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• Rencontre au sommet •

Il n’était pas nécessaire de le rappeler : ma famille possédait une envergure considérable. Entre les innombrables entreprises qui nous étaient affiliées dans des secteurs tous plus vastes et florissants les uns que les autres, et la position de choix que nous détenions au milieu des affaires politiques du pays, personne n’ignorait le poids de nos actions sur la direction que prenait l’avenir de Cinza. Bien peu pouvaient se targuer de mériter notre intérêt ; quant à se prétendre de notre stature, n’en parlons même pas !

Pourtant, ce jour-là, nous recevions dans l’une de nos plus prestigieuses propriétés balnéaires un couple bien en mesure de nous tenir la dragée haute : en effet, ce n’était pas tout le monde qui pouvait s’enorgueillir d’une audience auprès des très illustres Drake-Callahan, et encore moins d’un déjeuner privé organisé sur leur demande personnelle.

Comment vous expliquer simplement ? Ce brave gentilhomme et son élégante dame, tous deux fraîchement débarqués de Galar, se trouvaient à la tête de rien de moins que l’une des plus grandes firmes transnationales de production de Capsules Techniques à destination des Pokémon domestiques.

Inutile de dire que, dans un monde largement dominé par la doctrine écrasante du dressage, leur empire n’usurpait pas son importance. Pour leur malheur, le changement radical de la condition Pokémon à Cinza avait quelque peu diminué leur influence dans notre belle région, et les chiffres de leurs usines locales devaient s’en ressentir - d’où leur présence actuelle, à n’en pas douter. Si je ne voyais pas forcément d’un bon oeil leur monopole sur une activité à ce point dépendante de la souffrance d’innocentes créatures, je devais cependant admettre l’aspect utilitaire des CTs en-dehors du cadre des combats, sans compter que les technologies associées à leur fabrication s’étaient révélées profitables à la science humaine. Pour résumer, si nos honorables invités n’étaient pas en terrain familier à l’intérieur de nos frontières et n’y possédaient plus la confortable assise qu’ils eurent naguère, leur puissance internationale restait indéniable et il aurait été très malavisé de les négliger. Alors, lorsque Mère reçut un aimable courrier d’Helena Drake-Callahan formulant le souhait d’une rencontre en bonne et due forme autour d’un menu préparé par le meilleur restaurant gastronomique de San Camari, pour ensuite, je cite, « que vous nous fassiez la grâce d’une visite parmi les plus belles galeries d’art que vous avez à nous proposer, » elle ne se risqua pas à leur opposer un refus inconsidéré, peu importait son opinion à leur sujet.  

Pour ma part, j’avais mes réticences - ces étrangers pouvaient s’avérer les plus courtois, les mieux disposés du monde, il n’empêchait que leur fortune reposait en priorité sur l’exploitation des pires dérives qui se faisaient au détriment de nos compagnons Pokémon. Cela dit, je ne pouvais me dérober à mes devoirs ; ce fut ainsi que je suivis ma famille dans sa démarche de sympathisation avec nos compatriotes galariens, et surtout, que je pris connaissance du troisième - et dernier - membre de leur lignée.  
         
Stoïc, aussi propre sur lui qu’avare en paroles, Nathaniel Drake-Callahan ne décrocha pas un mot de plus que ce qu’exigeait la bienséance tout au long du repas. De mon âge ou peu s’en fallait, il se montrait poli, distingué, bien éduqué, mais aucune de mes tentatives pour lui voler une phrase un peu plus vigoureuse que les autres ne parvint à ébranler la muraille de sa façade impeccable. À mesure que le déjeuner se prolongeait, je finis par cesser d’entretenir avec lui une conversation condamnée d’avance, et me bornai à suivre l’échange à peine plus passionnant de Conrad Drake-Callahan et de Père au sujet de quelque thème financier d’une sorte ou d’une autre.

Cette décevante réunion enfin achevée, je m’attendais à ce que nous poursuivions tous ensemble jusqu’à l’exposition que Mère avait retenue pour satisfaire la curiosité de madame Drake-Callahan, néanmoins mes espoirs trouvèrent leur tragique dénouement lorsqu’on m’informa que j’étais sollicité pour faire découvrir les environs de notre précieuse cité à Nathaniel. Cette annonce me fit perdre une bonne part de mon enthousiasme, déjà très mis à mal par le déroulé du déjeuner, et si mes manières m’interdisaient de me décomposer en public, il me fallut concentrer toute ma volonté pour garder contenance. Était-ce vraiment une judicieuse idée ? N’y avait-il pas mieux indiqué qu’un aveugle pour servir de guide touristique ? Même si je doutais que ce fût le cas, j’avais la sensation déplaisante qu’on essayait de nous forcer à nous acoquiner sous le prétexte fallacieux que nous avions le même âge, avec le vœu secret que notre rapprochement nous distrairait pendant que les « adultes » pouvaient mener à bien leurs affaires en paix. Je ne pouvais faire autrement que de me sentir infantilisé par cette décision ; cela dit, Mère ne goûterait guère que je fisse un caprice devant nos hôtes. Alors je fis contre mauvaise fortune bon cœur, et m’astreignis à accepter la tâche ingrate de jouer les bergers.

Nous nous retrouvâmes bientôt tous deux seuls, délaissés par nos familles respectives en faveur de la plus récente exhibition ouverte par Mère à San Camari. Je contins un soupir à la perspective de passer le restant de mon après-midi à souffrir la froideur laconique de mon camarade. Étouffant ma frustration, je m’éclaircis la gorge.

« Hm ! Je ne sais trop ce que vous apprécieriez de découvrir en premier lieu. Nous pouvons nous rendre dans les quartiers colorés en bordure de ville, sur les quais où se trouvent un voisinage plus cossu et le réputé Pont de Luz, ou bien nous pouvons encore descendre jusqu’à la plage… »

Contre toute attente, Nathaniel s’anima à cette ultime possibilité, et laissa entendre les inflexions rauques de son accent galarien :

« Commençons par la plage. Quitte à marcher, autant en profiter pour que mes Pokémon s'exercent un peu. »

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• Lyr'se Aquilae •

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• Rencontre au sommet •

À la mention « d'exercice », je sentis la méfiance me gagner.

« Hm... Vous avez conscience que les combats sont interdits, ici, n'est-ce pas ? Même et en particulier avec les Pokémon sauvages ? » Je pouvais me fourvoyer - je l'espérais - néanmoins le sens que cet étranger mettait derrière sa déclaration avait éveillé mes inquiétudes. En réponse, Nathaniel me gratifia d'un léger soupir que l'on n'aurait pas dédaigné au dernier des imbéciles.

« Qui a parlé de combats ? Je veux simplement sortir mes Pokémon. Je n'ai pas cru comprendre que c'était répréhensible. »

Je serrai la poignée de ma canne afin de conserver mon calme.

« En effet, ça ne l'est pas, » confirmai-je en détachant soigneusement mes mots. Chaque seconde passée auprès de ce charmant individu me faisait craindre pour la pérennité de ma bienséance... « De ce fait, rien ne vous empêche de vous promener dans San Camari avec votre Venipatte en totale liberté... Et les autres aussi, si vous le voulez. »

La Venipatte en question, une créature chuintante perchée sur l'épaule de son maître, avait été considérée comme une trop grande nuisance à la salubrité pour rester de sortie à l'intérieur du restaurant où nous avions déjeuné, néanmoins Nathaniel n'avait pas tardé à la rappeler près de lui dès lors que nous avions mis un pied dans la rue - ou plutôt, de ce que j'avais saisi, elle s'était rappelée à lui toute seule. Quoi qu'il en fût, je devais désormais subir ses crissements grotesques à hauteur de mes oreilles, et la répugnance qu'ils m'inspiraient était telle que je me félicitais de ne pas avoir accès à l'image en sus du son.

« Il vaut mieux pour tout le monde que nous soyons hors de la ville, croyez-moi, » se contenta de rétorquer le Galarien sans se soucier de préciser sa pensée.

Si j'avais pu, j'aurais sans doute levé les yeux au ciel en signe de résignation. À défaut, je grommelai : « À la plage, donc. Oracle, emmène-nous, veux-tu ? En évitant les avenues trop passantes, si tu peux. » 

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• Lyr'se Aquilae •

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• Rencontre au sommet •

Aussi efficace qu'à l'accoutumée, Oracle ne traîna pas pour nous amener en bord de la mer et, tout comme je le lui avais demandé, elle s'appliqua à nous épargner les artères les plus chargées de San Camari pour leur préférer les petites ruelles pittoresques et les raccourcis connus des habitants seuls. Je souris intérieurement de l'intelligence de ma partenaire. Si je ne pouvais assister moi-même au spectacle, je reconnaissais par l'habitude le parcours qu'elle nous imposait et je savais qu'il n'était pas dépourvu en jardins suspendus, en petites terrasses typiques et en fresques colorées qui avaient fait la célébrité de la cité. Pendant un bon instant, j'eus l'espoir que cette découverte improvisée des perles cachées de la ville saurait percer la carapace glacée de Nathaniel pour lui soutirer ne serait-ce que l'ébauche d'un compliment. Je surestimai mon camarade : la promenade, qui avait tout pour être agréable, se prolongea dans un silence pesant. Ma bonne humeur se fana avant même d'avoir eu l'occasion d'éclore.

Sur ces entrefaites, nous arrivâmes à la plage. L'air marin vint aussitôt me réconforter de sa caresse bienveillante, et ce fut cette fois avec un réel plaisir que j'inspirai à pleins poumons avant de reprendre la parole. « Nous y voilà ! Alors, qu'en pensez-vous ? Vous n'avez pas cette merveille-là à Galar, pas vrai ? » proclamai-je malgré moi, fier des trésors de ma patrie.

Je savais que San Camari était célébrée pour les attraits de ses paysages, que ce fût ceux de la cité en elle-même ou bien ceux de la côte sauvage. La beauté du littoral jouait en grande partie dans cette réputation très légitime. J'en étais certain : ces vastes étendues de sable cristallin lancées à l'assaut d'une mer d'émeraude ne pouvaient pas laisser mon acolyte de marbre, tout indifférent qu'il pût se montrer.   

« Je reconnais, c'est un joli panorama. » On aurait presque cru que l'aveu lui coûtait, mais sa réticence ne m'empêcherait pas de me réjouir : j'avais obtenu une reconnaissance on ne pouvait plus méritée. Un sourire à peine contrôlé rayonna sur mon visage. « Parfait ! Si vous êtes convaincu, autant ne pas s'attarder et nous rapprocher dès à présent du rivage. Vous aurez ainsi tout le loisir de libérer vos protégés, puisqu'il semble si nécessaire que nous soyons à l'écart pour cela. »  

Il y eut un bref silence, puis :

« Je ne plaisante pas là-dessus. Cadence a... des difficultés avec l'agitation. »  

Une série de pas m'avertit ensuite qu'il s'éloignait déjà ; son manque de prévenance m'agaça une fois encore, néanmoins je ne commentai pas et me dépêchai de le rejoindre avant qu'il ne m'eût complètement devancé.

Nous progressâmes jusqu'à ce que le ronflement régulier du ressac berçât mes oreilles avec la délicatesse tonale que je lui connaissais bien. Nous longeâmes quelque temps les flots puis, s'estimant sans doute assez loin de la population, Nathaniel nous fit arrêter. Sa Venipatte crissait à n'en plus finir et son bavardage incessant commençait même à perturber Oracle - je pouvais sentir les remous de sa conscience agiter la mienne. Je me concentrai une brève seconde afin de lui communiquer une émotion simple. Calme. Ce n'était pas évident mais, si l'un d'entre nous cédait, il était fort probable que l'autre ne pût plus répondre de rien.

« Vous nous pensez à distance suffisante ? Vais-je enfin pouvoir rencontrer cette fameuse Cadence ? » m'enquis-je, animé d'une curiosité sincère envers ce Pokémon semblait-il bien timide. Soudain soucieux, j'ajoutai : « Dois-je prendre des précautions particulières avec elle ? »

Nathaniel décrochait déjà ses Pokéballs - je perçus des cliquètements de métal caractéristiques.

« Contentez-vous de ne pas réagir trop violemment. Cadence ! Aurèle ! » s'écria-t-il pourtant lui-même d'un ton énergique.

Il y eut quelques sifflements et crépitements reconnaissables, et bientôt je perçus l'intérêt naissant d'Oracle à mesure que les deux autres coéquipiers du Galarien se matérialisaient dans le sable.

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• Lyr'se Aquilae •

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• Rencontre au sommet •

Les premières manifestations de la vie soudainement apparue au milieu de la plage me parvinrent sous l'écho d'un chant d'oiseau. C'était une trille claire et claironnante qui ne ressemblait à rien de ce que j'avais déjà pu écouter parmi les cieux et les frondaisons de Cinza ; je n'avais jamais croisé cette espèce, c'était certain. L'arrivée triomphale de cet oiseau étranger, au tempérament semblait-il fougueux, masqua si bien celle du dernier membre de l'équipe que je l'en oubliai presque. La curiosité légère que je sentis s'éveiller à son égard dans la pensée d'Oracle fut bien le seul indice à me rappeler sa présence.

Non loin de là, l'insecte grossier de mon partenaire avait diminué ses crissements insupportables, comme pour laisser à ses camarades l'espace pour s'exprimer. L'oiseau se réclama de quelques démonstrations aussi sonores qu'arrogantes, avant de voleter à notre rencontre. Le souffle soulevé par ses rapides battements d'ailes souffleta mon visage sans délicatesse.

« Attention où tu voles, Aurèle, » eut tout de même la décence de le reprendre Nathaniel, cependant que je remettais en place les mèches folles que cette petite tornade avaient décrochées de ma chevelure.

« Oui, je vous prie. Me faire flageller par le vent n'est pas au programme de ma journée, » rétorquai-je d'un ton sec. L'insolent volatile, plus contrarié par la restriction de sa liberté de vol que par la perspective de m'avoir causé du tort, laissa échapper un criaillement désagréable en signe de frustration, mais bientôt les remous de l'air s'immobilisèrent tout à fait - il avait dû se poser près de son maître.

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• Lyr'se Aquilae •