses côtés, lasse des tons employés, Luciano sentit la scientifique soupirer et perdre patience. Jusqu’à présent silencieuse, sa voix s’éleva, coupant les deux privilégiés dans leur petite guéguerre sans queue ni tête, du moins sans tête.
« — C’est bon, vous avez terminé ? » leur demanda-t-elle, leur offrant à chacun un regard. Son visage se tourna en direction de l’intendant « Peut-être que si le "soleil" – elle reprenait ses mots non sans une certaine moquerie – faisait un effort, les gens n’auraient pas tant de peine à le voir » déclara-t-elle à l’adresse du puîné, puis elle se tourna vers Cali « Et peut-être serait-il plus enclin à se montrer, si certains ne mettaient pas tant d’énergie à faire gronder l’orage » assura-t-elle. La scientifique avisa ses deux comparses, fit une pause qui donna à ses mots un poids particulier « Faites un effort » résuma-t-elle finalement « Les pavés de cette ville reposent sur une mer de sang. N’y ajoutons pas nos rancœurs »
L’intervention d’Elsa-Mina laissa l’intendant silencieux ; rancuneux, mais silencieux. Le puîné Viridis reconnaissait bien là le talent singulier de la scientifique, qui malgré les apparences n’avait pas sa langue dans sa poche. Plus souvent qu’avant, Mina s’illustrait à le tempérer et à lui rappeler l’essentiel lorsque d’aventure l’homme venait à l’oublier. Renfrogné, tachant de retrouver un semblant de calme, le puîné détourna un moment le regard … pourquoi devait-il aujourd’hui perdre si aisément contenance, lui qui pourtant avait toujours brillé par son impassibilité ? Luciano feignait de l’ignorer, mais la chose n’était en réalité un secret pour personne, et encore moins pour Elsa-Mina Viridis.
« — Cali, nous serions ravis de découvrir les sentiers de Sercena, si vous êtes disposée à nous les montrer » poursuivit la scientifique dans l’espoir de trouver un terrain d’entente.
Contrairement à Luciano, Mina n’ignorait pas l’allié que représentait Cali Cobalt concernant Isidora Terren. Si la femme se gardait bien d’en parler avec le concerné, une part d’elle aspirait à voir les choses s’améliorer. Spectatrice depuis trop longtemps, la scientifique avait fini par s’ennuyer de les voir se tourner autour sans esquisser par pur orgueil le moindre pas, et cela ne l’aurait pas tant peiné si elle n’avait pas su, avec une certitude absolue, combien cette relation avait été – était – particulière aux yeux du puîné … une relation, que la fierté de Luciano estimait terminée, mais qui en réalité, à ses yeux d’éternelle croyante, ne battait que de l’aile.
Que cela plaise ou pas à Luciano Viridis, je n'ai pas menti en disant être la cousine préférée d'Isidora. D'accord, je suis aussi sa seule cousine, mais les faits demeurent les mêmes. N'empêche, ses mots me font hausser un sourcil, intéressée. Je me demande ce à quoi il fait réflexion lorsqu'il évoque toutes les choses dont je ne suis supposément pas au courant. Je me mords l'intérieur de la joue pour m'empêcher de répondre trop vite puisque le blond n'a pas terminé et que j'ai bien envie de le laisser conclure sa pensée. L'intendant s'arme d'une nouvelle métaphore pour me prévenir qu'il serait malvenu de me faire un avis hâtif, surtout par temps d'orage. Je suis sceptique, mais malheureusement suit déconcentrée comme nous le savons déjà par la véritable tragédie qui vint frapper mon pauvre petit chat en sucre. J'étais prête à farouchement le défendre et la façon dont le cervidé minimisait la situation ne faisait rien pour me calmer.
« Regardez mon pauvre Lucifer ! Vous allez vraiment mettre ça sur le compte de l'enthousiasme ? »
Avec ce genre d'attitude pas étonnant qu'il se soit retrouvé à faire des galipettes avec ma cousine. L'un comme l'autre sont du genre à passer l'éponge sur les comportements des leurs et à se battre bec et ongles lorsque les rôles sont inversés. Même pas capable d'un peu d'empathie lorsque ça concerne quelqu'un qu'ils ne portent pas dans leur coeur comme par exemple mon chat ou, dans un même ordre d'idée, ma mère. La conversation n'a toutefois pas le temps de dégénérer puisqu'Elsa-Mina, que j'ai un peu oubliée je l'avoue, intervient finalement. Elle nous gronde tous les deux et je me retrouve gênée d'être tombée au même niveau que le Viridis. Je suis meilleure que ça, d'habitude. Mais mettre tant d'énergie à faire gronder l'orage... J'ai fait ça moi ? Mmh. Oui, peut-être un tout petit peu. Si sa référence aux tragiques événements d'il y a cinq ans est mélodramatique et un peu déplacée, le reste du message est valable. Si je veux vraiment l'aider peut-être que je devrais prendre un peu plus sur moi au lieu de lui lancer des piques dès que possible. Je soupirai, me résignant.
« Vous avez raison, c'était déplacé de ma part et je m'en excuse sincèrement. »
Voyant qu'il n'y a plus lieu de faire des misères aux nobles invités Viridis, Lucifer s'est calmé. Enfin, il jette toujours des regards malfaisants en direction de la chienne et n'ose plus quitter mes bras, mais au moins ses simagrées ont pris fin et je suis rassurée sur son état. Toujours en contrôle de la situation, c'est la veuve qui dicte la suite de l'échange, décidant sans consulter l'autre qu'ils sont toujours prêts à me suivre pour découvrir les paysages de Sercena.
« Bien sûr. Ce serait un honneur. Allons y. »
J'ouvre la marche dans le silence, n'osant plus trop parler maintenant qu'on m'a fait des remontrances. J'ai vraiment l'impression d'avoir fait un faux pas et, si l'autorité d'Elsa-Mina n'était pas si effrayante que ça, la piqûre de rappel m'avait suffit. Si c'était ma mère qui avait assisté à cette conversation, si elle découvrait que je m'étais peut-être mis à dos l'un de ses collègues... Je ne pouvais à présent qu'espérer avoir une occasion de me rattraper.
« Well, guilt is like salt : you put a little on, and it hides all the bitterness »
Bien que silencieux et feignant l’indifférence, les excuses de Cali Cobalt parvinrent jusqu’au cœur du puîné, ou du moins sa conscience. Si elles ne lui étaient pas personnellement adressées, l’intendant de Borao reconnaissait le geste, la volonté … étaient-elles sincères ? Cette idée là était une autre affaire, mais Luciano Viridis était un homme de principe, de convenance : la symbolique plus que l’action lui importait et en cela, par le biais de l’intervention d’Elsa-Mina, la cadette des Cobalt avait répondu à ses attentes … mais Luciano Viridis était également un homme orgueilleux et sa fierté promettait de mettre un temps avant d’être capable de tourner la page concernant l’incident. La tête blonde qui l’accompagnait le savait bien et accueillant les paroles de la Cobalt, Elsa-Mina tâcha de faire avancer les choses, et de poursuivre les efforts entrepris.
« — Ce n’est rien, Cali » assura-t-elle en réponse aux excuses de la jeune fille « Tâchons d’apprendre de nos faux pas » ajouta-t-elle, un sourire traversant son visage.
Un instant, la scientifique jeta un regard en direction de l’intendant, qui s’était mis à fixer leur comparse d’un air scrutateur. Immanquablement la scène l’avait rendu ombrageux et Mina se demandait bien comment les choses, sans elle, se seraient terminées … loin cependant de s’attarder sur la question, la scientifique fut la première à emboiter le pas de leur désormais guide, suivit finalement de près par le puîné et sa Lougaroc, qui ne quittait plus ses côtés. Pendant un moment, le groupe évolua dans un mutisme que Mina se garda bien de rompre ; leur situation, de toute manière, s’y prêtait assez peu : entourés par la foule, leurs éventuelles discussions n’auraient pas manqué d’être interrompues par le brouhaha environnant et les nombreux croisements qu’ils subissaient. Lorsqu’ils furent enfin libérés des allers-retours, Mina s’affaira à briser la glace qui s’était installée. Bonne étoile de cette rencontre, la scientifique interpella la jeune fille, et la populace derrière eux la veuve se hasarda à faire la discussion.
« — Alors Cali, vous étudiez en science politique, c’est bien cela ? » lui demanda-t-elle, plus pour confirmer l’information que pas réel questionnement « Vous êtes à bonne école, et bien entourée » déclara la Viridis « Vous avez des souhaits pour plus tard, un poste en particulier que vous convoitez ? » l’intérêt de la scientifique n’était pas hypocrite : Elsa-Mina ne l’était jamais « Il est parfois difficile de se projeter, mais peut-être y avez-vous déjà pensé ? » questionna-t-elle, un sourire affable sur le visage.
Pour l’heure, le destin de la cadette ne faisait aucun doute : à quoi d’autre la fille chérie de Lilith Cobalt pouvait-elle bien aspirer, si ce n’était à suivre les traces de sa mère ? Et pourtant, Mina se risquait à poser la question, consciente que les apparences étaient parfois trompeuses, et que les évidences n’étaient pas toujours si avérées que cela … ou peut-être que si ? Quoi qu’il en était Luciano, lui, savait bien que Cali resterait prudente et se garderait bien de leur offrir une quelconque vérité. N’étudiait-elle pas la politique après tout ? L’école du mensonge avait sans doute déjà du apposer ses traces sur elle et ses habitudes.
A mesure qu’ils cheminaient, le calme de la montagne et de ses environs les gagnèrent. Eclaireuse, Gare à Toi avait finalement pris la tête du cortège, précédant le groupe d’une bonne longueur, et vaquant à ses occupations la Lougaroc reniflait çà et là, indifférente à ce qui se disait plus loin, derrière elle … avant d’être finalement interrompue dans son entreprise par l’arrivée hâtive d’un Pandespliègle. Surpris de tomber nez à nez avec le groupe, le pokémon se figea à la vu des humains, vraisemblablement pris au piège entre deux étaux, car derrière lui une voix se faisait entendre.
« — Rend-la moi ! » s’époumonait un homme.
Ou bien était-ce un garçon ? L’identité du propriétaire leur était encore inconnue … mais dans ses mains, le Pandespliègle tenait une pokéball à la légalité douteuse qui n’échappa pas au regard de l’intendant.
C'était un peu malaisant, tout de même, de marcher ainsi en silence avec deux Viridis. Surtout après avoir été grondée de la sortes. Peut-être aurais-je dû rebondir plus vite, trouver quelque chose à dire au moins pour leur faire passer un bon moment. La météo était toujours un choix facile, mais incroyablement barbant et, au final, je n'avais pas pu m'y résigner. Heureusement que la blonde était là et que, de son côté, elle avait un sujet de conversation réellement intéressant sous le coude.
« C'est exact. »
En espérant que ma petite démonstration de plus tôt ne m'ait pas trop fait descendre dans son estime. Je serais bien embêtée si elle me croyait incapable d'être à la hauteur de mes études ou de mes projets. Et si Luciano le pensait ? Il n'avait pas encore gagné ma sympathie lui. La blonde, réelle sauveuse de toute cette rencontre, laisse parler sa curiosité en poursuivant ses interrogations. J'ai l'habitude que l'on me demande ces choses et mes réponses sont donc déjà toutes prêtes, bien jolies avec un petit ruban dessus.
« À dire vrai le poste comme telle m'intéresse peu. J'aimerais surtout avoir les moyens et les ressources de continuer à faire ce que je fais, mais à plus grande échelle. J'aime Sercena et Cinza tout autant alors j'ai envie d'en faire le meilleur endroit possible et d'améliorer concrètement la vie des gens. Tant que je peux faire ça, je serai comblée je pense. »
Ce n'est qu'à moitié un mensonge. Dans les faits l'intention est sincère, le but aussi. Cependant je ne suis pas honnête en prétendant que le poste ne m'intéresse pas. Ce serait simplement malvenu de dire carrément : oui alors j'attends de pouvoir prendre la place de ma mère parce que je suis la seule qui peut le faire et que je m'entraîne pour ça pratiquement depuis que j'existe. Ça pourrait donner l'impression que je ne suis pas en accord avec les politiques de ma mère ou que j'ai hâte de la remplacer et de l'envoyer prendre la poussière dans un coin sous l'excuse de la retraite. C'est une trahison que je ne peux pas lui faire, aussi minime soit-elle et qu'importe les chances qu'elle ait vent ou non de mes paroles. Je me dois d'être parfaite en toutes circonstances et il se trouve que, pour l'être, je dois poliment retourner la question à la dame qui me l'a posée.
« Et vous ? Pouvez-vous me rappeler votre domaine d'expertise ? »
Et si ça semble faux à première vue peut-être, ce ne l'est pas. J'ai toujours admiré les femmes intelligentes avec de bonnes carrières qui savent se faire respecter. Peut-être que, même indirectement, je pourrai apprendre des choses d'Elsa-Mina. C'est l'idée en tout cas et c'est ce que je tenterais de faire si un petit Pokémon très mignon ne venait pas de faire son entrée en scène. Je demeure interdite un instant alors que plus loin une voix retentit, appartenant visiblement à un individu qui chasse justement le petit panda. Ce dernier a l'air tétanisé et ça me fait de la peine, même si je ne connais pas toute l'histoire et que je suis bien connue pour être trop facilement atteinte par les Pokémons dans le besoin (coucou Lucifer). Je m'approche doucement du petit ours, lui offrant un sourire amical avant de m'accroupir face à lui.
« Bonjour toi. Est-ce qu'on peut t'aider ? »
Je veux le mettre en confiance parce que, peu importe ce qui est en train de se passer, ça ne peut que nous aider. A-t-il réellement commis un vol ? C'est rare de voir un Pokémon s'enfuir de quelqu'un comme ça et je passe tellement de temps dans les refuges à m'occuper de pauvres créatures abusées que mon esprit saute tout de suite aux conclusions : et si ce Pandespiègle essayait de s'enfuir de son dresseur ? Il n'y avait qu'un seul moyen de le savoir et l'information manquante se dirigeait justement vers nous au pas de course. Voyons voir ce qu'il aurait à nous dire pour expliquer la situation.
« Well, guilt is like salt : you put a little on, and it hides all the bitterness »
Le calme de la montagne, bientôt, apaisa une part des tensions éveillées un peu plus tôt … tel était du moins le cas pour celles de Luciano Viridis, qui en était désormais à mettre des points là où d’autres, plus rancuneux, n’auraient pas manqué de mettre des virgules. Si l’intendant de Borao n’était pas homme à pardonner facilement, le puîné n’en demeurait pas moins modéré, raisonnable. Gratifier la fille Cobalt d’une rancune pour ce genre d’affaires manquait de maturité et surtout de recul, un recul que Luciano avait à cœur de prouver. Cette histoire avec Isidora Terren n’avait pas assez d’impact sur lui pour l’empêcher de tourner la page, n’est-ce pas ?
Inespérés, la présence d’Elsa-Mina et son tact sauvèrent le groupe qu’ils étaient, étaient venus combler le silence qui, en d’autres circonstances, aurait promis de durer. Silencieux, l’intendant écouta d’une oreille attentive la réponse de la cadette Cobalt. Cali souhaitait le bien du plus grand nombre, hum ? Malgré leurs différences, tout le monde à Cinza semblait finalement vouloir la même chose … pourquoi devaient-ils, alors, mettre pour se faire en œuvre des méthodes si drastiquement différentes ? En cela résidait tout leurs problèmes, sans doute.
« — Œuvrer pour le bien commun est une noble cause » déclara Elsa-Mina, qui avait fait le choix de s’attarder sur le fond « Beaucoup de gens prétendent vouloir le faire, mais peu le font finalement lorsqu’on leur en donne l’occasion. Il semblerait que le prix à payer ne soit pas à leur goût » raconta la scientifique.
Car le sacrifice que cela requérait était souvent âpre et amer, et beaucoup faisaient demi-tour en voyant finalement ce que cela leur coûterait. Lorsque Cali s’enquit de connaître le statut de sa comparse féminin, Mina se plia sans réserve à l’exercice.
« — Je suis généticienne à la Tour Viridis » expliqua la scientifique « Je modifie le génome des végétaux pour augmenter leur efficacité. Nous avons à cœur d’améliorer la vie des cinzans par nos innovations … cela n’a pas toujours été le cas, mais certains ont su nous mettre sur le droit chemin » raconta la veuve.
L’air de rien, la scientifique jeta un regard en direction de Luciano. Initiateur de ce changement de cap, bien des années auparavant le puîné des Viridis avait ordonnancé de nouveaux objectifs, offrant à l’entreprise des principes nouveaux, différents de ceux dont s’était jusqu’à présent targué la Tour, et sous l’insistance influente du puîné, les scientifiques de la Tour s’étaient mis à œuvrer sur des choses utiles aux autres et non plus aux Viridis seuls. De ce désir était né bien des innovations, parmi elles le sérum d’apaisement qui, plus tard, avait permis la création du Système Pérola.
Le regard de la veuve et son sous-entendu, évidemment, n’échappa pas au blond qui, à son tour, la gratifia d’un coup d’œil presque désapprobateur. Sa réaction lui arracha un sourire, à elle qui connaissait l’homme mieux que n’importe qui … malgré toute l’arrogance et l’orgueil dont il pouvait faire preuve, à ses heures Luciano se montrait humble, sous estimait la valeur de ses actions et de ses choix. Avec un peu de temps, l’homme n’aurait sans doute pas manqué de lui répondre si un évènement soudain n’était pas venu les couper dans leur étrange échange.
Plus vite que Luciano ne l’aurait voulu, Cali s’affaira à porter son attention sur le nouveau venu, s’approchant plus près que de raison.
« — Soyez prudente, Cali » lui intima l’intendant en observant la jeune fille rompre de plus en plus la distance avec panda.
De par son allure, le Pandespliègle avait tout l’air d’un pokémon sauvage … ou bien était-il négligé au point d’y ressembler ? Méfiant, l’intendant surveilla l’animal … le voir blesser Cali Cobalt était bien la dernière de ses volontés : non content de le mettre politiquement dans une situation délicate, Luciano avait également, naturellement, ce désir de protection qui outrepassait généralement ses animosités ; et malgré leur altercation de tout à l’heure, contre toute attente, Cali ne faisait pas exception à la règle.
Le Pandespliègle ne semblait pas tellement enclin à se laisser approcher. Gardant farouchement contre lui son trésors, la créature surveillait du regard la Cobalt et Luciano en profita pour détailler la pokéball. A bien y regarder, l’objet ressemblait peu aux balls officielles et désormais, l’intendant parvenait à reconnaître son origine : l’aspect rugueux de sa coque trahissait le noigrume usité pour sa création, et la peinture apposée n’était pas en mesure de tromper son regard averti. Quoi que pouvait contenir cette pokéball, sa confection relevait de la contrefaçon. La capture qu’elle avait permise était-elle, elle aussi, illégale ? Cela ne faisait aucun doute.
Au détour du chemin, un jeune homme fit brutalement irruption, attirant immanquablement l’attention du groupe. A la vue des trois têtes se tournant vers lui, celui qui vraisemblablement poursuivait le Pandespliègle se figea brutalement … de toute évidence, l’homme avait reconnu Cali Cobalt et Luciano Viridis, et la surprise s’était emparé de lui, le paralysant un instant. Pendant de longues secondes, l’incertitude suspendit leurs mouvements … clairvoyant, Luciano percevait – devinait – la complexité de la situation : sans nulle doute propriétaire de cette pokéball contrefaite, les choix qui se présentaient au garçon offraient peu d’options. Son apparition fut accueillie par un grondement de la part du Pandespliègle, qui désigna le garçon d’un air réprobateur, peu engageant. Quelle histoire liait ces deux-là ? Le scénario était encore flou dans l’esprit de l’intendant, et la fuite soudaine du contrevenant ne laissait rien présager de bon.
« — Attrape-le » ordonna l’intendant à la Lougaroc.
Luciano ne comptait pas le laisser s’en sortir aussi facilement et plus proche du fuyard qu’eux, l’homme eut bientôt à ses trousses la louve crépusculaire. La poursuite, évidemment, ne dura pas bien longtemps et Gare à Toi plaqua finalement le fugitif au sol, grondant à son encontre dans l’espoir de le dissuader de s’échapper.
« — Laissez-moi ! » pleurnicha ce qui n’était finalement qu’un garçon aux yeux de Luciano « Je vous en prie, ne me faites pas de mal. J’ai rien fait, je chassais pas ce Pandespliègle, je le jure ! » assura-t-il « Il m’a volé mon pokémon » expliqua-t-il finalement.
Un instant, l’intendant avisa le Pandespliègle et la pokéball.
« — Tu veux dire, celui qui se trouve dans la pokéball achetée au marché noir ? » demanda-t-il.
La peur traversa le visage du garçon, et son expression termina de conforter l’intendant dans ses suppositions.
« — Je n’avais pas le choix » déclara-t-il finalement. Le garçon tourna un regard désespéré vers le Pandespliègle et son trésor « Il est blessé. Je n’avais pas le choix »
Malgré l’air impassible qui figeait son visage, Luciano le croyait.
J'écoute la blonde avec attention, impressionnée en découvrant qu'elle est en fait généticienne. J'avoue être fascinée par les gens qui sont capables de faire ce genre de science très compliquée, était moi-même beaucoup plus friande de sciences plus sociales, plus qualitatives et donc plus flexibles. Son sous-entendu ne m'échappe d'ailleurs pas lorsqu'elle mentionne que quelqu'un a su faire en sortes de changer le public cible de leurs travaux. Comme ça Luciano Viridis se soucie vraiment d'améliorer Cinza lui aussi ? Peut-être, au fond, ai-je plus en commun avec lui que je ne le croyais. Juste assez, en tout cas, pour que j'évite de le qualifier d'exécrable dans mes prochains monologues intérieurs. D'accord, je suis mauvaise langue. Il n'a rien vraiment fait, à moi en tout cas, pour mériter une telle animosité de ma part. Même que la façon dont il se renfrogne après les mots de la scientifique a quelque chose d'attachant. Oui, on dirait moi quand je suis gênée. J'avais envie d'y ajouter mon grain de sel sans pour autant provoquer le Viridis et adressai donc mes mots à Elsa-Mina plutôt qu'à lui directement.
« C'est très noble de consacrer vos recherches au bien du plus grand nombre. Ceux qui ont fait entendre leur voix en faveur de ce changement de direction peuvent être fiers d'eux. »
Après tout cela avait eu lieu la fameuse apparition du panda à la pokéball présumément volée ainsi que la venue du garçon qui semblait responsable de tout ce bourbier. Tout à coup c'était bien pratique d'avoir un pokémon prêt à planter les crocs dans tout ce qu'il trouvait et la Lougaroc, sous l'ordre de son maître, maîtrisa rapidement le suspect numéro un. De quel crime ? Ce n'était pas encore très clair, mais les choses ne tarderaient pas à s'éclaircir. Comme ça il ne chassait pas le pandespiègle, ce dernier lui avait juste volé son Pokémon. Ouais, petite contradiction là quand même. Je me redressai en croisant les bras lorsque Luciano, possédant visiblement un oeil plus fin que moi pour ces choses, fit remarquer la nature illégale de la pokéball en question. Les choses n'allaient qu'en empirant pour le garçon dis donc et, malheureusement pour lui, ses explications étaient loin de suffire pour le blanchir. Pire, de mon point de vue il venait simplement de s'enfoncer.
« Alors on est supposés croire que t'as vu un Pokémon blessé et que, à la place d'appeler les autorités concernées pour qu'ils viennent s'en occuper avant de le relâcher à l'état sauvage, t'as décidé de partir à la recherche de quelqu'un qui voudrait bien te vendre une pokéball illégale, que t'en as acheté juste une bien sûr vu que t'as pas l'intention d'en capturer d'autres, que tu as eu le temps de revenir et que le Pokémon était encore là et que du coup t'étais à l'instant en chemin vers une clinique Pokémon et que tu as eu la malchance infinie de te faire voler cette ball pile durant le trajet ? »
Je soupirai, me frottant sommairement le front avec frustration et désespoir aussi un peu. Comment pouvait-il croire que nous allions vraiment gober un truc si gros ? Bon, par contre ça ne réglait pas le problème, pas vrai ? Autant essayer de faire preuve de bonne foi, même s'il ne le méritait pas.
« Si par miracle tu dis vrai c'est peut-être pour ça que ce petit panda a choisit de voler la ball, il s'inquiète peut-être juste pour son ami blessé ? Dans ce cas-là il vaudrait effectivement mieux les emmener à la clinique la plus proche et s'assurer qu'ils puissent demeurer ensemble en attendant que l'autre soit en état d'être relâché. »
« Well, guilt is like salt : you put a little on, and it hides all the bitterness »
Le véritable destinataire des paroles de la jeune fille n’échappa à personne : ni à Elsa-Mina qui jeta l’air de rien un regard pour aviser la réaction de l’intendant, ni Luciano qui, feignant de ne pas avoir compris, se contenta d’accorder à la cadette une œillade silencieuse qui arracha à la scientifique un sourire amusé. Luciano Viridis était-il fier de ce qu’il avait accompli ? Satisfait était un terme qui lui convenait mieux. A ses yeux, la fierté impliquait une action extraordinaire et faire le bien ne l’était pas : c’était normal, ce à quoi étaient censés tendre tout individu. Le pouvoir et l’influence devaient servir à cela et à rien d’autres … oui, l’intendant de Borao pouvait se montrer naïf parfois, en certaines circonstances.
L’arrivée du Pandespiègle et de son poursuivant était venue distraire le groupe qu’ils formaient et Cali Cobalt ne trouva aucune légitimité aux explications du garçon, qui désormais piégé par la Lougaroc mordait la poussière ou peu s’en fallait. Rêche et amère, sa réponse malgré tout ne se fit pas attendre.
« — Ce n’est pas ce qui est arrivé » assura le garçon, offrant à la jeune fille un regard noir.
La cadette des Cobalt le prenait de haut … son interlocuteur retenu par la Lougaroc, cela devait lui paraître bien facile, mais la gamine s’y serait-elle risquée s’il avait été en pleine possession de ses moyens ? C’était moins sûr. Pendant un moment, le fugitif hésita à s’expliquer, à compter son histoire telle qu’elle avait été et non pas telle que cette bourgeoise hautaine se l’imaginait. Il était foutu de toute manière, non ? Alors autant faire valoir la vérité.
« — J’étais sur l’Île aux Monstres lorsqu’une … chose … a attaqué » raconta le jeune homme « Je pensais que la créature voulait en faire son repas, mais non, elle l’a juste … elle l’a juste laissé pour mort. Quel genre de pokémon fait ça ?! Son aile est … … … il ne pourra plus jamais voler. J’ai proposé à mon supérieur de le ramener pour le soigner, pour tenter de le sauver, de l’aider, mais … "C’est la nature" qu’il m’a dit, l’ordre des choses, et il a refusé. Mais à quel moment tuer pour le plaisir est-il l’ordre des choses ?! » s’indigna le garçon.
A la mention de l’île et de cette chose, Luciano sentit son cœur manquer un battement. L’intendant aurait aimé ne pas savoir à quoi le garçon faisait référence, mais le souvenir intact du Genesect qui avait manqué de tuer ses pokémons et qui avait marqué de ses griffes le corps d’Isidora l’empêchait de faire la sourde oreille. Sans s’en rendre compte, trahissant ses émotions, le trouble du puîné se mit à marquer son visage.
« — Je suis retourné le chercher pendant la nuit, et je l’ai soigné comme j’ai pu. J’ai dû le cacher, alors je l’ai mis dans cette pokéball, et je l’ai ramené sur le continent … sa place n’était plus sur l’île de toute manière, il n’aurait jamais pu y retrouver une vie normale. Depuis j’essaie de le soigner mais … vos lois drastiques m’empêchent de faire ça bien. J’aurai pu le déposer clandestinement aux portes d’un centre pokémon, oui … et prendre le risque de le voir adopter par des gens incapables de s’en occuper ? Il est spécial. Les autorités l’auraient laissé aux plus offrants, sans se soucier de savoir s’il aurait été heureux » raconta-t-il « J’ai fait ce qui me paraissait juste pour son bien à lui, et tant pis si j’ai dû enfreindre vos stupides lois pour ça. Je n’ai pas les moyens de payer vos pass … est-ce que cela signifie que je ne suis pas digne de posséder un pokémon ? Vous m’en avez déjà retiré un lorsque j’étais petit, alors qu’il était heureux et aimé. Vos lois sont bidons, vous punissez le plus grand nombre pour les erreurs de quelques un. Elles sont injustes et hypocrites, et je refuse de voir ceux qu’elles privilégient insinuer que je ne suis pas dans le bon camp » déclara le fugitif.
Cette fois, son regard se porta en direction de Cali. La cadette avait eu le malheur de se le mettre à dos et désormais, le garçon trouvait en la jeune fille une cible parfaite pour sa rancune, celle qu’il semblait garder depuis toutes ces années. Si bien des flous résidaient encore dans le récit de leur interlocuteur – comment et pourquoi avait-il acquis sa pokéball en premier lieu ? Que faisait-il sur l’île ? – Luciano décelait dans son discours un écho étrange, trop peu rare. Les actes du garçon étaient-ils répréhensibles ? Malgré les lois bafouées, avait-il vraiment agit en désaccord avec les idéaux décriés par le gouvernement ? Au fond, Luciano ne parvenait pas à lui en vouloir … pourquoi ses paroles devaient-elles sonner si justes dans le cœur du puîné ?
« — Quant à ce Pandespliègle … c’est juste un petit voleur » poursuivit le jeune homme « Il m’a pris par surprise. J’étais à Sercena lorsque ce démon m’a volé la pokéball … je l’ai poursuivi moi-même jusqu’ici, puisque je ne pouvais pas … enfin, vous savez, faire appel à la Guarda et aux Reguladors »
Faire appel aux autorités n’était dans son cas effectivement pas envisageable et loin de défendre le diable, Luciano était bien forcé d’admettre que ce garçon avait fait avec les choix qui s’offraient à lui. Finalement silencieux, l’intendant de Borao en profita pour le questionner.
« — Qu’est-ce que tu faisais sur l’Île ? » lui demanda-t-il.
De toutes les questions que l’homme aurait pu poser, celle-là avait prévalu sur toutes les autres … pourquoi ? Déjà, Luciano voyait plus loin que cette histoire de capture illégale. Bien des semaines – pour ne pas dire des mois ! – s’étaient écoulées depuis les évènements de l’Île aux Monstres, pourtant ses dérangeantes découvertes faisaient encore parler d’elles, d’une manière ou d’une autre. Ce gamin était-il des curieux qui s’étaient infiltrés sur l’île dans l’espoir d’en ramener des preuves compromettantes ? Ou bien n’était-il qu’un idiot qui avait vu en ce défi un moyen de faire ses preuves ?
« — Je suis apprenti Regulador, enfin … j’étais. J’ai changé d’avis » répondit-il « Faites-moi arrêter, je m’en fiche, mais si vous le faites, s’il vous plait … occupez-vous du pokémon, ou donnez-le à quelqu’un qui saura le faire, quelqu’un qui saura le rendre heureux. C’est tout ce que je demande »
Naturellement, le regard du garçon s’était tourné vers l’aîné du groupe, vers celui qui lui paraissait détenir en cet instant l’autorité. Un silence demeura un moment … sur lui, l’intendant de Borao pouvait sentit les yeux d’Elsa-Mina, ainsi que toute l’attention qu’elle lui portait. Quelle sentence le puîné des Viridis allait-il donner ? Mina le connaissait assez pour deviner ce que l’homme aurait fait libre de tout témoin, hélas ils n’étaient pas seuls et l’incertitude avait gagné le cœur de la scientifique.
« — Nous ne sommes pas à Borao. La décision ne m’appartient pas » déclara finalement l’intendant.
Et son regard se tourna alors vers Cali, la princesse de la ville. Si la cadette des Cobalt n’avait légalement aucune autorité, l’influence que sa famille possédait ici n’était un secret pour personne. La jeune fille avait-elle déjà été confrontée à ce genre de choix ? Luciano n’en avait pas la moindre idée, mais l’homme se trouvait soudainement curieux de voir ce que la gamine ferait de cette responsabilité. S’en tiendrait-elle aveuglément aux lois, ou bien laisserait-elle la raison influencer son jugement ? Peut-être Luciano en profitait-il pour la tester. Peut-être.
Donc ce n'est pas ça qui s'est passé ? Bien sûr. Je soupire, mais j'écoute quand même, curieuse de voir ce qu'il va nous sortir. Ah oui, l'Île aux monstres, de mieux en mieux. Le jeune homme avait été témoin d'une attaque sanglante et le pauvre pokémon avait été blessé gravement au point que, selon le diagnostique de ce gars qui n'avait probablement jamais suivit de cours de médecine de sa vie, il ne pourrait jamais plus voler. Après ça il avait demandé à son supérieur l'autorisation d'intervenir et cet individu plus expérimenté avait tranché en disant que ce n'était que la nature. Un constat malheureux, mais que je pouvais difficilement critiquer puisque je n'étais pas présente. Affirmer que l'autre avait attaqué pour le plaisir c'était quand même un peu gros selon moi, mais bon, l'histoire n'est pas terminée.
Le garçon y était retourné, avait prodigué les premiers soins au blessé et l'avait ensuite ramené sur le continent, jugeant que sa place n'était plus en liberté. Bon, il n'avait sans doute pas tort sur ce point. Même il avait été chanceux de revenir avant que d'autres Pokémons carnivores ne soient venus en profiter pour faire de la victime de l'assaut leur prochain repas. C'est la suite, vraiment, qui commence à m'agacer pour de vrai. Ce dédain pour les centres pokémons, pour le processus d'adoption et pour les Pass. À mon tour de lui jeter un air noir puisque, à mes yeux, il vient de perdre le peu de crédibilité et de sympathie que j'avais jusque là pour lui. Qu'est-ce que j'en ai à faire qu'il ait déjà perdu un Pokémon quand il était petit ? Ça n'a absolument aucun rapport avec la situation actuelle, si ce n'est que ça ne fait que dresser un portrait plus clair encore de ses motivations et du risque par conséquent élevé de récidive. Il ne veut pas voir quelqu'un comme moi insinuer qu'il est dans le mauvais camp ? Pas de problème, je suis prête à le lui dire bien fort et très directement, comme ça peut-être qu'il sera satisfait ?
« Tss... »
Au moins le blond pense à lui poser une question intéressante, bien que la réponse ne m'importe pas tant que ça. Je soupire surtout d'énervement lorsqu'il se lance dans un discours pour nous supplier de prendre soin du Pokémon à sa place si on choisit de le faire arrêter. Et mon agacement ne fait que croître lorsque c'est à Luciano qu'il s'adresse avant tout, comme si lui allait avoir le fin mot et que nos avis à Elsa-Mina et moi ne comptaient pas. Enfin, j'ignorais ce qu'en dirait la scientifique, mais mon avis était extrêmement tranché sur la question. J'étais prête à lancer une gueulante... lorsque le Cervidé fit preuve d'une grâce à laquelle je ne m'attendais pas. Nous ne sommes pas à Borao. Nos regards se croisèrent et je le considérai un instant avec un respect nouveau que je ne manquai pas de lui communiquer.
« Merci, monsieur Viridis. »
Je reportai mon attention sur le garçon, prenant un instant pour mettre de l'ordre dans mes mots et m'exprimer avec autant de soin que possible. Cette prochaine intervention de ma part compterait et je n'avais nul doute que mon public s'en souviendrait pendant longtemps.
« S'il est tout à ton honneur d'avoir tout mis en oeuvre pour sauver ce Pokémon, tu nous as aussi prouvé que tu étais égoïste et inapte tant mentalement que matériellement à prendre soin d'un Pokémon correctement. Si vraiment le bien être de cette créature t'importait autant tu aurais été capable de marcher sur ton ego et de l'amener là où il doit être : dans un centre pokémon, plutôt que de le laisser souffrir inutilement dans une ball parce que tu te crois au-dessus de tout le monde. Et je ne parle même pas de ton dédain marqué pour des gens qui passent leurs journées à s'occuper de Pokémons, qui ont suivit les formations nécessaires pour le faire et qui font leur boulot par amour des Pokémons. Mais non, c'est plus facile de croire que tout le monde sauf toi est un grand méchant qui adopte des Pokémons pour les maltraiter et que les Pass font la promotion d'un système injuste plutôt que d'admettre qu'ils sont la preuve que, justement, posséder un Pokémon est un privilège que tu ne mérites pas. Si tu n'as même pas les moyens de t'acheter un Pass légal alors comment auras-tu les moyens de subvenir aux besoins d'un Pokémon ? De payer ses soins, sa nourriture et j'en passe ? Surtout un pauvre Pokémon comme celui-ci, handicapé, qui aura besoin de soins supplémentaires et d'accommodations dans ta demeure ? Tu devrais regarder la vérité en face et aller faire du bénévolat dans des refuges Pokémon si vraiment tu as à coeur d'aider les Pokémons plutôt que de rendre un Pokémon misérable juste parce que tu penses que ton ancien compagnon t'a été enlevé injustement. »
Je soupire, encore. Okay, j'ai peut-être été un tout petit peu dure, mais je ne regrette rien.
« Tu as de la chance d'avoir un bon fond au moins... Si tu nous laisses tes autres balls illégales et ce Pokémon pour que nous puissions l'amener nous même au centre pokémon pour le faire traiter, je suis prête à fermer les yeux et à prétendre qu'on ne t'a jamais rencontré. »
« Well, guilt is like salt : you put a little on, and it hides all the bitterness »
Silencieux, Luciano écouta avec attention le discours de Cali, laissa ses paroles la dévoiler. Non dénuées d’une certaine rudesse, ses mots complétaient avec perfection l’image que n’importe qui attendait d’une personne de son rang. L’intendant reconnaissait en ses arguments la jeunesse des opinions, ainsi que la vision encore verte qu’elle se faisait des choses. Lui en voulait-il, le lui reprochait-il ? Non. L’homme n’oubliait pas la jeunesse et l’inexpérience de la cadette Cobalt. Dichotomique, son opinion en partie modelée par d’autres manquait encore de demi-mesure, de oui mais, de oui et. Si Luciano n’avait pas pour vocation d’adoucir son jugement, l’homme qu’il était avait à cœur de la guider vers une voie meilleure, et faire éclore en elle des idées moins … manichéennes. Luciano Viridis avait toujours été un homme qui pensait à long terme et aujourd’hui ne faisait pas exception à la règle : Cali Cobalt faisait partie de cette génération qui demain gouvernerait Cinza, et le puîné Viridis avait tout intérêt à rendre cette génération meilleure, en accord avec les projets qu’il préparait depuis tant d’années maintenant … car contrairement à Cali, Luciano avait l’expérience de l’âge et de l’histoire. A la lumière de tout ce qu’il avait vécu et connu, l’intendant avait le recul de considérer les deux partis et de ne pas les opposer, pas entièrement du moins ; emplis d’une indéniable vérité, les propos de Cali n’étaient pourtant pas en mesure d’éclipser celle qui planait dans ceux du garçon. Si la cadette des Cobalt voulait s’en sortir sur la scène politique, la jeune fille se devait de teinter ses paroles de compassion – hypocrite ou non – et de n’offrir à ses adversaires aucune arme, aucune prise. Il était aisé de l’oublier du haut de leur piédestal, mais le pouvoir qu’ils avaient était illusoire et aucune des paroles de Lilith Cobalt ne pouvaient changer cela : les privilégiés qu’ils étaient n’avaient aucun autre pouvoir que celui que le peuple leur accordait, et ce garçon qu’ils avaient à leur merci en faisait partie.
Lui faire cette leçon à la vue et à l’écoute de tous, cependant, n’était pas dans son projet. Luciano Viridis n’ignorait pas la fierté qui gonflait le cœur des gens de sa trempe – dont il faisait lui-même partie – et l’intendant se garda bien de la contredire en public ou peu s’en fallait. De toute manière, leur fuyard ne lui en offrit par l’occasion car bien vite, abasourdi par le discours de la jeune femme, le garçon s’empressa pourtant de donner réponse à la cadette.
« — Alors c’est vrai hein ? » déclara-t-il « C’est vrai … vous y croyez vraiment … vous croyez vraiment que ce système est meilleur que l’ancien, qu’il est juste, légitime ? Qu’il apporte le bien et rend justice ? Être en mesure de se payer un Pass est un gage d’aptitude pour vous, c’est ça ? » lui demanda-t-il « La seule raison pour laquelle je n’ai pas été en mesure de soigner ce pokémon est parce que VOUS n’av… »
« — Ça suffit » le coupa brusquement Luciano.
Pressentant le nouveau discours qui les attendait, le puîné avait préféré couper court au débat stérile qui, sans son intervention, aurait continuer de tourner sans autre issue que le conflit. Visiblement plus impressionné par l’autorité de l’intendant de Borao que par celle de la Cobalt, le garçon s’était tu, laissant ses paroles en suspens.
« — Ton avis et tes reproches ne changeront pas la réalité des choses. Nous ne sommes pas ici pour débattre de ce qui est bien ou mal, de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas » déclara l’intendant « Mademoiselle Cobalt a eu la grâce de t’accorder une échappatoire, saisis-là. Donne-nous tes pokéballs illégales et part d’ici. Ton pokémon sera placé auprès de quelqu’un qui le choiera le traitera bien, tu as ma parole »
Malgré la Lougaroc qui le maintenait toujours au sol, le garçon parvint à jeter à l’intendant un regard sombre, empli d’amertume.
« — La parole d’un Viridis, qui peut encore y croire ?! Qui le fait encore ? » rétorqua-t-il, acide.
A côté de lui, jusqu’alors discrète et silencieuse, Luciano sentit Elisa-Mina se tendre et perdre une part de son sang-froid, et la scientifique n’aurait pas manqué d’intervenir si l’intendant n’était pas venu poser sur elle une main dissuasive. En vérité plus loups que cerfs, les Viridis avaient à cœur de défendre avec vigueur ce qui leur était cher – l’honneur en faisait partie – et Mina venait de trahir cette particularité que peu leur connaissait vraiment. Avisé, Luciano s’empressa de donner réponse au garçon, conscient qu’attendre risquait de voir les choses s’envenimer.
« — Plus que tu sembles le croire » lui répondit Luciano « Je suppose que tu n’as pas d’autre choix que de prendre le risque » fit-il remarquer.
Malgré la pique qu’il venait de recevoir, l’intendant ordonna finalement à Gare à Toi de s’écarter, libérant par ce fait leur prisonnier. Un instant, le garçon demeura immobile, en proie au doute, à l’hésitation ; et tout à chacun se trouva suspendu à ce qu’il s’apprêtait à faire. Malgré les paroles de l’intendant, bien des options s’offraient à cet ébauche d’opposant et fuir en faisait partie. Ç’aurait été peine perdue évidemment – comment espérer pouvoir devancer un pokémon tel qu’un Lougaroc ? – mais l’enfant pouvait le tenter, si la folie l’en disait. Malgré tout, finalement, la sagesse sembla pour lui être de mise et enfouissant sa main dans l’une des poches de sa veste, le garçon en sortit deux pokéballs du même acabit que celle encore détenue par le Pandespliègle. Non sans un ressentiment certain, le rebelle les jeta aux pieds du groupe, soutint le regard des trois privilégiés avant de prendre la fuite, disparaissant au détour d’un chemin sans un regard en arrière.
Pendant presque longtemps, l’intendant de Borao fixa l’endroit où le garçon avait disparu. Etrangement insatisfait par la manière dont les choses s’étaient réglées – le garçon avait accepté un peu trop facilement à son goût, cette histoire était-elle réellement terminée ? – l’homme mit un moment avant de détacher son regard pour reporter son attention sur l’épreuve qui les attendait encore : le Pandespliègle était lui encore là, et la pokéball entre ses pattes le pokémon comprenait qu’il était désormais temps pour lui d’en venir aux compromis. Soupçonneux, il jeta des regards méfiants aux humains et plus encore à Cali, qui des trois était la plus près … un homme moins patient aurait eu tôt fait de régler le problème en envoyant la Lougaroc aux trousses du petit panda, mais Luciano Viridis jouissait de persévérance, à un point rarement égalé à Cinza.
Avec lenteur, l’homme ramassa les pokéballs abandonnées par le garçon et pendant un instant l’intendant les examina, les détailla … comme ils étaient loin des premières confections basées sur les Noigrumes ! Bien malgré lui, l’intendant de Borao devait reconnaître que les artisans qui s’échinaient à la tâche faisaient un travail remarquable. Si seulement ces gens-là accordaient leur temps et leur talent à d’autres choses qu’enfreindre les lois ! Luciano n’avait pas pour projet de conserver ces balls contrefaites, mais mieux valait pour l’heure ne pas les laisser traîner. S’approchant de Cali et d’Elsa-Mina (qui avait fini par rejoindre la jeune fille auprès du Pandespliègle), le puîné avisa un moment la situation … et tendit finalement à la cadette l’une des balls.
« — Essayez de lui en proposer une autre à la place » suggéra l’intendant.
Le succès potentiel de ce subterfuge était discutable, mais ils n’avaient rien à perdre à essayer.
Il était presque comique d'entendre le gamin s'étonner de la sincérité de mes croyances envers les lois de la Nova Existência. Pas surprenant, toutefois. Beaucoup étaient ceux qui se plaisaient à croire que l'élite ne faisait jamais rien par conviction, mais bien seulement par intérêt personnel. Un trait qui m'agaçait au plus au point et que je m'employais à combattre lorsque j'en avais l'occasion. Que ça lui plaise ou non, j'étais au moins satisfaite qu'il en soit venu à cette réalisation. Croyais-je la capacité d'obtenir un Pass comme un gage d'aptitude ? Je soupirai en roulant des yeux. C'était à croire qu'il faisait exprès pour prendre les choses de manière personnelles plutôt que de comprendre qu'il était question du bien-être des Pokémons plutôt que d'une attaque personnelle sur ses moyens financiers. Ne pas avoir les moyens d'obtenir un Pass ne le rendait pas inférieur en tant que personne, ce n'était qu'un gage de manque de ressources matérielles pour s'occuper convenablement d'un autre être vivant dont le bien-être devrait, à mon sens, passer avant l'ego de petits imbéciles susceptibles dans son genre. Pas le temps de reformuler mes paroles, ceci dit, puisque le Viridis nous rappela tous deux à l'ordre.
Le blond n'avait pas tort : cet endroit n'était pas approprié pour ce genre de discussion sur la moralité de ceci ou de cela et les circonstances s'y prêtaient encore moins. Au risque de l'oublier, il y avait toujours un Pokémon blessé qui nécessitait des soins immédiats dans l'équation. Le cervidé offrit sa parole au garçon qui, évidemment, préférait juger la valeur de celle-ci sur ses préjugés à propos des Viridis plutôt que sur le caractère avéré de Luciano en tant qu'individu. Pourquoi accepter de croire qu'il y a de bonnes personnes chez l'élite quand on peut simplement tous les mettre dans le même panier, généraliser et leur cracher dessus tous d'un seul coup ? Oui, je l'admets, ce petit imbécile avait réussi à me faire oublier d'un coup ma méfiance et mes propres appréhensions envers l'amant de ma cousine. Maintenant j'avais l'impression que nous étions du même côté et que nous devions composer avec les mêmes problèmes. Que c'était nous contre l'opinion du bas monde. Rien de mieux qu'un soudain sentiment de camaraderie pour apaiser mes craintes à son endroit et me donner envie d'aller en son sens. Ainsi, lorsque le gamin en question eu finalement accepté mon offre et qu'il prit la poudre d'escampette en laissant ses balls derrière lui, je ne manquai pas de partager mon approbation pour l'intervention de l'Intendant.
« Merci pour votre intervention. J'aspire à être aussi douée dans l'art de conserver mon calme. »
Quant au petit panda et à la balle qu'il conservait toujours entre ses petites pattes... L'astuce de Luciano aurait probablement pu fonctionner, mais j'avais plus d'un tour dans mon sac.
« Ce ne sera pas nécessaire, j'ai ce qu'il faut. »
Je m'accroupis devant le Pokémon bicolore tout en faisant bien attention à ma jupe dans mon mouvement avant de fouiller dans mon sac à main. Derrière moi, Lucifer allongea le cou et, lorsqu'il comprit ce que j'avais en tête, se mit à bouder tel un enfant grincheux à l'idée de devoir partager. C'est que je ne quittais jamais ma demeure sans un petit sac des friandises préférées du chat et, dans ce cas ci, ça valait bien la peine d'essayer pour voir si le Pandespiègle pouvait être acheté par la faim.
« Tu as faim mon petit panda ? On fait un échange ? »
S'il était au départ sceptique, la bonne odeur des friandises le rendit soudainement bien moins craintif. Il allongea une patte pour prendre la nourriture et je la retirai de sa portée, offrant ma main vide pour lui signifier que l'échange devait aller dans les deux sens. Après un ou deux gargouillis en provenance de son estomac, la raison l'emporta finalement et la sphère de contrebande se retrouva en ma possession alors que la petite créature repartait en gambadant, la bouche pleine de friandises. Certes, j'aurais droit à un regard meurtrier de la part de mon chat pour quelques heures encore, mais ça en avait valu la peine. Je me relevai donc avec un air victorieux, satisfaite de ma petite performance avant de me retourner vers le duo de blonds.
« Et voilà. Est-ce que ça vous dérange si je vous abandonne maintenant pour aller porter notre blessé au Centre le plus proche ? Sauf si vous préférez m'y accompagner ? »
La promesse qu'avait faite le cervidé au gamin n'était pas tombée dans l'oreille d'une sourde après tout et, s'il était moindrement comme moi, je me doutais bien qu'il voudrait faire acte de présence au minimum pour s'assurer que son engagement soit tenu.
« Well, guilt is like salt : you put a little on, and it hides all the bitterness »
Luciano Viridis était-il né naturellement calme ? Cela faisait-il partie de son tempérament ou bien de sa personnalité, était-ce inné … ou acquis ? Si la génétique avait indéniablement apposé dans ses habitudes des prédispositions, ceux qui connaissaient l’intendant depuis longtemps savaient bien que l’homme de Borao n’avait pas toujours été celui qu’il était aujourd’hui. Que s’était-il passé ? La réponse était simple, triviale : la vie était passée par là. Les évènements l’avaient forgé, l’avaient modelé, parfois avec lenteur, souvent avec rudesse. Cali aspirait à savoir garder son calme autant que lui, vraiment ?
« — Cela s’apprend » déclara-t-il en réponse à ses paroles.
Que pouvait-il lui dire d’autre ? Comme tout, cela avait un prix … mais aussi ses risques, ses désavantages. Le calme de Luciano Viridis était souvent pris pour de l’indifférence, pour du détachement ; régulièrement source de malentendus, son sang-froid lui rapportait un mépris auquel il s’était habitué. Cali aurait eu tort, cependant, de le croire infaillible … n’avait-il pas manqué de le perdre quelques instants plus tôt, lorsque la Cobalt avait eu le malheur d’engager la conversation sur l’un des sujets les plus épineux du moment ?
Par la suite, récupérant la pokéball détenue par le Pandespliègle, Cali leur offrit une solution tout aussi efficace que celle proposée par l’intendant et dans un calme que l’homme n’était pas sans chérir, le panda sauvage retourna finalement à ses occupations sauvages, les pattes chargées du trésor obtenu par son échange … un échange, qui avait singulièrement déplu au chat de la cadette, qui lançait au Pandespliègle autant qu’à sa maîtresse des regard noirs, sombres, chargés d’amertume. Pas très partageur, le chat ? Était-ce vraiment étonnant ? Se relevant finalement, Cali leur fit part de sa volonté d’emmener au plus vite le pokémon au centre le plus proche, abandonnant à l’occasion les deux Viridis … Luciano tiqua, évidemment.
« — J’ai donné ma parole au gamin. Même s’il y porte peu de crédit, ce n’était pas des paroles en l’air. Nous vous accompagnons » déclara-t-il.
Luciano comptait être là pour tenir ses engagements, aussi creux ses mots avaient-ils pu paraître à son interlocuteur. Malgré ses paroles pourtant, l’intendant de Borao n’esquissa pas le moindre mouvement en direction de la ville … à la place, l’homme s’attarda, interpella la jeune fille.
« — Nous ne pouvons pas nous présenter au centre pokémon avec ces pokéballs là » fit-il remarquer « Si la Guarda croit en notre histoire nous aurons de la chance, et même si cela arrive, on nous reprochera d’avoir laissé le garçon partir. Évitons-nous ce genre de publicité dont les médiats auraient tôt fait de s’emparer »
Luciano n’était pas sans connaître le talent des journalistes pour répéter et transformer les choses et les évènements. Comme bien d’autres avant eux, Dora et lui en avaient fait les frais et au vu des circonstances, l’intendant de Borao n’avait pas besoin d’un nouveau coup de projecteur sur sa personne.
« — Débarrassons-nous d’abord des pokéballs » suggéra Luciano « La mâchoire de Gare à Toi est suffisamment puissante pour les briser » assura-t-il. L’intendant se garda bien de le spécifier, mais ce n’était pas la première fois que la Lougaroc s’adonnait à une telle activité « Faites-le sortir. Voyons ce que c’est, et ce qu’il a » proposa-t-il.
Une part de lui voulait voir l’état du pokémon avant les autres, souhaitait confirmer ce que les paroles du garçon avaient à mi-mots dévoilé. Luciano savait reconnaître les blessures laissées par le Genesect et prévoyant, l’intendant savait qu’il leur faudrait une histoire au cas où certains se montreraient trop curieux. Le gouvernement mettait à cœur à détruire toutes les preuves concernant Genesect et quoi de plus dérangeant que l’une de ses victimes avérée ? S’il se cacha bien d’en faire part à la jeune fille, Luciano pressentait qu’ils avaient libéré ce pokémon pour lui offrir un destin plus sombre encore. La prudence était de mise et si le puîné savait à qui se fier à Borao, l’homme n’avait pas cette félicité à Sercena, fief de Lilith Cobalt, pion le plus fidèle de la Chancelière et de ses desseins ou peu s’en fallait.
Si j'ai choisi d'offrir une porte de sortie aux deux blonds, j'avoue être contente d'entendre le cervidé confirmer mes soupçons : il refuse de partir sans avoir tenu sa parole au garçon. J'acquiesçai donc à sa décision sans m'y opposer, me découvrant même au passage un certain respect pour Luciano. Ceci étant dit il avait raison : nous présenter au centre pokémon avec tout ceci pourrait nous attirer des ennuis qui, s'ils pouvaient être facilement réglés de part nos statuts respectifs, gagneraient encore mieux à être évités totalement.
« Bon point... »
Je me mis à réfléchir à une solution pour les soins du Pokémon blessé alors que, de son côté, le politicien nous partageait déjà sa solution à propos des balls illégales. D'apprendre que son... chien ? Sa louve ? Que Gare à Toi pouvait les briser avec sa seule mâchoire ne faisait que renforcer ma récente crainte des pokémons canins. Remarque le dresseur n'améliorait pas les choses, qu'on se le dise. Qui appelle son Pokémon "Gare à Toi" ? Est-ce seulement un nom pour commencer ? Je me demandais bien d'où ça lui venais et, surtout, pourquoi il ne l'avait pas au moins raccourci ou quelque chose du genre. Qu'importe, l'important était que la bête ayant agressé Lucifer nous rendait bien service là tout de suite. Quant à la suggestion suivante de l'Intendant... Je grimaçai, faisant rapidement connaître mon désaccord.
« S'il est blessé, en plus d'être déboussolé par cet environnement qui ne ressemble en rien à son île, il y a des chances pour qu'il essaie de nous attaquer pour se défendre ou prendre la fuite. Ça pourrait être dangereux tant pour lui que pour nous ou même pour les gens dans les alentours. Il y a beaucoup de monde à Sercena aujourd'hui et semer la pagaille est bien la dernière chose dont nous avons besoin. »
Surtout vu ce qui s'était récemment passé à La Isicao, restant encore fraîchement imprégné dans les mémoires. Un dérangement, même mineur, était à éviter en ce jour de Dia de Los Muertos sans quoi les gens commenceraient à associer toute journée de fêtes et de rassemblements avec l'idée d'une tragédie en devenir. Heureusement que j'étais, après tout, dans mon domaine. Une alternative avait germé dans ma jolie petite tête blanche et c'est sans plus tarder que je décidai de prendre les rênes de la suite des choses.
« Votre voiture est-elle à proximité ? Je connais quelqu'un qui pourrait nous aider. Je vous expliquerai en chemin. »
***
« La responsable de ce refuge me doit quelques faveurs puisque je leur sers de tête d'affiche pour leurs levées de fond semestrielles. Ils ont un médecin Pokémon sur place et tout ce qui sera nécessaire pour assurer son bon confort en attendant de lui trouver une famille. »
Avais-je élaboré une fois dans la voiture... c'est quoi le contraire d'anonyme ? La voiture non-anonyme de Luciano Viridis, voilà. Assise à l'arrière, j'avais eu la gentillesse de remettre Lucifer dans sa balle au moins le temps du trajet, histoire de ne pas le laisser mettre des poils de chat partout sur la banquette du blond.
« Oh et il y a possibilité de leur faire un don anonyme au besoin, pour financer les soins et l'éventuel dressage. »
C'était un Pokémon sauvage à la base après tout alors il aurait besoin d'être éduqué en conséquence pour s'adapter à une nouvelle vie d'oiseau de compagnie. Enfin, si c'était bien un oiseau pour commencer, mais vu que l'autre avait parlé d'ailes... Voilà, il n'y avait pas cinquante milles possibilités. Toujours est-il que nous arrivions à destination et que, mine de rien, j'avais hâte de voir de quoi il en retournait moi aussi. Espérons que Madame Da Rocha soit sur place aujourd'hui malgré la journée de fêtes, mais là encore je n'aurais qu'à placer un coup de fil dans le cas échéant.
« Well, guilt is like salt : you put a little on, and it hides all the bitterness »
La réflexion de Cali n’était pas sans sagesse et Luciano Viridis le reconnaissait : libérer le pokémon blessé représentait effectivement un risque non négligeable ; un risque que la jeune fille ne souhaitait visiblement pas prendre. L’intendant pouvait-il lui en vouloir pour ça ? Pas vraiment : malgré leurs indéniables différences, Cali et Luciano partageaient quelques points communs, parmi eux le désir d’assurer à leur population un semblant de sécurité et pour ce faire, prudence était mère de sureté. Bien des points d’interrogation planaient encore concernant ce pokémon dont le sauvetage était encore discutable … si les dires du garçon les avait porter à croire qu’il s’agissait d’un oiseau préhistorique, Luciano se gardait bien d’émettre la moindre certitude. Acquiesçant à la place d’un signe de tête, l’intendant se plia au choix de la cadette ; et lorsqu’elle leur demanda si leur voiture était à proximité, le puiné répondit par l’affirmatif.
« — Nous sommes venus avec la Raikar » déclara-t-il « Elle peut faire le chemin jusqu’à nous, pour peu que nous redescendions jusqu’à l’agglomération » expliqua le puîné.
Borao ne tenait pas son surnom de La Moderne pour rien et évidemment, l’homme qui la dirigeait ainsi que toutes ses possessions étaient à son image. Loin de s’attarder sur ce détail dont plus d’un homme se serait vanter – qui avait une voiture capable d’aller seule d’un point A à un point B ? – Luciano invita les deux filles à prendre les devants, demeurant pour sa part un instant en arrière avec Gara afin de se débarrasser des pokéballs. Loin de s’étonner de la chose, le puîné eut la satisfaction de voir que la Lougaroc se montra particulièrement dévouée à la tâche, brisant parfois avec ses crocs parfois avec ses griffes les ball illégales qui, bientôt, ne furent plus qu’un lointain souvenir.
Par la suite, l’intendant s’affaira à faire venir jusqu’à eux la Raikar, la voiture hi-tech à la carrosserie blanche qui, même en dehors de Borao, n’était pas tout à fait étrangère. Les hauteurs de Sercena désormais derrière eux, comment annoncé par l’homme la voiture se trouvait déjà là à leur arrivée et le groupe n’eut plus qu’à monter. Loin de considérer le malaise de la jeune fille à l’idée de faire le trajet aux côtés d’elle, Gara s’installa à son tour sur la banquette arrière, dont le cuir blanc n’était miraculeusement marqué d’aucune griffure. L’état général de la voiture trahissait la méticulosité de l’homme qui la possédait et tandis que la Raikar cheminait à travers les rues de La Somptueuse, Luciano écouta les explications de la cadette Cobalt, la gratifiant parfois d’un regard par l’intermédiaire du rétroviseur … pouvaient-ils réellement espérer pouvoir faire confiance à cette responsable dont il était question ? L’intendant n’en savait trop rien, mais force était de constater qu’il n’avait pas tellement le choix. Sans le savoir, Cali demandait-là un effort considérable au suspicieux homme qu’il était.
« — Espérons qu’elle ne posera pas trop de questions » déclara Luciano, tandis que la voiture se rapprochait de leur point d’arrivée.
Le refuge ne payait pas de mine, ce qui était en vérité plutôt un bon point : l’argent récolté n’allait pas dans les infrastructures, pas en apparence du moins. Garant finalement la voiture à proximité, Luciano fit le choix de laisser la Lougaroc dans l’habitacle, jugeant plus sage de ne pas faire goûter à la louve crépusculaire l’ambiance particulière qui régnait dans ce genre d’endroit.
L’arrivée de la Raikar avait évidemment attiré l’attention de la gérante des lieux, qui s’était empressée de venir les accueillir, avant de finalement reconnaître Cali bien plus que les deux Viridis. Petite et potelée, Luciano observa un instant cette femme qui se présenta à eux … sa présence en ce jour particulier laissait percevoir une certaine dévotion qui n’échappa pas à l’intendant de Borao. Etrangement silencieux, non sans avoir au préalable échangé avec les gens présents les politesses habituelles, l’homme écouta le récit que Cali fit de leur petite aventure … mais son attention, cependant, fut rapidement happée par le malaise d’Elsa-Mina à côté d’eux. Le regard de la scientifique s’était perdu parmi les innombrables cages qui composaient le refuge, dans lesquels se trouvaient tout autant de pokémons dont les plaintes résonnaient sans leur laisser le moindre répit. Plus émotive, Mina peinait à les ignorer et immanquablement, sa détresse attira l’intérêt de Luciano, qui posa sur son épaule une main qui se voulait rassurante.
« — Attend-nous dans la voiture si tu préfères » lui proposa-t-il.
Malgré la discrétion de l’intendant, cette petite interlude les interrompit un instant dans leur entreprise. Son projet, évidemment, n’était pas au goût de la scientifique, qui tenait visiblement à avoir le fin mot de l’histoire sans avoir à se la faire conter.
« — Ça ira » assura-t-elle, offrant à Luciano un regard pourtant emplis d’incertitudes.
Acquiesçant, l’homme feignit de ne pas remarquer le détail. A la place, Luciano porta de nouveau son attention en direction de Cali et de la bénévole. Une part de lui un peu malsaine ne pouvait s’empêcher de se languir de découvrir ce que contenait cette pokéball … car sans doute mieux que Cali, l’intendant de Borao savait quel destin le gouvernement réserverait à l’animal si d’aventure la créature avait effectivement croisée la route de Genesect sur l’île. Avoir une longueur d’avance n’était pas un luxe et si le puîné se gardait bien de faire part de son impatience, l’homme avait conscience que certains de ses traits pouvaient le trahir … tant pis : Luciano préférait passer pour un homme morbide plutôt que de dévoiler tout de suite ses véritables desseins, ceux qui visaient à préserver le pokémon du sort qui l’attendait si par malheur les mauvaises personnes apprenaient son existence.
Victoire, Madame Da Rocha était effectivement présente malgré les festivités du jour des morts qui s'apprêtaient à battre leur plein. Au fond c'était cohérent puisque les Pokémons du refuge, eux, n'en avaient rien à faire des croyances et des traditions de la région : ils avaient quand même besoin de manger et de recevoir des soins. Enfin, bonté ou pas, la maîtresse des lieux était tout de même curieuse de savoir ce qui avait motivé notre visite en ces lieux et je remarquai son petit coup d'oeil vers la pokéball que je tenais entre les mains. Valait mieux rapidement mettre en place la version des faits qui nous rendait le plus service avant que son imagination ne s'en charge.
« Je suis tellement contente de vous voir ! Je suis désolée de débarquer ainsi à l'improviste, mais... Un type est venu nous donner ça en implorant notre aide. Il a obtenu un Pokémon illégalement et, probablement dans un combat, la pauvre créature a été blessée et vu qu'il aurait pu s'attirer des ennuis et se faire poser des questions gênantes en allant dans un Centre Pokémon... »
« Je vois le genre. J'aimerais dire que je vois pas ça souvent, mais voilà... »
La ball passa de ma main à la sienne et, avant de se diriger vers l'arrière, c'est vers le duo de têtes blondes que son attention se porta avec intrigue. Comme ils étaient occupés à discuter entre eux en regardant les cages, j'en profitai pour m'approcher de Madame Da Rocha pour mieux ajouter quelques précisions à voix basse.
« L'intendant de Borao et sa belle-soeur. Il semblait avoir beaucoup à coeur la santé de ce Pokémon alors tant que tout est réglé discrètement et professionnellement il y a des chances de lui faire cracher une jolie petite donation. »
Inutile de chercher à dissimuler leur identité, la petite dame n'était pas bête au point de ne pas reconnaître une importante figure politique de Cinza. L'appât du gain pour le bien du refuge, toutefois, suffisait pour que les rouages se mettent à tourner derrières ces yeux et que, soudainement, ses traits s'illuminent avec tout le miel qu'elle pouvait réserver à des invités importants, parlant justement plus fort pour attirer leur attention.
« Venez donc avec moi, mademoiselle Cobalt. Et vous invités peuvent nous suivre également ! »
La maîtresse des lieux nous guida avec elle dans l'arrière boutique, s'engouffrant dans une pièce de soins qui avait presque des airs de bloc opératoire. Elle s'arrêta pour attraper le combiné d'un téléphone au passage et, une petite discussion animée plus tard, revint vers nous avec ce même sourire qu'elle destinait cette fois spécifiquement à l'intention de notre duo d'estimés visiteurs avec sérénité, comme si elle ne venait pas d'engueuler subtilement l'un de ses employés au téléphone.
« J'ai appelé notre médecin qui a eu la gentillesse d'accepter de quitter un rassemblement de famille pour passer aujourd'hui. Les membres de notre équipe sont tellement dévoués, ça me rend si fière de notre bel établissement. Vous savez que nous venons en aide aux Pokémons dans le besoin depuis près de quinze ans maintenant et... »
Je lui fis les gros yeux à la dérobée, essayant de lui signifier qu'elle en faisait un peu trop quand même. Heureusement le message passa assez rapidement et, un raclement de gorge plus tard, elle s'était détournée de ses bienfaiteurs potentiels pour plutôt retrouver son sérieux et se retrousser les manches.
« Ahem ! Assez discuté, nous devrions plutôt découvrir ce qui se cache dans cette balle ! »
« Well, guilt is like salt : you put a little on, and it hides all the bitterness »
Malgré le malaise encore palpable d’Elsa-Mina, Luciano écouta avec attention la version qu’offrit Cali à la maîtresse des lieux. L’absence totale qu’il avait sur la situation n’était pas sans le rendre quelque peu nerveux, pourtant l’intendant de Borao était bien forcé de se plier aux plans de la cadette des Cobalt. N’y était-il pas fourré jusqu’aux cou désormais ? Sa méfiance naturelle couplée à sa méconnaissance concernant Cali Cobalt n’étaient pas sans lui rendre la vie dure … pouvait-il faire confiance à la blanche, ainsi qu’à son jugement concernant autrui ? Rien n’était moins sûr et Luciano ne pouvait plus que prier et espérer que la fille de Lilith Cobalt avait su tirer de sa mère les leçons espérées. Et si la gamine venait à le piéger ? Grand bien lui fasse : les conséquences promettaient d’être amères, car Luciano Viridis était protecteur autant que vengeur. Cali et ses potentielles mauvaises intentions avaient intérêt à s’en rappeler, au risque de s’y frotter et pas de manière tendre.
Bientôt, la patronne des lieux les gratifia d’un discours explicatif dont l’intention profonde n’échappa pas à Luciano. S’en priver aurait été contre-productif et l’intendant devait bien le lui concéder : cette femme avait tout intérêt à faire valoir son établissement aux intentions tout à fait louables, en particulier en présence d’invités tels que ceux qu’elle accueillait. L’aisance des Viridis en matière d’argent n’était un secret pour personne et avec les bonnes paroles, sans doute cette très chère dame espérait-elle grapiller quelques pesos qui, de toute évidence, avaient peu de chance d’être mal utilisés … Luciano n’avait pas besoin d’en voir plus pour deviner qu’il s’agissait là d’un endroit honnête, respectueux, avec sans doute en arrière-boutique une touche d’illégalité justifiée.
L’improbable quatuor avait quitté l’accueil lorsque la gérante s’enquit finalement de la nature de ce qui les attendait et en cela, Luciano partageait son désir d’en savoir plus. Sans un mot, les Viridis se laissèrent conduire dans une salle vraisemblablement de soin qui, pour l’occasion, allait faire office de salle d’auscultation … à n’en pas douter le médecin pokémon n’allait pas tarder, pourtant leur hôte ne semblait pas décidée à l’attendre et là encore, le puîné ne pouvait décemment pas lui jeter la pierre : prendre un peu d’avance n’était pas du luxe et peut-être Luciano n’y aurait-il pas été aussi enclin s’il n’y avait pas eu une part de contentement à l’idée de lever enfin le voile sur l’identité de la créature qu’ils avaient "sauvé".
Aiguillé par les indices involontairement laissés par le garçon interpellés plus tôt dans l’après-midi, Luciano avait su se faire une vague idée de l’espèce du pokémon, sa petite visite sur l’Île aux Monstres et ses rencontres avec ses différents habitants n’y étant pas pour rien ; aussi ne fut-il pas particulièrement surpris de voir apparaître un petit Arkéapti aux couleurs cependant bien étrange. Habituellement bleues, ce qui lui restait de plumes se teintaient de vert et globalement plus clair que ses comparses, ses couleurs atypiques n’étaient pas la seule chose remarquable … le garçon, évidemment, n’avait pas mentit quant à l’état déplorable du pokémon. Largement amaigri, le regard presque vide, le soi-disant pokémon sauvage ne payait pas de mine ; étrangement calme, il observait du coin de l’œil les humains qui le scrutaient. Sous lui, l’oiseau préhistorique avait replié l’une de ses ailes, dissimulant à moitié son bout tronqué ; cachée entre les plumes duveteuses de son col, Luciano parvenait à distinguer malgré tout l’étendue des dégâts. Les deux griffes censées l’orner brillaient par leur absence, et se tenait à la place un moignon de chair d’où suintait encore un liquide étrange que Luciano reconnu entre mille et pour cause : Gara et son Elecsprint en avaient fait les frais et ce malgré les soins apportés et longuement suivis. Les craintes de l’intendant se confirmèrent et trop absorbé à s’en rendre compte, Luciano faillit à le dissimuler.
Qu’allaient-ils faire de ce pokémon ? Sans doute plus aux faits que Cali, Luciano connaissait tous les aboutissants de cette rencontre que sa conscience, finalement, aurait préféré ne jamais faire, et avoir Cali Cobalt comme partenaire d’aventure n’aidait en rien la chose. Cet Arkéapti devait rester dans l’ombre, ne pas faire parler de lui. Pourquoi ? Parce qu’autrement, Lilith Cobalt et ses comparses auraient tôt fait de faire disparaître la preuve qu’il représentait ; la preuve qu’un pokémon inconnu au bataillon existait bel et bien, une preuve de plus pour les complotistes. Evidemment, Luciano ne pouvait donner à Cali les véritables raisons qui le poussaient à vouloir étouffer cette affaire et coincé, l’intendant de Borao n’avait d’autre choix que de compter sur les aprioris que la jeune femme avait le concernant. La laisser croire qu’il souhaitait garder ça secret pour préserver sa réputation était une option acceptable … être méprisé un peu plus, un peu moins, qu’importait ? Obtenir la sympathie de Cali Cobalt n’était pas sa priorité, n’était pas son objectif.
« — Je paierai ce qu’il faut pour que ce pokémon soit soigné et placé le plus rapidement possible » déclara finalement Luciano après un long instant de contemplation « J’ajouterai un zéro supplémentaire au montant pour que cela se fasse sans vagues, et un autre pour avoir le nom et l’adresse de celui ou celle qui l’adoptera. Je tiens à ma réputation autant qu’à la valeur de mes promesses » assura-t-il, sans s’expliquer d’avantage. Un coup d’œil à l’intention de Cali, cependant, fut là pour indiquer qu’il savait que la référence ne lui étant pas étrangère.
L’aspect financier et le désir de la gérante d’obtenir de lui quelques sous ne lui avait pas échappé, et tourner autour du pot n’était pas dans ses habitudes. Luciano avait depuis longtemps abandonné l’idée de passer pour un bon samaritain : quant bien même ses actions étaient-elles en vérité louables, l’homme se devait d’entretenir la mascarade, en particulier devant la fille de Lilith Cobalt, dont il connaissait trop peu de choses pour esquisser une quelconque confiance. Se tournant vers elle de manière plus spécifique, l’intendant lui glissa quelques mots, plus bas que ceux prononcés précédemment.
« — Cali, ne parlez pas de cette histoire à votre mère. Elle aurait tôt fait d’avoir ma tête si d’aventure elle apprenait que nous avons laissé filer un déviant » affirma le puîné.
Mieux valait passer pour un couard que de laisser trop de questions sans réponses. En offrant à Cali cette raison plutôt qu’une autre – une raison qui, il le savait, ne manquerait pas de lui plaire et donc d’être rapidement acceptée – Luciano brouillait les pistes, détournait son attention de la vérité. Avec le temps, l’homme était passé maître dans cet art ; dans celui-là comme dans beaucoup d’autres.
Ses derniers mots étaient à peine prononcés que, déjà, les circonstances leur offraient un nouvel évènement. Jusqu’à présent immobile au milieu de la table, l’Arkéapti se mit soudainement à bouger et par malchance plus que par négligence, maladroite, la créature chuta, tombant lourdement sur le sol du refuge malgré le mouvement brusque de ses gardiens de fortune qui, bien naïvement, avaient cru pouvoir le rattraper … celui de Luciano, cependant, s’était plutôt tourné en direction de sa plus proche voisine, Cali, l’empêchant de porter secours au pokémon.
« — Ne le touche pas ! » avait-il laissé échapper.
Pris de court par l’instant, l’intendant avant laissé filer les convenances. Se reprenant comme un homme prit sur le fait – avait-il dans l’action attraper le bras de la jeune femme ? Peut-être, Luciano avait eu tôt fait de réparer cette impulsivité – l’intendant tâcha de retrouver un semblant d’impassibilité. Sa réaction avait trahi un savoir qu’il s’était gardé de partager et le puîné le savait bien.
« — Faites attention » se reprit-il, cette fois plus modéré « Ce qui suinte de sa plaie est encore corrosif » dévoila l’intendant.
Cherchait-il ainsi à justifier son soudain instinct protecteur, celui qu’il se targuait pourtant de cacher à chaque instant ? Evidemment. Personne n’y échappait et contre toute attente, Cali Cobalt ne faisait pas exception à la règle. Chassez le naturel et il revient au galop, toujours. Toujours.
Malgré ses assurances précédentes Elsa-Mina n’en menait pas large. Le malaise ne voulait plus la lâcher depuis qu’elle était rentrée dans la clinique. Une espèce de culpabilité mélangée à du dégout et saupoudré d’une pointe de pitié. Ses yeux fuyaient constamment en direction des cages, ne pouvant totalement se détourner du spectacle tragique. Combien de pokémons y avait-il ici ? Beaucoup trop. Affreusement trop. C’était impensable.
N’avaient-ils pas résolu cela avec la Nova Existência ? N’était-ce pas le but de tous leurs travaux que d’éviter à ces merveilleuses créatures de souffrir ? Elle avait espéré, stupidement elle s’en rendait compte, que des lieux tel que celui-ci avaient perdu leur utilité. Ça avait été sous-estimer la volonté de nuire des hommes. Il semblait que pour certains, rien n’était assez bas.
Elle suivit le groupe dans l’arrière-boutique, les plaintes étaient étouffées par la porte qui se referma derrière eux mais cela ne voulait pas pour autant dire qu’elles n’existaient pas. Se rapprochant de Luciano autant par habitude que par recherche de confort, elle porta son attention sur la patronne qui préparait la table pour accueillir le pokémon blessé.
Elle avait eu la chance, si l’on puisse dire, d’avoir eu l’explication du grand blond suite à son expédition sur l’île. Gara et Protecteur, pourtant si forts, étaient revenus en piètre état, leurs blessures avaient laissé perplexe bien des infirmiers. Elle n’osait imaginer les dommages qu’avait subi la pauvre créature. Ou bien qui les lui avait infligés. Aucun secret n’avait été fait sur la créature qui habitait sur l’île, ou tout du moins c’était vrai pour le cercle familial des Viridis. Le reste du monde, lui, pouvait se contenter de platitudes. Une petite voix se demandait quelle version de l’histoire Cali avait pu avoir.
Retroussant ses manches, la patronne adressa un regard au groupe avant d’appuyer sur le bouton de la pokeball. Un hoquet d’effroi s’échappa à la scientifique qui porta la main à sa bouche.
« Quelle horreur ! » s’exclama-t-elle.
Chétif et malade, la créature se tenait dans un coin de table tout recroquevillé sur lui-même. Il avait l’air si petit, si fragile ! L’arkéapti n’avait même pas l’énergie de faire un mouvement de panique à la vue de son nouvel environnement. Elle pouvait deviner la forme de ses côtes malgré les plumes. Son regard vitreux et ses mouvements à peine perceptibles en disaient long sur sa santé physique. Il se tordait de manière étrange pour cacher l’une de ses ailes. Rien n’aurait pu la préparer à cela.
Luciano fut le premier à briser le silence choqué qui s’était installé. Elsa-Mina posa une main sur son bras, tant pour trouver du réconfort que pour apaiser l’homme. Il y avait une pointe de détresse dans cette offre pécuniaire. La scientifique n’avait aucun doute sur le fait que celle-ci soit acceptée. Mais est-ce que les soins allaient être à la hauteur ? Ils auraient dû aller au Centre Pokémon, au diable les conséquences ! Une vie en dépendait.
Le regard toujours braqué sur l’arkéapti, elle le vit basculer comme au ralenti alors que Luciano se tournait pour murmurer à la jeune Cobalt. Ses doigts n’avaient même pas atteint le bord de la table qu’elle entendit le choc mou du corps contre le sol. Le cri de Luciano avait résonné au même moment, stoppant le groupe net dans leur mouvement. Les yeux écarquillés, elle fixait le pokémon comme si le simple fait de bouger allait le faire voler en éclats. Relâchant son souffle en le voyant remuer légèrement, elle commença à faire le tour de la table pour se rapprocher de lui. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. Elle croisa le regard de Luciano.
« La même blessure que Gara et Protecteur ? » demanda-t-elle pour confirmer ses soupçons.
L’inquiétude pouvait se lire sur son teint. Arrivée au niveau du pokémon fossile, elle pouvait maintenant voir ladite blessure dont avait parlé le jeune homme plus tôt. Comment, par Arceus, s’était-il cru capable de soigner cela lui-même ? Une partie entière de l’aile avait été arrachée. Elsa-Mina eut un haut le cœur, se tenant à la table jusqu’en faire blanchir ses jointures. Ils avaient mis tellement de temps à remettre les deux loups sur patte ! Et c’était avec le meilleur centre de soin de Cinza à leur disposition ! De nouveau son regard se tourna vers Luciano puis glissa vers Cali, inquiète de la réaction de la jeune fille. Ce n’était pas un spectacle qu’elle lui souhaitait de voir.
Faisant de son mieux pour reprendre un peu de contenance, c’était une Viridis après tout, elle décida qu’ils ne pouvaient pas décemment laisser l’arkéapti sur le béton froid du refuge, pus corrosif ou non. La scientifique fit appel à sa mentali, Valka, qui jusqu’à lors était restée bien sagement dans sa pokeball. Elle craignait que l’oiseau ne se mette à paniquer à la vue d’un autre pokémon mais comme le toucher était hors de question…
Valka fut parcourue d’un long frisson qui l’agita jusqu’au bout de sa queue. Elle n’aimait pas l’endroit. Son regard se tourna vers sa dresseuse, elle pouvait sentir sa détresse mais pas seulement la sienne. Il y avait d’autres êtres ici, des êtres en peine. Son oreille s’agita, elle attendait sagement la suite des instructions inquiète de savoir pourquoi on l’avait fait venir ici.
« Est-ce que tu peux le remonter sur la table, ma chérie ? » demanda doucement Elsa-Mina.
Se retournant sur le pokémon oiseau qui semblait presque disparaitre dans le sol, la mentali fit briller la gemme sur son front. Sans aucun effort, l’arkéapti se retrouva à nouveau sur la table, posé cette fois-ci au centre pour éviter tout autre accident. Elsa-Mina se baissa pour caresser son pokémon, avant de la prendre dans ses bras. Valka gardait son attention sur le pokémon fossile, prête à le soulever hors de danger au moins mouvement suspicieux.
« Il n’a rien de cassé ? La chute n’était pas très haute mais tout de même… » Caressant toujours sa mentali elle se tourna vers la gérante du refuge. « Pouvons nous vous aider d'une quelconque manière ? »
La scientifique se recula légèrement pour laisser plus de place à la patronne qui saurait sûrement mieux gérer cela qu’elle. Ce qui lui laissait le temps de s’inquiéter pour la plus jeune du groupe.
« Tout va bien Cali ? »
Entre les cris, la précipitation et la réalité de la situation, cela faisait beaucoup à digérer. Et si, Luciano ne se permettrait probablement pas de demander, elle n’avait aucun mal à le faire pour deux.
J'avais donc eu raison : Luciano était prêt à y mettre le plein prix si cela lui permettait de tenir la promesse qu'il avait faite. Voilà le genre d'initiative que je pouvais respecter et qui, mine de rien, faisait monter le blond dans mon estime. L'argent comptait moins que la parole donnée et que le bien-être d'un Pokémon. Évidemment la plus heureuse dans tout cela était madame Da Rocha, mais pour le coup je trouvais qu'elle méritait bien cette généreuse donation pour l'aide apportée. Ceci étant dit, le Viridis semblait néanmoins inquiet, trouvant visiblement nécessaire de se rapprocher de moi pour insister sur ma capacité à tenir ma langue sur les événements du jour. J'en étais quelque peu insultée à dire vrai, comme s'il venait de me prendre pour une véritable gamine au cerveau moins fonctionnel que celui d'un Chenipan. Comme ça Luciano Viridis s'inquiétait de ce que ma mère ferait à sa tête si toute l'histoire remontait jusqu'à ses oreilles ?
« Vous dites cela comme si elle n'aurait pas d'abord la mienne. »
Moi aussi j'étais impliquée et, de ce fait, j'avais moi aussi tout intérêt à garder nos petites péripéties sous verrou. Réflexions qui furent cependant interrompues par l'apparition tant attendue de l'objet de nos inquiétudes. Je n'étais pas foncièrement versée dans l'étude des Pokémons, ces derniers n'étant pas les petits chouchous de la matriarche Cobalt. Ainsi tout ce que je pu constater était le fait qu'il était un oiseau coloré, et donc moins commun qu'un Roucool ou autre espèce que je connaissais, aux blessures ma foi fort inquiétantes. Puis, comme si cela ne suffisait pas, le voilà qui s'agitait dangereusement, son corps chutant de la table. Mon premier réflexe fut évidemment de vouloir m'avancer pour lui porter secours, mais c'était sans compter sur la solide main qui se referma sur mon bras avec urgence. Ne pas le toucher ?
« Mais il a clairement besoin d'aide ! »
La justification n'arriva qu'après : ce qui suintait de sa plaie était encore corrosif. Je jetai un nouveau regard à l'oiseau, puis à l'Intendant. Il était capable de dire ça d'un simple coup d'oeil ? Peut-être était-ce simplement parce que lui était plus instruit que moi sur le sujet des Pokémons et de leurs habiletés aussi diverses que variées. Ainsi, même si j'étais fort tentée de simplement dire que je ferais attention et d'y mettre les mains malgré tout pour rendre service, mon sens des priorités restait celui d'une Cobalt. Que diraient les gens si, quelques heures plus tard, Cali Cobalt se montrait à la Fête des Morts avec une blessure suspecte ? Je devrais faire preuve de retenue, comme les deux blonds qui au final semblaient plus au parfum que moi. La même blessure que Gara et Protecteur ? Mon regard passa d'un Viridis à l'autre, soudainement plein de questions. Gara ? N'était-ce pas le nom de ce sale clébard ? Et la même blessure donc ? Ça expliquerait pourquoi le politicien en connaissait autant sur la nature de l'attaque qui avait occasionné tant de douleur à ce pauvre oiseau.
Ce qu'il y avait de positif, au travers de tout cela, c'est qu'Elsa-Mina Viridis avait les moyens de faire ce que je ne pouvais pas : appeler son Mentali pour remettre télépathiquement l'oiseau sur la table. Voilà une bonne chose de réglée et la gérante des lieux semblait être tout à fait reconnaissante de cette aide inespérée. L'âme visiblement généreuse et émue par le sort du blessé, la scientifique demandait s'il avait été blessé durant la chute et, surtout, s'il y avait une autre façon pour nous d'apporter notre aide. La petite femme se gratta rapidement l'arrière de la tête, en pleine réflexion et visiblement peut-être un tout petit peu dépassée.
« Je pense qu'il a des choses plus graves à gérer qu'une petite chute comme ça... Le mieux à faire c'est encore d'attendre notre médecin. Remarque je devrais peut-être en faire venir un deuxième... »
Sa concentration était telle qu'elle en oublia d'utiliser cette opportunité pour réitérer sur les besoins monétaires du refuge. C'est bien comme ça que l'on comprenait que la situation était sérieuse. Pour ma part j'avais choisi de rester en retrait pendant tout cela, ne reprenant mon rôle dans tout ceci que parce que la blonde avait eu la gentillesse de me demander si j'allais bien. Si j'aurais normalement été dans une colère froide à l'encontre de cet imbécile de dresseur irresponsable qui avait fait subir de telles atrocités à son Pokémon, ma curiosité était ici trop prononcée pour laisser libre court à ma rancoeur. À la place, je croisai les bras, regardant le duo de Viridis avec un air impérieux.
« La même blessure que Gara et Protecteur ? Vous détenez visiblement des informations que vous avez jusqu'ici cru bon de me dissimuler, n'est-ce pas ? J'ai pris un énorme risque en vous amenant ici et en acceptant de vous aider à couvrir cette histoire, mais il semblerait que cela aille plus loin encore. Si cette affaire s'ébruite cela pourrait remonter jusqu'à moi, tant parce que nous avons été vus ensemble en public aujourd'hui que par mon lien avec ce refuge. Ma requête est donc simple : soit vous m'informez de la nature de ce que je suis vraiment en train de vous aider à couvrir, soit madame Da Rocha et moi-même vous mettons tous les trois à la porte et vous devrez trouver un autre endroit pour le soigner, en espérant que je tienne ma langue. »
« Mademoiselle Cobalt ?! Cet oiseau a besoin de soins urgents !! »
« Alors espérons que nos invités sauront faire le bon choix. »
Conclus-je en croisant les bras et en offrant un regard frigorifique à Luciano Viridis, pour le plus grand malheur de la maîtresse des lieux qui l'implorait à son tour silencieusement de ne pas s'attirer mes foudres plus que strictement nécessaire.
« Well, guilt is like salt : you put a little on, and it hides all the bitterness »
La réponse de Cali concernant ce que sa mère ferait d’elle si toute cette histoire venait à être su arracha un sourire à l’intendant de Borao. D’ordinaire impassible, l’homme n’avait pu s’empêcher de laisser son avis transparaître, trahissant l’idée qu’il se faisait de la question. Luciano laissait-il ses préjugés prendre le pas ? Sans doute. Lilith Cobalt était peut-être stricte et intransigeante, mais le puîné Viridis ne l’imaginait pas une seule seconde sacrifier sa fille pour des broutilles … sacrifier sa fille tout court.
« — Lilith Cobalt ? Avoir votre tête ? » répéta Luciano, décidemment amusé « Vous êtes sa fille. Votre mère préférerait mettre Cinza à feu et à sang plutôt que de toucher un seul de vos cheveux » assura l’intendant.
Luciano se souvenait des récits d’Adonis et du tableau que l’adolescent de l’époque lui avait fait de sa sphère familiale. Si les années étaient sans doute venues éroder les choses, l’intendant de Borao savait pertinemment que Cali, contrairement à son frère, était restée dans les bonnes grâce de sa mère et que cela était encore le cas. Cali ne risquait rien d’autre qu’une sévère remontrance et Luciano le savait bien. Les risques qu’ils partageaient n’étaient pas équitables et plus avenant que la fille ne se l’imaginait, l’intendant de Borao se gardait bien de les partager, en vérité plus par sécurité que par égard.
Par la suite, Luciano fixa longtemps l’Arkéapti tombé au sol, encore un peu abasourdit par la vivacité de sa propre réaction. Cali avait protestée évidemment, mais le mal avait été évité et en cela résidait le véritable objectif de cette action qui s’était davantage apparenté à un réflexe qu’à un véritable choix. Silencieux, pensif, en proie aux options qui s’offraient à lui, l’homme suivit du regard sa belle-soeur lorsqu’elle fit le tour pour rejoindre l’oiseau préhistorique, et lorsque les yeux de la scientifique se posèrent sur les blessures de la créatures, sa question plus rhétorique qu’autre chose fit se raidir l’intendant. En le questionnant de la sorte, Elsa-Mina venait de trahir les informations qu’ils avaient en leur possession, celles qu’il avait singulièrement fait le choix de ne pas révéler et Luciano n’avait pas la naïveté de croire que la chose échapperait à l’attention acérée de Cali Cobalt. L’avenir, évidemment, lui donna raison.
Loin de considérer Elsa-Mina et ses attentions, Cali s’insurgea contre cette rétention d’informations, offrant aux Viridis un discours passionné qui laissa l’intendant impassible le temps d’un moment. Loin de s’effrayer des menaces de la gamine concernant l’oiseau, l’homme hésita cependant un instant. Lui dire la vérité concernant ce qu’il faisait réellement ? Pouvait-il vraiment lui dire qu’il comptait sauver ce pokémon du génocide perpétré par Caldwell et ses sbires dans le but d’effacer toutes traces de l’existence de Genesect, et que non content de le faire, il comptait également garder un œil sur ce pokémon pour pouvoir, un jour, ressortir la preuve qu’il représentait ? Non, bien sûr que non. Evidemment qu’il ne le pouvait pas.
Pendant longtemps Luciano demeura silencieux, laissant par ce fait le douter planer. L’intendant ne pouvait plus reculer, mais il pouvait encore prendre garde à ce qu’il pouvait révéler, à ces choses qu’ils pouvaient dire, et à celles qu’il ne devait pas. Luciano était passé maître dans cet art là depuis bien longtemps.
« — J’ai été sur l’Île aux Monstres. Mes pokémons se sont fait attaquer par la même créature que celle qui a massacré cet Arkéapti. Cette blessure ne m’est pas étrangère : je l’ai vu sur mes pokémons … » révéla finalement Luciano « … et sur le dos de votre cousine aussi » ajouta-t-il de manière singulière « Le gouvernement est à la recherche de ce genre de victimes, et ce n’est pas pour les sauver » Il fit une courte pause, comme pour s’assurer que ses paroles avaient été bien comprises « Voilà ce que vous m’aidez vraiment à faire, Cali : vous m’aidez à sauver un pokémon, car après ce qu’il a vécu, après ce qu’on lui a fait, cet Arkéapti mérite de vivre ; et parce qu’aussi étonnant cela puisse vous paraître, le bien-être pokémon fait bel et bien partie de mes convictions, contrairement à certains au sein du gouvernement » déclara le puîné.
Le sous-entendu était de trop et Luciano le savait, pourtant, l’homme n’avait pu s’empêcher de l’ajouter. Luciano ne lui mentait pas et une part de lui était curieux de voir quelle réaction aurait Cali face à cette vérité savamment dévoilée, et qui n’était finalement peut-être pas si ignorée que cela. A quel point Cali Cobalt était-elle impliquée dans les affaires d’états ? Sans doute faudrait-il à Luciano un moment avant d’obtenir cette réponse.