Hors de question de laisser son Pokémon seul dans son inconfortable position : comme il l'avait promis, Lekka entreprit de descendre à son tour la petite pente herbeuse pour s'enfoncer dans la boue jusqu'aux mollets, non sans un rictus répugné. « Je suis désolé ! » cria-t-il tout autant à l'adresse de l'éléphanteau qu'à son propre compagnon. De quelques grandes enjambées encollées d'argile, l'étudiant rejoignit un Kohaku désormais plus marron que noir, et qui s'ébroua furieusement à son arrivée. « Hé, fais gaffe ! » protesta Lekka, mais le Noctali se contenta de lui renvoyer un grondement agacé. « Bon, c'était pas une grande idée, je reconnais... En même temps, c'est toi qui voulais pas que je vienne t'aider ! Si ça se trouve, ensemble, on aurait pu le maîtriser ! » Kohaku souffla du nez, dubitatif ; mais le mal était fait, il n'y avait plus rien à ajouter.
Le jeune Pokémon pris au piège avait cessé de piétiner sur place, trop épuisé par ses efforts prolongés et la dernière attaque qu'il venait de lancer pour se mouvoir avec plus d'énergie que par trépignements sporadiques. En dépit de l'état déplorable de leur trio, Lekka sentit sa volonté se raffermir. « C'est bien beau de se chamailler, mais on a pas fini notre mission ! » Puisqu'il les avait maintenant retrouvés dans la fosse, le Noctali n'allait plus s'opposer à sa participation, pas vrai ? « On va te sortir de là, que ça te plaise ou non ! » poursuivit-il à l'intention du pachyderme. Ainsi planté dans la vase, transpercé par la pluie, l'air plus famélique que jamais avec ses cheveux et ses vêtements plaqués sur son corps et les taches brunâtres qui constellaient sa mise, l'étudiant ne payait vraiment pas de mine et son affirmation éclatante frisait le risible ; pourtant, à cet instant précis, l'étincelle de féroce détermination qui traversa ses yeux sombres n'aurait pas permis à quiconque de douter de son désir... ni de sa capacité à réussir.
Rappelé par la nécessité, le garçon fragile se retira au profit du Ranger qui subsistait encore au fond de son esprit. C'était que les mauvaises habitudes avaient la vie dure, et on ne se débarrassait pas si facilement d'un rêve accroché à son cœur depuis des années, entretenu par la passion, nourri par l'espoir. « Allez, c'est reparti ! Remonte là-haut et attrape-le de nouveau ! » assena le jeune homme à son Noctali, plein d'assurance. « Moi, je vais m'occuper de le pousser par-derrière ! » Sur ces mots, il pataugea vers la créature enlisée ; soucieux de ne pas la brusquer, il progressait à pas lents, les mains ouvertes levées vers elle pour la tranquilliser. « N'aie pas peur, je t'en prie, » lui souffla-t-il, aussi doucement que le lui permettaient les déferlantes. « On veut juste t'aider, pas te faire de mal... Fais-nous confiance. » L'éléphanteau restait néanmoins sur ses gardes, trompe levée malgré ses tremblements éloquents ; méfiant, il ne quittait pas des yeux Kohaku cependant que ce dernier bondissait hors du marasme pour rallier son poste initial, un peu au-dessus du Pokémon à extraire. Le Noctali se campa du mieux qu'il put sur ses pattes, prêt à intervenir au moindre signal de son maître. Lekka adressa à son partenaire de toujours un léger hochement de tête, reconnaissant, avant de reporter son attention sur l'éléphanteau embourbé.
« Je vais m'approcher et te pousser dans le dos, » expliqua-t-il en détachant soigneusement ses syllabes. Il savait que le petit avait peu de chance de saisir la teneur de ses paroles, mais cette exposition soulageait un peu son sentiment de culpabilité vis-à-vis du traitement que lui et Kohaku seraient bientôt amenés à lui infliger. « Tu veux bien ? » Comme l'éléphanteau ne réagissait pas, Lekka essaya un nouveau pas dans sa direction. Mal lui en prit : le Pokémon sauvage poussa aussitôt un cri aigu et balaya l'air de sa trompe. L'étudiant se baissa de justesse pour esquiver le coup. « Wow, t'as bien failli m'assommer ! Écoute-moi, je t'en prie : si tu ne nous laisses pas te secourir, tu risques de pas t'en sortir ! » L'anxiété que cette perspective générait en lui fit vaciller sa voix. « Je t'assure qu'on va essayer de te faire le moins de mal possible. Et qu'on te laissera filer dès que tu seras libre ! C'est promis ! »   

Lekka sentait le froid du vent et de la pluie mordre sa chair sous ses vêtements détrempés tandis qu'il restait figé là, à observer en silence le petit pachyderme récalcitrant. Il ne pouvait entreprendre la moindre action sans risquer de subir un coup de trompe dévastateur sur le coin de la tête, mais sa morale lui interdisait de lui tourner le dos et de retourner à La Isicao comme si de rien n'était. Coincé dans un interminable circuit dont seul le Pokémon sauvage pouvait le tirer, l'étudiant en était à supplier du regard la pauvre créature aussi transie que lui, priant pour qu'à défaut de comprendre ses mots, elle entendît raison.
Puis, enfin ! l'éléphanteau sembla se détendre de façon presqu'imperceptible : sa trompe flageolante s'abaissa, ses pattes raidies se relâchèrent - ce qui eut pour effet pervers de le laisser s'affaisser un peu plus. Sans perdre de temps, Lekka avala le dernier mètre qui les séparait pour se positionner derrière l'échine du Pokémon, poser ses mains sur sa peau de métal et bander ses muscles en prévision de la suite. « Allez, Kohaku, attrape-lui la trompe avec Morsure et ensemble, dégageons-le de là ! »
Le Noctali opina du chef, un signe que son Dresseur ne put voir, tordu qu'il était contre le jeune pachyderme. Kohaku tendit son cou englué de vase afin de quérir à son tour l'assentiment de celui qu'ils essayaient de secourir avec tant d'ardeur ; ses prunelles rouges, inquisitrices, posèrent à l'animal embourbé une question muette. Contre toute attente, ce fut de sa propre initiative que l'éléphanteau tendit sa trompe ; s'il fut surpris, le Noctali ne s'attarda pas longtemps sur ce revirement et sauta sur l'occasion de mettre un terme à cette mésaventure une bonne fois pour toutes.
À eux trois, les forces s'avérèrent suffisantes pour venir à bout du marais mouvant. Lekka poussa le corps massif de l'éléphanteau aussi fort qu'il put, le visage déformé par l'effort, tout en faisant de son mieux pour rétablir la stabilité de ses pieds lorsqu'il les sentait patiner dangereusement. De son côté, Kohaku serra les mâchoires sur l'appendice métallique à s'en faire crisser les crocs, teigneux comme un Statitik, pour tirer vers lui le Pokémon qui put enfin poser un sabot oxydé plus avant sur la pente. « Allez ! » grogna Lekka, cambré sur sa position. Le petit pachyderme barrit pour se donner du courage et extirpa une deuxième patte du piège ; Kohaku tirait, tirait, tirait tant et si bien que son corps n'avait même plus la possibilité de trembler. Mais si le calvaire lui parut interminable sous la peine de ses muscles tendus à l'extrême, il ne dura en réalité qu'une poignée de secondes, le temps que le plus gros de la masse de l'éléphanteau se délivrât du marasme. Dès lors que ses pattes avant eussent atteint une zone de terre plus ferme, et que celles arrière eussent à leur tour glissé en-dehors de la fosse qui les engloutissait, toute l'énergie que le duo dépensait à mouvoir l'infortuné s'avéra bien trop importante par rapport à l'effort qu'il restait à accomplir. Emporté tout à coup par l'élan excédentaire induit par Lekka et Kohaku, l'éléphanteau s'arracha à l'étreinte de la terre avec un claironnement de cuivre libérateur. L'étudiant sentit sa prise lui échapper des mains non sans un certain étonnement, puis le contact du métal se dématérialisa tout à fait alors qu'il continuait à forcer sur le vide, ce qui l'amena de manière prévisible à s'écrouler tête la première dans la gadoue. « Hééé ! » s'étrangla-t-il avant d'être réduit au silence par une bonne goulée d'argile - cependant l'éléphanteau n'avait cure de son malheur. Soulagé d'être enfin libre de ses mouvements, il s'était mis à sautiller et à danser au sommet de la petite butée, Kohaku toujours agrippé à sa trompe. Avec des glapissements joyeux de trompette débouchée, le Pokémon Acier fit voltiger encore quelques instants son sauveur avant de le redéposer délicatement sur le sol, lui tapota la tête pour faire bonne mesure, puis détala dans les fourrés sans demander son reste. Abasourdis, Lekka et Kohaku observèrent la scène avec des yeux ahuris, et le garçon ne songea même pas à se relever.
« Beh... Mais... Qu'est-ce... » bégaya-t-il, les yeux rivés sur les buissons mouvants où l'animal avait disparu.
Au temps pour la gratitude, semblait-il...  

Le visage éclaboussé de boue, Lekka se remit sur pieds avec peine. Il pouvait oublier l'idée d'un simple récurage : pour le carnaval de demain, c'était d'une tenue de rechange dont il aurait besoin, point final. Grommelant sur les caprices de la nature et l'imprévisibilité de la faune sauvage, l'étudiant grimpa bon an mal an la côte pour se laisser choir, complètement vidé, près de Kohaku. Comme pour saluer la fin heureuse de leur épopée marécageuse, ou bien peut-être en signe de compassion envers leur allure de rescapés d'un naufrage, l'averse qui les avait tant accablés s'estompa jusqu'à laisser filtrer un soleil radieux entre deux lambeaux de grisaille. La chaleur de l'été revint sécher leurs atours en piteux états, et Lekka accueillit ce changement appréciable avec un long soupir soulagé - et un éternuement de mauvais augure.
« Plus jamais, » assura-t-il d'une voix nasillarde, avant de renifler sans élégance. « Plus jamais. »
Kohaku se blottit contre lui, sa fourrure pleine de bourres et de terre pressée contre le pull tout aussi souillé de son Dresseur. Les deux amis s'entre-regardèrent, contemplèrent d'un œil désespéré leur crasse respective... puis partirent ensemble d'un rire complice.
Oui, les mauvaises habitudes avaient la vie dure... Mais sans elles, auraient-ils pu se vanter d'avoir tissé un lien si précieux ?