Prescience Une escapade astrale sur l'Île des Monstres
Un éclair, une vision, un fragment d'éternité échoué sur les rivages du temps. Du passé ou de l'avenir, elle n'aurait su le définir ; sous son regard perdu à l'horizon d'un millier d'horizons, des taches de brume et des teintes délavées tourbillonnaient comme de l'aquarelle renversée, refusant de se plier aux pénibles contraintes des lois de la physique. Les vagues et les formes de l'autre ciel fluctuaient comme le cours du temps lui-même, et elle le savait, il était vain de chercher à en recomposer la trame contre leur gré. Qu'elle imposât sa volonté à ces couleurs capricieuses pour qu'elles adoptassent des contours intelligibles, et aussitôt elles s'écouleraient de plus belle, comme aspirées par le néant du jamais-arrivé et du jamais-arrivant, s'agiteraient sans logique ni raison, se rebelleraient contre cette conscience qui s'arrogeait l'impudence de vouloir leur donner du sens.
Non ; pour que la vision prît vie, il valait encore mieux attendre.
Attendre que la houle des couleurs s'apaisât, attendre qu'elle vînt à elle en une marée lente, circonspecte mais inexorable ; attendre sans agir ni réagir, sans manifester le moindre souhait, le moindre désir. Pour les courants du temps, l'espoir était un rêve futile et l'obstination un combat perdu d'avance. On ne subjuguait pas le temps. On ne jugulait pas le temps. Il se déversait autour de nous pour nous propulser toujours plus loin dans ses profondeurs inexplorées, et chacune de nos luttes pour l'empêcher de nous emporter nous rapprochait de la destination qu'il nous avait destinée.
Mais si l'on se laissait porter, si l'on acceptait pleinement son omnipotence, alors, parfois, il relâchait ses méandres. Il s'entrebâillait, comme une porte ouverte sur un monde qui n'a pas été et sera peut-être, à la seule adresse des regards absents et des consciences indifférentes.
Elle attendait, attentive, sans attentes.
Brusquement, les taches, les teintes, les vagues, les formes explosèrent pour former un tableau que son entendement, enfin, fut capable de reconnaître. Les hautes frondaisons verdoyantes d'une canopée bruissante de vie s'élancèrent à perte d'horizon. Ce n'était pas son passé, ce n'était pas son avenir ; elle n'était pas là, elle n'était même pas vraiment spectatrice. Plutôt le miroir d'un reflet dans le reflet d'un miroir. La part oubliée d'un tableau qui n'avait jamais prévu d'abriter une pensée étrangère.
Elle attendait, attentive, sans attentes.
La canopée défila sous son ventre à toute allure, comme si elle volait vite et haut, portée par une rafale dont elle devinait la présence plus qu'elle ne la sentait gonfler ses ailes. Bientôt, la jungle s'effaça dans la brume des souvenirs à venir, jusqu'à ce que de grands flancs déchiquetés surgissent de l'évanescence de l'autre ciel pour lui bloquer la route. Des montagnes. Brunes, sombres, rincées par la pluie et le grand âge du monde. Elle esquiva sans effort les doigts de roche qui cherchèrent à la retenir : dans cette navigation qui n'avait rien de tangible, elle ne craignait aucun obstacle. Elle s'en remettait aux flots du temps.
Et elle continua de les remonter, en amont ou en aval - elle ne pouvait l'affirmer, mais ça n'avait pas de réelle importance. Si elle voyageait ici, alors c'était que sa présence était désirée. Sa prescience était désirée.
Elle obéit à l'ordre silencieux du temps, et soudain elle s'aperçut qu'elle s'était posée.
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Elle s'était posée, et la première chose qu'elle vit fut une nouvelle tache de couleur.
Celle-là était différente. Si elle ne faisait pas de sens, à l'image de la palette informe de l'autre ciel, sa silhouette était pourtant bien dessinée. Claire, nette, presque trop artificielle dans cet univers tout de roc abrupt et d'arêtes déchirées. Sa teinte non plus ne s'harmonisait pas avec le brun terne et l'anthracite du décor : son violet criard étincelait au soleil - qui, bien qu'hors de portée de sa vision extralucide, restait bien présent dans la réalité de cette étrange manifestation - comme si elle eût été moulée de métal. Elle traversa les airs comme une comète absurde, et l'on aurait pu croire, vraiment, à un rejet chamarré de l'océan des avenirs éteints et des passés probables, avant que ne se déployassent à ses côtés des membres grêles qui prirent enfin contact avec la pierre. Deux grands orbes rougeoyants se dévoilèrent sous une impressionnante mécanique dorsale, et ce spectacle contre-nature lui rappela irrésistiblement, insensément, les canons des humains. Des armes, brandies au combat comme les Pokémon brandissaient leurs griffes. Des instruments de mort.
Les orbes se tournèrent vers elle, la traversèrent d'une intelligence qui se serait faite pleine d'intensité si elle avait eu connaissance de la présence invisible au-devant d'elle. Bien qu'elle se savait protégée, loin sur l'autre rive de son propre cours du temps, elle sentit un frisson la secouer ; car ce qu'elle avait là, juste en face d'elle, elle ne pouvait le décrire autrement que comme un regard. Et à cette réalisation, la silhouette articulée, refabriquée, caparaçonnée dans son enveloppe de métal, se dota, aussi déroutant que cela fût, d'une forme de vie.
Un monstre vivait sur cette terre, et c'était ce monstre que le temps l'obligea à poursuivre.
On dirait que la chance n'est pas du côté de ta fidèle partenaire, puisqu'un insecte venu tout droit d'une époque révolue jaillit de derrière elle et utilise son attaque... Non, il semblerait que l'insecte bionique a manqué son coup ! (résultat du dé attaque #3) Tu es chanceux, profite-en bien pour l'attaquer ! Tu gères la patate !
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Qu'était-elle, cette créature ? Que voulait-elle ? Jamais n'avait-elle croisé de bête semblable auparavant - et pourtant, les voyages dans l'autre ciel n'étaient pas de ceux à se montrer avares en révélations énigmatiques. La mécanique insectoïde s'ébranla tout à coup pour se mouvoir à pas lents sur le sol pierreux, comme si le poids de tout ce métal étincelant et de ce canon écrasant greffés à son corps fin représentait une menace constante au maintien de son équilibre ; poussée par le flot invisible du temps, elle emprunta malgré elle le chemin du monstre.
Les montagnes flageolèrent. Des taches de gris, de brun et de blanc tourbillonnantes, noyées à la périphérie de sa vision, se condensèrent et se solidifièrent en de nouveaux rochers, de nouveaux nuages et de nouvelles montagnes à mesure qu'elle avançait à leur rencontre - ou plutôt, que l'horizon se précipitait immanquablement vers elle, perdant le décor de son arrivée dans la brume pour que jaillissent ailleurs d'autres dessins, d'autres interprétations incertaines.
L'androïde se traîna jusqu'à une tache bien plus large et bien plus noire que les autres, obstinée à conserver ses contours indéfinis parmi les arêtes aigües des abrupts. Encadrée de part et d'autre par des monceaux de roche creusée par la pluie et ciselée par le vent, elle s'ouvrait dans la pierre comme une gueule de néant. La précision de sa paroi aiguisée acheva de la convaincre qu'elle ne faisait pas face à une aberration de l'autre ciel.
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Sans ralentir, le monstre insectoïde se laissa engloutir par l'ombre de la caverne. Bien sûr, les remous du temps l'y poussèrent, elle aussi.
Les ténèbres s'abattirent sur elle. En temps normal, la perspective l'aurait paniquée ; elle qui aimait tant la fraîcheur du ciel et l'immensité du grand air, combien elle détestait se retrouver cloîtrée dans des lieux confinés ! Et pire encore était l'absolu des grottes ensevelies sous la terre. L'atmosphère prisonnière des entrailles du sol l'aurait faite suffoquer, alors que ses vastes prunelles, pourtant si perspicaces, se seraient égarées dans l'obscurité toujours plus épaisse, toujours plus oppressante, poisseuse comme du goudron collé à ses plumes. Elle détestait le monde souterrain ! Mais depuis son lointain point de vue, perchée au pinacle d'un autre plan de conscience, Peur ne signifiait pas grand-chose de plus que Courage.
Elle avait sous-estimé la bête. Passée la bouche béante de la caverne, elle s'était agitée de nouveau, et traversait désormais les couloirs tortueux des montagnes avec une vitesse et une agilité insoupçonnées ; ses jambes articulées bondissaient d'un mur à l'autre, couraient, sautillaient sans plus paraître incommodées par la masse du canon qu'elles supportaient. Heureusement qu'aux pattes du temps, la rapidité adoptait des sens abstraits, sinon jamais n'aurait-elle pu poursuivre ce flash violet lancé à la poursuite d'un but inconnu.
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Dans ces ténèbres inhabituellement claires, délayées par les distantes nuances de l'autre ciel, elle apercevait de nouvelles paires d'yeux scruter de loin l'insecte mécanique, tapies sous les rochers ou entre les fissures de la pierre. Ces yeux-là brillaient d'un éclat organique, familier : des Pokémon, de vrais Pokémon bien en chair et en sang. Ces bêtes n'appréciaient sans doute pas l'intrusion du monstre étranger sur leur territoire mais, tout comme elle pouvait le deviner malgré les jours et les mois qui la séparaient de cette scène, l'aura menaçante, presque extraterrestre qui émanait des mouvements de robot trop vifs pour l’œil et des orbes oculaires flamboyants de vie les retenait de s'opposer à sa présence.
Enfin, jusqu'à temps que l'un des habitants des lieux décidât que c'en était trop.
Le temps s'arrêta - ce qui signifia qu'elle s'était stoppée. Le monstre insectoïde, redevenu immobile, levait tête et canon vers une silhouette immense dressée sur sa route. À moitié dissimulé par la pénombre, le nouveau venu émettait des grognements rauques, inquiétants, sans que son opposant n'en parût le moins du monde impressionné. Une nouvelle tension envahit l'air, à mesure que de plus petits spectateurs s'accumulaient aux abords de la confrontation ; quoique, pas téméraires, ils ne quittèrent pas l'abri rassurant de leurs ombres et leurs crevasses. Bien que le bon exercice de la vision nécessitait qu'elle ne manifestât aucun désir, elle sentit des bribes de curiosité remuer vaguement à la surface de sa conscience. Elle les maîtrisa assez pour empêcher l'autre ciel de se déliter, pourtant nul doute que ce spectacle revêtait une importance qui lui échappait encore. Le temps voulait qu'elle regardât.
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La colère montait, les grognements de même. Les orbes flamboyants ne quittaient pas leur vis-à-vis, le dévisageaient sous l'intensité de leur regard ; l'on pouvait presque voir des reflets rouges danser sur l'esquisse noyée d'ombres d'une patte, d'une épaule massive, d'une mâchoire puissante ou d'un œil opacifié par la hargne. L'insecte, tout au long de ce scrupuleux examen, ne trahissait aucune émotion sous le masque rigide de sa carapace de métal. Seuls ses yeux exploraient, brillaient, vivaces. Dévorants comme un incendie.
Qui, du monstre de chair ou du monstre de fer, allait attaquer en premier ? Les pattes d'acier grêles ne semblaient pas en mesure de résister à l'assaut d'une force qui promettait d'être colossale, pourtant, elle le savait, les réflexes de l'androïde le rendraient plus insaisissable qu'un fantôme. La célérité serait de son côté, tout comme la conformation exigüe de la grotte : là où son ennemi risquerait de rester prisonnier de son impressionnante carrure, lui pourrait filer et bondir sans jamais se sentir menacé. Il lui suffirait d'une ouverture pour que la dangereuse technologie qu'il portait sur le dos assena une décharge mortelle.
Enfin, le premier geste fut dessiné. Comme une chorégraphie longuement répétée, le titan amorça son élan depuis les ténèbres, et le frêle robot, alerté par la précision contre-nature de son acuité artificielle, prépara déjà sa riposte.
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Le mastodonte jaillit enfin de son refuge d'obscurité, et elle eut tout le loisir de détailler la puissance des muscles roulant sous la fourrure, la profondeur de la gueule ouverte sur des crocs imposants, la largeur de trois pattes campées au sol avec l'obstination des vieux troncs tandis que la dernière se lançait de toutes ses forces à la rencontre de son adversaire. L'insecte mécanique, en anticipation du coup, se propulsa sur le côté pour l'esquiver avec une réactivité surprenante, même pour elle qui avait assisté à ses précédents exploits. Le titan, malgré son corps hérissé d'un pelage dru et ses griffes on ne pouvait plus réelles, dépassait lui aussi, à sa manière, les limites de son entendement : jamais n'avait-elle croisé d'Ursaring si gros, si vaste, si enragé, pas même dans ses cauchemars les plus insensés ! Quelle était donc cette terre, quelle était cette époque pour abriter des bêtes aussi terrifiantes que dépourvues de sens ?
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Attaque, esquive, riposte : la danse du combat s'enchaînait sans merci. L'ours, aux épaules couvertes de ce qui semblait être une épaisse cape de boue, poussa un rugissement tonitruant, à faire trembler les fondations mêmes de la grotte ; frustré par l'aisance avec laquelle l'insecte échappait à ses assauts, il ne cessait de sombrer dans une fureur plus noire que le fond béant de sa gueule. Sous ses paupières tombantes et ses sourcils désaxés, ses petites prunelles vertes trahissaient les flammèches d'un brasier terrible.
L'insecte, lui, ne trahissait rien. Sa tête plate et ovale restait rivée à l'étrange Ursaring, peu importait qu'il le contournât, courût le long les murs ou l'évitât d'un bond au plafond, et son cou désarticulé adoptait des angles peu naturels afin de toujours le garder en vision ; puis, sans crier gare, il s'accrocha soudain à la voûte de la caverne pour ne plus en bouger. Comme s'il avait terminé d'analyser ce qu'il désirait de cette forme de vie organique, et que la bête, outrée de voir sa proie hors de sa portée, projetait vers lui des grondements issus du plus profond de ses poumons, il se replia dans sa carapace violacée, les membres ramenés sous lui pour se planter fermement dans la roche de la paroi. Avec un déclic retentissant, le canon de son dos se déploya.
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L'Ursaring quadrupède posa sur l'insecte en train de charger sa capacité un regard bouillant de haine. Ses grognements s'étaient tus à la lueur de cette arme impropre à l'usage des Pokémon, mais dont la menace n'échappait pas à son vieil esprit de guerrier ; lentement, il recula d'un pas pesant, puis d'un autre et d'encore un autre. Les spectateurs intrusifs de leur combat - des Teddiursa, ceux-là au physique si étonnamment normal qu'ils en paraissaient presque incongrus - désertèrent les lieux dans une foulée de petits bruissements de pattes nues sur la roche. L'Ursaring ne pouvait battre en retraite, lui ; il se devait de défendre son territoire, quoi qu'il lui en coûtât.
L'insecte tremblait de plus en plus sous l'intensité de son feu à venir. À cet instant plus que jamais, il ressemblait à une machine : ses articulations cliquetaient comme des rouages, sa gorge vibrait d'un ronronnement de moteur et ses yeux, ses orbes, ses phares illuminaient le museau froncé du mastodonte presque aussi fort que la blancheur aveuglante échappée de la pointe de son canon.
Au moment où l'éclair foudroya les airs, elle se sentit emportée par le temps.
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Tout autour d'elle, les éléments du décor refluèrent ; la silhouette massive de cet Ursaring improbable, le petit disque violet de son adversaire insectoïde tapi au plafond, le hurlement de haine, de douleur et de détresse mêlées qui résonna de sa caverne thoracique jusqu'aux entrailles de la montagne, l'intarissable geyser de lumière qui se déversa vers lui avec toute la violence d'un torrent de flammes. Et les orbes, les orbes rougeoyants qui ne quittaient pas son agonie de vue.
Ils furent les derniers à disparaître dans le tourbillon délirant de l'autre ciel.
Qu'elle eût désiré découvrir la suite, assister au triste destin de cet ours jusqu'à son achèvement sinistre, ne changerait rien désormais : le fleuve du temps avait décidé pour elle. Mûs de volontés impénétrables, ses méandres emportèrent sa vision comme ils la lui avaient amenée, dans un débordement de possibles erratiques. Ce fut sans un bruit, sans même une protestation, qu'elle retrouva les chatoiements indistincts d'un futur qui n'était pas et d'un passé qui sera peut-être. Elle avait vu ce qu'elle avait dû voir.
Un éclair, une vision, un fragment d'éternité échoué sur les rivages du temps. Mais que devait-elle en retenir, à présent ?
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Force Ajoutée (100 | 3 - 3 - 3)
Lame d'Air (95 | 18 - 20 -22)
Taillade (100 | 4 - 5 - 6)
Vive-Attaque (100 | 3 - 4 - 4)
Aiguisage (-)
