Villa des Kelder, San Camari, xx décembre 2021. Début de soirée.
Une fructueuse journée de plus qui s'achevait. Satisfait de son déroulement, je regagnai le refuge appréciable de ma chambre après un bon dîner en compagnie de mes parents et de ma sœur, pour une fois suivi, et non précédé, d'Oracle. En ce lieu qui m'avait accueilli depuis les prémices de mon existence, ma mémoire m'offrait une vision des alentours aussi claire que celle de n'importe quel voyant, et j'évoluais sans difficulté dans le couloir jusqu'à atteindre la porte réservée à mon domaine personnel. Mon nid, mon royaume, la seule pièce de toute la maison qui m'était entièrement réservée : je la maintenais à mon image, digne et ordonnée avec toute l'exigence qu'on attendait d'elle.
Je pénétrai à l'intérieur, mon oiselle bientôt sur les talons. Oracle s'éloigna prestement pour rejoindre les abords de la fenêtre par laquelle elle avait pris l'habitude d'observer la course du soleil. Je sentis le contact de ses pensées s'éloigner à mesure qu'elle se plongeait dans cette transe méditative qui avait fait la réputation de son espèce. Avec cette solitude d'esprit retrouvée, j'esquissai un soupir bienheureux avant de me laisser choir sur le lit, étendu sur le dos pour contempler mes souvenirs.
Bon travail, Loup et Leysa. Très bon travail, même. Pour ce qui est du support écrit, les recherches ont été approfondies, les sources pertinentes, et le plan bien organisé. Le cheminement de vos réflexions était intéressant, même si quelques paragraphes s'éparpillaient un peu en détails superflus. Vous aviez envie d'aborder beaucoup de sujets en même temps, ça s'est senti, et même si l'intention est bonne, n'oubliez pas que trop de digressions desservira toujours la finalité de votre discours. Vous avez pêché par là aussi lors de la présentation, Leysa, ce qui est dommage, car votre investissement était indéniable. De votre côté, Loup, rien à redire sur la performance orale, bien sûr. Dans l'ensemble, bravo. 17/20.
Nos efforts avaient bien payés, en fin de compte. Notre collaboration avait eu droit à son lot de déboires, surtout avec l'énergie mal canalisée de Leysa qu'il avait fallu recentrer sur la tâche en quelques occasions, néanmoins notre improbable duo avait su s'acquitter de son devoir, et haut-la-main de surcroît. Bien que je ne pouvais me qualifier de très familier avec la jeune fille des quartiers, notre labeur commun - et les petites pâtisseries partagées au café où il s'était accompli - avait su tisser entre nous le fil d'une relation qui n'aurait pu, en d'autres circonstances, se nouer. Si affirmer que nous étions devenus amis me semblait quelque peu précipité, je ne pouvais nier ma sympathie envers elle, désormais, et il me parut évident d'au moins la remercier pour l'assiduité dont elle avait fait preuve envers un ouvrage qui, à sa place, en aurait désintéressé plus d'un.
Ma main glissa distraitement vers ma poche, là où je conservais mon téléphone. Je me redressai sur le lit, amenai l'appareil à bonne portée pour qu'il distinguât correctement mes mots. L'assistant vocal s'éveilla dès l'instant où je lui intimai de chercher Leysa dans mon répertoire.
« Enregistre un message vocal à Leysa. "Bonsoir, Leysa. Je repensais aux félicitations que nous avions reçues pour notre exposé, et je tenais à te remercier pour les efforts que tu as fournis afin que tout se passe au mieux. Pour être tout à fait honnête avec toi, j'avais un peu appréhendé cette association, mais tu as fait mentir toutes mes inquiétudes et ce fut une agréable découverte (comme ce café, d'ailleurs ! Leurs gaufres, un vrai délice !). Je sais que tu as eu tes difficultés à rester concentrée sur ta partie durant l'oral, mais tu t'en es tout de même admirablement sortie. Ce fut un plaisir de travailler avec toi - et n'écoute pas ceux qui ont persiflé à notre encontre après la réception des notes. Ils n'auront jamais idée du véritable travail que nous avons produit, tant qu'ils ne s'ôteront pas de l'esprit qu'il y a eu favoritisme. Mais peu importe. Si jamais tu veux réitérer l'expérience pour un autre projet, sache que j'y suis tout à fait ouvert. Je ne peux juste pas te promettre un musée à chaque fois, cela dit !" » Ma tirade achevée, je repassai le fil de l'enregistrement pour en juger le contenu, puis, une fois certain que tout était en ordre, j'indiquai à la machine de l'envoyer.
Content, je me carrai confortablement contre mes oreillers. Dès que j'aurais obtenu sa réponse - qui ne tarderait pas, je commençais à la connaître -, je reprendrai sans doute l'écoute de mon roman de chevet du moment. Après une journée si bien remplie, j'avais plus que mérité cette petite coupure loin de mon quotidien !
Communications ininterrompues ft. @Loup Kelder Maison des Bracstor, xx décembre 2021, début de soirée
Belle journée, toute joyeuse - n’a pas arrêté de se vanter de sa note à Aïah - et à Anubis - et à Thor - et au reste de la famille. Dix-sept sur vingt s’il vous plaît - la gamine a rarement d'aussi bon résultats si on oublie le sport. Pour un exposé en plus, où pour une fois, on ne la met pas de côté - ou on ne se plaint pas trop de son manque de concentration. Pourtant, preuve en est, gamine n’est pas la dernière des idiotes, a parfaitement mémorisé les informations recherchées - trop sûrement, puisque la professeur lui a fait une remarque sur l’éparpillement. Un point dont elle a bien conscience, mais il est souvent compliqué de lutter contre sa nature.
Retour dans la chambre, Leysa s'étire - fait craquer quelques articulations et assouplit ses jambes avant d’entendre son portable vibrer et de le voir s’allumer. Le prend en main - message de Loup - sourire surpris. En l’écoutant, elle continue sa petite routine - il parle longtemps lui semble-t-il, mais elle apprécie assez le son de sa voix pour ne pas s’en plaindre. “Pas de bruit Anubis, j’vais lui répondre à l’oral, ok ?” Prévient son ami qui n’a pourtant pas particulièrement l’habitude de vocaliser dans son quotidien - encore moins lors d’assouplissement, qu’il pratique évidemment en même temps que sa coéquipière. S'éclaircit le timbre.
“Recoucou Loup ! C’est plutôt moi qui dois te remercier, d’habitude, on me laisse pas vraiment le temps de, tu sais, faire mes preuves, mais toi t’as été super patient et tu m’as laissée euuuuuh, m’exprimer ! Oui, oui, c’est ça hihi.” Enlève son doigt, ce qui a pour effet d’envoyer son premier message, avant de reprendre. “Oh y a pas de soucis, j’ai l’habitude - on se fait tous une idée rapide des autres, et ce qui compte, c’est d’être capable d’aller au-delà.” Le ton un peu plus bas, comme une confession, n’en perd pas son enthousiasme pour autant, touchée par le compliment. “J’suis vraiment contente pour le café, et d’ailleurs, j’ai oublié de te le dire j’crois, enfin je sais plus, mais j’ai peut-être bien mis des cookies dans ton sac aussi, tout à l’heure - c’est pour me faire pardonner de la dernière fois. Ceux-là sont fait avec de l’huile végétale !” Est-ce que Leysa se serait permise d’ouvrir son sac pour y glisser un petit paquet de sucrerie ? Oui, complètement son genre - c’est une surprise après tout, mais doute que le garçon l’est remarqué, maintenant qu’elle se rappelle sa cécité. Rit en réécoutant la fin, pour être certaine de ne pas oublier de répondre à l’un des sujets abordés. “Oh, tu sais, moi, c’que les autres en pense ou en dise, j’m’en fous un peu. Comme on dit, quand on parle dans mon dos, on parle à mon cul, et moi je leur pète dessus !*” Aucune honte dans ce qu’elle dit, ne se rend même compte de la possible familiarité. “Et j’serais super heureuse de travailler de nouveau avec toi… ou même de juste parler si tu veux ! Tu me disais que ta famille venait d’Unys non ? C’est beaucoup trop cool ! T’as pu voyager un peu aussi ou pas ?” Marque la fin de ses messages vocaux, tout envoyé petit bout par petit bout - pas très pratique mais ne doute pas que sur le téléphone, les audios s'enchaînent d’une seule traite, pour Loup.
Comme je m'y attendais, mon téléphone ne tarda pas à se mettre à vibrer en saccade. À la première secousse, je ne me précipitais pas immédiatement pour saisir l'appareil : à force de conversations, j'avais pris l'habitude de la manière dont Leysa découpait et envoyait ses messages les uns à la suite des autres, comme une tempête soufflait ses bourrasques. C'était une méthode qui m'avait un peu pris au dépourvu, la première fois que nous avions pris contact, mais j'avais su m'y faire à la longue en dépit de son caractère très chaotique - qui ressemblait bien à son instigatrice. Lorsque je fus assuré que mon portable avait cessé sa frénésie, je m'en emparai enfin afin de réceptionner les communications qui m'étaient destinées.
« Recoucou Loup ! C’est plutôt moi qui dois te remercier, d’habitude, on me laisse pas vraiment le temps de, tu sais, faire mes preuves, mais toi t’as été super patient et tu m’as laissée euuuuuh, m’exprimer ! Oui, oui, c’est ça hihi. » Premier message achevé. J'eus un sourire satisfait. C'était toujours un plaisir pour moi d'apprendre que mon influence avait pu profiter à quelqu'un, de quelque manière que ce fût. Il était dans mes plus précieuses aspirations de réussir à révéler le meilleur chez ceux qui m'entouraient - après tout, n'était-ce pas ce qu'il était attendu d'un leader, quel que fût sa place dans la société ? - et je ne rechignais devant aucune sorte d'encouragement, d'écoute ni d'apport de réflexion pour offrir à quiconque la possibilité de s'exprimer à sa juste valeur. Souvent, il n'en fallait guère plus pour permettre aux étoiles les plus inattendues de se mettre à briller.
Il fallait croire que c'était tout ce dont avait besoin Leysa pour prouver à la classe (voire à elle-même !) qu'elle était plus qu'une hyperactive un peu cancre sur les bords. Et surtout, que son excédent d'énergie ne faisait pas d'elle une imbécile.
« Oh y a pas de soucis, j’ai l’habitude - on se fait tous une idée rapide des autres, et ce qui compte, c’est d’être capable d’aller au-delà. » On ne pouvait être plus d'accord sur ce point. Pourtant, l'ouverture d'esprit n'était pas une qualité aussi fréquente qu'elle l'aurait dû, et j'étais content de constater que Leysa comprenait bien l'importance de dépasser ses préjugés. Je me navrais seulement qu'elle eût l'habitude de faire mauvaise impression ; j'en vins même à me sentir un peu mal à l'aise d'avoir succombé à cette basse facilité. « J’suis vraiment contente pour le café, et d’ailleurs, j’ai oublié de te le dire j’crois, enfin je sais plus, mais j’ai peut-être bien mis des cookies dans ton sac aussi, tout à l’heure... » (À cette mention, j'eus une réaction de surprise. Quoi ? Avait-elle vraiment fait ça ? Il allait falloir que je vérifiasse, car je n'avais rien trouvé d'inhabituel dans mes affaires, et Oracle ne m'avait pas averti de la moindre intrusion.) « ...c’est pour me faire pardonner de la dernière fois. Ceux-là sont fait avec de l’huile végétale ! »
Si l'attention me touchait, c'était indéniable, je n'étais pas certain d'apprécier l'idée qu'elle se permît autant de liberté avec mes effets personnels. Je laissai le défilement des messages en suspens et me rassis au bord du lit. En quelques pas, je retrouvai le sac que j'avais soigneusement déposé à son emplacement dédié, à côté de mon bureau. Après une rapide inspection, j'en extirpai bel et bien les biscuits mentionnés. « Oracle ? Tu étais au courant de ça ? » L'interpellation retint tout de suite l'attention de l'oiselle, qui s'empressa de tendre son esprit vers le mien. Lorsqu'elle saisit ce dont je parlais - ou, plus probable, qu'elle me découvrit les cookies pendus à la main -, elle me partagea sa confusion. « Il n'aura pas été difficile pour elle de tromper ma vigilance, mais la tienne ? Elle a vraiment des ressources surprenantes. » Enfin, ce qui était fait était fait. Malgré son indélicatesse, le bon sentiment à son origine restait inchangé, et je n'allais pas gâcher ces friandises généreusement accordées pour une simple question de principe, n'est-ce pas ?
Je m'en retournai donc à mon lit non sans croquer dans un cookie ; la bouche pleine, je dus m'y reprendre à deux fois pour relancer la lecture des messages.
« Oh, tu sais, moi, c’que les autres en pensent ou en disent, j’m’en fous un peu. Comme on dit, quand on parle dans mon dos, on parle à mon cul, et moi je leur pète dessus ! » La... créativité de sa formule me laissa interdit quelques secondes. Enfin, j'aurais dû m'y attendre : elle m'avait déjà fait profiter à l'occasion de son vocabulaire... quelque peu imagé. Mais, bien que vulgaire, sa résilience trouvait en moi des échos qu'elle n'aurait pas pu soupçonner. Je n'avais pas été le dernier à subir invectives et moqueries au cours de mon existence, et apprendre à en faire abstraction avait été une leçon difficile à retenir, et plus encore à appliquer. Il était amusant de constater combien nos vies respectives, aussi différentes fussent-elles, nous avaient finalement amenés aux mêmes fatales conclusions : puisqu'il était impossible de contrôler en totalité ce que les autres voulaient voir de nous, autant s'assumer sans regrets.
Déjà pourtant, l'enregistrement arrivait au terme de sa diatribe morcelée. « Et j’serais super heureuse de travailler de nouveau avec toi… ou même de juste parler si tu veux ! Tu me disais que ta famille venait d’Unys non ? C’est beaucoup trop cool ! T’as pu voyager un peu aussi ou pas ? »
L'ultime question résonna un moment dans le silence retrouvé de la chambre, seulement perturbé par mes bruits de mastication. J'attendis de me dégager la bouche avant de redémarrer un enregistrement. Il n'était pas question de m'adresser à elle en pleine dégustation... et puis le micro capricieux de mon téléphone ne semblait pas approuver mes efforts pour me faire comprendre au-delà du croustillant des cookies.
« "Si tu me permets, je vais reprendre depuis le début, d'accord ? Si tu t'es sentie libre et soutenue en travaillant avec moi, alors j'en suis sincèrement ravi. En fait, je n'en espérais pas davantage. Te mettre à l'aise faisait partie de mes intentions ; de toute façon, on obtient rarement un bon travail d'équipe sans être à l'écoute de ses partenaires. C'est une constante que certains de nos camarades feraient bien de garder en tête, plutôt que de nous accabler de tous les maux, toi, moi, ou n'importe qui d'un peu trop particulier à leurs yeux. Pour les cookies..." » (Je me retins très fort d'en porter un autre à mes lèvres. Pas maintenant ; quand j'aurais terminé de prononcer mon message.) « "...ce n'était pas nécessaire, vraiment ! Mais l'attention me touche quand même. J'aurais juste préféré que tu me les offres en main propre. J'aurais pu ne pas y prêter attention et les laisser s'écraser au fond de mon sac... sans compter que je n'aime pas trop l'idée que tu viennes déranger mes affaires dans mon dos. C'est vraiment primordial pour moi qu'elles restent bien organisées, et savoir que tu risques de t'y introduire n'importe quand n'est pas quelque chose de très rassurant, à mes yeux. Je te fais confiance pour t'en rappeler à l'avenir... Au demeurant, tu peux être fière de toi : ils sont tout à fait délicieux ! Et pour répondre à tes dernières questions : oui, mon grand-père est originaire d'Unys et non, je n'ai pas eu l'occasion de m'y rendre. Disons... que ce qu'il reste de ma famille là-bas n'est pas forcément en bon terme avec notre partie de l'arbre généalogique. Ce n'était déjà pas le cas à l'époque de Grand-Père, et nos prises de position récentes dans la politique de Cinza n'ont pas vraiment arrangé les choses." » (Je marquai une légère pause, un peu malgré moi. J'étais fier de ma famille, mais repenser à nos parents unoviens me mettait toujours en partie sur la défensive. Il n'était pas faux de dire que leur aversion envers nous était réciproque...) « "Pourtant, je ne serais pas contre visiter la région, un jour. Ne serait-ce que pour découvrir en vrai tous ces lieux antiques que nous avons étudiés pour l'exposé !" » (Je me sentis animé par la curiosité à mon tour. Après tout, nous avions eu beau travailler ensemble, je n'en savais pas tant que cela sur Leysa en-dehors des cours. Elle devait en connaître bien plus sur moi ! Néanmoins je ne voulais pas prendre le risque de remuer un terreau pourri comme à notre première rencontre ; aussi pris-je soin de sélectionner mes mots avant de continuer.) « "Pardonne-moi si ça te paraît indiscret, mais... qu'en est-il de toi ? As-tu voyagé ? Ou voudrais-tu le faire, si ce n'est pas encore le cas ? Et quels endroits apprécierais-tu visiter ?" »
C'était un long message, mais elle aussi devait avoir pris l'habitude de ma façon de m'exprimer, désormais. J'envoyai le tout, et m'autorisai enfin à attraper un deuxième cookie. Ils étaient vraiment bons !
Toute guillerette, gamine change de position - s'assoit en tailleur et tente de coller les genoux au sol en appuyant avec ses coudes. Entend marmonner derrière sa porte mais ne s’en préoccupe pas. Quelques minutes passent avant que son téléphone vibre de nouveau et qu’elle s’en empare, faisant papillonner ses jambes pour les détendre tout en continuant l'exercice. Joyeuse enfant écoute attentivement - jusqu’à ce qu’il soit temps de répondre à son tour. “C’est gentil, Loup, merci. (Voix est plus douce tout d’un coup, mais ne le reste pas très longtemps.) Et j’suis d’accord ! Mais j’peux comprendre aussi qu’on ait pas toujours la patience de… rattraper mes bêtises ? (En est-ce véritablement, seulement ?) Puis, parfois, y a juste des gens qui sont pas fait pour s’entendre aussi - c’est tout.” Balance ses épaules en même temps, réfléchissant aux nombreuses fois où, elle la première, a envoyé paître un gamin trop arrogant. Joie toutefois que les cookies aient fait plaisir - qu’ils soient tant appréciés même si la façon de donner n’était visiblement pas passée. “C’est que… rien, oubli ! Mais j’suis contente s’ils sont à ton goût - si tu veux j'pourrais te faire goûter d'autres de mes spécialités ! Et j’me souviendrais de te les donner directement la prochaine fois, wouip, promis m'sieur Kelder !” Formalité taquine - prend pourtant très au sérieux la demande. N’expliquera pas qu’elle trouvait plus amusant de faire ainsi une surprise et se rappellera de ne jamais déranger ses affaires - ou mettre une main dedans.
“Oh j’vois…” Pour toute réponse sur son histoire familiale - idéaux brisent bien des unions et gamine se doute que sa propre famille n’y échappera pas longtemps. Change de position de nouveau, se cale relativement confortablement pour étirer les muscles dans derrière ses cuisses dont elle ne connaît pas le nom car ne s’y intéresse pas particulièrement. “Et c’est pas indiscret ! J’veux dire, j’t’ai posé la question en première alors, j’imagine que ça veut dire que j’suis ok pour en parler aussi.” Mesure et prudence du Kelder toujours surprendront - étrangeté attentionnelle. “Et nop, moi j’voyage que dans Cinza et pour tout te dire, j’ai déjà fait tous les alentours de San Camari !” Fierté non dissimulée. “J’crois que… j’aimerais beaucoup explorer les contrées sauvages - j’aime beaucoup découvrir de nouveaux trucs, voir de nouveaux paysages - et j’te cache pas que Sinnoh me fait de l'œil en ce moment. En fait si je pouvais je ferais le tour du monde ! (Aborde un sujet qui la passionne.) Mais si vraiment je devais choisir, j’voudrais découvrir des endroits inexplorés et observer les pokémons en liberté…” Les yeux brillent, petite partie de son rêve de grand - confié, comme un secret pouvant être révélé. “Mais ce serait trop cool de pouvoir aussi visiter le Château Enfouis et Unys ! Peut-être qu’un jour, on ira ensemble haha !” Visualise la scène - s’amuse des rêves.
J'eus le temps d'avaler un troisième cookie avant que la communication reprît. Eh bien, ce n'avait pas été prévu, mais ma soirée lecture était bien partie pour se transformer en discussion ininterrompue par enregistrements interposés. Soit ! Ce n'était pas pour me déplaire, à vrai dire. Aussi surprenant que cela pu paraître en regard de mes relations sociales, j'avais trop peu l'occasion d'engager des conversations simples et sincères auprès de mes camarades au-delà du cadre de l'école ; et, à ce titre, j'aurais pu trouver pire compagnie que Leysa pour discuter, quand bien même sa vivacité n'aidait pas toujours à maintenir la cohérence de l'échange.
Néanmoins j'avais comme la sensation que les longues pauses qui entrecoupaient les vibrations excitées de mon téléphone engourdiraient vite mon esprit par leur absence de stimulation ; je me permis donc d'agrémenter l'ambiance silencieuse de ma chambre d'un peu plus de vie.
« Poryga ? » Quelque part sur mon bureau, je le savais, une petite machine s'était réveillée à mon appel. « Pourrais-tu lancer de la musique ? La playlist "piano", s'il te plaît.
— Lecture de la playlist piano en cours, » me répondit l'appareil de sa voix régulière d'automate.
Aussitôt le prélude d'une douce harmonie de notes envahit les airs, assez clair pour ravir mes oreilles sans risquer de masquer le contenu des messages délivrés par mon interlocutrice. Entre la musique et les biscuits, je relançai l'écoute de ses nouvelles réponses, désormais paré pour passer la soirée dans les meilleures conditions possibles.
« C’est gentil, Loup, merci. » (Je perçus comme une... légère faille dans sa voix, une accalmie étrange dans l'ouragan habituel de son enthousiasme, et si la sincérité de son remerciement dessina un sourire compatissant sur mes lèvres, elle retrouva très vite l'ardeur qui l'animait :) « Et j’suis d’accord ! Mais j’peux comprendre aussi qu’on ait pas toujours la patience de… rattraper mes bêtises ? Puis, parfois, y a juste des gens qui sont pas faits pour s’entendre aussi - c’est tout. » Certes, je ne pouvais nier cette affirmation. Mais il me paraissait important d'apporter mon aide lorsque je me trouvais en position de le faire, surtout et y compris si les personnes concernées démontraient une volonté indéniable de s'améliorer - ce qui avait été son cas, du moins pendant notre collaboration. Saurait-elle faire preuve d'autant d'efforts dans un autre contexte ? À l'heure actuelle, je ne pouvais le jurer.
Elle sembla tiquer sur l'épisode des cookies, mais ne passa pas à côté de ma mise en garde pour autant. « C’est que… rien, oublie ! Mais j’suis contente s’ils sont à ton goût - si tu veux j'pourrai te faire goûter d'autres de mes spécialités ! Et j’me souviendrai de te les donner directement la prochaine fois, wouip, promis m'sieur Kelder ! » L'obséquiosité malicieuse de sa dernière remarque me fit souffler du nez, amusé. J'avais l'habitude qu'on me servît des politesses à chacune de mes apparitions publiques et j'étais loin de m'en plaindre, bien au contraire, mais je devais admettre que la décomplexion de Leysa sur le sujet possédait son attrait. Tant qu'elle restait bon enfant.
Elle ne s'attarda pas à m'interroger plus avant sur les Kelder unoviens - je lui en savais gré - et partit pour me détailler, intarissable comme à chaque fois qu'un thème la passionnait, les destinations lointaines qui faisaient vibrer son cœur. « Et nop, moi j’voyage que dans Cinza et pour tout te dire, j’ai déjà fait tous les alentours de San Camari ! » La fierté perceptible dans sa voix me fit sourire, bien qu'elle éveilla en moi des instincts de compétition tout à fait puérils. Si elle pensait vraiment tout savoir des secrets qui se cachaient aux environs de ma ville, j'allais devoir la détromper... sans compter que, connaissant son milieu, elle ne s'était probablement jamais longtemps éloignée de son enceinte. J'avais peut-être peu quitté les frontières de Cinza, mais il était faux de dire que j'avais passé l'ensemble de mon existence cloîtré à San Camari ; j'avais eu la chance de visiter des endroits dont elle ne pouvait même pas rêver, faute de les connaître. « J’crois que… j’aimerais beaucoup explorer les contrées sauvages - j’aime beaucoup découvrir de nouveaux trucs, voir de nouveaux paysages - et j’te cache pas que Sinnoh me fait de l'œil en ce moment. En fait si je pouvais je ferais le tour du monde ! » Pourquoi cette révélation ne me surprenait-elle pas ? Je croyais également me souvenir de ses dissertations émerveillées sur Sinnoh et sa... grande Maîtresse de Ligue, Cynthia, durant nos sessions de travail, aussi n'étais-je pas vraiment étonné d'entendre la région revenir parmi ses vœux. Pour ma part, je ne comprenais pas la fascination qu'elle pouvait nourrir pour ces célébrités qui bâtissaient leur gloire sur la souffrance des créatures qu'elles juraient d'aimer. Nous n'avions pas interdit la pratique des combats pour rien, à Cinza ; j'espérais que la jeune fille ne rêvait pas de ces voyages pour renouer avec les ignominies que nous avions eu tant de mal à éliminer. « Mais si vraiment je devais choisir, j’voudrais découvrir des endroits inexplorés et observer les Pokémon en liberté… Mais ce serait trop cool de pouvoir aussi visiter le Château Enfoui et Unys ! Peut-être qu’un jour, on ira ensemble haha ! » La fin de sa tirade me rassura un peu. Je devais convenir que l'idée de découvrir de nouveaux horizons avait quelque chose d'inspirant, surtout à mes yeux d'aveugle ; si je ne pouvais voir le monde, il me fallait aller à sa rencontre, m'imprégner de ses subtilités par l'entremise de mes autres sens. Le désir d'observer les Pokémon dans leur milieu naturel ne m'était pas étranger non plus, cependant la cécité resterait toujours pour moi un obstacle infranchissable à sa complète réalisation. À défaut de les étudier, je me contenterai de les protéger, eux et leurs environnements à la beauté si précaire, par les lois dont je me ferais un jour le défenseur. Cela dit, mon infirmité ne m'empêcherait pas de m'offrir à l'appréciation de la nature, ni de visiter les lieux emblématiques des autres contrées du monde, si le cœur m'en disait. Peut-être, un jour.
Quant à savoir si Leysa m'accompagnerait pour ce périple...
« "Rattraper tes bêtises n'est pas la question," » affirmai-je, le ton ferme mais dénué de reproche. « "Il s'agit de travail d'équipe, avant tout. Nous ne sommes pas faits pour nous entendre avec tout le monde, c'est indéniable, néanmoins lorsque nous nous retrouvons confrontés à nos opposés durant un projet commun, il est nécessaire de savoir mettre les différends de côté et les différences à profit pour faire surgir le meilleur du groupe. Enfin, tu n'es certainement pas là pour que je te fasse un cours de management," » poursuivis-je avec un petit rire. « "Revenons-en à ta cuisine, tu veux bien ? Si tu es aussi douée avec ces autres spécialités qu'avec les cookies, ce sera un plaisir pour moi d'y goûter... d'autant plus si tu y mets les formalités, oui," » plaisantai-je à mon tour.
J'hésitai, puis me décidai à laisser partir le premier message afin de me concentrer pleinement sur la seconde partie de la discussion.
« "Je vois... Tu as là de bien beaux projets, et de belles expériences, aussi," » commentai-je, le sourire dans la voix. « "Permets-moi simplement de te corriger sur un point : je doute que tu aies tout vu des alentours de San Camari. Il n'y a pas beaucoup de villes dans ce pays qui peuvent se targuer de receler d'autant de paysages et d'endroits inexplorés, tu peux me faire confiance sur ce point." » On pouvait m'accuser de forcer le trait, de vanter un peu trop les mérites de ma cité, néanmoins je voulais croire que je connaissais assez ses tours et détours pour légitimer mon assurance - et plus encore, que certaine compagnie très privilégiée m'avait permis de découvrir de nouveaux secrets, d'autres lieux sauvages magnifiques aux abords de San Camari, préservés de la connaissance intrusive des hommes. Bien sûr, je ne m'en ouvrirais pas clairement à Leysa. Mais quel mal y avait-il à aiguillonner un peu sa fierté d'aventurière, après tout ? « "Puis-je te demander pourquoi Sinnoh t'intrigue, en particulier ? Est-ce en rapport avec la Maîtresse Cynthia dont tu m'as déjà parlé ?" » Ma question n'avait l'air de rien, mais je tenais à éclaircir ce détail. Si ma camarade affichait un intérêt un peu trop inquiétant pour les combats, il serait de bon ton que j'essayasse de la remettre sur le droit chemin. « "Sinon, je te rejoins sur l'envie d'observer les Pokémon sauvages. Je ne suis pas pour les perturber dans leur milieu naturel, mais j'apprécie de me promener aux environs de la ville, moi aussi, et j'ai déjà pu apprécier quelques spectacles volés à l'instant présent." » Je me rappelais une balade en bord de mer, il y avait quelques années, où j'avais pu sentir quelques bulles légères éclater contre mes joues ; avec un petit cri surpris, je m'étais figé sur place avant de réaliser qu'il s'agissait seulement de la manifestation aqueuse des Krabby de la côte, attirés sur la terre ferme par la majesté du couchant. Je n'avais pu en savourer la vision, bien sûr, mais la fraîcheur de leur écume poussée sur ma peau par le vent marin resterait à jamais gravée dans ma mémoire. « "Peut-être les visiterons-nous, un jour, en souvenir de ce vieil exposé d'histoire qui aura associé nos destins," » convins-je d'une voix un peu plus en retrait, un peu plus songeuse. Selon toute probabilité, nous n'allions pas conserver assez de lien pour que cette prédiction se réalisât, mais je supposai que ça ne coûtait rien d'imaginer. « "Arceus seul sait ce qu'il adviendra de nos désirs," » conclus-je tout haut, comme pour ébrouer ma conscience de ces présomptions hasardeuses.
Crac - crac. Claque les articulations, dégage quelques pressions - s’étire, adopte une autre figure, imitée par le pokémon juste à côté. N’entend pas les pas dans le couloir - ou plutôt ne s’en inquiète pas malgré leur lenteur. Echanges avec le Kelder deviennent plus… intimes, quoique le mot lui paraisse inexacte, elle ne saurait en choisir un plus approprié - c’est le cas, d’une certaine façon, puisqu’ils mettent de côté le contexte scolaire pour parler de chose et d’autres - non plus comme le feraient deux camarades mais plutôt comme deux connaissances - deux potes ? Nature de leur relation en l’instant lui échappe - mais n’a pas vraiment le temps de se questionner davantage qu’elle reçoit de nouveaux messages. Fronce des sourcils face à ce qu’elle entend - regard entendu avec Anubis, tout aussi perplexe qu’elle par moment. “J’suis plutôt d’accord avec toi, être, euh, professionnel, c’est important. Mais tout le monde est pas capable de le faire. J’vois pas ce que tu peux tirer d’une personne qui veut juste pas travailler par exemple. On peut pas toujours forcer - ou manipuler - les autres à faire ce qu’on veut.” Nonchalance dans la voix détachée - sujet semble ennuyer, comme si les questions s’étaient déjà posées, quelques part dans l’esprit, et que les conclusions étaient si évidentes qu’elle n’a plus rien à tirer de ce genre de débat.
Entrain retrouvé à l’évocation des pâtisseries. “J’suis une as du tiramisu ! Enfin, faudra que je revois la recette pour toi, mais ça sera amusant de le faire autrement !” Joie rythme le ton et les mots - échappent quelques rires parfois. Mine, toutefois, reste sceptique sur la correction que l’adolescent s’est permis de faire. “Ca dépend le périmètre j’imagine.” Brute. Et elle trouve ça vachement gonflé de sa part. Se referme un peu, soupire et reprend à la suite. “En tout cas, c’est sûr que j’connais San Camari comme ma poche.” Ca, il pourra pas en dire autant, lui - parce que c’est pas le genre de garçon à aller jouer dans les bas quartiers, elle imagine. Mais nier que les alentours puissent avoir été entièrement explorés, c’était aussi remettre en doute les années à parcourir les plages, les grottes et les horizons sauvages. Question fuse - instinct alerte autant que la patte d’Anubis qui se pose sur sa cuisse. “Euh, bah, j’dirais que c’est parce qu’en ce moment j’lis plein de trucs à son sujet ? Pour Cynthia par contre, c’est parce qu’elle pète la classe à savoir tout plein de choses sur l’histoire et les légendes de Sinnoh ! Tu savais qu’elle sait lire plusieurs langues anciennes ?!” Exclamations à la limite entre le sincère et l’honnêteté - évince juste des pensées le fait qu’elle soit maîtresse de ligue - et qu’elle possède un Lucario également. Se doute qu’un Kelder ne pourrait comprendre - réponse pas tout à fait à côté, mais qui devrait apaiser ses craintes, sans éveiller d’autres soupçons.
Partage de l’appréciation - des activités, apprend donc que Loup sort de temps à autre, se promène alors qu’elle se l’imaginait enfermé dans sa cage dorée. Peut-être qu’avant d’explorer ensemble d’autres régions ils commenceront par la leur ? L’idée lui met du baume au coeur. “Ca serait marrant oui, d’explorer ensemble. Oh ça me fait pens - ” “Leysa..” Rauque, sourde, s’insinue dans la phrase, stoppe l'élan alors que le message s’envoie. Silhouette dans l’encadrement - frêle se dessinant. Quémande sa fille - même si cherche Feyre en vérité. Silence de plomb - l’étrangère si rarement levée, à moins pour se rendre aux WC. “Tu… Tu veux quelque chose, maman ?” Incertaine - comme prise sur le fait - alors qu’elle ne fait rien de mal sinon vivre. Pas de réponse, disparaît quand l’aînée, alertée, la ramène dans sa chambre. Soupire. Anubis a côté en soutien l’enlace de ses petits bras. Réécoute le dernier message, ferme les yeux en constatant que la voix de la mère y figure. Inspire. “Pardon Loup, ma mère voulait que… j’l’aide à faire un truc, mais bref, euh, j’sais plus ce que je disais du coup… Ah si ! (Dissimule son propre malaise, force un peu la joie à revenir - mais comment pourrait-il se douter de tout ça ?) J’sais pas si t’y es déjà allé, mais y a une grotte à l’ouest de la ville, on peut la rejoindre en longeant le sable tôt le matin - et le spectacle vaut le détour pour les oreilles !” S’émerveille en se rappelant les sons de l’eau coulant, tombant et les échos dans ce lieux à mi-chemin entre le rêve et la réalité.
Sur mon dernier envoi, j'en retournai à l'étreinte de la musique. Les notes du premier piano s'achevèrent pour céder la place à d'autres éclosions sonores, et leur délicate envolée me berça un laps de temps indéfini avant que les vibrations du téléphone ne reprissent.
Mon petit discours sur le travail d'équipe parut ennuyer Leysa plus qu'autre chose, ce qui n'était pas vraiment inattendu ; son ton avait pris des accents débonnaires, désintéressés, et j'aurais pu tout à fait accéder à sa requête informulée de ne pas ressasser le sujet si sa dernière remarque n'avait pas un peu trop bien visé sa cible.
« On peut pas toujours forcer - ou manipuler - les autres à faire ce qu’on veut. » Le commentaire, qui sonna presque comme un reproche à mes oreilles, m'arracha un froncement de sourcils. Sur le fond, j'étais d'accord avec son avis : il était évident que si la personne en face n'y mettait pas du sien, l'on ne pouvait pas espérer obtenir d'elle quoi que ce fût de constructif. Pourtant, c'était bien le rôle du chef - de quelqu'un comme moi - d'utiliser tous les outils à sa disposition pour amener l'élément perturbateur soit à s'améliorer, soit, à défaut, à ne pas nuire aux efforts du groupe. S'évertuer à rétablir un équilibre entre les composantes récalcitrantes d'une équipe serait donc forcément un jeu perdu d'avance ? Pire, un signe de tyrannie ? J'osais croire qu'elle ne m'avait pas perçu comme un sournois despote lorsque j'avais usé des artifices de ma rhétorique - et de beaucoup de patience - pour qu'elle se sentît à l'aise durant notre collaboration. Manipuler était un terme un peu fort pour décrire les tâches d'exhortation et d'orchestration qui incombaient à un meneur.
Non, je n'étais pas un manipulateur. J'avais toujours eu l'intention d'aider, et toujours emploierais-je mes capacités en ce sens, quelle que fût l'impression que cette attitude pouvait renvoyer. La finalité saurait, à l'instar de notre note d'exposé, me donner raison.
Ce fut drapé dans une dignité offensée que je poursuivis l'écoute de ses messages, l'oreille en partie distraite par les remous de ma frustration refoulée. J'entendis plus que je ne prêtai attention à son regain d'enthousiasme à la mention de ses qualités de cuisinière - je ne doutais pas qu'elle sût encore ravir mes papilles, mais ça ne m'importait plus assez, en cet instant, pour que je voulusse m'y attarder - puis, tout à coup, son allant s'en retourna à sa franchise sans ambage. « Ça dépend le périmètre j’imagine. En tout cas, c’est sûr que j’connais San Camari comme ma poche. » Ah, il semblerait que j'eusse touché juste, à mon tour. Elle devait certainement concevoir une grande fierté de ses expéditions autour de la ville ; son ego n'avait pas dû apprécier que je le remisse en cause avec une telle assurance. Il fallait admettre que je tirais moi-même beaucoup d'orgueil de ma connaissance personnelle de San Camari et de ses environs. Beaucoup de gens s'imaginaient que je quittais peu l'enceinte de la demeure familiale, en partie à cause de mon handicap, en partie à cause du fossé creusé par mon statut social. La vérité, c'était que je ne pouvais tenir en place. Rester enfermé dans ma chambre à longueur de journée me rendait fou : je voulais, je nécessitais de me lancer à la rencontre de ce qui ne pouvait se révéler à moi que par l'entremise de mes quatre autres sens. Sans compter que, plus tard, la cité allait peut-être ressortir de ma juridiction. Quel genre de gouvernant pouvait prétendre s'occuper au mieux de ses administrés sans s'être fait la moindre idée de leur principal cadre de vie ? Je n'étais pas au fait de toutes les ruelles, tous les quartiers, tous les coins et recoins les plus repliés de San Camari, cependant j'avais l'audace de penser en savoir bien plus sur ses méandres qu'on ne l'eût soupçonné. Depuis que ma mère avait soulagé assez de ses angoisses pour m'autoriser plus d'autonomie, je ne perdais pas une occasion pour partir en promenade en compagne d'Oracle, et ensemble, nous avions arpenté bien des routes perdues, des parcs savamment dissimulés et des bancs de plage délaissés par les touristes de la mer. Je ne me laisserais pas si vite impressionner par ce que Leysa aurait à m'apprendre, toute San Camarite fût-elle.
Nous étions comme deux explorateurs revendiquant la découverte de la même terre nouvelle.
L'esprit échauffé par le défi latent qui flottait désormais entre nos échanges, il fallut que la jeune fille prononça le nom de Cynthia pour que mes sens repassassent en alerte. J'avais presque oublié mes soupçons sur son attrait pour cette Maîtresse questionnable. « ...C’est parce qu’elle pète la classe à savoir tout plein de choses sur l’histoire et les légendes de Sinnoh ! Tu savais qu’elle sait lire plusieurs langues anciennes ?! » Ses paroles enjouées libérèrent la crispation de mes épaules. Bien. Elle n'avait pas commis l'erreur fatidique de dire l'indicible, c'était déjà un bon point. Je ne pouvais être sûr que la... qualité de Dresseuse de Cynthia échappait réellement à Leysa - dans les faits, je commençais à la connaître et il aurait été étonnant de sa part qu'elle ne sût pas un détail si important sur son « idole » - mais la passion qu'elle exprimait envers la culture indéniable de la lointaine Sinnone me rassura quelque peu. Je ne doutais pas de l'admiration qu'elle éprouvait face à toute forme d'histoire que ce fût ; son authenticité me parut crédible. Satisfait de sa réponse, je sentis la tension initiée par ses précédentes déclarations se dissiper un peu, chassée par le contentement. C'était un peu plus que cela, même. Du soulagement ? Le mot me paraissait très fort, pourtant je n'arrivais pas à mieux définir le relâchement soudain qui m'avait pris. Je n'aimais pas entendre les autres se fourvoyer dans leurs visions du monde, et c'était d'autant plus vrai pour ceux que j'estimais.
J'estimais Leysa ? L'on pouvait dire. J'avais, à tout le moins, du respect pour sa curiosité et sa capacité d'analyse bien cachée derrière les couches successives d'hyperactivité, et sa joie de vivre était communicative, l'on ne pouvait le nier. Parlant de sa curiosité, d'ailleurs, elle poursuivit mes évocations songeuses autour de nos rêves de voyage :
« Ça serait marrant oui, d’explorer ensemble. Oh ça me fait pens - Leysa. » Une voix étrangère, lointaine, éraillée mais bien féminine, coupa l'énergique Leysa dans sa gaieté retrouvée. Je n'eus pas la suite du message, mais l'intonation éteinte de cette dame qui avait signé la fin de la communication comme une morne ponctuation me fit tout à coup oublier mes ruminations. Derrière ce simple appel, dans ces deux syllabes formées sans amour ni haine, sans, en fait, une seule trace d'émotion, pesait une réalité dont je ne pris conscience qu'en cet instant. Sur un instinct, je repensais à tout ce que Leysa disait, et surtout ne disait pas, à propos de son foyer. À cet aveu que je lui avais volé, lors de notre première réunion, alors que nous nous étions mutuellement infligé une attaque aussi personnelle qu'involontaire. Et visiblement tu as plus d’affection pour ta mère que moi pour la mienne.
Ma réflexion n'alla pas plus loin que la lecture automatique de l'ultime message, où j'entendis la voix de mon amie se forcer à reprendre sa rythmique joyeuse, et soudain je la visualisais. La fêlure. Sa jovialité n'était qu'un enduit qui servait à masquer, plus qu'à réparer, des fissures bien plus profondes, et sans doute moins bien ressoudées que Leysa ne le croyait elle-même. Je ne me sentais plus vexé, frustré ou en colère.
Elle me faisait seulement de la peine.
« J’sais pas si t’y es déjà allé, mais y a une grotte à l’ouest de la ville, on peut la rejoindre en longeant le sable tôt le matin - et le spectacle vaut le détour pour les oreilles ! » Il n'y eut que le silence après cette dernière feinte d'allégresse. Je dessinais dans le vide un sourire mélancolique. Elle ne se laisserait pas abattre ; elle aurait pu. Je n'avais plus le cœur de la réprimander sur ses travers de paroles.
« "Ne t'excuse pas pour ta mère," » fis-je avec douceur, en projetant sur mes mots tous les autres mots que je ne pouvais lui exprimer, faute d'en savoir assez sur sa vie. J'espérais qu'elle saisirait la double sollicitude cachée derrière mon message. Ce n'était pas à l'irruption inopinée de sa génitrice que je faisais référence. Pas seulement.
Par délicatesse, je ne poursuivis pas sur ce terrain que je devinais en permanence sur le point de s'ébouler. Je repris plutôt, avec plus d'entrain : « "Tu adores vraiment l'Histoire et l'exploration à ce point, pas vrai ? Je ne savais pas que Cynthia était polyglotte, non. Je ne la connais que de réputation. Je ne me suis pas particulièrement intéressé à Sinnoh non plus, pas autant que toi en tout cas. C'est vrai que si j'apprécie l'Histoire, je ne m'y plonge pas sans une bonne motivation," » avouai-je dans un petit rire. « "Ce que je préfère, ce sont les mythes. Les récits, les légendes autour des Pokémon anciens ou divins... J'ai appris beaucoup de choses en écoutant des romans, plus qu'en faisant des recherches documentaires, en fait." » J'eus une pensée pour le livre que j'aurais dû écouter ce soir, mais elle ne s'attarda pas longtemps. Malgré ses hauts et ses bas, cette conversation avec Leysa ne me laissait pas de regrets. « "Par contre, comme je t'ai dit, j'ai une connaissance très intime de San Camari et de sa région. Je ne me suis jamais aventuré dans les grottes de la côte - j'ai une préférence pour l'air du large, et Oracle n'est pas très à son aise dans les espaces confinés - mais il est tout à fait possible que je sois déjà passé devant celle que tu mentionnes," » spéculai-je en passant en revue mes souvenirs. « "Cela dit, si tu y tiens, nous pourrons y aller, à l'occasion." » Je n'étais pas très rassuré à l'idée de partir seul en expédition souterraine, mais la présence de Leysa nous offrirait un soutien salutaire, à Oracle comme à moi, pour évoluer dans cet environnement hostile si nous cédions à l'appel de la curiosité. Je savais la Xatu capable de nous Téléporter en lieu sûr en cas de besoin, mais outre sa claustrophobie, elle n'était pas capable de nyctalopie et l'on ne pouvait deviner quels obstacles risquaient de bloquer notre progression au fil des galeries accidentées. Ni quels labyrinthes interminables s'enfonçaient dans les entrailles de la Terre pour y perdre à jamais les imprudents désireux de les emprunter. Ni quelles créatures guettaient dans la pénombre, prêtes à nous fondre dessus pour nous être introduits sans précautions sur leur territoire...
Tout bien considéré, se rendre dans un endroit si dangereux avec l'impétueuse Leysa n'était peut-être pas une très bonne idée.
« "Enfin, ce n'est pas le genre d'expédition qui s'organise à la légère. Il faudrait planifier notre parcours, prévoir des provisions, des soins, de l'équipement en conséquence, se renseigner sur la faune locale pour s'assurer que nous ne risquerons pas de la déranger... et avoir le temps, aussi, ce que je ne peux pas promettre," » énumérai-je à voix haute. Mes mots dévalèrent ma bouche avec peut-être un peu trop de précipitation, et je fis de mon mieux pour me reprendre - je ne voulais pas laisser transparaître l'inquiétude qui émergeait de mes réflexions. « "En d'autres termes, je comprendrais que ce ne soit pas possible tout de suite," » conclus-je d'un ton définitif, presque navré.
Chamboulée - quelque peu. Session d’assouplissement se termine et gamine retourne sur son lit, se recroquevillant - amenant ses genoux contre la poitrine. Anubis, quant à lui vient se lover contre son dos, entamant déjà sa nuit de sommeil, s’endormant aussi vite qu’un bébé. Et enfin, les messages de Loup lui parviennent - le fait de ne pas avoir à s’excuser, les échanges passionnés - l’incertitude à la fin. Retrouve véritablement le sourire habituel et sa voix enjouée. “Bien sûr que j’aime ça ! C’est plein de mystères, plein de savoir aussi ! Sinnoh est une région super intéressante, elle a une affinité particulière à Palkia et Dialga et par conséquent à l’Espace et au Temps. J’trouve que l’atmosphère qui en ressort quand j’lis des bouquins ou que j’écoute des films ou documentaires est hyper mystérieuse - comme si, comme si chaque lieu avait un secret qui attend juste d’être révélé, tu vois ?” S’emporte plus calmement qu’à l’accoutumée, pensive - les mystères qui se dégagent de la région la rende fébrile par instant - tremblante d’excitation. “J’aime beaucoup les récits de légendes aussi ! Ca apporte quelque chose de plus mythiques que juste un documentaire - mais j’aime bien recouper les informations aussi, prendre un peu partout haha !”
Surprenante, cette passion qu’ils partagent tous deux - mais agréable, comme découverte. Leysa pourrait passer la nuit à en parler si seulement elle ne commençait pas à être aussi fatiguée, boule de chaleur dans son dos la poussant à l’imiter. “Passer devant, j’suis pas sûre… (ouvre grand la bouche pour laisser un bâillement s’échapper), à moins d’y aller à des horaires très précis, c’est pas accessible et elle est immergée sous l’eau le reste du temps.” C’qu’il lui taperait presque sur le système à essayer de lui faire comprendre qu’il sait mieux qu’elle - ou plutôt connait mieux San Camari. C’pas lui qui filait en douce avec son jumeau dès que ça se corsait à la maison - ou pour aller s’entraîner à jouer les dresseurs. Ah non, c’pas lui. Mais tambourin s’apaise un peu en réécoutant la proposition - l’idée l’enchante même - vraiment. “OH OUI ! Ca me dit ! Enfin, ça. Me. Dit. Pas Samedi, hein ! Mais oui, j’serais trop contente de te montrer cette grotte ! Faudra qu’on la renomme aussi quand on y sera, pour pas la confondre avec d’autres !” S’emballe, la vision déjà d’une exploration matinale. Jusqu’à froncer des sourcils, sceptique devant la fin du message.
“Euh, t’sais, une lampe torche, de quoi boire et manger au cas où et une tenue adaptée, y a pas besoin de plus. C’est pas comme si on faisait le tour de la région. Puis j’ai toujours d’quoi soigner les blessures dans mon sac. La faune est limitée quand y a pas d’eau dedans - j’y suis déjà allée, y a rarement des pokémons terrestres qui y viennent pour des raisons évidentes et les pokémons eaux sont rares.” Ne voit pas le problème - c’est pas comme si un Spiritomb pourrait s’y cacher. “Pour ton emploi du temps, c’toi qui me dit ! Moi j’suis libre tout le temps - juste faudrait peut-être attendre la saison sèche pour prendre moins de risque, c’est tout !” Baille encore, pose son téléphone à côté et sent ses paupières s’alourdir. Prend quand même son courage à deux mains pour aller éteindre la lumière avant de retourner se coucher sous sa couette, attendant patiemment que Loup lui réponde - si lui même ne s’est pas endormi.
L'enthousiasme de Leysa au sujet de Sinnoh me fit chaud au cœur. J'avais craint que l'interruption de sa mère laissât planer une ombre de malaise entre nous pour le restant de la conversation, aussi l'entendre disserter avec sa loquacité et son entrain habituels étira mes lèvres d'un sourire soulagé. Quelque chose dans son ton différait néanmoins du flamboiement émerveillé qu'elle manifestait d'ordinaire à propos de la région de ses passions ; si son admiration restait indéniable, elle se nimbait d'une prudence fascinée, d'un calme empreint de rêveries, induits par la perspective de ces mystères insaisissables dont elle présumait l'existence parmi les ruines antiques de ce qui pouvait bien être le lieu de naissance de notre monde.
Je n'allais pas prétendre posséder les connaissances de Leysa sur Sinnoh ; j'avais depuis longtemps noté la dévotion presque obsessionnelle avec laquelle elle s'impliquait dans les domaines suscitant son intérêt, et je doutais d'être en mesure de l'égaler là où moi-même n'avais pas dû passer le quart du temps qu'elle avait dédié à son insatiable chasse à l'information. Il aurait pourtant été faux d'affirmer que j'ignorais tout des légendes embrumant le passé du berceau de la création ; si j'en avais beaucoup appris sur les miracles des légendaires divinités sinnohennes dans mes romans, la nature toute fictionnelle des éléments relatés m'avait poussé à me renseigner sur les récits moins fantasmés, issus d'un temps reculé où ils avaient valeur, non de divertissements, mais de témoignages de foi. Même si les archéologues s'étaient empressés de rassembler, classer et décortiquer ces mythes afin d'en extraire le bon grain de l'ivraie, demeuraient de vastes zones d'ombre autour du rôle réel de Dialga, Palkia et Arceus dans la fondation de Sinnoh, voire de notre monde - et certains, au-delà de remettre en cause leur pouvoir, allaient jusqu'à douter de leur existence.
Mais ce que les écrits d'antan refusaient de nous révéler, nous pouvions toujours nous prendre à l'imaginer, n'est-ce pas ?
« Passer devant, j’suis pas sûre… » Alors qu'elle entamait son second message d'une voix dubitative, Leysa s'interrompit pour bâiller sans discrétion. Je fronçai les sourcils. Était-il déjà si tard ? Une rapide vérification vocale me confirma que la soirée s'était écoulée plus vite que prévu ; la savante combinaison d'une discussion captivante et d'une savoureuse collation (ces biscuits que je n'avais toujours pas cessé de grignoter tout en écoutant ma camarade parler) avait complètement faussé la temporalité de la soirée. J'allais devoir veiller à ne pas laisser d'opportunités à Leysa de continuer trop longtemps ses digressions si je voulais retrouver la quiétude de mes draps à un horaire acceptable. « ...à moins d’y aller à des horaires très précis, c’est pas accessible et elle est immergée sous l’eau le reste du temps. » Certes, considéré sous cet angle... Peut-être n'avais-je pas croisé cette fameuse grotte, même si je me targuais de connaître les plages san camarites mieux que ma propre chambre. La défiance que je percevais dans son ton, la suspicion quant à mon expérience, acheva de piquer mon orgueil ; puisqu'elle semblait douter de mes découvertes, j'allais devoir trouver un moyen de la démentir. Ou, du moins, d'avoir le cœur net sur cette affaire de grotte - et ce fut le moment où elle s'emballa de nouveau, à l'idée d'une petite excursion spéléologique. « OH OUI ! Ça me dit ! Enfin, ça. Me. Dit. Pas Samedi, hein ! » (L'absurdité de la blague me tira un sourire.) « Mais oui, j’serais trop contente de te montrer cette grotte ! Faudra qu’on la renomme aussi quand on y sera, pour pas la confondre avec d’autres ! »
Je me sentis partagé. D'un côté, sa perplexité avait allumé en moi un profond désir d'attester de mes propos, de lui prouver la légitimité de mes aventures avec, peut-être, la chance de faire définitivement taire sa circonspection si jamais il s'avérait que j'étais déjà passé devant cette grotte ; pour autant, je n'étais toujours pas convaincu qu'une pareille expédition en sa compagnie s'avérât la meilleure des initiatives.
Et la suite de son message ne fit que conforter mes inquiétudes.
« Euh, t’sais, une lampe-torche, de quoi boire et manger au cas où et une tenue adaptée, y a pas besoin de plus. C’est pas comme si on faisait le tour de la région. » Non, bien sûr ; mais il me semblait tout de même que l'exploration d'une grotte inconnue, régulièrement immergée sous les flots, nécessitait un tantinet plus de préparation qu'un simple « lampe-torche, de quoi boire et manger et une tenue adaptée ». « Puis j’ai toujours d’quoi soigner les blessures dans mon sac. La faune est limitée quand y a pas d’eau dedans - j’y suis déjà allée, y a rarement des Pokémon terrestres qui y viennent pour des raisons évidentes et les Pokémon Eau sont rares. Pour ton emploi du temps, c’toi qui me dit ! Moi j’suis libre tout le temps - juste faudrait peut-être attendre la saison sèche pour prendre moins de risque, c’est tout ! » Le message se coupa là. Je laissai échapper un soupir.
Que faire ? Céder à la tentation ? Lui faire remarquer son imprudence ? « Ce n'est pas comme si elle me donnait rendez-vous la semaine prochaine, après tout, » pensai-je à voix haute. Oracle me fit parvenir sa réticence. L'idée de mettre une serre dans un espace souterrain ne lui plaisait guère... « Ne t'en fais pas. Je ne songe pas à m'y rendre de sitôt... et d'ici là, peut-être aurais-je fait rentrer un peu de bon sens dans sa tête. » Je pris ma décision.
« "J'entends que tu es fatiguée," » commençai-je sans détour, une fois l'enregistrement lancé. « "Je viens de voir que l'heure a tourné, aussi je ne pense pas continuer à répondre après ce dernier message... Non pas que la conversation soit inintéressante. J'aurais beaucoup aimé poursuivre cette discussion à propos des mythes de Sinnoh, et je t'enjoins vivement à revenir aborder le sujet, lorsque l'horaire sera un peu plus propice ! Et en ce qui concerne cette grotte..." » (Je marquai un temps, pris une bonne inspiration.) « "...Si je ne suis pas contre l'idée, j'apprécierais malgré tout que nous nous attardions un peu plus longuement sur les préparatifs avant de nous y lancer. Comme tu l'as dit, cette caverne est souvent immergée : rien que pour cela, nous ferions mieux de nous renseigner très précisément sur les heures auxquelles nous pourrons la visiter sans risque, ainsi que prévenir d'autres personnes de notre excursion, pour qu'elles puissent alerter les secours si jamais nous nous y retrouvions coincés..." » À l'éventualité de tout ce qui pouvait mal tourner, je me sentis frémir, néanmoins je ne pouvais plus me désister maintenant que je m'étais - sans mauvais jeu de mots - jeté à l'eau. « "Rappelle-toi que s'il te suffit peut-être d'une lampe et d'un sac de provisions pour aller t'y promener, les conditions pour que je passe une exploration sûre sont un peu plus contraignantes," » ne pus-je m'empêcher de lui faire remarquer. « "Et il ne faut pas non plus négliger le bien-être d'Oracle. En bref, ce n'est pas impossible, mais ça nécessitera tout de même de l'organisation." » Conscient d'avoir été un peu sévère, je me radoucis. « "Mais je ne doute pas que ce soit une agréable expérience. J'aime découvrir les mystères de la nature... et nous aurons l'occasion de voir qui, de toi ou de moi, a bel et bien découvert cette grotte en premier !" » fis-je dans un rire. « "Nous lui trouverons un nom une fois sur les lieux, si tu veux. Ça me laissera l'occasion d'y réfléchir. Je ne pense pas que nous y rendre dans l'immédiat soit une bonne idée... cela dit, nous pourrons en reparler d'ici quelques mois, si tu es toujours d'avis." » Satisfait, j'envoyai le message - et me rendis compte, trop tard, que je n'avais pas évoqué l'essentiel. Je me rattrapai sur un second enregistrement, beaucoup plus court, celui-là : « "C'était un plaisir de discuter avec toi, comme de faire cet exposé ensemble. Sens-toi libre de me parler à nouveau, si l'envie te prend... Je ne peux pas systématiquement répondre sur l'instant, mais quand je le ferai, ce sera toujours de bon cœur. Passe une bonne soirée, Leysa. Et bonne nuit." » Le message vocal s'envola comme un Tylton, porteur d'espoir.
Je n'y aurais pas cru, mais le hasard m'avait peut-être bien fait découvrir une amitié insoupçonnée.
Les paupières sont lourdes - Leysa attend pourtant, sagement, une réponse - surprenant - est-ce qu’on appelle la curiosité du renouveau ? L’excitation de la découverte ? Et quand le téléphone vibre, elle se jette dessus malgré la fatigue, marquée d’ailleurs par son camarade. Ris un instant d’avoir l’impression d’entendre l’aîné lui demander d'éteindre les lumières, oubliant parfois l’heure quand passion la tient éveillée. “D’accord, je vais essayer de pas trop trop répondre du coup aussi. Puis on aura l’occasion d’en reparler, j’veux dire, on se voit tous les jours au lycée presque !” Et ils ont leur numéros respectifs. Par contre - il est relou Loup - sans mauvais jeu de mot - il dit qu’il explore, qu’il connaît les alentours comme ça poche, mais il va limite demander à des gardes du corps de l’accompagner dans la grotte, elle a l’impression - un peu excessive. Dit trop rien pourtant, parce que si elle commence à le reprendre, il voudra jamais venir.
“J’ai les horaires dans un petit carnet quelque part, je l’ai beaucoup observée l’année passée, je pensais que y avait plus de pokémons que ça à l’intérieur. Je te les ressortirais. Et on fera comme tu veux.” C’est pas elle qui est inquiète de s’y aventurer après tout - et pas elle non plus qui n’y voit rien, elle lui accorde. “Tu sais Loup, on va pas faire de la spéléo non plus. J’ai conscience que ça t’inquiète, mais si j’ai pu y mettre les pieds, c’est que c’est praticable. Et y a pas non plus besoin de s’aventurer très loin pour avoir accès aux spectacles dont je t’ai parlé !” S’en réjouit d’ailleurs - se demande si les musiques de la nature ont changé depuis sa dernière visite - certainement. “On en reparlera oui ! Et je retrouverai mes notes aussi !” Même si quelques mois c’est long, elle sait pertinemment qu’à l’heure actuelle ce n’est pas une bonne idée. “Merci beaucoup Loup - je ressens la même chose, c’était super sympa de pouvoir te parler autrement qu’à travers les devoirs, même si j’ai rarement eu l’impression de travailler avec toi ! Bonne nuit et dors bien !” Eteins le téléphone alors et le pose sur la table de chevet après avoir désactivé le vibreur, dans ses bras se blottit le Riolu - et Leysa s’endort le sourire aux lèvres, avide d’en découvrir plus encore sur le camarade - heureuse de prévoir de nouvelles aventures avec un nouveau copain.
Tentatives avortées ft. @Loup Kelder Maison des Bracstor, mi-décembre 2021, après-midi
Sifflote - bruitage de langue pour l'occupée - les pieds qui balancent d'un côté puis de l'autre alors que le corps affalé se tourne pour avoir la tête en bas, livre qui devient long à lire - les informations qu'il contient elle les connait déjà. Coup d'œil au vieux téléphone alors - pour n'y trouver aucune nouveauté. Elle s'ennuie, la môme. Anubis fait sa sieste - il paraît que c'est normal pour le type de pokémon qu'on considère comme des bébés de dormir autant - ça la dérange pas, c'est juste qu'en attendant, elle a rien à faire à part embêter Aïah. Roulade arrière pour sortir du lit - dégourdie - les yeux fermés même, lui vient une idée. Sourire malicieux - air concentré et elle se fraie un chemin dans le noir jusqu'à sa porte de chambre. Pas tout à faire sûre de ses mouvements, elle y arrive assez bien finalement et la voilà partie en quête d'un biscuit ou deux à grignoter. Prudente, les pieds nus cherchent leur dû - jusqu'à trouver les escaliers inquiétants. Toute fière d'avoir réussi haut la main son premier parcours sans ouvrir un œil - et puissante de cette réussite, elle accélère la cadence jusqu'à se prendre un premier meuble. Aïe ! Recule - BIM, le mur, ouille. A droite, à gauche - calvaire - et enfin arrive dans la cuisine, non sans quelques bleus en préparation. C'est dans quel placard déjà ce qu'elle cherche ? De mémoire elle dirait le troisième en partant de là où elle est ok - y accéder c'est fait, mais trouvé le paquet convoité parmi les autres... Sors ton nez Leysa ! Et Gamine renifle comme si sa vie en dépendant, jusqu'à penser reconnaître la sucrerie. Une paupière s'ouvre pour s'en assurée - raté ! Roh - c'que c'est compliqué.
De retour dans la chambre, pensive, ses réflexions s'orientent vers son camarade - celui qui vit dans une nuit perpétuelle. Et aussitôt, elle s'empare du téléphone, appuyant sur la touche message vocale du cellulaire. "Coucou Loup ! Ca va peut-être te paraître bête et direct comme question, mais je me demandais, tu fais comment au quotidien pour avancer ? J'veux dire, j'viens d'essayer de fermer les yeux et de faire le tour de la maison à l'aveuglette mais j'crois j'vais surtout finir avec une dizaine de bleu à la place, alors qu'pourtant j'vis dans la même maison depuis toujours. T'as des astuces toi ? OH ! Tu fais comment dans un lieu inconnu en fait ? Au musée tu m'as dit que tu connaissais, mais en terres étrangères ? Ah, j'suis bête, Oracle doit te guider pas mal, non ?" Elle a souvenir avoir lu des livres sur des pokémons guides - et a vu Oracle comme gardienne du Kelder - oui mais n'a jamais posé la question directement encore, alors voilà, ça c'est fait !
Accueil
