Des cris, des pleurs ; des bruits assourdissants qui ne s’estompent jamais entre les murs de la maternité de San Camari. C’est là que naît Tamlin, le premier enfant d’une fratrie de quatre. À cette époque-là, le couple Bracstor est sans doute le plus heureux qui puisse exister. Peut-être est-ce grâce aux émotions qu’ils ont ressenties lors de la naissance de leur premier fils qu’ils ont décidé d’avoir d’autres enfants. Donnant alors naissance à une autre fille, Feyre ainsi qu’à des jumeaux, Leysa et Isaïah. Il a pu assister à toutes les naissances – privilège de l’aîné. Et chaque fois, Tamlin les a accueillis avec bienveillance. Pourquoi serait-il le seul à profiter d’une enfance heureuse ? Ce serait injuste pour les autres membres de sa famille qui le méritent tout autant.


« Quand je suis en mer, c’est toi l’aîné, l’homme de la famille. Tu comprends ce que ça veut dire, meu filho ? », le regard levé vers son père, Tamlin ne comprend pas. Il a onze ans lorsque son père lui pose cette question. Un âge auquel il ne pense qu’à s’amuser, à profiter de ses sorties avec Ladon. Être l’aîné, avoir des responsabilités ? Non, il n’en veut pas et il a le temps pour ça, non ? « Ça signifie qu’en mon absence, tu dois veiller sur tes sœurs et sur ton frère. Ils auront besoin de toi et quoi qu’il arrive, vous devrez vous soutenir. Toujours. », explique Lucien devant l’incompréhension évidente de son fils. « Tu comprends, Tam ? Si oui, promets-moi que tu le feras. », le garçon hésite. Il aime sa famille mais il n’est pas certain de vouloir ce rôle. Pourquoi ça doit lui revenir à lui ? Simplement parce qu’il est l’aîné ? N’y a-t-il pas leur mère censée prendre soin d’eux ? Mais devant le regard insistant de son père, Tamlin ne peut pas refuser – même si la signification de tout ceci lui échappe encore. « Eu prometo a você, papai. », je te le promets, dans la langue que ses parents lui ont enseignée. Le sourire du père fier aux lèvres, Lucien pose le plat de sa main sur le crâne de son fils pour lui ébouriffer les cheveux. Le gamin ricane en suppliant son père d’arrêter. Bien loin de concevoir l’impact que ces mots vont avoir dans la suite de sa vie. Et c’est un fardeau. Un rôle qu’il va devoir endosser malgré lui et bien plus rapidement qu’il ne le pense. Des paroles qui n’ont pas fait sens pour Tamlin à l’époque mais qui, aujourd’hui, sonnent comme un malheureux présage lorsqu’il y repense et que sa gorge se noue.

« Papa reviendra pas. », du haut de ses douze ans, Tamlin s’adresse à sa mère ; évoquant plus un fait qu’une réelle question. il est peut-être jeune mais il a très bien compris ce que ces hommes sont venus leur annoncer. Lucien Bracstor a disparu en mer et l’air complètement amorphe de sa mère ne fait que confirmer ce qu’il craignait. L’adolescent a envie de se laisser aller, de hurler, de pleurer, de s’exclamer pour dire combien ce qui leur arrive est injuste. Pourtant, il ne le fait pas, demeurant stoïque, seul face à sa mère qui, elle, ne se remettra jamais de cette perte. Tu es l’homme de la famille, l’aîné. N’oublie pas. Cette phrase résonne dans son esprit alors qu’il comprend les responsabilités qui vont être les siennes. Après tout, son père est absent, parti en mer… Et Tamlin lui a promis de gérer à la maison tant qu’il n’était pas là. Alors il va le faire pour que son père soit fier. Ce jour-là, Tamlin grandit, endossant un rôle qui n’aurait jamais dû lui revenir, surtout dans de telles circonstances. Mais il le fait et même s’il pleure tous les soirs quand il se trouve en tête-à-tête avec lui-même dans sa chambre, il ne faillit jamais devant le reste de sa famille. Il doit être fort ; pour eux, pour lui et pour leur mère qui n’y arrive pas. Il n’en n’a jamais voulu à sa mère, Tamlin. S’occupant d’elle au même titre que Feyre ou les jumeaux.


Le vent se lève tandis que les nuages s’amoncellent, recouvrant le ciel clair et le soleil qui rayonnait depuis plusieurs heures. Qu’importe, ce n’est pas ça qui va perturber l’entraînement de Tamlin et de son partenaire sur l’une des nombreuses parcelles du littoral de San Camari. « Ladon, utilise Draco-Souffle ! », ordonne le dresseur en herbe, pointant les cieux du doigt pour lui donner la direction de l’attaque. Suivant les indications données, le Pokémon lève la tête et ouvre la gueule pour laisser échapper un souffle destructeur violacé qui file en direction des nuages, donnant l’illusion de transpercer l’un d’eux. Sourire aux lèvres, Tamlin vient féliciter son partenaire en le gratifiant d’un geste tendre. « T’as été parfait. », le Pokémon émet un petit bruit de satisfaction pendant que derrière le brun, à une distance raisonnable de sécurité, les jumeaux regardent leur aîné avec des yeux pétillants d’envie. « Un jour, je serai aussi classe que vous deux ! », s’exclame Isaïah. Cela, Tamlin n’en doute pas un seul instant. Il le perçoit : Leysa et Isaïah ont l’amour du dressage et des Pokémon, comme lui – alors que Feyre ne les rejoint pas sur ces points-là. C’est pourquoi lorsqu’il peut prendre un peu de temps pour ses propres envies, l’aîné des Bracstor vient s’entraîner ici avec Ladon. Il emmène les jumeaux assister à ces séances parce qu’il s’est bien rendu compte que ça les passionne. Il est bien à des lustres d’imaginer que quelques années plus tard, ce genre de comportement deviendra illégal, privant ses cadets de leur plus grand rêve.


La foule. Les applaudissements. Les acclamations… Lynn ! Lynn ! Lynn ! Dans la cage, il se sent quelqu’un d’autre – se fait passer pour quelqu’un d’autre, il faut le dire. Ces gens l’aiment ou plutôt, ils aiment ce personnage qu’il s’est créé pour continuer d’exercer sa passion. Krak ! Krak ! Krak ! Le Carmache pousse un cri de victoire alors que son dresseur lève les bras en l’air en direction du public, paumes ouvertes vers le ciel. Dans ce monde illégal qu’il a découvert à sa création, il est un prince. Ses victoires comme ses défaites ont fait sa renommée. Combattant brutal dans l’équipe Zekrom, il a gagné sa place en envoyant ses adversaires au tapis. Dans l’underground, il est Lynn, dresseur masqué à l’accent cinzan très appuyé. À l’abri des regards extérieurs, à l’insu de sa famille, Tamlin se fait son nid dans cet univers clandestin.

« Je quitte l’équipe. », l’annonce tombe sans appel, le ton du Bracstor est assuré. Il a pris sa décision et c’est sans peur qu’il s’adresse ainsi à son chef d’équipe, Liam. Il a vu et vécu l’envers du décor. La face encore plus sombre, celle qui touche à la véritable criminalité. Tamlin s’est rendu dans les bas-fonds pour pouvoir combattre avec Ladon, pas pour participer à des trafics illégaux ou pour rendre des services louches à des gens qui le sont tout autant. Et même s’il ne balancera personne, ces pratiques sont contraires à ses propres valeurs. Alors les yeux dans les yeux, il apprend à ses camarades qu’il les lâche. Si cette décision peut paraître égoïste, elle n’en reste pas moins pleinement assumée par Tamlin. Malgré les demandes répétées de Liam pour le convaincre de rester, le brun s’en est allé – continuant d’évoluer en solitaire dans les bas-fonds. De lui-même, il a également toujours refusé le moindre pot-de-vin. Jouer des parties truquées n’a jamais été quelque chose de concevable pour le brun. Ses victoires – à l’instar de ses défaites – ont toujours été méritées. Il combat par passion et n’a que faire d’avoir plus ou moins d’argent. Une inflexibilité qui a réussi au garçon puisque depuis quelques mois, le dénommé Lynn est officiellement devenu le champion sol de La Isicao. Si ce rôle en fait une cible prioritaire en cas de réel contrôle de la Guarda, ça ne l’effraie pas outre mesure. Il a conscience de tout ce que ça implique mais ce poste lui permet de combattre à un niveau insoupçonné et de réellement s’accomplir en tant que dresseur malgré l’utilisation de Pokémon qu’il n’a pas élevé quand il combat officiellement.


Poulpinator. C’est ainsi que tout le monde le désigne, ce Tentacruel géant qui a interrompu les festivités du Carnaval de La Isicao. Un événement que Tamlin n’a pu suivre que par l’intermédiaire des journaux – télévisés ou non – et des réseaux sociaux. Arceus merci, il n’était pas sur place lors du déroulé de ce moment tragique. Il travaillait à San Camari. Pour autant, cela ne l’empêche pas de se sentir concerné par ce qui s’est produit, ayant fait de la capitale sa ville de cœur depuis qu’il en est le champion dans ses bas-fonds. De plus, Tamlin pense que ce qui s’est passé n’est que les prémices de grands changements à venir. Il le voit lorsqu’il se promène dans les rues de Cinza : les langues se délient, les gens parlent, la Guarda est traînée dans la boue sur Internet et dans les ruelles plus secrètes de la région. Le Système Pérola n’est plus une institution aussi solide qu’il y a encore à peine quelques mois. Dans cette atmosphère qui tend à s’alourdir, Tamlin Bracstor se refuse encore à prendre un quelconque parti. Mais qui sait ? Selon ce qui peut arriver, il n’est pas impossible qu’il finisse par changer d’opinion.