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Telanadas | One-Shot

Posté le Mer 29 Juin - 19:14
Lekka Odeshi
Lekka Odeshi

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Telanadas

« Rien n'est inévitable »



Sercena, 27 mai 2022. Milieu de soirée.

« Ah, gaffe ! Y'en a d'autres derrière ! » s'exclama-t-il tandis que ses doigts s'affolaient au-dessus du clavier, trop vite pour que sa pensée suivît. « Rah, par Giratina, j'avais pas vu qu'ils étaient si haut level ! J'pense qu'on devrait se barrer de là.

— On s'est déjà sorti de bien pire, »
affirma la voix assertive dans son casque, en dépit de la légère tension qui la prenait aussi à la gorge. « Allez, M00nlight, c'est largement faisable. Tu ne vas pas me laisser tomber, quand même ? »

Lekka grimaça sous la pointe de reproche glissée derrière la question. « N-non, non, bien sûr que non. On joue ensemble, on perd ensemble, c'est le principe ! » Et puis, peut-être qu'on perdra pas quand même, en fait.  

En effet, l'issue de ce donjon s'avéra plus heureuse que ce à quoi il s'était attendu : l'efficacité de Mizzy-chan fit une nouvelle fois ses preuves, et lui-même ne se montra pas en reste. S'il n'avait pas la même dextérité, son expérience du jeu rattrapait en bonne partie le talent inné de sa coéquipière, et leurs efforts combinés tracèrent bientôt un chemin entre les vagues de mobs toujours plus virulents pour les guider droit vers l'entrée du dernier niveau, puis le boss final de leur expédition. L'écart de puissance entre eux et leurs adversaires se fit ressentir à quelques reprises, néanmoins ce n'était pas un handicap que leurs tactiques - et une bonne provision de soins - ne savaient compenser ; après une lutte acharnée, l'infâme monstre tentaculaire sombra enfin sous leurs coups dans un rugissement aussi guttural que théâtral. Alors que la cinématique de victoire se concluait sur la vision de l'ignoble céphalopode surplombé par les héros triomphants, Lekka sentit tout à coup un malaise inexplicable s'emparer de son cœur.

À quelque distance de là, Kohaku se tenait assis sur l'appui de fenêtre, moins préoccupé par les batailles virtuelles de son maître que par l'appel irrépressible du monde nocturne. La lune brillait fort en cette belle nuit de fin mai, et ses rayons d'argent accueillaient le regard rougeoyant du Noctali comme une invitation à se lancer à leur rencontre, réveillaient les reflets d'or sur ses anneaux stimulés par leur caresse. La créature contemplait l'astre à qui elle devait sa forme sans frémir, le pelage vaporeux ; il émanait d'elle une sérénité rassurante que Lekka se prit à chercher du regard, plutôt que de se consacrer au visqueux démon polypode abattu à son écran. En cet instant, le réconfort procuré par la vision de son ami revêtait plus d'importance que la gloire.

Malgré tous ses efforts pour les repousser, les contours longtemps restés flous d'une autre scène se précisaient peu à peu à la surface de sa mémoire, bien plus vifs, bien plus tragiques, bien plus atroces.

Cette bête affreuse qu'ils venaient d'occire, avec son borborygme torturé et son agonie minutieusement chorégraphiée, faisait un sinistre écho à la chute du Tentacruel géant de La Isicao, quelques mois plus tôt, ainsi qu'à toutes les conséquences de son apparition funeste au beau milieu de la capitale. Le désastre avait marqué les esprits avec la même force que les quartiers de la ville, ravagés par les assauts dévastateurs du monstre. Pourtant, le souvenir des événements s'était fait lointain dans la tête de Lekka, indistinct, brouillé par l'adrénaline qui l'avait commandé sur le moment et éteint, le temps de la crise, ses capacités de réflexion au profit de l'instinct de survie. Peut-être était-ce un mécanisme de défense de sa conscience face au choc, peut-être était-ce aussi la séquelle de son malaise soudain après le trépas de la bête ; toujours était-il que le fil de cette sombre journée s'était délité dans sa mémoire, à la plus grande joie de son esprit qui avait accueilli cette amnésie providentielle comme une délivrance. Ébranlé par les horreurs dont il avait été témoin, son cerveau n'avait eu d'autre choix que de se tourner vers l'oubli pour épargner sa raison.

Ces gens... Ce chaos... Mais voilà : parfois, d'innocentes situations de son quotidien évoquaient en lui des bribes de violence avec lesquelles il n'avait pas su faire la paix, et il se retrouvait alors frissonnant d'une peur brutale, incontrôlable, dont il ne parvenait pas tout à fait à définir l'origine. Lekka n'avait pas vraiment partagé ces résurgences traumatiques à ses proches - ce n'était pas comme s'il avait beaucoup de personnes à qui se confier, de toute façon : ses camarades de la guilde ne s'étaient pas attardés sur le sujet, son oncle restait désespérément injoignable et il n'avait pas osé avouer à ses parents qu'il s'était trouvé sur les lieux de la catastrophe, de crainte de les voir rappliquer sur-le-champ pour le ramener de force à Kanto. Même Sandā-kun et Inu-chan s'étaient montrés avares en confessions, se bornant à raconter qu'ils avaient été assez proches de l'affrontement pour essuyer quelques blessures. Gratifié d'un gros hématome sur la hanche, le Kantosien avait conscience de s'en être bien tiré, considérant la proximité qu'il avait maintenue avec le combat, néanmoins une part de lui - qu'il essayait tant bien que mal de tranquilliser - aspirait toujours à se libérer d'une souffrance qui n'avait rien de physique.  
 
Kohaku finit par s'apercevoir du regard éperdu posé sur sa fourrure. Mû par une impulsion, il se retourna pour découvrir le visage de son humain assombri par un tourment informulé, les épaules crispées dans une posture sans équivoque. Soucieux, le Pokémon rejoignit ses abords en quelques bonds rapides.

Son arrivée détourna Lekka d'une partie de son malaise. Un peu soulagé, le garçon adressa à son ami une caresse reconnaissante entre les oreilles. Il s'égara un laps de temps incertain dans la contemplation lointaine des soyeux poils de jais qui ployaient sous ses doigts, inconscient du silence embarrassé qui se prolongeait sous son casque.

« Hm... M00nlight ? Tu es encore là ? » L'interrogation circonspecte de Mizzi-chan le ramena tout à coup à lui. Il adressa un regard contrit à son écran, comme si sa coéquipière pouvait le recevoir depuis son propre côté du miroir, sans pour autant cesser de caresser Kohaku. « Euh, ouais, pardon... J'ai phasé un peu, » s'excusa-t-il d'un ton moins vif qu'il ne l'avait souhaité. Il voulut imprimer à son personnage quelques mouvements afin de démontrer sa présence, néanmoins ses spasmes erratiques ne firent qu'illustrer davantage sa confusion d'esprit. Il finit par relâcher un bref soupir. « Ça te dérange si on s'en tient là pour ce soir ? Je suis plus dedans, je crois.            

— Je crois aussi, oui, »
répliqua Mizzi. Sa remarque aurait pu paraître mordante, si son timbre ne s'était pas très légèrement adouci - venant d'elle, c'était un phénomène rare. Lekka sentit une vague de culpabilité monter en lui malgré cette étonnante sollicitude, trop conscient d'interrompre leur séance bien plus tôt qu'à l'accoutumée, mais il ne pouvait rien y faire : le cœur n'y était plus. À ses yeux, les ruines d'inspiration médiévale du donjon avaient été remplacées par l'image sordide des décombres de La Isicao, et il ne parvenait plus à se les ôter de la tête.

Ils quittèrent donc les lieux de leur victoire, le cœur plus en berne qu'à l'arrivée, et s'assurèrent d'atteindre leur capitale avant de se déconnecter. « Bon, euh, je... je sais pas ce que tu comptes faire de ta soirée, du coup, » hésita Lekka, gêné par l'inédit de la situation. « Je vais peut-être pas te retenir si tu veux, euh, aller t'occuper d'autre chose... » Il ne l'avouait pas, mais devoir tenir la conversation à Mizzi-chan en tête-à-tête, sans la stimulation rassurante du jeu pour combler les blancs inévitables de son manque de sociabilité, lui procurait un intense sentiment d'inconfort. Incertain de la conduite à adopter en ces circonstances exceptionnelles, il se trémoussa un peu inutilement sur son fauteuil, sous le regard attentif de Kohaku. « Eh bien, c'est que je n'avais rien prévu d'autre, puisque nous étions censés jouer, » exposa Mizzi avec un détachement qui pouvait très bien dissimuler sa contrariété, ce qui n'arrangea pas l'agitation de son partenaire. « Ah... Je suis désolé... » À l'excuse piteuse succéda un moment de flottement. L'un comme l'autre, coincés dans une boucle étrange, ne savaient s'ils devaient honorer la compagnie du second ou pouvaient se permettre de la fausser - mais en ce cas, pour quoi faire ? Pris dans ses propres paradoxes, Lekka craignait autant qu'il aspirait à mieux connaître celle qui était devenue son alliée au fil des parties, cependant il ne voulait pas - n'osait pas - s'imposer auprès d'elle. Et si elle le trouvait trop insistant ? Et si elle le rejetait ? C'était absurde, formuler une simple demande n'avait rien d'un affront, cependant Mizzi n'était pas réputée pour son tempérament très abordable. Elle possédait un répondant surprenant dans la catégorie honnêteté sèche, plus encore que Dana, doublé d'une certaine imprévisibilité (pour ne pas dire susceptibilité) qui la faisait se hérisser d'un rien et remballer les remarques déplacées avec assez de dureté pour souffler comme des bougies même les plus véhéments de la guilde. Il avait déjà eu l'occasion d'assister à cet édifiant spectacle, quand il n'en avait pas fait les frais lui-même, et ne tenait pas à réitérer l'expérience. Sans compter qu'il ne savait guère trop où il se plaçait dans son champ lexical de la sympathie.

Oui, leur association était des plus particulières. Le terme « d'amitié », s'il paraissait couler de source, semblait mal s'appliquer à leur relation en dents de scie, bien que leur entente fût évidente au moins durant leurs périodes de jeu ; mais, en-dehors de ces circonstances bien précises où l'abri de l'écran et la familiarité du clavier prenaient le pas là où son assurance lui faisait défaut, ils échangeaient peu, se limitaient à quelques conversations sporadiques à propos de l'organisation de leur planning ou d'un sujet dérivé de ce qu'ils avaient pu accomplir dans leur monde virtuel. Lekka tenait à Mixcoatl, c'était indéniable, et peut-être ce sentiment était-il réciproque, cependant il lui suffisait d'un mot un peu plus inconsidéré que les autres pour qu'il fût rabroué au même titre qu'un vulgaire inconnu.

Et il n'avait pas son pareil pour débiter des absurdités avant d'en prendre conscience...    

« Tu, euh... tu ne pars pas, alors ? » se risqua-t-il à demander au bout d'une nouvelle longue minute de silence, déjà crispé à la perspective d'une répartie cinglante. À sa grande surprise, la réponse de Mizzi-chan se fit moins froide que ce à quoi elle l'avait habitué. « Non... J'ai rien d'autre à faire, je t'ai dit. Donc... autant discuter. Je suppose. »         

Cette marque d'intérêt inattendue laissa Lekka muet quelques secondes, au contraire de son cœur qui tambourina de plus belle dans sa poitrine. Parler ? Seul à seule ? Sans le jeu pour tempérer ses angoisses ? Pris de court, il sentit un mélange d'émotions contradictoires l'envahir. L'excitation se noyait d'appréhension parmi ses pensées affolées : c'était ce qu'il voulait sans oser l'exprimer, non ? L'avait-il vraiment voulu, d'abord ? La perspective était si déroutante. S'adresser en continu à une fille, seul, sans le moindre début de conversation en tête, sans prétexte à la discussion autre que la simple envie de lui parler, à une fille, alors qu'il ne pouvait se défausser après avoir délayé si longtemps son départ, qu'il ne lui restait pas d'autre source de distraction disponible pour chasser son malaise, et qu'il ne pouvait se raccrocher à un soutien moral ou une intervention extérieure pour tenter à sa place de discuter avec une fille.  

Néanmoins, quelque part en lui, il sentait une petite voix souffler des vœux inavoués parmi les rafales de sa tourmente intérieure. Oh, elle faisait pâle figure sous les grands vents qui la malmenaient ; mais, animée d'une volonté insoupçonnée, elle s'obstinait, tant et si bien que son expiration légère remonta des abîmes de son être jusqu'à effleurer sa pensée.

Et sur une impulsion qu'il ne contrôla pas tout à fait, il ouvrit la bouche pour la libérer.

« ...Ouais, on peut causer. » Effrayé de sa propre intrépidité, il serra malgré lui sa prise sur le crâne de Kohaku - le Noctali poussa un léger glapissement de protestation qui lui valut une expression désolée. « Tuu... as une idée de...

— C'est la première fois que je te vois décrocher du jeu, surtout après qu'on ait gagné, »
l'interrompit Mizzi sans détour. Sa franchise caractéristique secoua un peu son ami - mais pas autant que l'étrange note qui troublait toujours le reflet de ses mots. « D'habitude, tu ne te déconcentres pas comme ça... Enfin, ça t'arrive, mais pas en pleine partie. Et tu ne m'avais encore jamais demandé d'arrêter pour autant. » Elle marqua une pause, ce que Lekka fut presque tenté d'interpréter comme le signe d'un malaise... mais non, impossible, pas de la part de la fière Mixcoatl. Elle n'était pas aussi mal dégourdie que lui, voyons. « Hm... Il s'est passé quelque chose ? »

Incroyablement mal à l'aise, le garçon contempla de nouveau l'idée d'éluder la question. Pouvait-il vider son cœur à Mizzi-chan ? Se montrerait-elle d'une écoute attentive - et lui aurait-il le courage de s'ouvrir à elle ? Nourrie par l'anxiété, sa méfiance naturelle à l'égard d'autrui, et plus particulièrement de la gente féminine, ressurgit dans un sursaut ; pourtant, à la lumière de toutes les soirées qu'ils avaient passées ensemble, à jouer, lutter côte à côte, à se soutenir l'un l'autre dans l'adversité, à râler, crier (souvent) et rire (quelques fois), la réponse lui apparut avec une limpidité qu'il n'aurait pas cru possible. Il avait remis plus d'une fois sa confiance et son existence virtuelles entre les mains de Mizzi, sans que jamais elle ne les trahît ; peut-être était-il temps d'en faire de même en-dehors de l'écran ?  

« Bah... Rien de récent, non. Mais... » Il s'interrompit pour quêter les bons mots au fond des prunelles rougeoyantes de Kohaku. « Enfin, je sais pas si t'en as entendu parler, je sais pas où t'habites. Y'a eu... y'a eu un gros, gros drame dans la capitale de la région où je suis, y'a quelques mois. » Les cris... La poussière qui obstrue l'atmosphère... Le désespoir des gens qui fuient la mort de tous les côtés. « Y'a un Pokémon géant qui a attaqué... Un truc improbable, » fit-il avec un rire incrédule dans la voix. « Les gars de la guilde en ont parlé vite fait... tu l'as peut-être vu passer ? »

Un long silence suivit sa déclaration, si long que le Kantosien en vint à s'inquiéter de l'état de sa connexion Internet. Il s'apprêtait à s'enquérir de son amie lorsqu'elle le devança, la voix blanche :

« Oui, je sais. » Quelque chose dans la fatale simplicité de cette affirmation donna un frisson à Lekka. Trop de poids reposait sur ces trois mots pour qu'ils émanassent d'une personne qui n'avait fait qu'assister aux événements par l'intermédiaire des journaux télévisés. « Tu parles du Tentacruel de La Isicao. Je le sais, j'y étais. » L'étudiant ne sut si cette révélation le surprit ou le soulagea. C'était une constatation bizarre, un peu dérangeante, en vérité : il n'aurait pas souhaité à quiconque de subir en direct cette catastrophe, néanmoins il ne pouvait nier que se retrouver en présence d'une personne capable de comprendre son trouble le rassurait terriblement. Tout à coup, une nouvelle coïncidence macabre les unissait - le souvenir de cette ombre qui s'était un temps jetée en travers de leur destin. Une ombre à la silhouette tentaculaire. « On a été complètement dépassé par la situation. C'était... vraiment affreux. » Pour une fois - peut-être était-ce la première ? - une émotion palpable vibrait dans la voix de la jeune fille. Lekka ne pouvait qu'acquiescer en silence, trop bien conscient de ce qu'elle évoquait.

« J'y étais aussi... J'ai vu les blessés et les ravages du Poulpinator... » Hurlements, course éperdue, souffle court et le cœur qui était près de lâcher... si près... « ...et c'est bête, hein, mais le boss m'a juste rappelé ce takoyaki géant. » Tourner en dérision pour dédramatiser, c'était encore le meilleur moyen de prendre de la distance avec cet exercice déconcertant qu'était l'exposition de ses sentiments. À vrai dire, il s'en effrayait un peu ; avec ses paroles revenaient des souvenirs et des sensations qu'il aurait bien aimé garder scellés, et il n'était pas certain de vouloir poursuivre plus loin l'excavation de son subconscient - en bonne partie car il n'avait pas envie de découvrir l'ampleur de ce qui s'y cachait. Il préféra s'en écarter avant d'afficher l'étendue de son chaos intérieur devant Mizzi-chan. « Enfin voilà, c'est juste ça. 'Fin, pas "juste", c'est pas rien, ce qu'il s'est passé... Mais ce sont plus que de mauvais souvenirs, quoi. » Il esquissa une moue résignée qui, bien sûr, passa inaperçue de son interlocutrice, et reporta son attention sur les caresses qu'il offrait à Kohaku. Sensible à l'émoi de son Dresseur, le Noctali sauta sur ses genoux et se blottit contre sa poitrine pour lui prodiguer un peu de réconfort.

« Ce n'est pas bête. » La note étrange revint dans la voix de Mixcoatl, et soudain sa nature sauta aux yeux de Lekka : c'était de l'inquiétude, de la véritable inquiétude qu'elle formulait à son égard et qui ressortait d'autant plus que ses paroles s'étaient défaites de leur âpreté au profit d'une compassion voilée, pudique dans son expression. « Je veux dire... Je comprends. Pour tout t'avouer, j'ai eu une pensée aussi pour ce maudit poulpe quand j'ai vu le boss. » Une pause ; les mains du garçon, crispées malgré lui, hésitaient entre deux mouvements obsessionnels qu'il contint de toutes ses forces. « Tu... as été blessé durant l'attaque ?

— Blessé ? Ouais... on peut dire ça. »
Le choc reçu à sa hanche s'était résorbé avec le temps ; la douleur l'avait quitté, elle aussi, et ne restait désormais de sa blessure qu'une tache disgracieuse à son côté, qui partait elle aussi pour s'estomper. « Mais rien de grave, t'inquiète. Je serais pas en train de te parler, sinon. » Le silence qu'il recueillit ne parut pas goûter à la noirceur de son humour.

« Tu as eu de la chance, dans ce cas. Tout le monde n'a pas pu en dire autant, » proféra finalement Mizzi d'un ton indéchiffrable.      

« Je sais... C'était pas ce que je voulais dire, pardon. » Le silence retomba sur les deux partenaires comme une chape de plomb, plus lourd que jamais. À mesure que leur gêne entrecoupée de conversation se prolongeait, Lekka ne savait plus ce qu'il devait en retirer. Il avait cru que crever l'abcès apaiserait son mal ; il n'avait réussi qu'à le transmettre à Mixcoatl en retour. Sans doute valait-il mieux abréger le sujet tant qu'il en avait encore la possibilité. « On peut plus rien y faire, maintenant, » conclut-il en espérant mettre un terme à leurs ruminations mutuelles. « Ce qu'il reste à découvrir sur l'origine de ce truc, c'est aux autorités de le trouver, pas à nous. »

Il y eut un froissement dans son casque - Mizzi devait avoir bougé. « J'imagine que tu as raison. »

Ils étaient aussi perdus l'un que l'autre.

Lekka n'était pas doué avec les gens. Ce n'était plus à prouver : il se noyait dans les situations sociales de grande envergure, et parmi les comités réduits, son désir de s'intégrer le poussait à simuler une sociabilité tellement forcée qu'elle chassait irrémédiablement ceux pour lesquels il se fendait de l'effort. Oui, quoi qu'il fît, le Kantosien n'arrivait jamais à bien doser son comportement face aux autres. Il aurait déjà fallu qu'il sût se gérer lui-même !

Alors, se voir confronté à une personne - à une fille - guère plus douée que lui en matière de communication, c'était un événement tout à fait insolite et pour le moins imprévu. Que devait-il faire, à présent ? Insister ou se taire ? Mettait-il Mizzi-chan aussi mal à l'aise qu'elle le perturbait, lui ? Était-ce seulement possible ? D'ordinaire, c'était lui, Lekka, l'empoté qui desservait sa cause chaque fois qu'il ouvrait la bouche. Quelle attitude était-il censé adopter lorsque les rôles étaient inversés, et que c'était à lui de mener la danse ?

Change de sujet, songea-t-il avec nervosité. Vite, vite, invente un truc, n'importe quoi...

« Eet euh... du coup, tu vis à Cinza ? » hasarda-t-il sans trop réfléchir.

À peine avait-il prononcé ces mots qu'il se mordit la langue. C'était certain, Mixcoatl allait lui raccrocher au nez après une telle indiscrétion. Pourtant, elle répondit d'une voix neutre : « C'est ça. En ce moment, je réside à La Isicao. Donc... je n'ai pas vraiment pu rater l'incident.

— Ah... c'est sûr. » Détourne le sujet, allez ! « Moi je suis à Sercena. Mais c'est juste le temps de mes études... après, je vais probablement retourner à Kanto. »
Il se gratta l'occiput sous le coup de l'interrogation. « Tu es... originaire de Cinza, toi ? »  

La réponse, encore une fois, se fit désirer. Mizzi-chan s'offrit le temps de la réflexion avant d'entamer une explication prudente :

« Pour simplifier : oui, mais je viens d'une zone assez reculée. Je... n'avais encore jamais mis les pieds à la capitale. Ni dans une grande ville du même ordre.

— Ah ! Ç'a... dû faire un choc, hein ? J'avais déjà vu des grandes villes avant, mais chez moi, bien sûr, pas à Cinza...

— Ça ressemble à quoi, Kanto ? »


La question, empreinte de curiosité en dépit de son flegme apparent, tomba avant même qu'il n'eût terminé sa phrase. « Euh... C'est très différent d'ici, et en même temps pas tant que ça. » Quelle description bancale ! Il ne pouvait pas faire plus bateau, franchement ? « Désolé, on dirait des banalités philosophiques, dit comme ça... "Tous différents, et pourtant tous les mêmes !" Ah ah... »

Contre toute attente, sa dérision arracha un petit - très petit - rire à Mizzi.

« Ce n'est pas une question facile, je me doute bien, » concéda-t-elle après coup. « Mais je n'ai quasiment jamais quitté mon foyer. Ça m'est arrivé, quelques fois... de me demander ce qu'il y avait par-delà les montagnes. »

Ok. Une montagnarde, donc. Puis il fronça les sourcils. Pourquoi y accorder de l'importance ?

« Je sais pas tout moi-même, » la prévint-il d'un air d'excuse. « J'ai pas beaucoup quitté Kanto non plus avant de venir ici. Tout ce que je connaissais de Cinza, je l'avais vu dans les livres de géo, ou à la télé, ah ah... Enfin bref, j'ai pas la science infuse, mais... Si tu veux... je peux te parler de ce que je sais ?

— Je veux, »
assura-t-elle sans très bien contrôler son enthousiasme. Elle parut réaliser son emportement, et se reprit d'une voix plus mesurée : « Je veux bien. Si ça ne te dérange pas. »

D'abord un peu surpris, Lekka esquissa un sourire amusé face à cet éclat de passion subreptice. « C'est parti pour une petite leçon de géographie, alors. Qu'est-ce que tu veux savoir ? »

Les secondes, les minutes, puis bientôt les heures défilèrent au gré d'un échange qui lentement épanouissait ses deux protagonistes. L'esprit animé par une curiosité insoupçonnée, Mixcoatl ne se privait d'aucune question, et Lekka y opposait chacune de ses réponses de bon cœur. Il lui parla de Kanto avec une ferveur qu'il ne se connaissait plus, alimentée par la nostalgie de son pays comme par le plaisir simple qu'il tirait de partager ses souvenirs d'enfance à un auditoire réceptif. Un sourire rêveur flottant sur le visage, il lui dépeignit les petites rues ordonnées de son Argenta d'origine, surplombées par les flancs abrupts de l'impressionnant mont Sélénite, le pic le plus mémorable de la région ; il lui conta la beauté verdoyante de la forêt de Jade, luxuriante d'une toute autre végétation que le foisonnement tropical de Cinza ; il illustra de son vocabulaire le plus grandiose la moderne Céladopole toute de métal vêtue, avec son centre commercial vaste comme un petit village, et l'étonnante Safrania n'était pas en reste avec son Train Magnétique qui permettait un voyage rapide et sûr jusqu'à Johto, la patrie voisine. Il évoqua les laboratoires de la Sylphe SARL, l'une des firmes technologiques les plus importantes au monde, dissertant au passage sur le rayonnement incontestable de Kanto partout autour du globe. Et, bien sûr, il lui décrivit la mer, la splendeur de cet écrin d'azur liquide qui baignait une grande partie des côtes de la région, et l'avait toujours préservée des intrusions derrière ses horizons inatteignables. Kohaku, réfugié dans l'étreinte de son maître, se laissa à son tour bercer par ses récits enchanteurs. Mizzi, elle, buvait ses paroles, ce qui ne l'empêchait pas de l'interrompre régulièrement pour l'interroger sur des notions qui lui échappaient ou lui réclamer des descriptions plus précises encore. Il se découvrit drôlement heureux d'étancher la soif de connaissances semblait-il insatiable de sa camarade, et aurait pu continuer son exposé des heures durant s'il n'avait pas soudain été rattrapé par l'inexorable avancée de l'horloge.

« Ouhlà, j'avais pas vu l'heure ! On a carrément dépassé l'horaire de jeu habituel, j'suis désolé... On va s'arrêter là pour ce soir, hein ? Vraiment navré, je sais que tu dois travailler demain en plus, j'aurais dû faire gaffe...

— T'en fais pas, M00nlight, »
le rassura-t-elle alors qu'il se répandait en excuses à l'autre bout du fil. « T'es pas responsable, j'ai pas fait attention à l'heure non plus. Puis c'est moi qui t'ai posé toutes ces questions, après tout. T'as pas à t'en vouloir. »

Doucement, la chamade se calma dans la poitrine de Lekka. « Bon... Si c'est toi qui le dis, j'pense que je peux te croire, ah ah... On remballe, alors ? » Malgré la nuit désormais bien entamée et l'appel tentateur de son oreiller, l'approche inéluctable de la séparation lui causa un pincement au cœur qu'il s'expliquait mal. « On remballe, » acquiesça-t-elle sans trahir la moindre forme de déception. La non-réciprocité de sa mélancolie arracha au garçon un rictus attristé derrière son écran.  

Alors qu'il approchait la souris du bouton « raccrocher », une idée saugrenue, extravagante, enhardie par l'agréable dénouement de sa soirée, retint son geste. « Attends, » lança-t-il par réflexe. « Oui ? » Il hésita. Pouvait-il se permettre de proposer ce qu'il avait en tête ? Oserait-il ? « Allez, M00nlight, viens-en aux faits, sinon ça va vraiment être de ta faute si je peux pas dormir pour demain. »  Il déglutit. Plus moyen de tergiverser ; maintenant qu'il était à l'eau, autant continuer de nager, peu importait les remous. « J-Je me disais juste... C'était bien, cette conversation, et... Puisque... puisque tu habites à Cinza, et que, par miracle, moi aussi... Tu voudrais pas que... enfin... » Raah, c'était stupide ! Comment je vais faire pour rattraper ça, maintenant ? « Ermh... si jamais l'occasion se présente... qu'on parle en face à face ? »

Il fallut que la suggestion arrivât aux oreilles de Mixcoatl, qu'elles la traitassent, que l'information s'élevât jusqu'à son cerveau pour finalement s'y révéler dans toute son invraisemblable réalité ; le temps de ce fastidieux processus (qui ne s'avéra guère plus long qu'une poignée de secondes) Lekka banda tous ses muscles en prévision de la riposte. « Face à face, » murmura-t-elle, beaucoup, beaucoup trop bas.

Figé sur place, l'étudiant n'expulsa rien d'autre qu'un timide « hm-hm ».      

« Face à face... Tu veux qu'on se rencontre en vrai ? » Elle avait du mal à assimiler l'idée, au moins autant que lui l'avait eu à la formuler. « On ne se connaît que depuis deux mois, » souligna-t-elle, sur la défensive. Son regain de méfiance blessa Lekka plus qu'il ne s'y était préparé.

« Oui, c'est vrai... Désolé, oublie, c'était juste... une mauvaise idée. » Il échangea avec Kohaku un regard las. Il avait pensé... Cette discussion sur Kanto avait rallumé en lui l'idée d'une complicité spéciale avec Mizzi-chan ; mais, fidèle à son habitude, il avait encore tiré des conclusions trop hâtives. Il contint un soupir frustré.  

« On ne se connait que depuis deux mois, mais... c'est vrai que j'ai plus souvent joué avec toi qu'avec les autres. Et tu n'es pas spécialement inquiétant, comme garçon. Enfin, tu es dans ton monde, mais... » Elle n'acheva pas sa phrase. Lekka, qui s'était gonflé d'un espoir incrédule, plissa les yeux à sa remarque. Mizzi changera jamais.

— Alors... c'est oui ? »
finit-il par souffler après quelques secondes de silence prolongé, pendu à ses lèvres.

Mixcoatl ne répondit pas tout de suite. Puis, comme pour changer de sujet, elle se mit à déclamer :

« Par chez moi, on a une expression qui circule beaucoup. Elle est vraiment vieille, et exprimée dans un ancien cinzan que nous sommes les seuls à encore utiliser. » Elle marqua une pause. « Telanadas, » énonça-t-elle finalement, en prenant soin de détacher chaque syllabe. « "Rien n'est inévitable". Les aléas de nos vies... Qu'on le veuille ou non, ce qui doit arriver arrivera. »

Lekka, qui attendait de sa partenaire une réponse plus explicite, esquissa une moue perplexe. « Euh, certes, mais je vois pas trop le rapport avec...

Telanadas, »
se contenta de répliquer Mizzi-chan. « Passe une bonne nuit, M00nlight. »

Et sur ces mots, elle se déconnecta.

Son départ subit laissa le garçon interdit. Que devait-il conclure de ça ? Il finit par lever les yeux au ciel en libérant le soupir qui rôdait depuis si longtemps au fond de ses poumons. Ah, les filles et leurs manies ! Elles peuvent jamais parler clairement ? D'un geste, il invita gentiment Kohaku à descendre de ses genoux, puis entreprit d'éteindre son PC pour se préparer au coucher.

Une fois glissé dans son lit, cependant, les derniers mots de Mixcoatl tournoyèrent de plus belle dans son esprit, inlassables comme une nuée de Piafabec.

Telanadas. Rien n'est inévitable.

Il lui fallut atteindre la frange brumeuse du sommeil pour qu'enfin, leur sens se révéla à son esprit avec toute la certitude de l'aube prochaine. Ces paroles sibyllines, c'était sa manière à elle de lui faire une promesse.

Un jour, ils allaient se voir.

Un jour.


Lyr'se Aquilae

Telanadas | One-Shot


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