Les griffes acérées du Furaiglon luisirent d'un éclat féroce sous le soleil. Tendues à l'extrême, elles se dirigeaient sans fléchir vers les yeux écarquillés de Lekka, et il fallut bien la riposte implacable de Kohaku pour les dévier de leur trajectoire à la conclusion de plus en plus imminente.
« Oh non poussin, lui, n'espère même pas le toucher ! »
Le Noctali bondit, tout poil hérissé, les babines retroussées sur ses crocs d'une blancheur inquiétante qui vinrent trancher l'air à l'endroit où aurait dû se trouver la patte gauche de l'oisillon. La créature émit une trille insupportable avant de se dérober à la Morsure d'une pirouette aérienne, et les mâchoires de son agresseur claquèrent à un souffle de leur cible comme les tenailles d'un piège à Ursaring. Kohaku retomba sur ses pattes, la silhouette gonflée par son pelage ébouriffé de fureur. Les protestations belliqueuses du Furaiglon, qui décrivait un large demi-cercle dans les airs en prévision de son prochain assaut, accompagné d'un brouillard désordonné de plumes et de battements d'ailes, provoquèrent chez Lekka une subite reprise de conscience. Le garçon, qui était jusque-là resté bouche bée face à la perspective un peu trop concrète d'une énucléation oculaire fonçant droit sur lui, finit par s'irriter à son tour de cet enchaînement ininterrompu de malheurs. Un Rhinocorne fou furieux le prenait en chasse pour commencer, son Tadmorv fuyait sa supervision pour se percher dans un nid d'oiseaux sauvages, et maintenant un poussin cherchait à lui crever les yeux ? Trop, c'était trop ! Il n'allait pas se laisser marcher dessus par l'entièreté de la faune locale, tout de même !
Il lança un regard brillant de colère à Kohaku, qui lui rendit son exact reflet. Sans un mot, ils s'étaient alignés sur la même longueur d'onde. Nul besoin de procédé complexe, de partage de pensées ou de communications élaborées : la connaissance intime et mutuelle qu'ils avaient l'un de l'autre suffisait amplement à leur faire comprendre leurs volontés. Et, en cet instant, l'appel du combat s'imposa à eux comme une évidence.
« ...Kohaku... Photocopie ! » s'écria l'humain, brisant l'harmonie de leur communion silencieuse par cet ordre jeté dans sa langue par trop compliquée. Il avait prononcé d'autres syllabes, mais le Noctali n'y prêta pas garde : il avait entendu l'essentiel. Devant lui, le Furaiglon s'était rétabli en vol et le toisait désormais, toutes serres dehors, un œil injecté de sang fixé sur lui. Il s'était échauffé pour sa prochaine attaque, mais ça n'allait pas arrêter Kohaku. Véloce, le Pokémon Ténèbres obtempéra à l'injonction de son Dresseur, prêt à renvoyer à l'oisillon sa propre concentration. Tu vas avoir droit à une petite correction, gamin !
Kohaku avait déjà affronté des adversaires plus menaçants que ce vulgaire tas de plumes dépenaillé. Il pouvait bien se pavaner, à faire bouffer sa collerette sur une pathétique tentative de l'impression : le stratagème ne prendrait pas avec lui ! S'il n'avait pas la prétention de s'affirmer vétéran du champ de bataille, le Noctali avait à son compte un joli petit palmarès de victoires. Il s'était confronté à des Pokémon d'Arène surentraînés au même âge que ce jeune blanc-bec, il ne fallait pas l'oublier !
Alors il ne se laissa pas déstabiliser face au manège de l'oisillon, qui entrechoquait ses serres les unes contre les autres dans un rapide mouvement pour les aiguiser. Observateur, Kohaku avait l'imitation dans le sang, comme tous les membres de l'espèce Canis evolus ; Lekka n'avait pas fini de lancer son ordre que déjà, son fidèle compagnon s'était emparé de la capacité du Furaiglon. Un afflux de pouvoir traversa son corps, ses muscles, jusqu'à fourmiller à la pointe de ses pattes et tout au long de ses mâchoires. Très bien, je suis paré. Il se tapit au sol, prêt à l'assaut.
Mais le poussin fut plus rapide. L’œil exorbité par l'hystérie, il plongea le bec droit vers la silhouette patiente du Noctali ; décidément, s'attaquer aux prunelles était une fixation, chez lui. Kohaku se garda bien de réagir. Plus malin, il vit dans la précipitation de son adversaire une possibilité de riposte inespérée : tout ce qu'il lui fallait, maintenant, c'était d'encaisser correctement l'attaque avant de lui rendre la monnaie de sa pièce.
L'oiseau se stoppa en pleine course, subitement, pour fixer sur Kohaku un visage si défiguré par la haine que ses globes oculaires semblaient vouloir sauter de leurs orbites.
Il lui faisait les gros yeux ! Il avait l'audace de lui faire les gros yeux pour l'intimider, cet insolent volatile !
Qu'à cela ne tienne. Piqué dans son ego, le Noctali dressa vers son assaillant ailé un regard rougeoyant comme l'enfer. Il ne connaissait peut-être pas la capacité Groz'Yeux, il n'empêchait qu'il savait l'intensité de ses prunelles flamboyantes en mesure d'étouffer les velléités de rébellion et de faire plier l'échine aux témérités les plus tenaces.
Du moins, l'effet était très satisfaisant sur Lekka. Mais prendre en référence les réactions effarouchées du garçon n'était peut-être pas la meilleure des idées.
« AAAH ! STUPIDE POKEMON D'HUMAIN ! » Visiblement, son expression sévère n'avait pas été au goût de l'oisillon. Ce n'était pas tout à fait l'effet qu'il avait souhaité obtenir, mais soit ; le mal était fait, et désormais les serres se rapprochaient de lui à toute vitesse, prêtes à frapper. L'ouverture ne se ferait plus désirer longtemps. En alerte, Kohaku attendit le prochain ordre de son maître.
Le Furaiglon trancha droit devant lui avec une rage aveugle ; si aveugle, en vérité, que le Noctali n'eut aucun mal à anticiper le coup. Il feinta, se contorsionna pour esquiver les serres avides d'arracher son pelage et, d'un bond qu'on aurait presque pu dire gracieux, il sauta à hauteur de l'oisillon déstabilisé pour lui mordre férocement les plumes rectrices.
C'était la seule part de son anatomie qui s'était trouvée à portée de la riposte ; il n'allait pas réussir à le mettre KO avec cette attaque, clairement pas, cependant ce fut la gueule garnie de plumes qu'il se laissa rattraper par la gravité. Le choc brutal du sol sous ses pattes expulsa un peu d'air de sa poitrine et fit trembler ses os jusque dans son échine, mais il était sain et sauf - et son adversaire un peu plus dégarni.
La perte de ses plumes rectrices rendit le vol du Furaiglon plus chancelant, et sa colère ne s'en fit que plus violente. De plusieurs battements d'aile maladroits, erratiques, destinés à compenser le gouvernail endommagé de sa queue, il se tourna en direction du Noctali pour préparer sa vengeance.
Le poussin tenta bien d'expectorer un nouveau cri guerrier, mais il n'était plus en état d'aligner deux pensées cohérentes ; alors des paroles ? Il ne fallait pas y compter. Kohaku recracha les plumes restées dans sa gueule non sans une grimace de dégoût, le museau froncé tandis qu'il passait et repassait sa langue entre ses babines pour en chasser les derniers vestiges de duvet. Il redressa ensuite sa tête vers son adversaire, les oreilles rabattues en arrière. Ses crocs blancs dévoilés jetaient presque autant d'étincelles que les braises de son regard.
« AAAH KRRIAAA KRRIIIIAAA AAAAAH ! »
Le Furaiglon rabattit ses ailes pour fondre sur le quadrupède, en digne rapace qu'il était ; il allait rendre honneur à son Gueriaigle de père, lui qui n'avait jamais tourné le dos à un seul ennemi, lui qui s'était distingué sur le champ de bataille éternel entre fiers Pokémon sauvages et faibles Pokémon domestiqués ! Il n'allait pas se laisser défaire aussi aisément, queue arrachée ou pas !
Le petit bec pointu assaillit Kohaku de toute part, à la recherche de cette lueur vivace au fond de ses prunelles arrogantes. Il voulait l'éteindre, cette lueur ; noyer le rouge brasier de ses prunelles sous le rouge bourgogne du sang.
En voyant son meilleur ami enseveli sous un nuage de coups de bec, de serres et de plumes éparpillées, Lekka étrangla une plainte terrifiée. « Kohaku ! Kohaku ! Non ! »
Le Noctali se débattait de toutes ses forces pour ne pas laisser les dangereuses pointes trouver le chemin fatidique vers ses globes oculaires. « Va-t'en ! Va-t'en, satané piaf ! » crachait-il en esquivant de justesse qui une patte, qui des mandibules ouvertes sur un cri interminable.
Ce disant, il reculait d'instinct pour parer aux assauts du Furaiglon, sans voir la gueule béante du vide qui prenait de plus en plus d'espace dans son dos.
« Kohaku ! Réagis ! Morsure ! »
Qu'est-ce que tu crois que j'essaie de faire ! Mais la tornade assoiffée de sang qui s'était abattue sur lui n'avait pas pour désir de le laisser en paix. Ajuster sa cible dans cet épais brouillard de coups n'était pas loin de relever de l'impossible...
Et les coussinets de ses pattes arrière frôlèrent le bord de l'abîme.
« Attention ! Attention ! » beuglait Lekka à son intention ; mais le Noctali, aux prises avec les agressions démultipliées de son adversaire, trouvait ses interventions plus perturbantes qu'autre chose.
Ses pattes patinèrent au bord du gouffre. Il esquiva de justesse un violent coup d'aile qui aurait pu l'ébranler suffisamment pour l'envoyer rouler par le fond ; les babines retroussées sur sa gueule entrouverte, Kohaku chercha désespérément un moyen de se sortir de sa précaire situation.
« Par les deux faces de la Lune, tu peux toujours rêver ! » Le Noctali se baissa : une gifle de serres lui souffleta le bout des oreilles. Le mouvement fit chanceler dans les airs l'oisillon au plumage diminué ; le temps qu'il se rétablît, sa patte raidie par la fureur resta, l'espace d'une fraction de seconde, juste à portée de la gueule ennemie. C'était peu, c'était bref, mais c'était tout ce qu'il fallait à Kohaku pour faire tourner le vent de la bataille en sa faveur.
Suivant son instinct de combattant, il se fendit en avant.
Ses crocs se refermèrent sur le membre grêle agité de soubresauts ; le Furaiglon poussa un cri de douleur indigné, pourtant sa peine n'était rien encore à côté de ce qui allait survenir.
Sans aucune forme d'égard envers l'insolent qui avait eu le malheur de le harceler, Kohaku esquissa un, deux, trois cercles de la tête, faisant tournoyer sa proie dans les airs tel un lasso, avant de brusquement lâcher sa prise. Propulsé par la force d'inertie, l'oisillon disparut dans le lointain sur une longue plainte sidérée.
Victorieux, le Noctali se percha au bord du précipice pour regarder la petite tache de plumes débroussaillée se fondre dans la grisaille des montagnes. Il lui adressa un petit geste d'adieu moqueur d'une ondulation de la queue.
« Au plaisir de ne pas se revoir ! » s'écria-t-il. Il se retourna ensuite vers le grand nid entrelacé de branches. « Bien ! Maintenant que ce problème est réglé, passons à la suite. »
La suite en question concernait la position délicate dans laquelle se trouvait Slime, bien sûr. La Tadmorv avait suivi tout le combat depuis son point de vue imprenable au sommet du nid, les yeux écarquillés d'admiration face aux exploits du héros du jour.
« 'Haku ! 'Haku ! M'a sauvée ! » Pleine de joie, elle tendit vers son aîné deux bras flasques dégoulinant de morve.
« Ahem... Oui, oui, si on veut. Mais il va falloir te bouger de là, maintenant, » lui répondit le Noctali avec un sourire embarrassé, déconcerté par ce public en délire.
Lekka rejoignit à son tour ses deux Pokémon ; trouver un moyen d'extraire la Tadmorv du nid avant que le Furaiglon ou ses parents ne le rejoignissent ne fut pas chose aisée, mais entre l'ingéniosité de Kohaku, l'utilité des pouces opposables de l'humain et le mucus adhésif de Slime, tous trois parvinrent à combiner des efforts assez fructueux pour retrouver le contact rassurant de la pierre ferme.
Sur cette belle épopée, le garçon ne se fit pas prier pour redescendre les pics par la pente où il était arrivé. Ces mésaventures en chaîne l'avaient guéri de toute velléité de randonnée. Pour un peu, Kohaku lui aurait proféré un « Je te l'avais bien dit » des plus appropriés, mais sans l'assurance de se faire comprendre de son Dresseur, il se contenta plutôt de lui lancer un regard lourd de sens. On ne les y reprendrait plus de sitôt, à explorer les montagnes par monts et par vaux !
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Aiguisage de Furaiglon fait monter son attaque !
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