Mis en valeur par l’auréole fluctuante d’une ampoule noircie qui chutait, plus qu’elle ne pendait, du plafond craquelé surplombant le petit appartement encombré d’autant d’affaires orphelines que de poussière, un vieux journal trônait sur une masse de feuilles volantes qui dévoilait à peine la silhouette d’un bureau. Le carnet, relié de cuir, témoignait de son grand âge par son usure évidente, l’épaisseur ondoyante de ses pages gondolées et les taches douteuses qui parsemaient sa couverture ternie : sur une étiquette écornée et à moitié arrachée, l’on pouvait lire « Professeur Odeshi », suivi de la mention en plus petit « Archéologue et chercheur en Pokémonologie antique ». Le journal comportait plusieurs centaines d’entrées, mais seules quelques-unes d’entre elles se révèleraient utiles au lecteur avisé.

Entrée n° 112 : Ça y est, mon frère est papa. Jamais je n’aurais cru devenir oncle un jour, et pourtant, c’était bien dans la suite logique des choses, après le mariage, le déménagement et tout le reste. J’imagine que lui et ma belle-soeur sont aux anges, à l’heure actuelle - ça doit expliquer pourquoi ils ont tardé à m’annoncer la nouvelle. Si on omet les aléas du réseau provoqués par la distance, bien sûr… Kalos, ce n’est pas la porte d’à côté quand on se trouve à Kanto.
Le mail a quand même réussi à transmettre quelques photos, ainsi que le prénom du bambin : il se nommera donc Lekka. Lekka Odeshi. Plutôt original ; je ne suis pas sûr d’avoir déjà entendu ce patronyme avant. Sur les images, il a l’air bien portant, rougeaud comme il se doit et aussi potelé qu’une brioche sortie du four. Heureux, même si je pense que tous les marmots de cet âge portent le même genre d’expression béate. Ah, c’est quelque chose que je ne comprendrai sans doute jamais : comment peut-on s’ébahir devant la face boudinée de ces petits vers de terre qui se ressemblent tous, tout serrés qu’ils sont dans leurs langes ?  Ça me dépasse ! Enfin, je suppose que le fait de contempler la chair de sa chair ne doit pas être étranger au phénomène.
Cela écrit, il est plus que temps que je me remette à l'œuvre. C’est qu’il y a un certain décalage horaire entre ici et Kanto, et moi, j’ai toujours une pile de dossiers à analyser qui prennent la poussière sur mon bureau…

Entrée n°236 : Je viens tout juste de terminer la rédaction de mon rapport sur les Ruines de Bonville et la corrélation possible entre sa population de Zarbi et la disparition, tout au long de l’Histoire de Sinnoh, de certains Pokémon de bétail élevés dans les fermes proches, les rendant peut-être même responsables de cette fameuse pénurie de Lait Meumeuh qui eut cours durant les années 20. J’espère bien que cette fois, les preuves irréfutables que j’ai apportées suffiront à convaincre cette vieille bande de dégénérés qui s’arroge le titre pompeux de Conseil international des historiens-chercheurs de la validité de mes soupçons ! Je commence à en avoir assez de voir mon travail et mon investissement constamment remis en cause par quelques vieillards trop impotents pour aller vérifier les faits par eux-mêmes.
Oh, c’est vrai : j’ai reçu quelques nouvelles de mon neveu, cet après-midi. Ma belle-sœur est intarissable à son sujet, et je crois bien qu’elle a réussi à contaminer mon frère… Bref, toujours est-il que Lekka a bien grandi depuis la dernière fois que je l’ai vu. À l’époque, il fêtait son premier anniversaire… et désormais, il fait sa rentrée à l’École avec un grand É. Ses parents s’inquiètent déjà de ce que la séparation et le contact avec les autres enfants pourraient donner. Ils le couvent un peu trop, à mon sens, et se font du mouron pour rien comme tous les jeunes parents : on a tous été un peu capricieux et difficile durant l’enfance (et pour certains, ça ne s’améliore même pas en grandissant !). Rien de grave, même si c’est forcément un peu éprouvant, au départ, de se retrouver isolé de sa famille et entouré d’inconnus. Qu’ils gardent confiance : je suis persuadé que ça se passera aussi bien pour leur petit que pour n’importe quel autre.
Ah, je viens de me rendre compte que j’ai oublié de traiter dans mon rapport tout un pan de l’énergie psychoplasmique des Zarbi et de son influence dans la modification de leurs comportements sociaux ! Il faut absolument que je m’y remette avant de devoir y sacrifier une nouvelle nuit de sommeil…

Entrée n° 285 : Ça n’a pas été facile de me dégoter une autorisation pour pénétrer les strates inférieures du Château Enfoui, mais désormais ça y est, je l’ai ! Le papier salvateur trône sur mon bureau, juste là, devant moi et mon carnet gribouillé. J’ai hâte d’enfin mener ces fouilles dont je rêve depuis mon arrivée à Unys, et de pouvoir ainsi, peut-être, prouver le lien entre nos Zarbi bien de chez nous et les Cryptéro locaux - voire mettre au jour une évolution perdue depuis des millénaires ! Un tel sentiment d’excitation ne m’avait plus habité depuis mes jeunes années, quand j’arpentais Kanto du haut de mes trois pommes en quête des Badges d’Arène. C’est la même sensation d’émerveillement caractéristique que j’avais éprouvé à l’époque face à la vastitude du monde, et de ses secrets qui n’attendaient plus que moi pour se dévoiler. Je me demande si Lekka ressent la même chose, lui qui est sur le point d’entamer sa propre aventure en tant que Dresseur Pokémon. Je suis surpris que sa mère l’ait autorisé à quitter son giron pour parcourir seul les routes, surtout après les ennuis que ses petits camarades n’ont cessé de lui causer à l’école ; mais c’est peut-être justement pour ça que ses parents ont décidé de lui lâcher la bride, pour lui permettre de s’égayer l’esprit avec d’autres préoccupations. Et puis, le tour des Arènes, ça reste une institution au pays, pas vrai ? De toute manière, il ne sera jamais vraiment seul : il aura son partenaire avec lui - je crois qu’ils lui ont choisi un Évoli ? Dans tous les cas, ce voyage ne pourra que l’aider à se raffermir, à s’ouvrir aux autres et à grandir.
Je l’espère pour lui, en tout cas. Lui et moi n’avons pas souvent eu l’occasion de nous voir à cause de mes obligations qui me traînent d’un bout à l’autre du monde, mais du peu que j’ai pu le côtoyer, je l’aime bien. C’est un brave petit gars, un peu perché, peut-être, mais son ardeur me rappelle moi au même âge…
Allez, temps de conclure. La nuit a bien avancé et je veux me lever tôt demain pour entamer au plus vite les recherches au Château.

Entrée n°298 : Je suis rentré en coup de vent à Kanto, juste à temps pour voir mon neveu alors qu’il s’apprête à reprendre le fil normal de ses cours. Son voyage de Dresseur a été de courte durée, mais ça l’a changé, je peux le voir dans la lueur nouvelle qui éclaire son regard. Il a réussi à arracher trois Badges aux Champions avant de devoir s’incliner, et de reconnaître que la voie du dressage n’est pas faite pour lui. C’est moins que la moyenne, mais le fait qu’il ait accompli tout ce chemin en seule compagnie de son Évoli - qui a d’ailleurs évolué en Noctali entretemps - est digne d’autant de respect, à mes yeux, que le parcours de n’importe quel autre compétiteur.
J’ai pu causer un peu au gamin, qui me paraît un tantinet plus sage et responsable depuis son périple : il est déçu de ne pas avoir su aller plus loin, chose compréhensible, et appréhende quelque peu de retrouver le cadre strict de l’école. Je lui ai dit de ne pas s’en faire : toute l’expérience qu’il a acquise lors de ces derniers mois lui sera utile pour gérer la pression de ses années collégiennes, en plus de lui avoir révélé sa passion enfouie pour les Pokémon. Ce dernier constat, associé à son intelligence et à la curiosité manifeste qu’il témoigne envers les récits de mes voyages et de mes recherches, tend à me convaincre qu’il ferait un bon chercheur Pokémon… Oui, ça ne me dérangerait pas trop de l’avoir comme assistant, je crois !
Mais je digresse. Il est encore jeune, il a tout le temps de décider par lui-même son avenir. Il n’y a juste pas de mal à vouloir lui donner un petit coup de pouce, hein ?

Entrée n°360 : Mon manuscrit sur les relations Zarbi-Cryptéro et la façon dont leurs espèces auraient pu manipuler nos ancêtres pour créer la civilisation humaine telle que nous la connaissons patauge. Je manque de preuves cohérentes, et le peu de soutien qu’il me reste parmi la communauté scientifique s’amenuise plus vite qu’un pot de miel en présence d’un Teddiursa. Il faut absolument que je découvre le chaînon manquant qui permettrait à toute ma théorie de tenir debout, sinon je peux dire adieu à ce qu’il reste de ma réputation, à mon titre de professeur et à toutes ces années passées à défendre une piste trop avant-gardiste pour ces hurluberlus du Conseil ! (Ces vieux hiboux cataleptiques ne se rendent même pas compte que le fruit de mes réflexions permettrait d’expliquer certains des plus grands mystères de notre ère !)
Ah, ce n’est vraiment pas une période réjouissante pour qui que ce soit… J’ai encore reçu des messages anxieux de mon frère, à propos de la pente glissante sur laquelle Lekka s’est engagé depuis quelque temps. Il commence à filer un mauvais coton, le gamin, à se faire retourner la cervelle par des petits voyous qui n’ont que faire de lui, et ses notes à l’école s'en ressentent. Le pauvre est tellement à la recherche d’attention et de validation de la part de ses camarades qu’il ne se rend même pas compte qu’on le mène à la baguette. Ces ados, ils se pensent aussi matures et éclairés que des adultes alors qu’ils n’ont encore rien perdu de leur naïveté d’enfant ! J’espère vraiment qu’il va revenir dans le droit chemin. Ça ne lui ressemble pas, d'aller chercher des noises au premier venu, tout en se faisant exploiter et marcher sur les pieds par la racaille ; ça ne le rendra pas heureux, je suis prêt à y mettre ma main au feu. Enfin, il a toujours Kohaku pour veiller sur lui. Je croise les doigts pour que ce Noctali ait les épaules plus solides et sache mettre un peu de plomb dans la petite tête influençable de son maître… Et peut-être que, si l’occasion se présente, je passerai moi-même lui toucher un mot sur sa situation. En tant qu’excentrique patenté et mouton noir de la famille depuis bien plus longtemps que lui, je sais y faire avec les marginaux, et il acceptera peut-être de me livrer ce qu’il a sur le coeur.

Entrée n°451 :  J’ai abandonné l’idée de publier un jour mon article sur les Zarbi et les fondations de l’humanité. Du moins, devant la communauté scientifique officielle : ces charognards n’ont pas hésité à déchiqueter toute une vie de travail de leur bec acéré, mais peu importe les failles de mon raisonnement, je n’en démordrai pas ! Je trouverai un moyen de prouver la logique de ma théorie, et au diable ces gredins bouffis de certitude !
Sur une note plus optimiste, je crois que Lekka a enfin repris pied avec la réalité. Sa dernière mésaventure l’a définitivement convaincu que ses « amis » n’en étaient en fait pas vraiment, et qu’il ne souhaitait en aucun cas faire partie de leur bande de malfrats. J’ai été soulagé d’apprendre qu’il avait ouvert les yeux, et ses parents aussi, c’est indéniable ; je ne sais jusqu’où les imbéciles qu’il voyait comme des personnes de confiance auraient pu l’entraîner, sinon…
Désormais, le gamin a repris du poil de la bête et se consacre avec sérieux et application à ses études. Il doit bien avoir, quoi, quinze ans maintenant ? Seize ? Le temps passe si vite, bon sang… Il a déjà atteint l’âge où les affres de l’adolescence touchent à leur paroxysme avant de s’estomper peu à peu. J’espère bien que ces signaux encourageants prouvent qu’il se trouve du bon côté de la courbe…
Je n’ai pas renoncé à mon idée de lui proposer une place à mes côtés, mais au vu des récents événements et du regard que la communauté scientifique internationale pose sur moi en ce moment, je ne sais si c’est lui faire un véritable cadeau. De plus, Lekka a développé une nouvelle lubie ces derniers temps, porté par sa passion grandissante pour les Pokémon et par ses rêves de grandeur : il s’intéresse de plus près aux formations de Ranger, qu’il voudrait, dans l’idéal, mener en parallèle des cours. Il veut se rendre utile aux humains comme aux Pokémon, qu’il dit. Bah ! On verra où ça le mènera, et si sa motivation ne s’étiolera pas au bout de quelques jours d’exercice physique trop intense…

Entrée n°474 : J’ai pu voir Lekka un peu plus souvent ces derniers temps. Rester en stand by à la maison a ses avantages. Le lycéen qu’il est devenu est toujours aussi ahuri et mal luné, si bien qu’il s’attire encore les foudres de quelques importuns à l’école, mais il ne paraît plus disposé à se laisser emporter dans des histoires sordides pour les beaux yeux de ses camarades, ce qui est une nette amélioration de sa précédente condition. Kohaku veille au grain sur lui, et moi aussi - du moins, j’aime à me le dire, mais je ne peux pas faire grand-chose depuis mon fauteuil rembourré. Je lui ai ramené de Galar un beau bracelet à boucles en cuir dont il est tout de suite tombé amoureux, et l’accessoire ne quitte plus son poignet, à présent. Oserais-je dire que cette attention réchauffe mon vieux cœur aigri ? Ma foi, il semblerait…
Lekka est particulièrement investi dans sa nouvelle formation de Ranger. Lui qui n’a pas été gratifié d’un physique à toute épreuve par Dame Nature, il a persévéré et a réussi à se hisser parmi les sportifs, les bêtes de somme et les armoires à glace. Ç’a l’air de le passionner, ce rude train de vie dévoué aux Pokémon et aux étendues sauvages. Il ne sera peut-être pas mon assistant, en fin de compte… Mais bon, je me suis fait une raison. Le gamin mérite bien de réussir dans la voie qu’il a choisie, après toutes les difficultés qu’il a dû affronter pour trouver sa place en ce monde.

Entrée n°478 : Miséricorde.
Pourquoi le destin s’acharne-t-il à frapper ceux qui ne l’ont jamais provoqué, et ne cherchent qu’à vivre une existence paisible ? J’en ai oublié mes propres déboires avec mes collègues : toutes ces querelles puériles me paraissent complètement insensées, maintenant. Lekka… Mon pauvre Lekka, mon cher petit neveu.
Tout est arrivé si vite que j’ai encore du mal à rassembler mes esprits autour des événements de ces quelques terribles semaines. Ç’a commencé par un coup de fil de ma belle-soeur qui, morte d’inquiétude, délivra d’une voix brisée par l’émotion son message funeste : Lekka avait eu un accident durant l’un des entraînements de sa formation. Et pas un accident bénin, du genre tomber d’un arbre, se cogner contre un rocher ou même se briser un os - Arceus, comme j’aurais préféré qu’il se brise un os ! Mais non, pas du tout, ce n’était rien de tout cela. C’était bien plus grave.
Le malheureux garçon accomplissait son exercice avec vaillance lorsque, tout à coup, il se plia en deux, hoqueta, toussa, et serra ses mains moites contre sa poitrine, à l’emplacement de son coeur ; le souffle coupé, il se stoppa net, cependant que ses tuteurs s’empressaient de l’amener sur le côté tout en faisant chercher l’infirmière du complexe. On l’assit sur un banc et la soignante, accompagnée de son Leuphorie, effectua quelques manipulations sur lui jusqu’à ce que sa toux et son souffle irrégulier s’apaisent. Le pauvre gamin tremblait lorsque l’infirmière lui annonça d’un ton concerné qu’il devrait consulter un médecin pour lui faire part de ce qui venait d’arriver, et qu’il devrait essayer d’obtenir son diagnostic au plus vite, car ce genre de crise pouvait consister une sévère contre-indication à la poursuite de sa formation.
Désespéré, Lekka annonça l’angoissante nouvelle à ses parents, qui avaient été appelés sur les lieux en urgence. Quelques jours plus tard et après avoir fait des pieds et des mains pour dégoter dès que possible un rendez-vous avec un cardiologue, le verdict est tombé dans toute sa crude brutalité : l’adolescent est atteint d’une malformation du cœur. Cette dernière évolue progressivement, expliquant le fait qu’on ne lui ait rien détecté auparavant et qu’il soit resté asymptomatique pendant toutes ces années. Le seul remède à sa maladie, outre un traitement médicamenteux pour soulager ses crises, est l’intervention chirurgicale… Et comme tout, même si elle peut améliorer grandement son espérance et sa qualité de vie, elle n’est pas sans risque. Néanmoins, l’évolution de la malformation ne sera pas plus favorable si on ne fait rien ; si bien que Lekka a accepté l’idée de se faire opérer au plus tôt, quoique je n’ai aucun doute sur sa réelle appréhension…
L’intervention est prévue pour dans quelques jours. Je pense rester dans la région jusque-là, au moins pour être en mesure de rendre visite au petit gars après sa chirurgie. La médecine moderne, couplée aux capacités des Pokémon, peut faire des merveilles, et je souhaite de tout coeur qu’elle lui permette de se rétablir et de nous revenir vite…

Entrée n°480 : Je n’ai toujours pas repris le boulot. Lekka a subi son opération avec succès, grâce en soit rendue à l’une ou l’autre des forces cosmiques qui gouvernent notre univers. Le gamin est épuisé, évidemment, et il est encore sous surveillance médicale à l’hôpital ; mais son état est stable et nous avons pu lui rendre visite. Il était tellement content de nous voir. Je ne peux que le comprendre : privé de son Pokémon partenaire et isolé du reste de sa famille, le pauvre avait dû gérer les angoisses de sa situation tout seul dans un environnement stérile. Cependant, il n’est plus livré à son sort, désormais : nous comptons bien le récupérer dès qu’il sera en capacité de marcher. Sa mère sera aux petits soins avec lui, je le vois déjà…
Je ne pourrai jamais assez exprimer ma gratitude envers les médecins et les soignants, humains et Pokémon confondus, qui ont pris en charge mon neveu d’une main si experte. La science fait des miracles, mais je suis intimement persuadé que sans les dons curatifs des Leveinard et des Leuphorie qui peuplent les locaux, la convalescence de Lekka aurait été bien plus pénible - et le principal intéressé n’est pas le dernier à le penser.
Malheureusement, sa chirurgie ne pouvait pas réparer l’irréparable, et le garçon conservera des séquelles durables de son mal : obligé de suivre un traitement à vie pour son arythmie cardiaque, il doit également se faire surveiller par un cardiologue à intervalles réguliers, et ne peut espérer retrouver un jour les mêmes capacités physiques qu’un autre jeune de son âge. Le coup le plus dur, pourtant, a été porté à son ambition de Ranger Pokémon. Du fait des contraintes de sa maladie, Lekka n’est plus considéré comme apte à suivre le difficile quotidien d’un Ranger… une décision sans appel qui l’a passablement dévasté, comme on peut l’imaginer. Pauvre gamin… Au moins, ce n’est pas un mauvais élève : il devrait pouvoir reprendre le lycée comme il se doit, tout en disant adieu à ses rêves de forêts vierges et de sauvetages héroïques. J’ai bien vu qu’il accusait le coup, mais il n’a plus le choix… Je compte sur lui pour ne pas jeter l’éponge et échouer en classe à cause de cette déception, toute injuste qu’elle soit.

Entrée n°505 : Mes dernières recherches en matière de civilisations antiques laissées au contact des Zarbi pointent toutes dans la même direction : la région lointaine (et quelque peu instable, il faut l’admettre) de Cinza, à l’autre bout du globe. J’ai déjà entamé les préparatifs pour m’y rendre sous peu, mais je ne néglige pas pour autant de visiter Lekka afin de prendre de ses nouvelles. Faute de mieux, le gamin s’est fait à sa nouvelle condition et à toutes ses contraintes ; fort heureusement, il n’a pas lâché ses études malgré les derniers événements qui ont ébranlé sa vie. Il a cessé de se former en tant que Ranger, bien sûr, mais continue de pratiquer la natation de façon hebdomadaire pour renforcer son cœur malade. Ça ne se ressent pas forcément sur son physique, mais tant que ça lui fait du bien ! On a aussi fait suivre à Kohaku une formation de premiers secours pour Pokémon, afin qu’il puisse gérer les crises de son maître, viendraient-elles à survenir sans crier gare. Le Noctali arbore désormais l’honorable titre de « Pokémon auxiliaire de vie », ce qui, concrètement, constitue en un sésame parfait qui lui ouvre la plupart des portes aux côtés de son Dresseur.
Lekka achève bientôt son cycle au lycée, et réfléchit de plus en plus à la voie qu’il voudrait prendre dans le supérieur. Je lui ai suggéré celle de la recherche et de l’archéologie, mais il a décliné, se justifiant par son manque d’assurance eu égard à ses capacités en sciences. À mes yeux, il est tout à fait en mesure de s’en sortir dans un tel milieu, mais qu’importe : c’est sa décision, et il semble enthousiasmé par l’idée d’un cursus de lettres. Soit ! Il a envie d’apprendre d’autres langues et de voyager. À côté de ça, ses passe-temps sont devenus encore plus casaniers qu’avant - ce qui est un exploit, entre les jeux, les livres, les séries et les sites Internet en tout genre sur lesquels il n’arrête pas de s’égarer - alors je suppose que je devrais me réjouir qu’il soit encore animé du désir de bouger.
Parlant de ça, ma valise m’attend toujours, grande ouverte ; je ferais mieux de finir de la préparer.

Entrée n°613 : Cinza regorge de mystères impatients d’être élucidés. J’ai déjà cumulé plusieurs épiphanies depuis mon arrivée ici, et pourtant j’ai l’impression de ne pas avoir épuisé le quart des ressources que cette vieille terre me cache encore ! Cela fait quelques années que j’ai emménagé ici, et je n’ai de cesse d’être surpris. Cette fois, je crois bien tenir ce qu’il me faut pour conclure l’entreprise de ma vie ! Ah, j’ai hâte de rabattre le trop grand caquet de ces fiers intellectuels qui ont pensé, à tort, en savoir plus long que tout le monde !
La vie dans ce pays tourmenté n’est pas de tout repos, à commencer par l’absence de Pokémon qui se fait cruellement sentir, mais le jeu en vaut la chandelle. J’ai fait part de mon enthousiasme à Lekka, qui a lui aussi bien avancé dans son cursus de langues et cherche maintenant à poursuivre ses études à l’étranger, pour affiner ses connaissances et s’imprégner d’autres cultures. Lui qui n’a encore jamais mis un pied hors de Kanto, ça va lui faire tout drôle ! Lorsqu’il m’a expliqué son projet, j’ai plaidé ma cause sans hésiter, argumentant le fait que si le dépaysement serait… total, si je puis dire, et même aux yeux d’un bourlingueur comme moi, il ne serait au moins pas seul à ses débuts là-bas, et aurait même droit à des cours particuliers auprès de son très cher oncle pour apprendre vite les us et coutumes locaux. Lekka m’a dit qu’il y réfléchirait ; je crois que l’idée du voyage et du choc des cultures l’a intrigué. En attente de voir les graines germer dans son esprit… Et puis, s’il vient à Cinza, peut-être acceptera-t-il de m’épauler face au flot de découvertes qui s’écrase sur moi ces derniers temps ?

Addendum : Oui ! Il a dit oui ! Je vais enfin pouvoir revoir mon neveu régulièrement, après toutes ces années ! J’en lâcherai presque mes documents de recherches pour sautiller de joie. Lekka va certainement chercher à entrer à l’Université de Sercena pour poursuivre son cursus. Ce ne sera pas facile de lui dégoter un appartement en ville, mais on va se débrouiller. Je l’aiderai à chercher. Et il est assez malin pour se trouver un petit boulot d’appoint et se faire un peu d’argent. Avec tout ce qu’il est capable de faire avec un ordinateur, il va certainement trouver quelque chose !

La dernière entrée du journal, concise, n’était pas numérotée. Rédigée à la va-vite, de grosses bavures disgracieuses suspendues à ses quelques phrases aigues trahissaient l’excitation - ou l’empressement - incontrôlable de son auteur.

Dernière entrée : Ça y est. C’est là. J’en suis sûr, sûr et certain. Je n’ai pas le temps de prévenir Lekka de ce que je m’apprête à faire ; j’espère qu’il ne s’en fera pas trop pour moi. De toute façon, il vit depuis assez longtemps à Cinza pour pouvoir se passer de mes conseils. Mais avec cette ultime expédition, je vais pouvoir mettre le point final - non, le point d’orgue, le point culminant ! - à l'œuvre de mon existence. Tenez-vous bien à vos sièges vermoulus, membres du Conseil. Préparez vos oreilles sensibles. Car bientôt, vous en viendrez à regretter tout le mal que vous avez proféré sur mes théories.
Parce que ce n’est plus qu’une question de temps pour que les théories se transforment en faits attestés, et incontestables.