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• I'll find You •

La violence. Humain, Pokémon, il fallait croire qu'elle était inscrite dans nos gènes, qu'elle coulait dans nos veines ; que jamais nous ne pourrions espérer nous libérer de son carcan primordial, si bien moulé sur la fragilité de notre chair. Ce n'était pas faute d'essayer. Je n'avais pas faute d'essayer, alors que la colère prenait au piège mes réflexions les plus lucides, faisait siège des certitudes de ma raison. Je luttais, à chaque instant de chaque jour de ma vie, pour ignorer ses appels lorsque la traîtrise de mon cerveau instillait ses horreurs dans mon cœur, pour rationaliser ses pulsions reptiliennes chuchotées d'un souffle brûlant à mon oreille, pour me débarrasser de son joug si horriblement, intrinsèquement lié à l'essence même de ce que j'étais - un être vivant, dont les ancêtres n'avaient survécu à des millénaires de sélection naturelle qu'à grands coups de conflits et de haine. L'on disait de la rage qu'elle aveuglait hommes et Pokémon ; quelle odieuse perversion, alors, lui faisait priver de vue un garçon qui n'en avait déjà plu ?

Je refusais de me perdre à cette loi du Talion qui n'avait jamais rendu justice à quiconque, et je ne laisserais pas plus mes amis, mes proches, les âmes dont je me sentais responsable, quelles qu'elles fussent, se fourvoyer sur la voie de la damnation morale.

« Cléo ! » Mon désespoir, mon effroi, ma révolte, mon dégoût prirent racine dans cet éclat de voix pour lui donner un semblant d'impériosité, un contour flou d'autorité qui ne savait trop ce qu'elle devait diriger - celle qu'elle appelait, ou moi-même. Livré à mes seuls sens fonctionnels et à ma canne pour avancer, je tâtonnai dans le sable en direction des bruits d'éclaboussures et des criaillements de Cléo ; j'approchais, je le sentais, lorsque je fus brutalement stoppé par une main péremptoire qui s'abattit sur mon poignet sans crier gare. Ma protestation n'eut pas le temps de surgir de ma gorge.

« Loup. Écoute-moi.  » Isaïah. Le calme apparent de sa voix ne trompait pas : lui aussi s'affûtait sur les arêtes de la colère, et il inspira par le nez une goulée d'air excédée. Je l'écoutai reprendre son sermon sans décrisper les épaules. «  Je sais que toi et moi, on est pas forcément d’accord sur certains sujets, et le combat Pokémon en fait partie. Ça ne t’empêche pas d’être mon ami, et ça ne m’empêche pas d’être ton ami. Et du coup, je vais être obligé d’agir en tant que tel et te demander de me faire confiance. » À l'évocation des combats, les échos de l'affrontement entre Thor et le Pokémon sauvage - et bientôt, ce que je devinais être ceux de Cléo avec son propre opposant - prirent des résonances insupportables à mes oreilles. Nous en revenions toujours à ces extrémités, n'est-ce pas ? La colère, la haine, les combats, la violence. Et Isaïah avait l'audace de me parler de confiance ? Il n'avait pas un seul instant songé à une autre solution pour échapper à ce Pokémon sauvage - pour lequel nous étions les intrus, pour lequel nous étions les véritables agresseurs ! -, pas même pour satisfaire mes idéaux ni ménager ma sensibilité, au nom de notre amitié. Mais je n'étais pas en état de formuler toute cette furieuse détresse qui me venait sous forme d'impressions indicibles, confuses, brouillées par l'émotion ; je me contentais de subir en silence le procès qu'un coupable m'avait réservé. « Ta Farfurette a décidé de mener ce combat. » Isaïah me parlait désormais sur un ton plus doux, presque celui de la confidence, pourtant je serrais toujours le pommeau de ma canne à faire craquer ma peau sur mes jointures. « Inconsciente, oui. Est-ce qu’elle est capable de battre ce Grelaçon, avec ou sans toi, j’en doute pas non plus. Seulement, tu l’empêcheras pas d’être qui elle est. Elle a besoin de combat, elle a besoin d’action. Actuellement, c’est soit tu y vas pour la soutenir, l’encourager, et l’accepter comme elle est et tisser un lien en gagnant sa confiance, soit tu restes ici le temps qu’elle termine. » Hors de question. Il en était hors de question. Jamais je ne cautionnerais un tel comportement, que ce fût de sa part, de celle de Cléo ou de la mienne, et je n'allais pas plus attendre les bras ballants pendant que le mal s'accomplissait sous mon nez ! « J-Je ne laisserai pas faire ! » parvins-je à jeter d'une voix étranglée, ce qui attisa derechef l'agacement de mon ami. « « Tu veux quoi ? Qu’elle te blesse sans faire exprès en attaquant ce Grelaçon et qu’elle s’en veuille toute sa vie ? Réfléchis deux minutes, maintenant. » Sa remarque m'arracha une interjection brève, sèche et amère, mais je n'ajoutai rien de plus. Isaïah finit par relâcher son étreinte pour poser une main sur mon épaule, comme une tape amicale. « Choisis.

— Il n'y a rien à choisir, » maugréai-je tandis qu'il s'élançait vers Leysa pour la rassurer à son tour.

Je ne prêtai guère d'attention à l'échange entre les deux jumeaux, ni à la foulée rapide de Leysa partie explorer le rivage en quête d'Anubis. Vibrant de mes émotions difficilement contenues, alors que peur, peine et outrage se disputaient la précédence sur mon système nerveux mis à mal par les événements, j'entendais de nouveau les bruits des conflits s'imposer à mes perceptions, omniprésents, inévitables. Thor avait presque vaincu son adversaire ; les crépitements de ses Éclairs avaient réduit en force et en intervalle, tout comme la charge du Pokémon sauvage avait cessé d'ébranler la terre. Ne restaient que les crissements et grincements de Cléo, toutes griffes dehors face à son fléau. « Arrête, » grondai-je entre mes dents serrées. On ne me gratifia d'aucune réponse, pas même une protestation railleuse. « Arrête. Arrête-toi et viens ici ! » Je doutais qu'elle m'obéît, mais l'avertissement d'Isaïah avait frayé son chemin dans ma tête : il aurait été très malavisé d'aller la récupérer par mes propres moyens. La retenir de force, alors que je ne pouvais même pas voir venir ses attaques, aurait été du suicide, je devais bien le reconnaître. Et puis, s'il y avait la chance, la moindre petite chance pour que Cléopâtre ne voulût pas me blesser par erreur... Je peinais à le croire, après le traitement qu'elle m'avait déjà infligé, mais pouvais-je me permettre de prendre le risque ?

Non. Je ne pouvais pas.

Mais je ne pouvais non plus me résoudre à encourager sa violence. Sa violence... Ma violence...

La violence...

La violence appelle la violence, mais c'est la peur qui lui donne naissance.

Je perçus sa présence plus que le son étouffé de ses serres fouissant le sable. Une aile réconfortante s'étendit, s'enroula autour de mon dos en un geste discret mais protecteur, comme une mère déposerait une couverture sur les épaules de son enfant malade. Un esprit limpide, tel un lac immobile, m'offrit le secours rassérénant de sa quiétude d'onde claire. Écorché vif par la soif et le tourment, je m'y plongeai à corps perdu, et ce bain métaphorique parut laver mes sombres idées des impuretés qui les gangrenaient ; lentement, mes passions s'éteignirent à mesure que je me noyais dans l'âme de mon amie.

Si nous ne choisissons pas toujours de nous battre, nous pouvons choisir pour quoi nous le ferons.

Étaient-ce mes pensées ? Étaient-ce les siennes ? La voix qui résonnait dans mon esprit était bien la mienne, pourtant sa sérénité me semblait étrangère, fruit de la conscience d'un être plus certain, plus âgé que je ne le serais jamais. Englouti que j'étais par l'esprit lacustre d'Oracle, les bruissements de la réalité me parvenaient étouffés par des distances qui ne se calculaient ni en mètres ni en mots. J'aurais pu m'y laisser sombrer jusqu'à la fin de l'éternité, si l'oiselle ne m'avait pas doucement repoussé vers les berges du monde physique, loin du sanctuaire qu'elle avait, l'espace d'un instant inquantifiable, bâti juste pour moi. Sentant sa psyché réconfortante s'éloigner, mon cœur s'anima d'un sursaut de panique qui menaça d'emporter le fragile équilibre restauré par sa compassion. Nous sommes les seuls héros et les seuls bourreaux de notre existence. Une vague mentale, caressante, rassurante, soulagea une dernière fois mon angoisse avant que la Xatu ne se reculât pour de bon. L'attentisme la gagna à nouveau. Elle avait agi ce qu'elle devait ; la suite des événements, c'était dorénavant à moi de la décider.

Elle avait toujours fait vœu de me laisser prendre mes décisions par moi-même, et c'était pour cela que je l'aimais tant.

Les cris de Cléo s'étaient mués en plaintes douloureuses. Le combat n'avait pas dû tourner en sa faveur pendant mon absence, et mon cœur se serra à l'écoute de sa peine. Les tremblements me reprirent à l'idée qu'elle fût blessée, à l'idée qu'elle avait pu blesser, à la simple perspective, même, de ce que j'allais faire. Mais c'était trop tard pour revenir en arrière. Quelle option me restait-il ?

Lentement, avec les gestes précautionneux, mal assurés, d'un vieillard qui s'assurait de son siège avant de s'y laisser tomber, je fléchis les jambes pour m'agenouiller dans le sable. Je ne voyais rien, mais je gardai la tête rivée vers mes pieds - vers le sol - et mes cheveux cascadèrent sur mon regard vain. « Cléo... » Les mots refusaient d'émerger, retenus par une solide poigne de révulsion ; alors je m'obligeai à respirer, à les souffler un à un d'une voix assez ténue pour qu'ils pussent s'envoler au travers de mes lèvres mi-closes. « Tu... peux... y arriver. Fais attention à toi... » Car son bien m'importait plus que sa victoire ; je n'aurais pas pris sur moi la charge de l'élever, de l'éduquer... si je ne me souciais pas de son sort. 


Ses griffures entamèrent la carapace froide, encore et encore, mais elle était résistante ; le glaçon sur pattes braillait plus d'énervement que de douleur, malgré les encoches de plus en plus nombreuses qui zébraient sa belle couche de givre. Le sans-yeux piaillait encore et toujours, mais le garçon fort s'était dépêché de lui régler son compte, aussi ne leur accorda-t-elle plus le moindre intérêt.

Elle jeta une nouvelle injure à son adversaire, qui préparait une Charge bien sentie. Un cri d'humain - d'humaine, même, à en croire le timbre de crécelle - l'avertit d'un assaut qu'elle n'avait pas eu le temps d'anticiper. Le Pokémon fonça sur elle, mais elle s'écarta trop tard ; elle valdingua dans les airs pour s'abattre au bord de l'eau, maudissant ciel et terre dans son sillage.

Dégoulinante, fatiguée, humiliée, elle se releva pour défier son opposant de ses yeux plissés de douleur. Au coin de sa vision, le garçon fort s'était éloigné et le sans-yeux bavait ses ordres qu'elle prit grand plaisir de ne pas écouter. Devant elle, le glaçon ouvrit sa petite gueule frigorifiée sur un minuscule cri de bébé, dont la naïve férocité lui fit l'effet d'une insulte pis encore que toutes celles qu'elle avait imaginées. Avec un hurlement de rage, elle s'apprêtait à bondir sur l'insolente créature lorsqu'un effondrement de tissu brun, à sa gauche, retint son attention et son élan. Quoi, l'éclopé faisait encore des siennes ? À en juger par ses genoux flageolants et la maladresse avec laquelle il s'était laissé choir sur la plage, il n'était pas dans un état très glorieux. Épaules basses, dos rond, il ployait le cou ; son visage malingre, traversé d'expressions absurdes, disparaissait derrière le rideau fluide de ses fins cheveux. Sous l'éclat du soleil, ils avaient pris des reflets ardents.

Elle fronça le nez en une moue dédaigneuse face à son nouvel étalage de faiblesse, et reporta son attention sur le sujet ô combien plus intéressant de son duel. C'était alors qu'un appel misérable, à peine audible, mais pourtant bel et bien perceptible, émana de la loque humaine recroquevillée à quelques pas d'elle. Elle en frémit de son unique oreille. Avait-elle bien entendu ? Oui, c'était son prénom que le sans-yeux avait accolé à sa pitoyable tentative d'encouragement. Elle ricana avec cruauté. Quoi, vraiment ? Il croyait que ç'allait être suffisant ? Qu'imiter l'attitude du garçon fort allait aussitôt lui attirer ses faveurs ? Qu'il était bête ! Il ne lui communiquait même pas de hargne, pas la moindre rage de vaincre. Inutile, comme l'on pouvait s'y attendre d'une erreur de la nature.

Il avait juste pitié d'elle. Lâche.

Pourtant, tandis qu'elle bandait ses muscles et tendait ses griffes pour attaquer, une goutte, une infime trace de cette sollicitude indésirée traversa les barrières épaisses de son mépris pour trouver un chemin vers son esprit. Elle s'y glissa, s'y lova, et plus rien ne pourrait l'en déloger.     

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• Lyr'se Aquilae •

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Je ne pouvais pas faire une chose pareille. Je ne pouvais pas me livrer à un combat de Pokémon. Le simple fait d'encourager la protagoniste de celui qui se déroulait juste devant moi me révulsait l'âme ; de me dire que c'était la petite dont j'avais la responsabilité qui exerçait une telle perversion ! La honte jetait sur mon échine autant de frissons que le désespoir. Désormais que la colère m'avait quitté, dérobée par les bons soins d'Oracle, je ne concevais plus que ma douleur. J'avais envie d'oublier le monde, de me noyer sous la poudre de quartz qui roulait entre mes doigts crispés d'impuissance, mais bien que ma vue vaine m'épargnait l'ignoble carnage, ma conscience ne faisait pas montre d'autant de mansuétude.

Cléo persistait dans son vice, à se débattre entre le sable et l'eau de mer pour assener des coups terribles à la pauvre bête victime de ses pulsions de chasse, et qui répliquait en la malmenant plus encore. Je tressautais à chacune des plaintes de la Farfurette, mais comment pouvais-je reprocher au Pokémon sauvage de se défendre ? Son seul tort dans ce conflit avait été de croiser la route de la furette, de ne pas avoir fui face à l'acuité de ses griffes.

Non, pis encore. Son malheur découlait de notre - de mon - intrusion sur cette île. Si je n'avais pas été là... Si Cléopâtre n'avait pas été là... Rien de tout cela ne serait arrivé.

Un poids irrépressible comprimait ma poitrine, et je ne compris pas de suite qu'il s'agissait de sanglots.

Dans le tumulte indistinct du combat et de ma propre tristesse, je n'entendis pas la démarche souple d'Isaïah s'approcher de mon dos, comme je ne perçus pas l'injonction prononcée d'un ton de douce autorité - celle d'un ami face à un ami, soucieux de son sort mais déterminé à ne pas le laisser sombrer. Oracle porta son intérêt sur lui, cependant même cet élan ne me tira pas des abysses d'affliction vers lesquels je continuais de m'enfoncer ; il fallut que le garçon posât enfin une main sur mon épaule frémissante, acharnée à contenir une peine que je ne voulais dévoiler, pour qu'un sursaut de surprise m'arrachât à la contemplation de ma souffrance.

« Je suis désolé mec. » Il n'y avait pas besoin d'en dire davantage. Comme si ces paroles venaient de libérer un passage, de lever un barrage sur mon corps pour que toute son énergie pût se déverser au-dehors, je sentis ma tête, ma nuque, mes épaules, mes bras et mon dos s'affaisser les uns à la suite des autres, privés de la force fébrile qui les avait tendus sur le même fil. Toute une hauteur de fierté brisée et d'idéaux sauvagement foulés aux pieds ploya sous l'écrasante pression de la réalité.

« Ça suffit, Cléo, » poursuivit Isaïah, avec cette assurance que je n'avais pas su, ne pouvais pas égaler. « Tu t’es bien battue. Mais laisse ce pauvre Grelaçon tranquille. On a d’autres Chaglam à fouetter.

— Oui... laisse-le. » Mes mots pesaient au fond de ma gorge comme des pierres, pourtant ils troublèrent à peine l'air lorsqu'ils vacillèrent au bord de mes lèvres.   

« On a besoin de toi pour retrouver Anubis. » Imperturbable là où je n'étais que confuse détresse, mon camarade avait déjà réfléchi à une parade pour distraire Cléopâtre de son sinistre but. Sous mes cheveux rabattus, je ne sus que renifler d'un air pitoyable. « Tu veux en être ? » Les cris et les crissements aigus de ses griffes s'éteignirent. Les remous soulevés par sa lutte cessèrent de troubler la quiétude de la plage, et d'un coup, le calme se fit ; si l'on ignorait la longue plainte agacée qui émana du Pokémon ennemi. Farrrrr ! s'exclama Cléo. Une série de pas précipités se dirigea droit sur nous, mais alors que je bandais les muscles en prévision de l'impact inévitable, la Farfurette me dépassa largement, et je l'entendis se réceptionner non sans mal dans les bras d'Isaïah. Ce geste d'indifférence, s'il n'avait rien de surprenant, ne fit qu'enfoncer une pointe de plus dans mon cœur transpercé de part en part.

Je n'aurais su dire combien de temps je restai là, immobile, recroquevillé sur moi-même, à écouter Isaïah et Cléopâtre s'égayer l'un auprès de l'autre, sans parvenir à me réjouir de l'heureuse issue de l'incident. Leur joie, leur insupportable réussite, le triomphe de leur amoralité sur ma vertu vinrent teinter ma tristesse d'une brûlante amertume.

Pourquoi n'avais-je pas pu me faire entendre de Cléopâtre ?   

Pourquoi fallait-il qu'elle désirât tant combattre ?

Pourquoi ne comprenait-elle pas que ce que je faisais, je le faisais pour son bien, moi aussi ?

Oracle posait sur moi un œil compatissant, mais je me fermai à son réconfort. J'en avais eu assez. Je me sentais fatigué, humilié, brisé. Je ne voulais plus qu'on essayât de me réparer.

Lentement, je me relevai. Du sable dégringola de mon pantalon, s'était glissé dans mes chaussures, sous mes vêtements ; je m'époussetai du mieux que je pouvais pour retrouver une certaine contenance. D'un geste que j'espérais discret, j'écrasai les larmes perlant au coin de mes paupières.

« Dépêchons. Nous avons perdu beaucoup de temps, et Anubis en manque bien assez. » Sans rien ajouter, sans même attendre la réponse d'Isaïah, je posai la main contre la tête d'Oracle, lui intimai mentalement l'ordre de nous guider jusqu'à Leysa, peu importait où elle pouvait se trouver.  
   

Il était pénible, ce Grelaçon. Pourquoi il ne se laissait pas vaincre ? Elle pantelait, les griffes sorties, dressée de biais sur ses pattes inégales. La créature des glaces lui lança un nouvel appel de défi, et elle lui répondit par un mouvement du bras obscène - une petite gracieuseté des jeunes humains qu'elle avait aperçus lorgner sur son maître, lorsqu'il se promenait dans les rues. Malgré sa fatigue, elle ricana, prête à se jeter de nouveau dans la bataille, lorsqu'une voix imposante chercha à mettre un terme à son plaisir. Irritée, elle tourna la tête en direction du garçon fort planté derrière le sans-yeux ; lui était capable de la voir, et il en profita pour lui offrir un sourire étincelant de connivence. Qu'avait-il dit ? Besoin d'elle ? Elle n'était pas encore très habituée au langage des humains, mais elle avait découvert de quelle trempe celui-là était fait. S'il considérait qu'une chose était digne d'être accomplie, et plus encore, qu'elle ne pouvait être accomplie sans elle, alors elle voulait bien le croire ! Fière qu'on eût reconnu son talent, elle approuva finalement l'invitation d'un cri retentissant, avant d'adresser une ultime grimace à son adversaire. Le Grelaçon réagit par un rugissement, outré qu'on abrégeât le combat aussi abruptement qu'on l'avait commencé, cependant elle l'ignora pour se projeter à quatre pattes vers le garçon fort. Elle n'accorda même pas une oeillade au sans-yeux ; elle bondit pour s'agripper à son nouveau complice, s'installa en un éclair sur ses épaules solides. Elle n'avait de cesse de ricaner. Où allait-il la mener, à présent ? Est-ce qu'il voulait qu'elle pistât le chiot de la femelle humaine, celui qui s'était fait gober par un monstre marin ? Elle n'était pas certaine de l'utilité de la manœuvre, mais ça pouvait être un jeu de piste intéressant. En tout cas, ça ferait travailler son odorat !

Et lorsque le sans-yeux, enfin debout, enfin moins larmoyant, grommela ses mots d'un ton sec avant de s'éloigner avec son oiseau de compagnie, elle ne leur adressa pas un regard.

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• Lyr'se Aquilae •