"La mort n'est pas la pire chose dans la vie : le pire, c'est ce qui meurt en nous quand on vit" (Albert Einstein)

Loin d’en être venu à une telle issue, en vérité Luciano redoublait d’efforts pour tenter de combler son impuissance qui s’étirait dans le temps et désespéré, l’homme avait même laissé Elsa-Mina le convaincre de faire venir un comportementaliste dans l’espoir de se voir donner des pistes. Rencontré quelques jours plus tôt à l’occasion d’une recherche ô combien singulière – celle d’un Pichu égaré qui n’était pas sans faire écho à ses propres tragédies – la scientifique n’avait pas manqué de glorifier un certain Norah Mihokawa, avec qui Luciano avait finalement accepté de prendre rendez-vous, par acquis de conscience plus que par réelle conviction.

La fin de l’après-midi pointait le bout de son nez lorsque l’intendant reparut aux abords de la Tour Viridis, les bras chargés d’un sac en papier brun au contenu mystérieux. Officiellement sorti pour sa séance de kiné – ce qui en soit était vrai – ce que l’homme avait fait par la suite était connu de peu et relevait d’une illégalité qui lui aurait valu bien plus que des problèmes, mais Luciano Viridis n’était pas un homme à laisser ses habitudes se faire mettre à mal par des lois trop drastiques, quand bien même les devait-il à son très cher frère. Traversant sans considération le grand hall du rez-de-chaussée dont la sécurité avait été renforcée depuis son "accident" – des portiques avaient été installés pour trahir la présence de pokémons clandestins – perdus dans ses pensées le puîné laissa par la suite l’ascenseur le monter jusqu’au dernier étage, où son arrivée fut célébrée par la venue timide de la Lougaroc et de cet idiot de Brindibou que l’intendant avait eu l’imbécilité de rapporter de l’Île aux Monstres. Posant le paquet sur le plan de travail de la cuisine ouverte, l’intendant farfouilla dedans pour en sortir un sac plus petit, dont la mollesse révélait en partie ce qu’il renfermait.

« — Gara » l’interpella Luciano tandis qu’elle s’éloignait déjà.

Se figeant, la Lougaroc eut un regard en arrière. Que lui voulait-il ?

« — Gara, viens » l’invita-t-il doucement.

Loin de vouloir le contrarier Gara revint sur ses pas, observa de son regard émeraude les faits et gestes de son maître. Déballant le paquet rapporté, dans les mains du puîné apparue bientôt un large morceau de viande qui, en d’autres circonstances, n’aurait pas manqué de la faire saliver et trépigner d’impatience. La couleur et l’odeur trahissait son origine – c’était du Tauros, à n’en pas douter – et lorsque Luciano lui en tendit un bout, Gare à Toi se contenta de le renifler de manière distraite, avant de finalement s’en détourner. Loin de jeter tout de suite l’éponge, l’intendant tenta de persévérer.

« — Gara, fait un effort. Cette pièce m’a coûté un bras » déclara-t-il.

Mauvais choix de mots, mais c’était vrai. Si pour des raisons évidentes Luciano avait été obligé de la réduire, l’homme n’avait pas laissé la Nova Existência le priver de sa propre consommation de viande et, par extension, n’avait pas permis aux nouvelles lois de venir modifier le régime carnassier de la Lougaroc, un régime sur lequel l’Elecsprint n’avait pas non plus craché. De part ses nombreux contacts, l’intendant avait su trouver les bonnes adresses tant en matière de qualité qu’en matière d’éthique et Gara avait toujours su apprécier cet apport régulier de chair fraiche, qui de loin avait toujours fait partie de ses mets préférés, jusqu’à aujourd’hui. Cherchant malgré tout à faire plaisir à son maître, Gare à Toi détailla de nouveau le morceau de viande, s’y attarda plus longtemps … et contre toute attente, l’attrapa entre ses crocs. Pour la première fois depuis longtemps, Luciano sentit son cœur faire un bond dans sa poitrine, mais l’instant de félicité fut de courte durée car bien vite, la Lougaroc se ravisa. Lâchant la viande qui tomba sur le carrelage aux larges dalles grises, la louve leva un regard désolé en direction de l’intendant. Derrière-lui, Luciano pouvait sentir l’Elecsprint lorgner sur la nourriture délaissée et l’attention soudainement attirée par les vibrations de son téléphone, le puîné se releva, abandonna les deux canidés et le morceau de viande qui, il le savait, ne serait pas disputé.

Au bout du fil se tenait Kerack, qui en digne majordome l’informait de l’arrivée de Mihokawa. Lui intimant d’accompagner le comportementaliste jusqu’au dernier étage, Luciano prit soin de ranger le frauduleux paquet dans le réfrigérateur et les deux chiens étaient depuis longtemps partis vaquer à leurs occupations lorsque l’ascenseur laissa apparaître Kerack, accompagné d’un blondinet aux yeux vairons, dont la jeunesse ne faisait aucun doute. Luciano se trouva surpris un moment … quoi, allait-il vraiment laisser un enfant lui donner des conseils ? Mina avait omis de lui mentionner ce détail et cherchant à dissimuler sa déception, Luciano tâcha de faire bonne figure. L’intendant de Borao n’oubliait pas que le jugement de la scientifique n’était pas sans valeur, aussi mieux valait-il donner à ce garçon une chance.

L’arrivée du comportementaliste fut hautement surveillée par le regard aiguisé de Protecteur, qui d’un œil méfiant s’était mis à scruter chacun de ses mouvements. Egale à elle-même en ces temps étranges, couchée dans un panier Gara avait à peine dressée une oreille, contrairement au Brindibou qui, en digne concierge de la troupe, s’était empressé de rejoindre l’entrée pour aviser le nouveau venu. S’évertuant à se montrer affable, Luciano s’approcha à son tour du jeune homme, le salua d’un sourire poli.

« — Monsieur Mihokawa » l’interpella-t-il en guise d’introduction « Merci d’avoir pris le temps de nous rendre visite. Sentez-vous ici comme chez vous » déclara l’intendant.

Gare à Toi brillait encore par son absence, mais croire qu’elle viendrait était bien mal connaître le trouble qui la rongeait.

1090 mots | Ft. Norah Mihokawa