La majesté de Sercena n’était pas une rumeur sans fondement. La ville était véritablement magnifique, comme sculptée dans le marbre, un véritable joyau dont les montagnes étaient l’écrin. Keiron avait toujours trouvé qu’il s’agissait d’une beauté froide, presque artificielle, comme si l’endroit avait été spécialement conçu pour garder les apparences. Au moins, La Isicao avait l’honnêteté de montrer la séparation entre les riches et les pauvres, du haut de ses grattes ciels qui léchaient les nuages jusqu’aux bas-fonds sordides.
L’esprit de Keiron vagabondait autour de ces sujets alors qu’il observait le château des Cobalt. Assis sur son banc, il attendait en ce milieu d’après-midi en plein centre-ville alors qu’autour de lui se pressaient en toute insouciance touristes et locaux, et ce dans toute une série de babillages s’entremêlant en un bruit commun sans signification.
Mais il n’avait pas fait tout ce chemin en train pour rêvasser ou pour réfléchir à l’architecture de la ville. C’étaient les affaires de l’équipe Zekrom qui l'amenaient, une rencontre avec le fameux contact dont on lui avait parlé. Il fallait bien que quelqu’un s’occupe de cette livraison de “bonbons”, comme son boss aimait les appeler. C’était après tout un mot plus discret que “armes à feu”. Ce n’était pas pour rien qu’on l’avait envoyé lui. Il était plutôt bon à mettre les points sur les “i”, surtout lorsqu’il s’agissait de nouvelles têtes comme c’était le cas ici. Il ne faudrait surtout pas qu’ils prennent trop leurs aises.
Son regard se promena parmi la foule. Ils devaient se rencontrer au niveau de la fontaine à demi cachée par les silhouettes humaines. Il lui restait du temps, heureusement. Il a été convenu qu’ils se retrouveraient vers 22h30, donc autant dire qu’il était largement en avance. Il pourrait peut-être profiter un peu de la ville.
Une voix grave et un brin éraillée vint briser son train de pensées.
“Keiron ? C’est bien toi ?”
Un homme presque aussi grand que lui s’était arrêté au niveau de son banc, le dévisageant en une expression joyeuse mêlée de surprise. Keiron cligna des yeux, stoïque, alors qu’il étudiait les traits mûrs de l’inconnu. Finalement, sa bouche s’anima alors qu’une lumière de familiarité vint éclairer sa mémoire;
“Monsieur Aguiar ?”
Monsieur Aguiar n’était nul autre que son entraîneur lors de cours de self défense auxquels il avait participé lors de son adolescence. Cela semblait presque être une autre vie tellement ce souvenir lui paraissait lointain. Il se rappelait avoir apprécié cet homme, si ce n’est en tant que personne au moins en tant que coach. Il avait beaucoup appris à ses côtés dans ses débuts. Il n’avait presque pas changé entre son gros nez et sa barbe mal rasée, si ce n’était pour ses quelques rides et un début de calvitie.
“Ha ! Je ne pensais pas que tu m’aurais reconnu. Ça fait un bail !” s’exclama t’il, posant sa grande main sur l’épaule de Keiron qui s’était levé. “Qu’est-ce que tu fiches là ? Tu es en visite ?”
“Ouais, on peut dire ça. Et vous ?”
“Je travaille ici maintenant. Toujours la même chose, mais en même temps que veux-tu, je suis bon à ça !”
Un léger sourire parcouru les lèvres de Keiron, amusé malgré lui par les manières de son ancien instructeur. Ils échangèrent encore quelques minutes sur de petites banalités sans véritables importances avant que, finalement, monsieur Aguiar ne s’interrompe.
“Je serai bien resté avec toi mon grand, mais j’ai un cours avec quelques jeunes bientôt. Après t’es le bienvenue si tu veux me rejoindre, je suis sûr que ça te plairait.”
Keiron jeta un bref regard à la fontaine avant de rencontrer à nouveau le visage souriant de l’homme. Il haussa les épaules, les mains dans ses poches.
“Pourquoi pas.” déclara t-il finalement. Il n’avait rien à perdre à jeter un œil après tout, et au pire si cela devenait lassant il partirait.
Il leur fallut une quinzaine de minutes avant d’arriver devant le gymnase où aurait lieu la formation que dispenserait Aguiar. En chemin, Keiron apprit qu’il s’agissait d’un premier cours d’initiation pour débutants. Cela expliquait l’air un peu perdu de certains des individus qu’il découvrit à l’entrée. Les élèves disparurent dans les locaux une fois que l’instructeur leur ouvrit la porte.
Je crois que je suis au bon endroit ? Je regarde un peu partout, sceptique quand même. Enfin, mon chauffeur et garde du corps doit savoir de quoi il parle vu que c'est lui qui m'a recommandé cet établissement en plus de m'y conduire lui-même. Déjà il a été gentil de m'aider à organiser ma participation ici dans la plus grande des subtilités vu que je n'ai pas non plus envie d'ébruiter les raisons de ma motivation à suivre des cours de self defense. Les souvenirs de l'attaque que j'ai vécue l'autre soir dans la rue en rentrant chez moi sont encore vifs et, si cela doit se reproduire, je préférerais encore avoir les moyens de me défendre. Je ne peux quand même pas appeler Liam à chaque fois, surtout vu comment ça s'était fini... Bref ! J'avais enfilé des leggings, un débardeur et, par-dessus, un vaste t-shirt à l'encolure évasée que j'avais attaché dans le bas et sur lequel trônaient, évidemment, des chaussons de ballet. J'avais hésité à rajouter des legs warmers, me disant que ce serait peut-être un peu trop pour un cours d'auto-défense. Je n'étais quand même pas là pour danser, bien que mon chignon de ballerine pouvait en donner l'impression.
Mais pourquoi donc hésitais-je autant ? Était-ce parce que je n'avais jamais remarqué cette petite rue alors que j'habitais Sercena depuis genre vingt-trois ans ? Était-ce la modestie de l'établissement qui me repoussait ? Non, loin de là. J'étais contente, fière même, de pouvoir encourager une petite entreprise locale. Le soucis ? Les autres élèves. Écoutez je sais bien que je ne suis pas très grosse et pas très grande non plus, avoisinant le mètre soixante sans mes talons, mais là je me sentais humiliée ! On ne m'avait pas prévenue que je me retrouverais dans la même classe que des enfants d'âge primaire ! Et encore, au moins eux ils se fichaient un peu de moi, même qu'ils avaient l'air fascinés par mes cheveux blancs et qu'au moins deux d'entre eux semblaient espérer pouvoir se battre avec moi. Le problème, le vrai problème, c'était le petit groupe de mamans qui me jetaient des regards gênants tout en parlant et en rigolant entre elles sans que je puisse comprendre tout à faire ce qui se disait. Super. Autant dire que j'étais prête à tourner les talons et à disparaître avant même d'avoir commencé et que je l'aurais peut-être fait si l'instructeur n'était pas arrivé à ce moment là.
« Mademoiselle Cobalt ! C'est un plaisir de vous voir ici. Venez, venez ! Mêlez vous aux autres ! »
Je le remerciai timidement, essayant de faire comme si je n'avais pas remarqué que certains parents avaient choisi d'assister à cet entraînement pour des raisons sans doute totalement hasardeuses qui n'avait rien à voir avec moi, bien sûr. Si seulement je pouvais fondre sur place ou quelque chose du genre, me disais-je en me tenant là avec mon air revêche de fille de riche qui n'a pas ce qu'elle veut. Sauf si... Cette silhouette là était bien trop grande pour un gamin de primaire, mais le visage semblait trop jeune, et trop... bourrin pour appartenir à un parent. Se pourrait-il que l'on ait répondu à mes prières silencieuses ? Remarque vu son gabarit il aurait sans doute dû être dans une classe pour adultes, non ? Tant pis, il n'y avait qu'une seule façon d'être fixée.
« Bonjour, je suis Cali. Vous aussi c'est votre premier cours ? Un peu gênant d'être avec les gamins quand même, non ? Ha ha.. Enfin, je suis une adulte moi aussi. Mais ça se voit, n'est-ce pas ? »
Et si tu dis non mon grand je te tabasse, tu ne vas rien comprendre tes tibias ils vont prendre cheeeer.
A leur arrivée devant le gymnase, Keiron sentit quelques regards se tourner vers lui tandis que l’instructeur accueillait les nouveaux arrivants. Il croisa les grands yeux timides d’un jeune garçon qui tourna immédiatement sa tête dans la direction opposée lorsqu’il remarqua avoir attiré son attention. Non sans méfiance, quelques parents le dévisagèrent discrètement, mais ne firent aucun commentaire à son égard. Il était vrai qu’il faisait tâche dans cette mare de marmaille entre sa grande taille et son air peu commode, mais cela l’indifférait parfaitement.
Dans une exclamation joyeuse, monsieur Aguiar invita une jeune femme particulièrement gracieuse à se mêler aux groupes. Sans bouger de sa position près de la porte d’entrée, Keiron se fit plus circonspect. Avait-il bien entendu ? Il l’avait appelé “Cobalt” ? Il détailla la demoiselle à l’expression digne et âpre, et remarqua qu’elle était vêtue des pieds à la tête d’une tenue de sport qui lui fit imperceptiblement hausser des sourcils. Visiblement, elle n’était pas venue ici par hasard. D’ailleurs, elle lui paraissait plutôt familière. Il était quasiment sûr de l’avoir déjà vu à la télévision ou sur une couverture de magazine people. Il n’eut pas le temps de réfléchir davantage à la question. La Cobalt semblait avoir remarqué sa présence et vint immédiatement à sa rencontre pour lui adresser la parole. Elle disait s'appeler Cali. Cali Cobalt. La fille de l'intendante de Sercena, si sa mémoire ne lui faisait pas défaut.
De plus près, il réalisa à quel point elle était petite comparé à lui. Le détail ne l’attendrit pas particulièrement, d’autant plus qu’elle n’arrêtait pas de lui poser des questions qui, visiblement, visaient à la rassurer elle-même. Malheureusement pour elle, il en avait strictement rien à faire de lui plaire ou non, noblesse ou pas.
"Ah bon ?” lui répondit-il avec une neutralité à la limite de la froideur, la toisant du haut de son un mètre quatre-vingt-cinq.
Il était totalement biaisé dans sa réponse, mais il l’assumait. Les quatre familles ne méritaient pas de sympathie, pas lorsqu’ils s’amusaient à appliquer des lois qu’elles pouvaient contourner aisément.
“Non, je ne suis pas venu m’entrainer. J’accompagne monsieur Aguiar.” ajouta t’il finalement. “J’imagine que vous êtes là pour son cours ?”
Cela aurait presque pû paraître comme un échange poli si ce n’était pour son sourire enrobé d’une subtile expression de moquerie. Avant qu’il n’ait eu le temps d’enchaîner d’autres paroles toute aussi plaisantes, il sentit qu’on lui donna une grande tape dans le dos qui le fit se redresser immédiatement. Monsieur Aguiar était réapparu après avoir fait entrer tous les enfants ainsi que leurs parents.
“Mais quel charmeur ce Keiron !” rit-il, n’ayant visiblement rien remarqué de l’hostilité mesurée de son ancien élève qui reprit son air ronchon. “Mademoiselle Cobalt, j’ai vu votre nom sur la liste, vous allez participer à mon cours n’est-ce pas ? Ne soyez pas intimidée par la présence des gosses, on va se débrouiller !”
Tout en parlant, il posa ses mains sur les épaules des deux jeunes gens qu’il guida vers l’intérieur.
Ah bon ? Il n'a même pas essayé, n'a pas fait le plus petit effort. Pire, j'ai l'impression qu'il se fout de ma gueule juste en existant. Lui n'était pas là pour s'entraîner, juste pour accompagner le maître des lieux. Ça faisait beaucoup plus de sens au fond qu'il vienne donner un coup de main, il avait bien la tête d'un élève de longue date ou un truc du genre qui était pourtant déjà assez grand physiquement pour pouvoir se défendre même sans avoir besoin d'apprendre la technique derrière. Sans doute un de ces petits voyous qui avaient fini dans une classe d'art martial pour canaliser sont trop plein d'énergie et apprendre le respect et la discipline. Il me retourne néanmoins la question avec une expression qui me fait froncer les sourcils. Je m'apprête à m'en faire officiellement un ennemi, mais monsieur Aguiar a le sens du timing et heureusement qu'il l'a parce qu'au niveau de l'observation on repassera. Ce grand dadais, charmeur ? Pfffffff. Je devrais lui présenter Li— AHEM. J'ai rien pensé moi. Vous avez pas de preuves. Revenons plutôt au professeur qui me demande gentiment de ne pas me laisser intimider par les enfants et à ma réponse polie, accompagnée de l'un de mes plus beaux faux sourires.
« C'est vraiment apprécié, monsieur Aguiar. Vous savez vraiment mettre les gens à l'aise. »
Contrairement à d'autres. Oui, j'ai pensé la fin très, très fort et j'ai peut-être décoché un regard plein de reproches au dénommé Keiron histoire qu'il se sente visé. Au moins le temps et l'énergie que je mettais à déjà détester cet inconnu était mieux investi ainsi qu'en m'inquiétant du reste, en quelques sortes. Pour l'instant en tout cas il était temps d'aller rejoindre les gamins et de débuter les étirements. Ça je savais y faire, ayant l'habitude d'en effectuer chaque matin pour bien commencer la journée et, accessoirement, au début de chacun de mes cours et ou prestations de ballet. J'en profitai d'ailleurs pour frimer un tout petit peu, étirant mes jambes avec un grand écart qui émerveilla un duo de gamines désireuses de faire pareil. Okay, elles étaient adorables et je n'avais pas pu m'empêcher de leur donner quelques conseils rapides et, s'il n'y avait pas genre quinze ans d'écart d'âge, j'aurais peut-être réussi à m'en faire des amies. Malheureusement nous fûmes vites distraites par le reste de l'échauffement, soit quelques tours de gymnase à la course pour bien finir de préparer nos muscles à l'exercice physique.
Tout cela fait, il était temps pour la première partie du cours qui demandait, évidemment, que nous nous mettions en groupes de deux pour pratiquer ensemble à tour de rôle avec un autre élève. Si j'avais eu de la chance dans la vie ça se saurait et cette belle journée de nouveautés n'y faisait pas exception. Ainsi c'est moi, le petit wattouat noir à cheveux blancs, qui me retrouvait coincée avec l'autre indésirable de service. J'avais croisé les bras face à lui, faisant la moue parce que franchement il ne m'avait pas donné l'envie d'être sympa non plus. Devrais-je le mettre en garde de l'existence de mes deux grands frères protecteurs qui viendraient lui casser les rotules s'il osait me briser un ongle ? Non, je ne voulais pas lui donner la satisfaction de croire que j'étais une petite demoiselle fragile et précieuse, même si je l'étais totalement. On va prendre le chemin inverse et, bien sûr, avec le sourire toujours.
« Tu me le diras si je te fais mal, mais promis je vais faire attention. »
Keiron se laissa guider à l’intérieur sans rien ajouter, ne prenant même pas la peine de corriger son ancien instructeur ou même de relever le reproche à peine dissimulé de la Cobalt. Cette petite princesse ne devait pas avoir l’habitude de l’absence de léchage de bottes, la pauvre. Souriant intérieurement, il suivit monsieur Aguiar alors que la demoiselle rejoignait le restant des participants. La plupart des adultes dirent au revoir à leur progéniture, leur promettant de revenir d’ici la fin du cours pour les chercher. Seul un groupe de trois mamans restèrent derrière, visiblement des amies qui profitaient de ce moment de répit pour rattraper le temps perdu.
Les bras croisés, le brun suivit de loin le déroulement du cours. Rien de nouveau sous le soleil, tout commença par quelques échauffements que les jeunes élèves reproduisirent scrupuleusement. Il roula des yeux lorsque la fille de l’intendante montra toute l’étendue de sa souplesse à une poignée de gamine qui jubilaient d’admiration autour d’elle. Comme si faire le grand écart allait la sauver le jour où elle se ferait planter.
Tandis qu’il l’observait, monsieur Aguiar vint le rejoindre ce qui eut pour effet de reporter son attention sur lui.
“Bon, Keiron. On va bientôt commencer, et tu sais comment ça marche. Je ne vais pas mettre mademoiselle Cobalt avec un petit, ça n’aurait pas de sens. Non, tu vas être son partenaire.”
Keiron regarda l’instructeur comme s’il était devenu fou.
“Moi ? Pourquoi pas vous ?”
“Je ne peux pas être partout en même temps mon grand. Ça m’arrangerait que tu t’en charges, enfin si ça ne te dérange pas bien sûr.”
Il réfléchit, pesant le pour et le contre. Il n’aimait pas particulièrement cette Cali à cause de ses aprioris, et il était convaincu qu’elle était une petite bourgeoise qui ne connaissait rien du vrai monde dans son existence de privilèges. Pour autant il soupira, résigné. Il aimait bien monsieur Aguiar, et avec un peu de chance il allait pouvoir rire un peu plus au dépens de la Cobalt en toute impunité. Dès qu’il accepta, son aîné leva les deux pouces avant de continuer son cours. Keiron en profita pour s’échauffer le strict minimum.
“Tout le monde ! Faites des groupes de deux, on va commencer !” annonça finalement monsieur Aguiar de sa voix qui portait.
Les groupes se formèrent rapidement. Keiron vint à la rencontre de Cali pour lui annoncer la décision de l'entraîneur, dispersant de sa présence deux gamins qui se chamaillaient pour être en équipe avec elle. Ils détalèrent plus loin pendant que la jeune femme lui lança ce qu’il considéra comme une pique déguisée.
“Vous êtes confiante. C’est bien je suppose.” répliqua t-il avec un sourire en coin.
Les premières leçons commencèrent et, contrairement à ce dont il se rappelait, il trouvait cela barbant. C’est là qu’on voyait que le cours était surtout adressé aux enfants de 10 à 13 ans. Oui, bon, cela tombait sous le sens qu’il fallait évidemment éviter de se trouver dans une situation de danger, mais ce n’est pas comme si on pouvait en décider les trois quart du temps. Oui, sans rire, pour éviter de se faire attraper il fallait rester à distance pour permettre la fuite ou à défaut de contre-attaquer. Super. Et oui, il est important de connaître la pose de défense, mais honnêtement même un enfant de cinq ans est capable de se tenir sur ses deux jambes de telle manière à ne pas perdre l’équilibre.
Non, franchement, c’était trop même pour lui. Au bout d’un moment, Keiron grogna avec impatience et se tourna finalement vers Cali, à qui c’était le tour d’être en posture de défense.
“On est bien d’accord que vous êtes venue pour apprendre à vous défendre, non ? Il n’y a pas de paparazzis cachés dans les vestiaires à tout hasard ?” lui demanda t’il soudainement, sarcastique et pourtant sérieux. “Je peux vous montrer deux ou trois trucs pour le temps qu'il nous reste si vous voulez. Parce que à ce rythme vous n’aurez rien appris d’intéressant.”
Maintenant que les véritables exercices ont commencé, j'avoue que je suis un peu moins fâchée de m'être retrouvée coincée avec ce gars. Je me serais sentie beaucoup trop mal si j'avais fait mal à un gamin par accident et, qu'on se le dise, il y avait de grandes chances pour qu'un éventuel attaquant ait le gabarit de mon partenaire du jour plutôt que celui d'un gamin de primaire. Également c'est plutôt simplet jusqu'à maintenant, mais il ne faut pas oublier que j'ai été entraînée au ballet depuis ma plus tendre enfance. Le rapport ? Je connais l'importance de répéter même le plus petit des mouvements ad nauseam pour l'intégrer à sa mémoire corporelle et ainsi permettre une meilleure exécution en situation réelle. Pour moi c'est normal de me faire chier, ça fait partie du processus d'apprentissage, surtout quand on commence à peine. Je suis beaucoup de choses, mais on ne viendra jamais me dire que je ne suis pas sérieuse dans la poursuite de nouveaux apprentissages, qu'il s'agisse de danse, de guitare ou d'art martial. Tout cela pour dire que, lorsque le grand combattant exprime son impatience, il ne reçoit probablement pas la réponse escomptée.
« C'est bien parce que cet établissement est plus modeste que je l'ai choisi, moins de chances qu'il y ait des paparazzis, mais oui je suis bien ici pour apprendre. C'est pour ça que je m'applique. »
Et accessoirement parce que si moi, une adulte que les enfants admirent déjà, décide de sauter les étapes et de ne faire qu'à ma tête alors ils risquent de suivre l'exemple ou de tenter de nous imiter. Un exercice qui pour moi serait correct, surtout lorsqu'exécuté avec quelqu'un qui sait ce qu'il fait, pourrait se retrouver inadapté ou même dangereux pour des enfants qui tentent de le reproduire entre eux sans faire attention. Moi, chiante ? Toujours. Et surtout avec les gens qui n'ont pas le bon sens de me faire un minimum de lèche comme on dit. Après bon, il n'a part tort en disant que je n'ai, jusqu'à présent, rien vu de super intéressant ou que je n'aurais pas déjà le réflexe de faire je pense. Je soupire, peu contente de lui donner ne serait-ce que partiellement raison.
« Mais c'est vrai que ça ne m'aidera pas beaucoup... »
Je le jauge du regard, méfiante. J'ignore ce qu'il a en tête, mais j'ai la vilaine manie d'être curieuse et une part de moi a envie d'en découvrir plus. Disons que ce pourrait être comme un avant-goût, une petite mise en bouche des choses que je pourrais apprendre ici pour me motiver à continuer mon apprentissage et mes futurs entraînements réguliers et chiants dans l'espoir de voir des résultats concrets. Finalement je me résigne.
« Erh, d'accord. Partagez moi vos secrets, monsieur Miyagi. »
Il était presque certain que sa partenaire était venue ici dans le seul but de se faire une publicité positive. Les ingrédients étaient tous réunis : le choix du lieu et du cours pour lui donner un air proche du peuple, la présence des enfants pour la touche mignonne, et puis encore sa tenue de sport un peu trop soignée pour garder les apparences. Il fut un brin circonspect lorsqu’elle affirma le contraire ; elle semblait sérieuse. En tous cas, il la trouva moins fausse qu’avant. Cela lui suffit pour le moment.
“Venez, on va s’éloigner un peu.” annonça t’il, se déplaçant déjà plus loin.
Était-il un peu dur envers le cours dispensé ? Peut-être. Il était déjà passé par là et les bases avaient sans aucun doute leur utilité même si à présent elles sonnaient à ses oreilles comme des évidences. Mais Keiron était avant tout quelqu’un qui aimait le concret et l’efficace. Ces gamins étaient sans doute venus pour apprendre à faire face à de vrais dangers, que ce soit l’inconnu bizarre à la sortie de l’école ou bien un camarade particulièrement agressif, et Cali ne devait pas être trop différente en ce sens. En vérité, cela devait être bien pire au regard de son statut. Il fallait donc dès le début obtenir de vrais outils. Se souciait-il d’elle ? Son esprit se ferma immédiatement à cette idée, et il la dégagea d’un revers. Non, il était simplement fidèle à ses principes. Et puis, autant qu’il rentabilise utilement le temps passé ici.
Il se tourna à nouveau Cali après avoir fait quelques pas. Plus loin, les enfants continuaient à s’entraîner sous le regard attentif de monsieur Aguiar. Keiron la regarda de haut en bas. Son élève de fortune n’avait rien des grands gaillards qu’il avait déjà affrontés. Si elle se prenait un coup, elle risquerait sans doute de se casser en deux.
“Première règle : oubliez tout de suite les high kicks et autres trucs de film, ça ne marche pas dans la vraie vie surtout à votre niveau.” déclara t’il, croisant les bras sur son t-shirt gris foncé. “Je ne vais pas vous mentir, c’est plutôt mal barré car vous êtes petite et faible. L’avantage, c’est qu’on risque de vous sous-estimer : il faut exploiter ça.”
Keiron était conscient d’être brute de décoffrage, mais ce n’est pas en lui mentant qu’il lui rendrait service. Il se rapprocha d’elle tout en parlant.
“On va commencer petit. Déjà, vous vous sortirez de pas mal de situations si vous arrivez à vous dégager d’une emprise. Votre poignet.”
En même temps qu’il donnait son ordre, il lui offrit sa main. Lorsqu’elle s'exécuta, il referma solidement son emprise en veillant toutefois à ne pas serrer trop fort.
“La plupart du temps on va vous attraper par le poignet ou par le bras. C’est pour ça que monsieur Aguiar a fait un point sur le fait de rester à distance, a environ une longueur de bras, ça vous donne le temps d’anticiper.” expliqua t’il sans la quitter du regard. “Bref.. Pour commencer, quel est le premier réflexe à avoir dans ce genre de situation, à votre avis ?”
Finalement je suis bien contente que l'on s'éloigne. Ça va me permettre de me concentrer un petit peu plus et d'oublier les marmots qui pratiquent ensemble plus loin dans le gymnase. Mon professeur particulier en profite d'ailleurs pour me faire une mini leçon qui a surtout des airs de reality check. Okay je suis un petit peu blasée quand même qu'il croit avoir besoin de me dire de ne pas me croire dans un film. Bon et je suis aussi un petit peu embêtée parce que mine de rien mes jambes c'est la partie la plus forte de mon corps alors si on m'empêche de m'en servir je ne suis pas sortie du bois. Il a raison en disant que je suis petite et faible, mais pas que. Déjà, comme Keiron le souligne, je peux être sous-estimée, mais ce n'est pas là mon seul avantage.
« Je suis aussi agile et plutôt rapide. Il y a sans doute moyen d'utiliser ça aussi. »
Et pour une fois je ne le dis pas avec vantardise. Je partage juste l'information parce que je suis confiante en ces habiletés sur lesquelles je travaille depuis que je suis en âge de porter un tutu. Le brun parle de commencer petit et j'acquiesce parce que ça me parle bien. J'avoue j'avais peur qu'il soit autant une brute qu'il en a l'air et qu'il me fasse sauter des étapes, mais non. Je sais reconnaître les gens qui parlent d'un domaine qu'ils connaissent et c'est le cas de mon sensei improvisé. Si je ne m'entendrais sans doute pas super bien avec lui dans la rue, ici c'est différent. Je respecte ses connaissances et son enseignement. Quand il me demande mon poignet pour un exercice relatif aux prises, je m'exécute donc sans hésiter alors que, au fond, j'aurais peut-être dû y penser un peu plus.
Il ne sait pas à quel point il a raison en disant qu'il y a de fortes chances pour que l'on m'attrape par le bras ou le poignet en situation de danger. Le bras que je viens de lui donner porte quelques pâles marques laissées par les crocs d'un malosse lancé sur moi à pleine vitesse alors que je tentais tant bien que mal de prendre la fuite. Plus tard c'est aussi ce bras qui avait été attrapé par mon poursuivant pour me tirer dans une ruelle. Ça et mes cheveux qui, aujourd'hui, sont bien attachés en chignon. Première pensée : il va se poser des questions s'il voit que j'ai été blessée au bras. Deuxième pensée : je suis coincée. Il parle de premier réflexe à avoir et, justement, le mien me trahit. Je revois la pluie, j'entends mes talons qui claquent contre le pavé, la silhouette sombre et le poignard de Liam. Je tire sur mon bras, paniquée. Mon visage a pâli je crois bien et ma panique a dû se voir sur mes traits parce que la prise de mon enseignant s'est vite relâchée. C'est pas bien, ce n'est pas ça que je suis supposée faire.
« Désolé, je suis désolée, je... On continue, je connais la réponse je dois juste... Je dois juste y penser. »
Je dois respirer et me calmer, surtout. On est dans un gymnase et je suis ici pour apprendre à me défendre justement. Pour ne pas me retrouver dans une situation comme ça à nouveau ou, à tout le moins, savoir comment réagir pour me protéger si c'est vraiment inévitable. On inspire, on expire. La réponse est là, quelque part dans mes neurones et, plus bêtement, quand je baisse les yeux sur sa main qui me retient le poignet.
« Je dois tourner le bras dans la direction de son pouce pour essayer de me déprendre, parce que c'est plus facile de lutter contre un doigt que contre quatre. »
J'exécute mon mouvement de torsion dans la direction que j'ai indiquée, relevant les yeux en direction de Keiron pour croiser son regard et attendre sa réponse. Est-ce que j'ai bon ? Je pense que oui, mais dans tous les cas je suppose qu'il aura d'autres conseils éclairés à me donner.
Le mouvement fut soudain et sec, le prenant au dépourvu. Le poignet de la jeune femme resta une demi-seconde de trop coincée dans sa ferme emprise avant qu’il ne la relâche - peut-être un peu par surprise, mais principalement par bon sens. C’était une chose de ne pas aimer ce que cette fille incarnait, mais cela ne voulait pas dire qu’il voulait lui faire du mal. Enfin, tant qu’elle ne lui donnerait pas de raison de le faire.
Keiron décela l’éclair de panique qui traversa les traits délicats de sa partenaire, mais il ne fit pas de commentaire. Peut-être avait-il serré trop fort, peut-être était-ce un simple réflexe de défense tout à fait naturel, ou peut-être était-ce quelque chose de plus sombre ; quoi qu’il en soit ce n’était pas ses oignons, et poser des questions n’aiderait pas. D’ailleurs, Cali s’excusait déjà et exprimait sa volonté de continuer l’entraînement malgré sa fébrilité.
“Pas de soucis. On reprend quand vous êtes prête.”
Il s’éloigna d’un pas pour lui laisser le temps de se reprendre, laissant son regard divaguer plus loin. Les petits continuaient leurs exercices sur la position de garde, et il croisa le regard de l’entraîneur qui semblait avoir remarqué leur cours privé ; ce dernier n’en semblait pas particulièrement offensé, souriant tout levant le pouce à l’adresse de son ancien élève avant de s’occuper d’un groupe non loin de lui. Cette pause ne dura que quelques secondes, car lorsqu’il reporta son attention sur la Cobalt, cette dernière semblait déjà plus calme. Ils reprirent leur position initiale.
La demoiselle semblait avoir regagné sa contenance habituelle et lui offrit une réponse qu’il jugea satisfaisante. Il la laissa se dégager de son mouvement de torsion précis, n’opposant pas particulièrement de résistance.
“C’est bien.” approuva t’il, hochant brièvement la tête. “Par contre, sachez que l’efficacité de la technique va dépendre de l’effet de surprise et de la force de votre adversaire - mais aussi bien sûr de la vôtre.”
Keiron offrit à de nouveau sa main, les ramenant ainsi tous deux à la situation de départ. Il continua.
“Vous devez aussi exploiter les faiblesses de votre adversaire. Il a plusieurs points sensibles que vous pouvez frapper en utilisant vos mains, mais aussi vos jambes et vos pieds. Lesquels avez-vous repéré ?”
Okay, c'est un bon début puisqu'il ne me contredit pas. Mine de rien ça avait ses avantages d'être incapable de faire quoi que ce soit sans préparation intense et recherches préalables. C'est que je prends les choses que je fais très au sérieux, surtout lorsqu'il s'agit de suivre un cours quelconque. On m'a souvent complimentée pour ça, ce sérieux et cette application dont je sais faire preuve. Puis on m'a aussi jeté nombre de regards dégoûtés par mon besoin incessant de perfection et de performance. Comme quoi on ne peut jamais plaire à tous.
Keiron y ajouta ses propres mises en garde et j'acquiesçai. Ça coulait de source, évidemment. Surtout que la majorité de ma force se trouve à peu près partout sauf dans mes bras. C'est presque dommage qu'il ait déconseillé les coups de pied parce que je suis certaine que je pourrais faire voir des étoiles à n'importe qui et pas juste parce que je suis une star. Maintenant que ça c'était dit, nous reprîmes la situation de base pour continuer de bâtir sur elle. Préparée, j'eu moins de mal à lui rendre mon poignet tout en reprenant ma position de base, tendant l'oreille pour ne rien manquer de ses mots. Oui, exploiter les faiblesses de l'autre est aussi une bonne tactique qui, combinée au reste, devrait m'aider à mettre la technique de plus tôt à l'oeuvre. Quels points faibles ai-je repérés ?
« Si c'est un homme il y en a au moins un d'assez évident. »
Je mime un coup de pied orienté vers son entrejambe sans toutefois y mettre beaucoup de force et sans jamais atteindre ma cible, juste pour l'exemple. Ensuite ? Je fais mine de donner un coup de talon sur son pied, mais là encore je n'ose pas y mettre la moindre force.
« Je suppose qu'avec mes talons je dois pouvoir le surprendre en lui visant les orteils ? Ça ne fera pas beaucoup de dégâts, mais ce n'est pas vraiment le but non plus. Je veux juste le surprendre, pas vrai ? »
Je sais que je ne devrais pas y penser, que ces souvenirs ne devraient pas revenir me troubler autant et surtout pas pendant que j'essaie d'apprendre, mais c'est plus fort que moi. Je revois Liam dans la ruelle. Je repense à ce que lui a fait. Je l'ai vu frapper le malosse au visage. Il a visé les yeux. C'est ce que j'essaie de mimer ensuite, réalisant le soucis alors que je m'exécute.
« Les yeux aussi. Euhm... Enfin, si j'arrive à les atteindre. »
Sans être trop directe, Cali évoqua le plus grand point faible de l’homme. Ce n’était un secret pour personne à ce stade, et lui-même en avait allégrement abusé. Il n’y avait peut-être pas d’honneur à faire cela, mais dans un vrai combat, les convenances importaient peu.
“C’est une valeur sûre.” acquiesça t’il, toujours l’air sérieux malgré la situation qui aurait pû prêter à sourire. “Mais utilisez plutôt votre genou, vous pourrez y mettre plus de force et il aura moins le temps de le voir venir.”
Ce n’était pas désagréable de jouer les professeurs. Keiron ne s’était jamais véritablement vu dans ce rôle, ou du moins n’y avait jamais vraiment réfléchi. Il n’était pas certain d’avoir la patience, ni véritablement l’envie. Cela dit, apprendre quelque chose d’utile à cette petite gourde de Cobalt était étrangement satisfaisant, et malgré lui, il sentait une drôle d’émotion naître en lui - lui-même avait du mal à mettre un mot dessus. Il savait juste qu’il ressentait la même chose lorsqu’il parvenait à faire progresser ses Pokémons. De la fierté, peut-être. Mais le mot lui paraissait un peu fort.
Il observa la jeune femme faire alors qu’elle illustrait sa deuxième proposition. Il ne s’était pas douté qu’elle penserait aux pieds. Elle était futée.
“C’est l’idée. Si vous arrivez à surprendre l'agresseur d’une manière ou d’une autre, ce sera plus facile ensuite pour vous dégagez.”
Lui avait déjà dépassé ce stade. Si quelqu’un osait le toucher ou le stopper ainsi, il se prendrait instantanément un aller gratuit aux urgences dans la face. En parlant de visage, Cali évoqua une troisième idée qui était elle aussi tout à fait pertinente, bien qu’aussi perfide que la première.
Amusé, il sourit sans s’en rendre compte à la tentative de son élève d’atteindre ses yeux.
“Il faudra prendre des talons plus hauts. Ou alors vous pouvez demander à l’un de vos domestiques de vous porter.”
Cela aurait pû paraître moqueur, mais n’était pas comme lors de leur premier échange devant le gymnase. Il s’amusait un peu à ses dépends, certes ; mais il n’y avait pas cette hostilité comme lors de leur premier échange, devant le gymnase.
“A défaut d’atteindre les yeux, vous pouvez essayer de frapper le ventre.” ajouta t’il enfin, invitant l’autre main de la jeune femme à tenter d’atteindre cet endroit.
Il la lâcha finalement, la jaugeant une nouvelle fois alors qu’une pensée traversa son esprit. N’attendant pas, il l’exprima aussitôt.
“Mh … on a surtout vu ça du point de vue d’un agresseur masculin, mais si vous deviez faire face à une femme c’est encore un peu différent. Je n’ai jamais testé, mais entre nous … est-ce que ça marche de frapper l’entrejambe d’une femme ?”
Keiron paraissait extrêmement sérieux malgré le ridicule de la question. Il avait rarement affronté de femmes en vérité, et lorsque ça avait été le cas, il s’était contenté de classiques. La vérité était cependant que, à part les cheveux et le visage, il ne connaissait pas grand chose des grands points faibles des femmes.
Ça fait du sens de privilégier le genou au fond, c'est juste moins naturel pour moi je suppose. Je n'ai pas pratiquement vingt ans d'expérience à donner des coups de genoux, mais des coups de pied... Ça c'est une autre histoire. Au moins mes autres idées sont validées, à peu près. Des talons plus hauts ? La seule vraie alternative c'est les chaussons de ballet rendu là et encore, aucune envie de me promener sur mes pointes toute la journée parce que merde ça fait mal après un petit moment. Et si je demandais à l'un de mes domestiques de me porter ? Okay, il a gagné, j'ai rigolé un tout petit peu, main devant la bouche telle la lady que je suis.
« Alors là j'approuve. Pensez à venir déposer votre candidature comme ça en plus j'aurai vos bons conseils en direct. »
Oui, j'ai recommencé à le tutoyer maintenant qu'il a gagné mon respect en tant que professeur. Puis l'idée m'amuse quand même trop de me retrouver dans une bagarre de rue et d'avoir Keiron le supporter derrière moi qui me crie de lui lancer une droite ! Peut-être ai-je un peu trop d'imagination sur ce coup-là, mais le brun l'a cherché. Et parlant de ses conseils, voilà qu'il enchaîne sur le ventre. Je l'écoute avec attention et mime le mouvement approprié alors que mon prof improvisé me désigne la cible sur sa propre personne. Je suis sceptique sur ce coup là. J'ai l'impression que je ne vais pas frapper assez fort pour vraiment déranger ou surprendre quelqu'un, mais ça c'est peut-être parce que je suis une femme. Les maux de ventre c'est le truc le moins intimidant au monde quoi.
« Je vais essayer de garder ça en tête aussi. »
Parce que je n'ose pas faire part de mon observation à haute voix, tant du côté de ma force que de mon endurance typiquement féminine. Je n'arrive d'ailleurs pas à y croire, mais, puisqu'on parle de différences de genre, voilà que Keiron semble avoir eu une réflexion pas si éloignée que ça de la mienne finalement. Est-ce que ça marche de frapper l'entrejambe d'une femme ? Cette question quoi. J'espère qu'il n'a pas l'intention d'essayer, même si je peux comprendre la curiosité purement théorique.
« Ce n'est probablement pas aussi efficace, mais ça reste sensible comme partie du corps. Après bon, vu votre gabarit je ne crois pas que vous ayez besoin d'y mettre tant de hargne pour vous protéger d'une femme. Même moi je n'oserais pas. »
Ce qui est quand même une bonne question. Que ferais-je si j'étais attaquée par une femme ? Il fallait dire que ça ne m'était jamais arrivé auparavant. Surtout que j'aurais l'avantage d'être plus ou moins à armes égales si l'autre n'était pas beaucoup plus grande que moi. Une part de moi a envie de dire que ce serait plus facile de raisonner avec une femme qu'avec un homme, mais c'est probablement juste mes propres préconceptions qui jouent contre moi. Ceci étant dit c'est tout de même intéressant à partager, pas vrai ?
« Je crois qu'avec une femme j'aurais plus tendance à vouloir parler pour essayer de comprendre ce qui se passe et de trouver un terrain d'entente. Et puis si je ne peux pas la calmer par les mots ça pourrait peut-être la distraire assez pour me donner une ouverture. Je ne sais pas, j'aurais plus de scrupules à être violente envers une autre femme. Et puis bon, tant qu'à avoir une grande gueule autant que ça serve. »
Oui, c'est mon tour de tenter une pointe d'humour pour essayer de le faire rire aussi. Espérons que ça fonctionne et que, du coup, on arrive à une bonne entente qui nous aide à mieux travailler ensemble pour le reste de la rencontre. Si seulement ça ne me faisait pas instantanément penser à Liam et aux blagues que l'on peut s'échanger entre nous. Je dois retrouver ma concentration, c'est Keiron qui m'entraîne là !
La petite Cobalt avait de la répartie. Une répartie telle qu’on aurait presque dit qu’il avait tendu le bâton pour se faire battre. Mais il ne le prit pas mal ; c’était après tout de bonne guerre, et même lui admettait que c’était bien envoyé. A défaut d’être forte physiquement, elle savait utiliser la parole à son avantage.
“Pfeuh. Et puis quoi encore.” répliqua t-il avec un sourire mesuré, tel le gros dur émotionnellement constipé qu’il était.
L’entraînement repris avant qu’il ne soit à nouveau brièvement interrompu. Lui aussi était capable de curiosité après tout, et il n’avait jamais véritablement réfléchi à la question. Il s’en est rarement pris à des femmes, d’autant plus que dans son milieu il avait plutôt affaire à la gente masculine. Il ne doutait pas que la question sonnait sans doute étrange voire peut-être inappropriée, mais cela lui était égal. Cali ne semblait pas particulièrement offensée, ni approbatrice d’ailleurs, aussi n’était-il pas totalement certain de ce qu’elle pouvait penser cet échange. Elle lui répondit toutefois, ajoutant au passage sa réserve au sujet de l’application d’une telle méthode au regard des capacités de son entraîneur de fortune. Ce dernier haussa légèrement des épaules.
“Ca dépend de la femme en question. J’ai déjà rencontré de sacrées teignes qui mériteraient qu’on y mette les moyens.”
La conversation se poursuivit, du moins, c’est Cali qui développa son propos. Elle avait bien plus de scrupules que lui, et c’était normal - du moins, il le supposait. Il était vrai que les femmes sont généralement moins enclines à faire usage de la violence, et qu’elles sont plus douées à trouver un terrain d’entente par les mots plutôt que par les poings. Enfin, en théorie. Il n’était pas totalement convaincu par cette idée. Il souffla du nez, amusé par la dernière réflexion de la jeune femme.
“C’est sûr que ça peut servir. Mais bon … vous devez être prête à tout. Certaines ne partageront pas votre envie de faire de la diplomatie.” déclara t-il. “Ca risque d’être le cas pour vous notamment. On peut chercher à vous faire du mal pour mille et une raisons en lien avec votre famille, et je vous garantie que dans ce genre de situation le sexe de vos aggresseurs importe peu. Vous risquez de voir de tout.”
Le sujet ayant été amené, c’était toujours un meilleur moment qu’un autre pour se risquer à poser la question qu’il avait en tête depuis le début de l’entraînement. Tout en croisant le regard de son élève, il lui demanda finalement :
“Est-ce que vous avez eu affaire à ce genre de personnes récemment ?”
Bien que la question initiale ait été un peu atypique, la discussion qui en résulte est assez intéressant pour que je ne me formalise pas du sujet comme tel. Surtout que, mine de rien, il n'a pas tort. Si un personne normale a statistiquement plus de chances d'être attaquée par un homme, je ne suis pas la demoiselle moyenne qui habite au coin de la rue. Ma mère est une figure politique hautement controversée et moi-même je ne suis pas du genre à passer inaperçue. J'ai mes propres détracteurs et l'oublier m'était impossible, surtout vu les événements récents.
« Effectivement. N'importe qui peut se laisser emporter à la violence pour ce qu'il perçoit être le bien de son idéologie. »
Surtout les gens qui défendaient justement le droit aux combats Pokémons. Était-il si surprenant que des individus déjà avides de sang pour leur propre divertissement n'auraient que peu de scrupules à blesser les autres ? Sans doute que mon air sérieux, et accessoirement ma main qui se pose sur mon bras récemment blessé, suffit à lui mettre définitivement la puce à l'oreille. Comme si ma présence ici et mes mots ne suffisaient pas déjà à vendre la mèche. Avais-je eu affaire à ce type d'individu récemment ? Je regarde nerveusement en direction des enfants qui, un peu plus loin, s'entraînent entre eux sans trop nous porter attention désormais. Ils ne devraient rien entendre et c'est tant mieux. Je n'ai pas envie de parler de ces trucs là devant des gamins et de risquer de les traumatiser ou quelque chose du genre. Toujours est-il que je n'ose pas croiser le regard de Keiron et que, à la place, c'est en admirant mes pieds que je prends finalement la parole.
« Ce n'est pas rare qu'il y ait des gens bizarres qui me tournent autour, mais... Oui. Il y a eu... un incident, plus récemment. C'est ce qui m'a motivée à venir ici, même si ça ne m'aurait sans doute pas beaucoup aidée. »
Je marque une pause, revoit la pluie dans ma tête, l'arrivée de Liam dans la ruelle et le sang couler. Je respire plus profondément, décide de continuer pour clarifier.
« J'étais en train de réussir à le semer, parce que je cours vite, alors il a plutôt décidé d'envoyer son Malosse pour m'arrêter. C'est bien la seule chose que je regrette : nous, les bonnes personnes qui refusons de mettre en danger nos Pokémons dans les combats, sommes aussi beaucoup plus vulnérables à ces individus égoïstes et sans scrupules. »
Je regrette un peu d'avoir parlé. À part Liam, qui était là quand c'est arrivé, Keiron est maintenant la seule autre personne au courant de ce qui s'est passé. Partiellement en tout cas. Il y a certains détails que j'ai bien envie d'amener avec moi dans la tombe.
Son regard ne rencontra que les yeux baissés de la demoiselle à la chevelure d’ivoire. Elle n’aurait pas eu besoin de parler pour que Keiron devine qu’il s’était effectivement passé quelque chose. Son changement d’attitude en disait suffisamment long ; et puis, participer à un cours tel que celui-ci traduisait au mieux un besoin, et au pire une peur. Il était bien placé pour le savoir. Non, la véritable question résidait en la nature de l'agression - et il ne comptait pas la pousser à en dire davantage. Après tout, peu de gens osaient se montrer vulnérable face à un parfait inconnu. Et pourtant, contre toute attente, Cali Cobalt le fit. Peut-être pas par confiance, mais simplement par besoin.
Les bras croisés, Keiron la laissa parler de tout son soul alors qu’elle révélait les circonstances de l’attaque. Il ne pouvait pas dire qu’il était particulièrement étonné qu’une telle chose ait pu se produire ; c’était après tout la malédiction des individus célèbres telles qu’elle. Et pourtant, prévisible ou non, et malgré le fait qu’il ne portait pas les familles dans son cœur, il ne pouvait s’empêcher de trouver ce qui s'était passé un brin regrettable. Peut-être était-ce la jeunesse de son élève, ou bien leurs échanges précédents qui l'avaient adouci contre sa volonté.
Pour autant, les dernières paroles de Cali l’irritèrent. Leurs visions étaient dramatiquement opposées, cela allait sans dire - et là était l’édifice même qui séparaient leurs mondes. En temps normal, il se serait sans doute emporté au regard des termes employés, mais il se raisonna à temps. Ce n’était pas le moment de ramener tout à lui. Il s’agissait d’elle.
Il inspira silencieusement, tempérant son aigreur. Cela ne l’empêchera pourtant pas d’être honnête.
“C’est vrai que vous ne pouvez pas vous permettre d’aller à l’encontre de votre propre discours.” déclara t-il finalement. “Mais s’il s’agit de vous défendre, vous ne pouvez pas non plus ignorer la réalité. Et la réalité, c’est que personne ne s’empêchera d’utiliser un Pokémon contre vous, peu importe vos principes.”
Cali ne lui avait pas fait l’impression d’être dénuée de bon sens ; elle avait dû venir à cette conclusion elle-même. Peut-être n’apprécierait-elle pas le coté brut de ses paroles. Cela lui était bien égal. Il continua :
“Soyons honnêtes : si vous devez vous défendre face à un Pokémon, vous n’allez pas pouvoir faire grand chose. Soit vous vous débrouillez pour ne jamais être trop loin de la Guarda, soit il va falloir que vous preniez les devants. Et ça veut dire apprendre à utiliser les sédatifs, ou bien à coopérer avec vos pokémons.”
Il sentait déjà le regard réprobateur de son interlocutrice, aussi poursuivit-il :
“La loi interdit les combats Pokémons, pas de vous défendre. Je ne vois pas en quoi une collaboration volontaire de l’une de vos bestioles est un problème, surtout s’il s’agit d’entraver l’ennemi au lieu de l’attaquer directement.”
Keiron admet que je ne peux me permettre d'aller à l'encontre de mon propre discours et ça m'en dit long sur sa vision de moi et des Familles. De son point de vue ce n'est qu'une position politique, que des mots que je ne pense pas nécessairement, mais auxquels je dois demeurer fidèle afin de ne pas m'attirer les foudres du public. Alors je le corrige sobrement, sans me lancer dans une grande explication.
« Ou plutôt à l'encontre de mes convictions. »
Bon c'est probablement inutile s'il croit déjà dur comme fer que je suis une hypocrite, mais peu importe. Ses points suivants, à défaut de me plaire personnellement, sont très logiques. La réalité est ce qu'elle est et certains maux sont nécessaires au final, qu'on veuille s'y abaisser ou non. Comme je l'avais souligné, les autres ne s'empêcheraient pas de m'attaquer avec un Pokémon juste pour respecter mes choix moraux. Puis, comme le brun le souligne si bien, mes options ne sont pas très très nombreuses : soit je reste collée à un membre de la Guarda sept jours sur sept, ce qui était tout bonnement impensable, soit je trouvais un moyen de me défendre à l'aide de mes Pokémons moi aussi. Je soupire, mécontente de devoir lui concéder un point.
« Je sais... »
Mon prof en rajoute : les combats sont illégaux, mais la légitime défense c'est autre chose. Puis bon si c'est une collaboration volontaire... Je déteste cette notion toutefois. Pour moi c'est fondamentalement erroné de croire qu'un Pokémon puisse vraiment consentir à ce genre de choses.
« Le problème c'est de trouver un Pokémon qui soit assez intelligent pour être capable de donner un tel consentement. Bien sûr on peut toujours avoir un Pokémon qui veuille nous défendre dans une situation immédiate, mais est-il pour autant capable de comprendre qu'il pourrait en mourir ou se retrouver handicapé à vie des suites d'un combat ? Et puis les Pokémons que j'ai déjà ne sont pas des combattants, ils sont doux comme des anges. Il faudrait que je fasse l'acquisition d'un troisième Pokémon et à partir de là aurais-je le temps de m'en occuper de manière appropriée et de lui prodiguer tout l'amour et tout les soins qu'il mérite ? C'est une décision qui doit être beaucoup plus réfléchie que de simplement embaucher un garde du corps de plus sur un coup de tête. C'est aussi pour ça que j'ai opté pour de l'auto-défense à la place, comme ça au moins je sais que je suis la seule à prendre ces risques pour ma propre protection. »
Keiron eut envie de rouler des yeux. Des convictions ? Vraiment ? De toute façon, ce n’était pas comme si Cali allait affirmer le contraire. Et quand bien même ce serait vrai, il trouvait horripilant de considérer tous les pokémons comme de pauvres petites créatures fragiles incapables de se défendre. Certes, certains étaient plus faibles que d’autres - il pensait notamment à son Tournicoton qu’il rechignait à faire combattre ; mais ne s’agit-il pas pour la plupart de bêtes aux pouvoirs extraordinaires ? Il était certain qu’avec le temps, même Rosa pouvait apprendre à handicaper ses ennemis. Mais il était d’accord avec Cali sur un point : cela signifiait du temps et de l’investissement que tout le monde ne pouvait pas se permettre. Lui-même veillait à bien s’occuper de ses Pokémons et de les traiter avec le respect qui leur est dû. Et d’ailleurs, tous ne possédaient pas le tempérament qu’il attendait de ceux qui rejoignaient son équipe personnelle. Les pokémons de Cali ne devaient pas être de la même trempe.
Quant à cette histoire de consentement … il ne savait pas comment se positionner par rapport à cela. Bien que cela lui faisait mal de l’admettre, l'argument de la Cobalt le faisait douter. Il balaya cependant cette pensée un instant pour rebondir sur les contre-arguments de la jeune femme.
“Il va quand même falloir réfléchir à une stratégie dans le cas où la même situation se reproduit. Vous seule pouvez décider de la solution qui vous convient le mieux, mais comme je vous l’ai dit … vos choix sont limités, et jusqu’à preuve du contraire, vous n’allez pas pouvoir affronter un Pokémon à mains nues.”
Et il n’allait pas décider à sa place, après tout ce n’était pas son problème ; il ne faisait qu'offrir son aide de manière complètement bénévole. Mais étant lui-même buté sur ses propres convictions et trouvant particulièrement stupide de se priver des pouvoirs des fidèles compagnons qu’étaient ces bestioles extraordinaires, il ne put s’empêcher d’insister :
“Ce n’est qu’un exemple, mais quand je vous parlais d’entraver l’adversaire je pensais à les paralyser ou les endormir à l’aide de l’un de vos Pokémons - ou au moins le repousser, le faire glisser ou trébucher …. Est-ce que l’un des votre en serait capable ?”
Je connais les arguments habituels et les miens sont prêts depuis longtemps. Nombreux sont ceux qui, plus ou moins officiellement, se sont amusés à me tester, à essayer de me faire douter de mes positions et de me placer à contre-courant des politiques de ma mère. Malheureusement pour eux, ce fut toujours un échec. Si je ne suis pas physiquement la plus forte, c'est dans les débats et les prises de parole que j'excelle et cette force j'en suis trop consciente pour me laisser déstabiliser. Le fait est que même le brun n'ose pas se lancer dans une plus profonde discussion idéologique. Je crois l'avoir surpris en tout cas juste assez pour qu'il se concentre plutôt sur les faits crus de ma situation, ceux qui ne changeront pas peu importe le temps que l'on gaspille à argumenter. Les faits sur lesquels je n'ai d'autres choix que de lui accorder raison en me renfrognant, peu contente de devoir m'incliner devant sa logique. Même si j'ai raison, le problème nécessite toujours sa solution et, comme il dit, attaquer un Pokémon à mains nues n'en est pas une.
« Oui, je sais. »
Mon ton est un peu plus sec cette fois, un peu plus mécontent. Un peu plus "princesse capricieuse qui déteste ne rien avoir à répliquer". Il n'a bien sûr rien fait pour mériter ma mauvaise humeur et je continue à l'écouter malgré tout parce que, jusqu'ici, ses conseils me paraissent tous sensés. Keiron précise d'ailleurs le fond de sa pensée, évoque de possibles capacités de paralysie ou d'entrave. L'un de mes Pokémons pourrait-il, à défaut de combattre au sens classique du terme, me faire gagner du temps ou entraver un adversaire le temps qu'arrivent les secours ou que je parvienne à prendre la clé des champs ? Il me faut vraiment réfléchir pour cela puisque, sans surprise, je ne suis pas très calée dans les combats pokémons et, par conséquent, dans les capacités que pourraient développer mes chéris.
« Lucifer sait faire un rugissement, je pense. Et Hel... Elle peut charmer les gens ? Remarque un vent glace en pleine tête ça doit dissuader un tout petit peu, mais c'est pas mal tout. Peut-être qu'il me faudrait un Pokémon plante ou quelque chose du genre ? C'est bien eux qui font les trucs genre poudre dodo et tout ? Ce serait une façon pacifique de me défendre et s'ils peuvent s'en servir un peu de loin ça limiterait les risques de danger pour le Pokémon aussi. Enfin... ça ne laisse pas de séquelles, si ? Vous avez des Pokémons vous ? »
Oh non, aurait-il touché une corde sensible ? Il eut un léger sourire moqueur face à la sèche réplique de son interlocutrice, mais il n’en rajouta pas davantage. Après tout, malgré la mine boudeuse de la jeune femme, cette dernière l’écoutait attentivement et réfléchissait sérieusement à la situation, partageant ses pensées à voix haute. Naturellement, cela l’amena à poser une question qui le dérangeait tout particulièrement. Ce n’était jamais agréable d’évoquer un sujet aussi fâcheux que celui-ci.
“... Oui, j’en avais plusieurs à une époque.” avoua t-il finalement face aux yeux bleus emplis d’instance qui le fixaient. “J’étais dresseur.”
Keiron garda ses pupilles sombres sur elle, mais ne semblait pas particulièrement fâché. Un peu renfrogné peut-être, mais pas envers Cali spécifiquement. Plutôt envers l’inconnu qui l’avait balancé à la Guarda. Mais cela, elle ne pouvait pas le deviner.
Il préféra changer de sujet.
“De ce que je comprends, vous avez un type glace ? C’est plutôt pas mal, il pourrait geler le sol par exemple. S’il est suffisamment fort, peut-être même qu’il pourrait générer des obstacles de glace.”
Ou de geler complètement ses adversaires. Ce ne serait pas très bon pour l’image de la famille Cobalt cela dit, mais au moins, elle pouvait être sûre que ses ennemis ne l’atteindraient jamais. Mais bien sûr, la méthode était loin d’être pacifique aussi ne l’évoqua t’il pas. Parler de Pokémons le rendait un peu plus de bonne humeur que d’habitude, étant un grand amateur du sujet. Il continua :
“Concernant les types plantes, c’est vrai qu’ils seraient pas mal pour vous. Ils ont généralement des attaques qui permettent d'incapaciter leurs adversaires - “berceuse”, “poudre dodo”, “para-spore” … C’est toujours utile, et tant que vous n’en abusez pas je ne pense pas qu’il y ait de danger particulier pour les Pokémons ou même les humains.”
Il eut une pensée pour son tournicoton, qu’il saurait utile dans ce genre de situations. Il enchaîna :
“Au sujet de Lucifer … “rugissement” c’est encore trop mignon, cela intimidera un peu son adversaire et le fera hésiter à attaquer éventuellement, mais ce n’est pas une garantie. S’il pouvait apprendre “hurlement” par contre, il y aurait de grandes chances de le faire détaler. Quelle est son espèce ?”
Une fois que j'ai répondu à ses questions, j'en pose une à mon tour, me demandant s'il est aussi qualifié pour me conseiller sur ce terrain là que sur celui des arts martiaux. Enfin, je remarque bien que son ton a changé en parlant de possibilités, de toutes les choses que je pourrais demander à mes camarades de faire pour ma protection. Malgré tout je suis quand même surprise lorsqu'il avoue aussi facilement. J'étais dresseur.
« Ah. »
Je ne sais sincèrement pas quelle autre réaction je pourrais avoir. C'est que, même si lui ne le sait pas, même si personne ne le sait, moi j'ai entendu des petites choses que je n'aurais pas dû. Je sais que la responsable de tout ceci, que celle qui a fait venir la Team Plasma à Cinza, c'est ma propre mère. Si Keiron parle au passé aujourd'hui, c'est grâce aux décisions directes de Lilith Cobalt. Mais est-ce que je me sens mal pour lui ? Je ne devrais pas, ses Pokémons méritaient probablement mieux que de se faire jeter en pâture à des adversaires dangereux pour le plaisir personnel du brun. Pourtant, contre toutes attentes, je suis compatissante quelque part maintenant que j'ai quelqu'un, un visage et un nom à mettre sur ces dresseurs dont l'activité principale a été criminalisée. Heureusement qu'il relance le sujet, m'offrant ainsi une porte de sortie que je m'empresse d'emprunter en acquiesçant lorsqu'il mentionne mon pokémon de type glace.
« Oui, c'est une givrali. Elle est forte pour poser pour les séances photos, mais sinon... »
Disons que je n'ai pas l'habitude de choisir mes camarades en fonction de leurs compétences hypothétiques dans le ring, là où ils pourraient perdre la vie sans raison valable. Ouais, heureusement que je n'avais pas dit la suite à haute voix. J'écoute néanmoins son petit cours sur les pokémons plantes vu que ça m'intéresse, mine de rien. Surtout que, selon ses dires, à petite échelle il n'y a pas de danger que ce soit pour les humans ou pour les bestioles qui les accompagnent et qui sont forcés, contre leur libre-arbitre, de commettre des actes répréhensibles.
« Ça pourrait être une piste à creuser alors. »
Et je le pense vraiment, même si je suis loin de m'y connaître assez pour savoir quel genre d'espèce me conviendrait. Puis je dois garder en considération les besoins particuliers que le Pokémon pourrait avoir, m'assurer que les conditions de vie à Cinza sont propices à son bien être et j'en passe. On ne dira jamais de moi que je ne suis pas une bonne maman pokémon ! Et parlant de mes bébés, c'est l'enfant à problèmes qui est ensuite mentionné par mon professeur du jour. Lucifer pourrait-il apprendre Hurlement ?
« C'est un miaouss. Enfin, ses parents venaient d'Alola. Je ne sais pas si ça fait une grosse différence ? J'avoue ne pas trop savoir ce qu'il pourrait apprendre ou pas. Mais puisque vous avez l'air de vous y connaître et que c'est... compliqué, disons, de trouver des gens qui ont ce genre d'expérience... Vous seriez intéressé à donner des cours pour ça aussi ? Je veux dire... d'auto-défense avec Pokémon ? »
“... D’auto-défense Pokémon ?” répéta t-il, circonspect, dans une tentative de rendre ce nouveau concept plus tangible dans son esprit.
Keiron fronça des sourcils, ne répondant pas immédiatement face au caractère improbable de la demande. Si on lui avait annoncé ce matin que Cali Cobalt elle-même allait lui demander de l’aider à entraîner ses Pokémons, il ne l’aurait jamais cru. Lui, Keiron Reis, dresseur et membre de l’équipe Zekrom, détenteur illégal de Pokémons, participant des combats de Cages ? L’ironie était telle qu’elle était presque magnifique. La fille de la femme qui l’avait empêché de continuer sa vie de dresseur, demandant des leçons de la part d’un véritable hors-la loi.
Il reprit, haussant légèrement un sourcil :
“Que je comprenne bien : vous voulez que j’apprenne vos Pokémons à se défendre ? Qu’attendez-vous de moi exactement ?”
Il essayait de gagner un peu de temps afin de pouvoir réfléchir. La réponse évidente face à une telle requête était négative. Excepté qu’en réalité, cela ne l’était pas tant que cela. Sans totalement disparaître, l’hostilité qu’il avait ressenti à son égard s’était un peu diluée au fil de leurs échanges. Bien qu’il n’aimait pas l’admettre, il s’était amusé en sa compagnie, et elle avait du caractère contrairement à ce qu’il avait imaginé. Toutefois, cela n’excusait pas sa façon de le regarder lorsqu’il lui avait révélé son “passé”.
Envers et contre tout, ils étaient tout de même très différents.
Oui, c'est bien ce que j'ai dit, de l'auto-défense Pokémon. Ça ne devrait pas être si compliqué que ça à comprendre, pas vrai ? J'ai l'impression que ça ne l'est pas en tout cas, mais j'ai peut-être tort vu comment le brun reste interdit face à ma demande. Je vois pratiquement les rouages s'activer au fond de ses yeux et, quelque part, je suppose que je ne peux pas lui en vouloir. Je dois bien être la dernière personne qu'il s'imaginait demander un cours d'initiation aux combats Pokémon, peu importe à quel point la demande elle-même est détournée pour paraître plus acceptable. Qu'est-ce que j'attendais de lui exactement ? Je détournai le regard, un peu revêche, vexée qu'il n'ait pas compris du premier coup et que je sois maintenant forcée de réitérer en paroles plus claires. J'ai bien l'impression que c'est le genre de chose que l'on croit dire dans la confidence et qui reviennent nous hanter dix ans plus tard en clip audio le jour même d'une nomination à un poste important. Mais bon, j'ai pas trop le choix et, mis à part mon petit excès de paranoïa, les chances pour qu'il soit en train d'enregistrer notre échange sont plutôt nulles.
« Vous savez ce que je veux dire... Si je veux pouvoir me défendre avec l'aide d'un de mes Pokémons, il y a des trucs que j'ai besoin d'apprendre. Genre... euhm... »
Je connais tellement rien que, pour le coup, s'en est difficile de savoir ce que je dois apprendre. Même avant l'adoption de la Nova Existência je n'avais jamais fait de combats Pokémons, ayant bien trop peur que Lucifer en ressorte blessé. Il me faut donc creuser loin pour piocher dans mes maigres connaissances et compléter ma pensée.
« Genre les avantages de type, c'est un truc qui existe, pas vrai ? Enfin, j'en connais quelques uns qui sont basiques, mais sans plus. Bref, si vous ne voulez pas il suffit de le dire et puis tant pis, de toute façon ce n'est pas comme si je voulais vraiment apprendre ces trucs, c'est juste en cas de légitime défense, mais je peux tout à fait me débrouiller autrement. »
Malgré l’impatience de Cali, Keiron demeura impassible alors qu’elle expliquait les attendus que recouvraient sa proposition. Il se garda bien de l’interrompre, attendant tranquillement qu’elle ait finie ; quand ce fut fait, il laissa planer un petit silence de trois secondes avant de finalement rétorquer :
“Hm. Ouais, je vois. Donc vous en avez envie mais pas vraiment.”
Un léger sourire provocateur qu’il ne parvint pas à réprimer vint animer ses lèvres. Bien évidemment, il exagérait volontairement ses propos. Il n’avait pas pu résister - la Cobalt étant fière et un brin susceptible, il espérait qu’elle morde à l’hameçon : la voir s’agiter était plutôt distrayant.
Entre-temps, son regard semblait avoir repris de l’éclat. Son temps de réflexion était à présent révolu, et dès que ce fût opportun, il partagea sa décision finale :
“Aller, pourquoi pas. Je vais vous aider. Mais à condition que vous soyez discrète à ce sujet, j’ai pas envie d’avoir d’ennuis. Et j’ai pas non plus envie qu’on vienne me poser de questions.”
C’était la seule chose qu’il avait véritablement à perdre en acceptant cette offre. Entraîner quelqu’un d’autre que lui-même sonnait comme une expérience intrigante, ce qui n’était pas sans faire écho à ce qu’il avait ressenti plus tôt en prenant plus au sérieux l'apprentissage de son élève de fortune. Quant à leurs différents, il pouvait bien les mettre en parenthèse ; ils n’avaient pas besoin de s’apprécier pour qu’il lui apprenne des choses sur un sujet qui le passionne. Tant qu’elle savait se tenir et que personne n’était au courant de cette petite expérience, cela lui convenait très bien. Il n’avait vraiment pas besoin que des paparazzis viennent creuser son passif avec la Guarda, notamment ; l’incident n’était pas particulièrement lointain.
“Par contre je vous préviens, je suis souvent occupé. On pourra quand même s’arranger pour se voir une fois par semaine au moins. Ça vous va ?””
Sur la fin j'ai peut-être fait un peu marche arrière, je l'admets. J'ai essayé de me défendre en minimisant mon intérêt pour ce que je continue d'appeler l'auto-défense avec Pokémon histoire de ne pas nommer ce que c'est véritablement. Il faut admettre que c'est plutôt gênant, surtout quand l'autre fait un long silence plutôt que de me répondre directement. Comme ça j'en ai envie, mais pas vraiment ? Je vois son sourire de petit chieur là, il n'attend que de me faire réagir et de se payer ma gueule. Il veut que je le contredise, que je m'énerve. Hors de question de lui donner une telle satisfaction.
« Exactement ! J'en ai même pas tant que ça envie ! »
Et bam ! Je parie qu'il ne s'attendait pas à ça ! Enfin, heureusement que, malgré mes propres bêtises, il considère quand même ma requête avec sérieux avant d'y poser ses propres petites conditions. Comment ça il veut que moi je sois discrète ? Je cligne des yeux quelques fois, un peu confuse. C'est lui qui a peur qu'on vienne lui poser des questions ? J'ai un tout petit peu envie de lui rappeler que, de nous deux, ce n'est pas lui qu'ils vont aller harceler en premier vu que le grand public se fou de Keiron Lambda en dehors de ses interactions possibles avec moi justement. Mais bon, vaut mieux ne pas lui donner des idées parce que, s'il réalise que j'ai beaucoup plus à perdre que lui dans cette histoire, il y a des chances pour que je me retrouve aux prises avec un problème de chantage ou je ne sais pas quoi. Pour l'heure je préfère donc me contenter d'apaiser ses craintes et d'aller dans son sens parce que ça m'arrange aussi.
« On ne se connait pas et je ne vous ai jamais rien demandé en ce qui me concerne donc pas de soucis à avoir. »
Mais le grand brun n'a pas fini de se prendre pour le Cobalt ici on dirait bien. Lui, occupé ? Ah ! S'il verrait mon horaire le pauvre il en tomberait ! Même que, quand il me dit une fois par semaine au moins c'est moi qui manque de peu de trébucher sur de l'air. Je dois remettre les pendules à l'heure sinon on va avoir des problèmes d'horaire.
« Minute Papillusion ! Le mieux que je peux faire c'est une fois toutes les deux semaines. J'ai des travaux universitaires à faire, des répétitions de ballet, des événements de charité auxquels assister et de l'auto-défense en plus maintenant, je peux pas me libérer n'importe quand juste comme ça. »
Son sourire ne disparu pas malgré la réaction peu explosive de la demoiselle. Keiron se contenta très bien de sa réponse à ses yeux enfantine laquelle, d’ailleurs, semblait amplifiée par leur différence de taille. Dans ces conditions, il était tout bonnement incapable de la prendre au sérieux. Ainsi, loin de se démonter, il la toisa flegmatiquement de toute sa hauteur.
“Si vous le dites.” répliqua t’il d'une voix tranquille, mais dont le ton laissait à présager qu’il n’était pas convaincu par l’affirmation de son interlocutrice.
Ayant posé ses propres conditions concernant sa nouvelle responsabilité, il fut normal que Cali y réagisse. L’attitude de cette dernière se fit plus calme et diplomate - pour autant, elle ne semblait pas avoir compris son sous-entendu. Il était donc temps qu’il corrige le tir :
“Ce n’est pas ça. Je n’ai juste pas envie de me retrouver à la une d’un magazine people juste parce qu’on nous a aperçu ensemble. Vous restez une personnalité publique envers et contre tout.”
Il trouvait déjà étonnant qu’elle n’ait pas été suivie jusqu' ici. La fille de l’intendante qui participe à un cours pour enfant … cela aurait fait un potin plutôt croustillant à se mettre sous la dent. Mais qui sait, peut-être n’était-elle pas constamment suivie comme il pouvait se l’imaginer. Il y avait d’autres dangers cela dit. Son regard dériva un instant sur les enfants qui avaient commencé un autre exercice, puis sur les trois dames qui parlaient entre elles sur un banc à la limite du terrain.
“Et si ce n’est pas des journalistes, ça va être le péon moyen qui va publier ça sur les réseaux sociaux. Mais bon, vous savez déjà ce genre de choses je suppose.”
Alors qu’il formulait à voix haute cette pensée, il se rendit compte qu’il aurait détesté être à sa place. Il n’y avait jamais vraiment pensé, mais la popularité était en soi une malédiction.
La question de leurs rendez-vous fini par être évoquée. Il était prêt à la voir une fois par semaine, ce qui était pour lui un rythme normal ; mais visiblement, c’était déjà trop pour son élève qui commença à lister toutes ses responsabilités. Il roula des yeux face à cette forme de vantardise.
“Oh non, mes excuses votre majesté.” répliqua t’il non sans ironie. Il poursuivit, plus sérieux : “Mais sans rire. Le plus simple serait que vous me fassiez signe quand vous êtes libre, et je vous dirai si c’est bon pour moi ou non. Vous avez un numéro ?”