Franchement, qu’est-ce que ce mignon petit minet s’imagine ? Qu’il va nous dissuader de poursuivre notre mission ? Je préfère ne pas gaspiller les énergiques de mon Rapion sur lui, de toute manière le gentil chien à sa maîtresse a manifesté l’intérêt de combattre à nouveau. Désormais qu’il se dresse entre nous et notre objectif, j’ai encore moins la patience nécessaire pour le convaincre de s’écarter de notre chemin… Non je suppose que les éclairs qui couvrent la gueule de la chienne des enfers suffira à lui faire changer d’avis. Tout de même, le comportement du chat me fait sourciller : ces bêtes ont plutôt la réputation d’entretenir leur solitude, de se montrer méfiants et renfermés. Cette attitude protectrice envers l’Evoli convoité me fait sérieusement me questionner. Je comprends qu’il se méfie de nous, mais pourquoi ne pas avoir ramené la bestiole à sa maîtresse, où elle serait en sécurité ? S’il y a vraiment quelque chose qui rôde dans le coin, alors ne serait-il pas mieux auprès de sa riche famille ? Sentant que quelque chose cloche dans ce portrait, je m’empresse de contourner le félin pour aller me pencher sur l’Evoli, qui en profite pour détaler. Je m’attendais à une telle réaction, ainsi je ne m’en formalise pas trop. Tout ce mouvement excite toutefois l’instinct de la chasse chez Tanzanite qui s’élance à sa poursuite, ses petites pattes orchestrant un maestro de claquements sinistres contre la pierre.

Dana, son frère et le Lucario m’accompagnent tandis que je suis mon compagnon dans une obscurité de plus en plus opaque. Nous l’avons piégé dans un cul-de-sac. À en voir l’expression satisfaite du Rapion, je devine qu’il a mené sa victime exactement là où il le souhaitait. L’Evoli, visiblement terrifié, se faufile entre deux cailloux et se roule en boule en tremblant. Un rictus amusé passe sur mes lèvres : vrai que nous devons être un peu impressionnants.

«Aller, la boule de poils, on ne va pas te faire mal. Même qu’on veut te ramener à sa maîtresse. Tu sais, celle-là ?»

Je lui tends mon téléphone portable avec la photographie de la gamine avec son Evoli. La voyant, le petit se penche, scrutant le cliché avant de secouer vivement la tête, plaquant ses petites oreilles contre son crâne. Sa réaction me tire un nouveau froncement de sourcils : visiblement l’idée n’enchante pas du tout le petit qui retourne se blottir contre lui-même plutôt que de me sauter dans les bras tel que je l’espérais. Je repense à la théorie de Dana tout à l’heure : en a-t-il marre effectivement de servir de doudou pour une gamine probablement bien gâtée ? Cette vie précieuse peut bien ne pas lui plaire, puisqu’elle comporte son lot de désagréments, à commencer par celui de n’être pas libre. De ses choix, de son identité, de ses idées. Soudain, la petite fugue de l’Evoli me heurte au plus profond de moi-même. Comme je peux comprendre ce désir de fuir sa vie. Mais pour aller où ? Contrairement à moi, le jeunot ne s’est jamais questionné avant d’agir sous le coup de l’impulsion. Heureusement pour ce Flamiou l’ayant protégé jusque-là, mais qui lui dit que le chat sera toujours là pour couvrir ses arrières dans un des lieux les plus dangereux de toute Cinza ? Si ce n’est pas nous qui le récupérons, ce sera quelqu’un d’autre, quelqu’un qui le rendra à sa cage dorée, ou alors qui l’exploitera pour ce qu’il représente. Beaucoup d’argent. Une belle cagnotte que je vais perdre, semble-t-il. Il y a des jours où je ne sais pas trop ce qui me prend.

«Bon eh bien, je regrette de vous l’apprendre, mais ce n’est pas aujourd’hui qu’on s’enrichit. Evoli ne veut clairement pas retourner à sa dresseuse et ce n’est certainement pas moi qui va l’y forcer.» m’entendant dire ces mots, le petit redresse la tête, me laissant pour la première fois le toucher. Après quelques secondes, je peux sentir ses muscles se détendre assez pour me permettre de l’attraper dans mes bras. S’il semble hésitant, il accepte d’être tenu ainsi. Je poursuis mes caresses dans son poil avec lenteur; c’est vrai que c’est plutôt doux. «Je connais un petit plateau reculé dans ces montagnes, mon cousin m’y amène des fois. Je pense qu’il y serait plus en sécurité qu’ici, dans ces galeries.»

Ce que je propose est plutôt clair je crois ? Si je ne peux pas vivre libre, au moins cet Evoli en aura la chance.

La liberté est le mantra chez eux ? C’est drôle, je n’en aurais pas douté. Triste de se dire que cette gamine est plus libre que moi, avec tous mes moyens, avec l’âge, l’expérience et la notoriété. Au final, ça ne change absolument rien lorsqu’on n’est pas réellement maître de notre destinée. Si au moins Dana et son frère peuvent jouir d’un autre traitement chez elle tant mieux; moi aussi à cet âge je me pensais libre de tout, je pensais que rien ne m’affecterait et au final la vie en décidé autrement. Je me contente de lui sourire avec un haussement d’épaules un peu nonchalant, de toute manière bientôt interrompue par l’arrivée d’une certaine Démolosse traînant à sa suite ce que je devine étant le perdant du match. Le petit félin téméraire a subi les foudres de la chienne des enfers à ce que je peux voir, puisqu’une vilaine blessure lui barre le flanc. Ça lui apprendra tiens à jouer les teignes; devant un adversaire visiblement plus puissant qu’elle elle aurait dû plier l’échine. De toute manière, le Flamiou n’est pas plus avancé et sa petite démonstration l’aura en plus laissé blessé. Tant pis pour lui. Je laisse Dana l’examiner là où je l’aurais laissé à son sort : c’est la loi de la nature.

En plus, le petiot, il ose feuler après la jeune fille qui tente de l’aider. Ingrat en plus, je rêve. L’adolescente est bien plus patiente que moi. Il aurait fait un moment que je l’aurais botté ce petit impertinent et renvoyé d’où il vient. Ce qui motive la brunette à s’acharner, je l’ignore. C’est son affaire après tout. Je caresse l’Evoli (bordel c’est que c’est doux ce truc en vrai, je commence à en comprendre l’attrait) tandis qu’elle tente de l’amadouer et qu’elle réfléchit à ma proposition. Finalement, sa voix s’élève de nouveau, après ce qui m’a semblé une éternité. Ce qu’elle suggère fait du sens, j’hoche donc la tête en sa direction avant de faire signe au Rapion de me suivre.

«Très bien, cependant il faudra cacher celui-là car je ne serais guère surprise qu’on tente de nous l’arracher pour quelques pièces.»

Sans trop de ménagement, je fourre donc l’Evoli dans ma veste où il se débat tout naturellement au départ, mais sentant la chaleur de ma poitrine il s’installe finalement confortablement sans plus résister. Je suis les deux jeunes gens vers la chapelle secrète où les deux Pokémon recevront des soins adéquats. Je suis toujours aussi surprise de mon choix, cependant je dois bien à ce petit renardeau une chance de se libérer. Malheureusement pour moi, je ne serai pas en mesure de le suivre dans son aventure, mais tant pis. Au moins lui et les deux jeunes pourront en profiter. N’est-ce pas leur mantra après tout ?

«En tout cas on a fait une bonne équipe tous les trois. J’espère vous revoir un jour sur mon terrain. Pavlica ce n’est pas si loin après tout.»

Je suis certaine que Apache serait une adversaire de taille à ne pas sous-estimer. Il me tarde de l’y voir.