Chaque cellule, chaque fibre de son corps lui hurlait « Fuis ! Cours ! Dans l’autre direction, va-t’en, fais demi-tour ! » Mais puisqu’il était lancé, Lekka ne pouvait plus se permettre de reculer. Pas que Kohaku lui en aurait voulu si sa raison avait repris le dessus sur son courage mal placé et son absurde notion du devoir, mais le garçon avait pris sa décision en toute connaissance de cause, et quelque part, quelque chose en lui lui murmurait que tourner les talons après avoir voulu résister était pire que de fuir à la première occasion.
Faire preuve de bravoure, cela dit, n’était pas aussi facile que ce que lui avaient laissé entendre ses jeux vidéo : s’il parvenait encore à mettre un pied devant l’autre en dépit des débris, devenus missiles approximatifs mais non moins dotés d’un potentiel létal, de la marée humaine qui, pourvue d’un peu plus de jugeote, se projetait en sens inverse, et de l’idée que s’approcher davantage du Tentacruel géant signerait sans aucun doute son arrêt de mort, c’était uniquement grâce à un puissant effort de volonté - et surtout au barrage épais dont il avait enveloppé son esprit, afin de ne pas se laisser submerger par le flot de pensées ininterrompues et de conjectures anxieuses que la situation faisait naître en son for intérieur. Pas le temps pour ça ! Rappelle-toi les cours : suis la procédure, ne t’égare pas en réflexions inutiles et concentre-toi sur l’instant présent ! Une chose à la fois !
Il décida de ne même plus essayer de penser et focalisa son attention sur le chemin accidenté qui se déroulait sous ses pieds. Entre les gravats et la poussière ambiante, difficile de parvenir à exécuter trois pas sans manquer de trébucher. Lekka ne pouvait pas ralentir, pourtant : trop de vies dépendaient de ce qu’il réussirait à gagner de temps.
Tu crois vraiment qu’ils dépendent de toi ? Tu t’es pris pour un héros, ou quoi ? Non, non, on avait dit d’arrêter de penser. De toute manière, l’analyse du terrain requérait une bonne partie de ses fonctions cognitives ; de temps à autre, il penchait la tête pour s’assurer que Kohaku le suivait toujours, et redoublait d’ardeur en s’apercevant que le Noctali le devançait de quelques bonnes enjambées.  
Le bruit était intolérable. Malgré la distance conséquente qui les séparait désormais du gros de la foule, les cris éraillés des survivants pris d’épouvante hantaient les rues sous les façades impavides des immeubles encore debout, telle la clameur désincarnée d’une horde de fantômes, tandis que les râles torturés des structures de béton, de bois et de métal mis au supplice par la colère du mastodonte déchiraient l’air avec la brutalité subite de coups de tonnerre. Parfois, un mugissement monstrueux précédait un nouveau choc et un bref tremblement de terre, indiquant à l’étudiant que le Tentacruel avait fracassé et jeté un autre édifice sans plus d’égard qu’un gamin se débarrassait d’un jouet cassé. Lekka grimaça et tenta de toutes ses forces d’ignorer les plaintes horrifiées qui survenaient immanquablement après chaque impact. Ne pas penser, pas penser, pas penser…
Alors que la silhouette tout droit sortie d’un cauchemar cthulhien précisait ses contours sur la toile obscure des nuages de tempête, Lekka aperçut une femme au tailleur déchiqueté s’affairer autour d’un tas de décombres, les yeux plus ronds que ceux d’un Hoothoot. D’une pâleur effrayante, elle gardait la bouche ouverte sur un cri à jamais figé dans sa gorge, cependant qu’elle propulsait derrière elle monceau sur monceau de pierre brisée pour atteindre le fond des graviers, indifférente à la saleté et aux écorchures qui récompensaient son ouvrage. Le garçon marqua l’arrêt lorsqu’il perçut des pleurs étouffés en provenance du tas de gravats. « Vite, Kohaku ! » s’étrangla-t-il avant de s’élancer vers la pauvre mère à la recherche de son enfant perdu. Il arriva à son niveau au moment même où une petite main s’agitait au travers de l’ouverture nouvellement pratiquée. La dame désespérée se précipita pour saisir son rejeton terrifié, le hisser hors de son trou et le serrer contre elle. La gorge nouée, Lekka fit mine de s’avancer pour demander si elle avait besoin de son aide, mais la petite famille enfin réunie l’ignora superbement, trop inquiétée par la présence du Tentacruel si proche, à présent, qu’il oblitérait tout le ciel. Sans émettre un son plus compréhensible qu’un geignement vidé de tout souffle, à croire qu’elle n’avait vraiment cessé de s’époumoner depuis le début de la catastrophe, la mère souleva son fils et se jeta loin du Pokémon disproportionné, n’accordant pas un regard pour Lekka qu’elle bouscula même sur son passage.
Tu t’attendais à quoi ? Là, maintenant, c’est l’instinct de survie qui commande, rien d’autre. Plus choqué encore par la réaction primaire de cette femme que par le malheur qui l’avait frappée, Lekka resta un instant interdit, incapable d’appréhender cette amère piqûre de réalité. Enfin, lorsqu’il eût recouvré ses esprits, il déglutit fébrilement et repartit vers la masse tentaculaire, quoique moins sûr de ce pour quoi il se battait encore.
Il ne lui fallut pas longtemps pour rejoindre un petit groupe épars de Dresseurs au pied du monstre : quelques braves qui s’exhortaient les uns les autres et s’échinaient à ralentir sa progression, à défaut de pouvoir le mettre hors d’état de nuire. Lekka stoppa sa course effrénée - il haletait plus qu’un Rocabot en pleine canicule -, se pencha sur ses jambes, mains sur les genoux, pour reprendre son souffle avant que son cœur décidât de l’abandonner. Kohaku se campa près de lui, tous les muscles bandés en prévision d’une attaque.
« Wazzup ? » fit une voix de femme non loin de là, avec la même indolence que si elle l’avait accosté lors d’une soirée tranquille entre amis.
L’espace d’un court moment, Lekka crut avoir halluciné cet appel tant il paraissait incongru au milieu du chaos environnant, pourtant il lui suffit de redresser la tête pour en déterminer l’origine : une jeune femme à la peau mate, habillée en tout et pour tout d’un bikini très peu couvert à l’effigie de Noadkoko. Dans d’autres circonstances, cette vue l’aurait fait rougir jusqu’aux oreilles, mais à cet instant précis, alors que des bribes de bois et de bitume cascadaient autour d’eux et que les autres festivaliers s'égosillaient en essayant de les esquiver, Lekka ne sut qu’écarquiller les yeux et la dévisager sans un mot, incrédule.
« Les… les gens, » réussit-il finalement à balbutier. « Faut… protéger… ralentir ce truc ! »
Cependant la femme-Noadkoko ne semblait déjà plus s’intéresser à lui ; elle s’était retournée vers un petit attroupement de curieux décérébrés qui prêtaient visiblement plus de crédit à la célébrité que leur procurerait l’événement plutôt qu’à leur propre survie, car tous braquaient sur le Tentacruel l’objectif de leur smartphone - avec en ligne de mire, bien sûr, ceux qui bravaient le danger pour leur épargner un sort funeste. Loin de s’indigner de ce comportement aussi aberrant qu’inconséquent, la femme leur décocha un sourire ravageur.
C’était surréaliste. Ces gens avaient-ils conscience qu’ils jouaient leur vie - et celle d’autrui au passage ? Que ça n’avait rien d’un plateau télévisé ou d’une représentation scénarisée ? Cette plagiste déguisée se pavanait comme si tout ce désastre faisait partie du spectacle, comme si elle-même ne s’était entraînée que pour ça. Lekka tombait des nues ; il secoua la tête, ce qui eut pour effet de faire dégringoler sur son visage la poussière prise dans ses cheveux. Réprimant un éternuement, il décida d’ignorer cette scène affligeante afin de concentrer son attention sur la seule menace qui méritait son intérêt, celle qui faisait claquer ses dents et s’entrechoquer ses genoux malgré la posture vaillante qu’il tentait en vain d’adopter pour se donner de la force.
Kohaku se mit en position devant lui. Le Dresseur fit de son mieux pour vider son esprit de toute trace d’anxiété. Bien. Dis-toi que c’est un Tentacruel normal. Oui, voilà : il n’a absolument rien de plus que les autres, et surtout pas une bonne dizaine de mètres en trop... Quel était le point faible des Tentacruel ? Il s’agissait de Pokémon aquatiques, ils supportaient mal les attaques Electrik - dommage que Kohaku ne soit pas un Voltali, regretta-t-il brièvement avant de se reprendre - et leur type Poison ajoutait à cela une faiblesse Sol et Psy… Lekka jura. « Kohaku, on a rien pour le… » Minute ! Si, il y avait quelque chose. Une rapide inspection des Pokémon au combat lui permit d’en repérer quelques-uns dotés de l’avantage de type, et ils ne se gardaient pas de l’utiliser. « Kohaku, » répéta Lekka d’une voix un peu moins flageolante. « Photocopie-moi la prochaine attaque super-efficace que tu voies, et lance-la pleine puissance sur ce maudit poulpe ! » Le Noctali émit un grognement féroce en signe d’approbation, puis s’engagea dans la bataille.
Le Pokémon évita avec habileté les projectiles plus ou moins dirigés à son encontre, gravit une poutre émergeant des vestiges d’un magnifique chariot et, une fois au sommet, se propulsa dans les airs. Pendant quelques secondes, il resta ainsi suspendu au-dessus du vide, ses yeux rouges rivés sur ses pairs en quête du premier à frapper la faiblesse du monstre. Enfin, le moment fatidique arriva ; avec un glapissement presque ravi, Kohaku fit étinceler ses anneaux.
Le Tentacruel se tourna juste au moment où Kohaku, chargé d’une énergie qui n’était pas complètement la sienne, lançait un Éclair droit vers son visage rond grouillant de tentacules.
Le céphalopode géant encaissa l’attaque, mais l’étincelle de crispation qui traversa son regard trahit sa souffrance. Le coup avait porté. Kohaku retomba au sol, à plusieurs mètres de son maître. Lekka aurait aimé féliciter son Pokémon, mais ce dernier se trouvait trop loin et le résultat un peu décevant de sa stratégie noya l’exclamation naissante dans sa gorge. Préoccupé par la sérieuse distance qui le séparait du Noctali, l’étudiant hésita, puis esquissa quelques pas prudents en direction de son compagnon.
Mais la pieuvre titanesque en décida autrement.
Sur un hurlement strident, le Tentacruel s’empara de la carcasse d’un char à sa portée, arqua ses appendices… puis la balança droit vers Lekka et ses alliés.
Le garçon aurait pu crier. En fait, il aurait dû ; mais la stupeur bloqua net ses poumons, et rien ne sortit de sa bouche entrouverte. Tout au long de la trajectoire en lourd arc-de-cercle que traça le véhicule arraché à la gravité, Lekka crut que le temps s’était brusquement ralenti - ou bien était-ce son cerveau qui, sous la conjonction de la peur et de l’adrénaline, avait soudain accéléré tous ses processus, et traitait les informations insensées qu’il recevait avec une vitesse qu’en temps normal il ne pouvait même pas effleurer ? De fait, toute son attention s’était figée sur le monceau de bois et de plumes bariolées qui arrivait droit sur lui, sans doute à une allure folle, afin de le réduire en bouillie, si bien qu’il aurait été incapable de dire ce qui anima ses jambes pour le projeter sur le côté. Un ultime soubresaut de l’instinct de survie qu’il pensait avoir muselé ? Une impulsion initiée par une personne du monde extérieur ? Ou bien était-ce simplement l’onde de choc du chariot au moment où il s’écrasa sur le sol dans un vacarme de fin du monde ?
Toujours fut-il qu’il se retrouva, hébété, incertain de ce qui venait d’arriver, étalé sur le flanc loin de la zone de collision. Groggy par le choc, il passa un laps de temps indéterminé sans bouger, le corps, lui semblait-il, devenu aussi flasque qu’une poupée de chiffon - et tout aussi insensible. Puis, petit à petit, une douleur lancinante s’éveilla en lui, irradiant de sa hanche droite - le côté où il reposait. Il s’était sûrement mal réceptionné. Encore secoué, l’étudiant fut néanmoins pris d’une subite pulsion de se relever, certain sans tout à fait savoir dire pourquoi qu’il serait en danger tant qu’il resterait étendu là. Il voulut se mettre debout, mais ses mains se dérobèrent sous lui alors qu’il tentait de soulever son propre poids ; il retomba face contre terre, sonné. Son visage et ses paumes, râpés sur l’asphalte, le brûlaient et cette sensation tout à la fois familière et nouvelle fut de trop pour ses sens anesthésiés. Il avait les larmes aux yeux.
« K… Kohaku… » gémit-il - ce mot avait eu un sens, mais lequel ? Il n’arrivait plus à réfléchir ; et puis sa voix sonnait étrangement à ses oreilles, assourdie, comme si elle venait de bien plus loin que ses cordes vocales, ou n’était pas vraiment la sienne. Un nuage de poussière épais masquait les alentours sous ses rouleaux ocres, et le garçon, dans sa tentative pour appeler à l’aide, ne réussit qu’à avaler quelques grains en suspension. Il se mit à tousser.
« Y’a… quelqu’un…? » Le sol vibrait encore mais tout lui paraissait lointain, cotonneux ; il avait du mal à rassembler ses idées. Il ne s’accrochait qu’à la seule chose qui restait limpide dans son esprit : partir d’ici au plus vite. Ignorant les protestations de ses muscles endoloris, Lekka rassembla son courage et se lança une nouvelle fois à l’assaut de la verticalité.  


Kohaku avait perdu de vue son maître après l’explosion du char. Paniqué, le Noctali aboyait comme un possédé en direction des fragments éparpillés de la structure aux entrailles désormais exposées au grand jour, sans qu’aucune réponse ne lui parvînt. Le désespoir commençait déjà à le gagner, pourtant il ne put se précipiter vers les décombres à la recherche de son ami de toujours : le Tentacruel n’avait pas dit son dernier mot, et abattit ses membres sur le chemin de l’audacieux petit Pokémon qui avait osé diriger un Éclair entre ses deux yeux.
La fureur, telle une bête sauvage prise de folie, gagna Kohaku jusqu’à dévorer la moindre parcelle d’angoisse qui subsistait dans son cœur. Saisi d’une rage noire, le Noctali poussa un horrible hurlement.
Si ce mollusque putride avait blessé son humain, voire pire…  
Il allait le lui faire amèrement regretter.
Dénué de Dresseur et de marche à suivre, le Noctali, une lueur meurtrière dans son regard de braise, fonça aux côtés des Pokémon qui luttaient toujours contre le monstre, les crocs découverts sous sa toison empoissée.

En avant la musique

« Ici la citation »

* * *

L’intendant n’eut pas le temps d’apprécier l’ironie de la situation que, déjà, un nouvel évènement vint troubler le court des choses. Dans le ciel un cri retentit, couvrant un instant le bruit du chaos environnant. L’apparition attira le regard de Luciano au-dessus de lui … et son cœur fit un bond dans sa poitrine lorsque ses yeux rencontrèrent cette Airmure qu’il ne connaissait que trop bien. Luciano n’avait jamais eu l’occasion de la voir de ses propre yeux, mais l’intendant n’avait aucun doute sur son identité, ni sur celle de son cavalier : l’Airmure de Corvus Eddarson ne pouvait traverser les cieux de Cinza sans être reconnue, même après toutes ces années.

Malgré la distance, Luciano aperçut une silhouette quitter le dos de l’Airmure pour atterrir directement sur la tête du Tentacruel … c’était sa Malamandre, l’intendant en était presque certain.

« — C’est Eddarson, c’est lui » déclara Luciano.

En guise d’escorte, Luciano avait fini par se trouver deux hommes parmi ceux de la Guarda et l’information les fit s’échauffer. Déjà, ils s’empressèrent de vouloir attraper le rebelle, trop heureux à l’idée d’être ceux qui captureraient celui qui échappait aux autorités depuis si longtemps … mais Luciano tâcha de les retenir.

« — Non, laissez-le » leur intima l’intendant de Borao. Luciano n’était pas leur supérieur, et pourtant les deux hommes semblaient l’écouter « Laissez-le s’échiner à combattre ce monstre, mais ne le laissez pas s’échapper. La Malamandre va finir par tomber, immanquablement. Capturez-la, il ne repartira pas sans elle » assura l’intendant.

Son regard ne quittait pas le combat qui avait lieu au-dessus d’eux, mais le rappel d’un détail le tira de sa contemplation. L’Elecsprint, où était l’Elecsprint ?

« — Où est mon Elecsprint ? » questionna Luciano, tout en cherchant du regard le chien nouvellement acquis. Son enquête ne dura pas bien longtemps, car rapidement l’un des deux hommes lui offrit une réponse.

« — Il est là-bas monsieur. Regardez » déclara-t-il en pointant du doigts un endroit bien spécifique.

A plusieurs mètres d’eux, l’Elecsprint venait de refaire surface. Amoché – son pelage portait les marques des dégâts reçus lors de l’impact – le chien bleu s’était juché sur un amoncèlement de débris. Du haut de son promontoire, l’Elecsprint dominait la scène, le regard fixé sur le Tentacruel encore abasourdit. Autour de lui, certains civils s’étaient rassemblés et l’observaient les yeux emplis d’espoir.

« — PROTECTEUR ! PROTECTEUR ! PROTECTEUR ! » criaient-ils, encourageant le pokémon.  

Luciano observa la scène, silencieux. Le chien était connu de la population, bien sûr, comment avait-il pu l’oublier ? L’intendant contempla l’Elecsprint rassembler ses forces, plus décidé que jamais à asséner à son adversaire un coup qu’il ne serait pas prêt d’oublier. Avait-il vu le cavalier aérien qui virevoltait encore autour du Tentacruel ? Luciano n’en savait rien, mais il se surprit à espérer voir l’attaque de l’Elecsprint atteindre aussi le rebelle et faire d’une pierre deux coups. Qu’importait la loyauté de son pokémon, Luciano avait tout à y gagner.

En avant la musique

Je me relevai, encore étourdi par le choc. Avec précaution, je retirai le débris planté dans mon épaule, heureusement que je suis à jour dans mon vaccin contre le tétanos… Du sang s’écoulait le long de mon bras dénudé. Le tissu déchiré me servit de compresse, que je serrai fermement afin de perdre le moins de sang possibles. Le regard paniqué de Bastet attira immédiatement mon attention, le pauvre était déboussolé. La zone se retrouvait ravagée : les bâtiments éventrés et les habitants blessés. La situation empirait et cela devenait dangereux. Je déposai une caresse délicate entre les deux oreilles de mon compagnon.

- Je ne veux pas que tu restes ici, tu m’entends. Éloigne-toi, va rejoindre le secours. Et si tu veux te rendre utile, aide les à trouver des survivants sous les décombres.

Je refusai de le brusquer, inutile de le traumatiser davantage. Pourtant, mes mots restèrent directs, je ne souhaitais en aucun cas lui faire prendre des risques. Il resta à me regarder quelques secondes, avant de m’écouter et de déguerpir. Dans sa course, il croisa de nombreuses victimes et s’en voulut de ne pas être suffisamment puissant pour contrer le Tentacruel. Désormais, il s’entraînerait plus assidûment. Une voix le stoppa dans son avancée. En la suivant, il découvrit un jeune homme aux cheveux. Sonné, perdu, il ne semblait pas en possession de toutes ses facultés. Le Miaouss n’allait certainement pas le laisser là, il miaula pour faire connaître sa présence. S’il avait besoin de soin ou de retrouver quelqu’un, Bastet l’aiderait.

Pendant ce temps, je m’approchai de la zone de combat. Les pokémon présents combinèrent leur puissance dans l’espoir de mettre KO le Tentacruel ou du moins le faire fuir. Dans la foule, je reconnus Luciano et un pokémon que je n’avais jamais vu à ses côtés auparavant. Ce dernier se positionnait tel un héros, acclamé par des spectateurs. Comme si c’était le moment pour se croire au spectacle. Les Viridis savaient y faire avec la population, la preuve. Sobek profite de cette courte distraction pour se rapprocher du rivage et attendit mes prochaines instructions.

- On refait comme tout à l’heure. Tu plonges et tu t’approches le plus discrètement et le plus rapidement possible, une fois à portée, tu lances une attaque Tranche, suivit d’une attaque Morsure. Compris ? Après ça, je veux que tu t’éloignes pour ne prendre aucun risque.

À peine ma phrase terminée, que le Sharpedo plongea et fonça vers sa cible. Déterminé à l’arrêter. L’adrénaline s’empara de lui et lui octroya une seconde jeunesse, cette sensation de liberté lui plaisait. À l’approche du Tentacruel, il accéléra et sauta hors de l’eau. Enchainant les deux attaques conseillées par moi-même.

Je croisai les doigts dans l’espoir d’attirer la bonne fortune.

Kohaku ne pouvait rien pour son Dresseur à cet instant précis, encore moins avec la menace du Tentacruel suspendue au-dessus de lui comme une épée de Damoclès. Son meilleur plan consistait encore à distraire la bête loin de l’endroit où devait reposer l’étudiant assommé ; ce fut avec cette idée, alimentée d’une bonne dose de colère, qu’il plongea tête baissée dans la bataille.
D’autres Pokémon s’acharnaient à contenir les explosions de rage du géant : le Noctali repéra un Rapion, un Démolosse, un Airmure qui fendait le ciel de ses ailes d’argent et de ses cris furieux… Une vague ombre noire trônait sur le dos de l’oiseau caparaçonné mais Kohaku n’eut pas le moyen d’en discerner davantage : l’Airmure fila plus vite qu’une comète, larguant derrière lui une étrange silhouette humanoïde qui se réceptionna droit sur le crâne du monstre. Avec une fluidité et une grâce mortelles, l’être asséna une violente attaque à sa monture improvisée ; la capacité fit mouche, et le Tentacruel hurla de douleur.
Le mastodonte faiblissait à vue d'œil. Sa haute taille compensait de moins en moins la rigueur des coups qui lui étaient administrés, et l’aubaine d’un bâtiment qui s’écroula sur lui acheva de l’ébranler. Il fallait saisir l’occasion de renverser la vapeur.
Kohaku retroussa les babines pour se donner du courage et se jeta à corps perdu dans l’affrontement, l’esprit porté à ébullition par la combativité de ses pairs. Il ne vit pas d’opportunité de réutiliser Photocopie à son avantage, ce qui le convainquit plutôt de tenter une Morsure bien sentie vers un tentacule à sa portée. Il dévala les ruines arc-en-ciel d’un chariot réduit à l’état de petit bois pour s’élancer, la fourrure si hérissée qu’il parut doubler de volume, sur le membre flageolant à la recherche d’un nouveau projectile à catapulter. Toutes dents dehors, Kohaku ne put réprimer un grognement belliqueux à l’approche de sa cible. Mal lui en prit : cet avertissement alerta le Tentacruel qui répliqua juste à temps pour renvoyer à son adversaire une claque retentissante d’un revers de tentacule. Kohaku vola dans les airs ; ses poumons se vidèrent de leur air au moment où il percuta le sol de tout son long, sonné mais vivant.
Le Noctali grimaça de douleur en levant une tête endolorie vers l’horrible forme du céphalopode qui crevait les nuages. Hors de question de se déclarer vaincu ! Obstiné, il se remit sur pattes, s’ébroua, mais la riposte ne l’avait pas laissé indemne : de son pelage d’ébène noyé de poussière montait une indéniable odeur de sang. Ce n’était que des écorchures, et le Pokémon les négligea sur l’urgence du moment ; cependant il aurait besoin de soins dès que le danger serait écarté.
L’équilibre moins assuré, Kohaku claudiqua tout de même en direction du champ de bataille, désireux de mettre à bas cette abomination qui avait osé s’en prendre à son ami. Pourtant, avant qu’il ne pût retourner à l’assaut, un flash lumineux d’une intensité insoutenable lacéra la rétine sensible de ses yeux nyctalopes ; il glapit, autant de surprise que de douleur. Sitôt après, un roulement de tonnerre apocalyptique transforma ses tympans en deux boules compactes de coton. Le Noctali se tapit par terre, oreilles repliées, dans un réflexe de protection instinctif. Très loin dans le brouillard de ses perceptions, un silence tonitruant suivit cet éclat de fureur venu des cieux, et contre toute attente, sembla se prolonger. Kohaku finit par se redresser, non sans précaution, pour découvrir que le Tentacruel s’était figé en pleine motion, inexplicablement pétrifié. Ses larges yeux globuleux restaient fixés sans ciller sur une petite silhouette quadrupède à ses pieds ; si petite, si ridicule, et pourtant si altière alors qu’elle le défiait du regard ! Le poulpe aurait eu tout le loisir de réduire cet insolent en charpie, cependant il n’en fit rien. C’était comme si tous ses muscles avaient cessé de lui obéir ; comme s’il avait été… foudroyé sur place.
Cette révélation éclata comme l’attaque Fatal-Foudre de Protecteur dans l’esprit de tous les partis en présence, et l’ouverture qu’elle permit signa l’arrêt de mort du monstre. On ne lui laissa pas le temps de recouvrer ses moyens : un second Pokémon s’empressa de livrer le coup de grâce. Un poisson, semblait-il, qui s’improvisa dragon en surgissant des flots pour s’abattre sur le Tentacruel la gueule grande ouverte. Il n’était pas plus gros qu’un insecte à côté de cette montagne de tentacules, pourtant la puissance de sa propulsion, couplée à la force brute de sa mâchoire qui broya sans pitié la chair flasque, suffit à mettre un terme à ce festival de cauchemar. Le mastodonte succomba dans une longue plainte étranglée que plus aucune frénésie ne faisait vibrer ; et ce fut au ralenti, presque dans une certaine mélancolie, qu’il s’effondra enfin pour ne plus jamais se relever.
C’était une fin étrange, ce calme après la tourmente. On aurait pu croire à une forme de sombre moquerie de la part du destin, qui permettait à des événements si tragiques de s’enchaîner trop vite pour l’entendement avant de cesser sans préavis, sans explications, laissant les victimes dans son sillage seules en proie à l’incompréhension et à l’angoisse. Mais Kohaku, un simple Noctali, ne s’attarda pas sur des considérations aussi dramatiquement humaines. Dans son esprit aiguillé par l’instant présent, une seule pensée persistait. Lekka. Lekka. Trouver Lekka. Sans un regard pour la carcasse molasse qui se répandait comme une crue putrescente dans les rues dévastées, Kohaku fit volte-face et disparut dans la poussière, en quête de son compagnon de toujours.  


Il avait réussi à se remettre debout. Bien ; au moins était-il un peu moins vulnérable, à présent. Oui, mais où était-il ? Lekka n’était plus sûr de ce qu’il voyait ni de ce qu’il faisait ; la poussière environnante n’aidait pas, bien entendu, mais il avait aussi la désagréable sensation que le monde tanguait sous ses pieds, et que les formes qu’il distinguait étaient un peu trop nombreuses. Où est Kohaku ? Cette pensée martelait son esprit mais l’image de ce qu’il cherchait n’avait de cesse de le fuir, refusait de se recomposer : une fourrure noire, des anneaux dorés, des yeux… rouges… rouges comme les orbes du monstre titanesque dont les gesticulations continuaient de faire trembler le sol alentour. À moins que ce ne fut la conséquence directe de sa confusion mentale ?
Un moment, alors qu’il boitillait au hasard sans parvenir à dissiper la brume sous son crâne - sa hanche le faisait souffrir de plus en plus à chaque pas, pourtant il devait continuer - Lekka crut apercevoir la double silhouette d’un Pokémon lupin en face de lui, avec, juchée sur son dos, une fillette accrochée à sa blanche crinière avec l’énergie du désespoir. On dirait… une princesse de conte de fée, s’émerveilla le garçon, prisonnier de son délire. Puis l’apparition se dématérialisa aussi vite qu’elle était arrivée, si bien qu’il ne fut plus certain de ne pas l’avoir rêvée.
Il progressa encore de quelques pas, et ses idées s’étaient un peu éclaircies lorsqu’il croisa une nouvelle créature, un petit Miaouss aux grands yeux luisant de frayeur. Le félin miaula à son adresse comme pour s’enquérir de son état. L’étudiant, une main sur la hanche, lui grimaça un sourire qu’il espéra rassurant.
« Tu t’en fais pour moi… p’tit gars ? Ça va aller… mais je dois retrouver mon Pokémon. Kohaku… un Noctali… Une bestiole au poil noir et à l’air farouche, tu l’aurais pas croisée ? » C’était une vision un peu absurde que cet humain estropié qui s’adressait à un Pokémon de la sorte en plein chaos, mais Lekka désespérait de retrouver son partenaire. Toute aide était bonne à prendre, n’est-ce pas ?
Soudain, un grand flash blanc les éblouit, vite suivi d’un coup de tonnerre assourdissant. Un silence bizarre s’imposa après ce vacarme, et Lekka, saisi d’une subite appréhension, lança une oeillade inquiète au Miaouss avant de s’élancer du mieux qu’il pouvait vers l’origine du bruit.
Il débarqua devant le Tentacruel au moment où ce dernier tomba sous les coups d’un improbable Sharpedo volant, et toute la masse gélatineuse de son vaste corps sombra sur les derniers immeubles encore debout pour glisser pitoyablement sur leur façade, y laisser une traînée de fluides putrides, avant d’enfin s’étaler au sol dans un claquement spongieux tout à fait écoeurant.
Cette scène ignoble révulsa l’estomac de Lekka, et ce fut à grand-peine qu’il contint une nausée. L’odeur de marée faisandée qui se mit à émaner de la dépouille informe ne fit rien pour soulager son malaise. « B-beurk… » hoqueta-t-il, une main sur la bouche et le coeur au bord des lèvres.
Un glapissement, lancé d’une voix bien connue, lui fit alors tourner la tête. « Kohaku ! » Il voulut se précipiter vers son Pokémon et le regretta dès que son organisme se mit à protester face à son initiative. « Kohaku… Kohaku… » bégaya-t-il cependant que le Noctali, ravi, sautait à sa rencontre et se pressait contre ses jambes. « Je me sens pas tr… tr… » Avant qu’il n’eût le temps de s’en rendre compte, Lekka sentit son cœur chavirer dans sa poitrine, et la dernière chose qu’il vit fut les visages anxieux des Pokémon tourbillonner autour de lui alors qu’il tournait de l'œil.

En avant la musique

Bastet s’approcha du jeune homme. Un Pokémon à la toison noire ? Non, il n’avait croisé rien de tel en remontant l’avenue, mais pas de panique à deux, ils allaient le retrouver plus facilement. Le Miaouss accompagna donc son nouvel acolyte d’infortune, malheureusement aucune trace du Pokémon.

Au même moment, les tentatives pour arrêter le Tentacruel s’avérèrent fructueuses. La créature s’écroula dans un fracas assourdissant. Une tonne de poussière se souleva et la ville tomba dans un silence complet. Plus aucun bruit ne se fit entendre, la nature elle-même se tut. Je m’approchai de l’eau afin de féliciter Sobek pour son excellent travail et le faire rentrer dans sa pokéball pour qu’il puisse se reposer. Maintenant, je devais retrouver Bastet, je ne m’attardai donc pas plus longtemps sur place. En contournant le corps inerte du Pokémon eau, je remarquai les seringues précédemment utilisées par la Guarda. Voilà la preuve que leur système ne fut pas infaillible.

- Bastet ?!

Je déambulai parmi les décombres dans l’espoir de retrouver mon compagnon le plus rapidement possible. Je fus soulagé de le voir en compagnie d’un jeune homme semblant totalement étourdi. Le Miaouss accourut jusqu’à moi et grimpa sur mon épaule pour se lover au creux de ma nuque. Une caresse pour les rassurer et je m’enquis du garçon. Ce dernier retrouva également son ami, mais tomba dans les pommes presque instantanément. J’informai sans hésiter sa position aux secouristes et attendis à côté de lui.

Un éclair soudainement surgit de nulle part fit brusquement s’écarter l’Airmure de sa cible. Le cœur de Corvus avait manqué un battement : non content d’avoir faillis se faire décharger, le trait lumineux l’avait loupé de peu, et le regard du rebelle se porta alors vers son origine. En contre-bas, perché sur un amoncèlement de débris se tenait un Elecsprint – à cette distance, Corvus reconnu davantage les couleurs que la forme – qui ne semblait pas en avoir terminé avec son offensive : déjà, de nouvelles étincelles crépitaient tout autour de sa fourrure bleutée … il devait s’éloigner et vite, au risque de se prendre une décharge ! Mais laisser Salava n’était pas une option.

« — Salava ! Salava descend ! » hurla-t-il à la Malamandre.

Qui savait quelle force avait cet Elecsprint ? Si Skadia avait jadis survécu au fatal-foudre de Soleil, son Pichu, Corvus ne tenait pas à tenter le diable en testant les limites de Salava. Loin de chercher à désobéir, la Malamandre s’empressa de quitter son perchoir. Bien qu’elle n’aurait pas manqué de le tenter si son maître le lui avait demandé, Corvus la savait incapable de regagner le dos de l’Airmure. L’urgence de la situation rendait la tâche risquée, dangereuse et Salava l’avait bien compris : du mieux qu’elle le pouvait, la Malamandre tentait de concilier vitesse et sécurité, mais l’immensité du Tentacruel rendait ses gestes incertains. Par malchance plus que par mégarde, la poison-lézard ripa finalement sur la peau lisse de la créature et chuta de plusieurs mètres. Sans attendre Corvus envoya Skadia à sa suite et s’ils furent bien malgré eux forcés de rejoindre le sol, cette mésaventure fut salutaire pour Salava car quelques secondes plus tard, la foudre frappa le poulpe géant de plein fouet. Uni dans l’adversité, la population n’offrit pas à l’ennemi l’occasion de se reprendre : émergeant des flots, un Sharpedo s’en prit à son tour au Tentacruel et ses deux ultimes attaques eurent raison de la ténacité de la méduse, qui s’écroula non sans fracas non loin des ruines de l’immeuble abattu dans sa fureur.

Loin de se laisser subjugué par tous ces évènements, Corvus en avait profiter pour rejoindre la Malamandre, qui avait amèrement payé les conséquences de sa chute. Il fallait faire vite et Corvus le savait :  l’ancien dompteur n’avait pas la naïveté de croire que son arrivée était passée inaperçue – comment l’aurait-elle pu avec une braillarde telle que Skadia ? – et le Tentacruel désormais abattu, le rebelle se doutait bien que la prochaine cible des autorités ne serait nulle autre que lui. L’occasion était belle après tout, non ? L’ancien dresseur s’affaira à éloigner la Malamandre de son lieu de chute, et dans le tumulte des évènements Corvus ne vit pas arriver derrière-lui la Lougaroc, qui fondit sur lui à une vitesse folle. Un éclair orangé lui fit tourner le regard au dernier moment et par réflexe, l’ancien dompteur leva son bras pour se protéger. Grand bien lui fit, car la mâchoire de la louve se referma sur son avant-bras plutôt que sur sa nuque. Sans crier garde, la louve de Luciano avait bondit sur lui toutes dents dehors, surprenant le rebelle par bien des manières, et l’impact manqua de le faire tomber, lui qui avait pourtant de solides aplombs. Corvus se débattit un moment avec le loup géant dans l’espoir de se défaire de son emprise, dont les crocs restaient irrémédiablement plantés dans la chair de son bras malgré la couche de vêtements qui le recouvrait. Parce qu’aucune autre option ne semblait se présenter à lui, le poing fermé de son autre main Corvus frappa avec force le museau de la Lougaroc une fois, deux fois. La troisième fois fut la bonne car sonnée, la louve lâcha enfin prise. Enfin séparée de son maître, Skadia en profita pour se jeter sur la Lougaroc et s’en suivit une violente altercation opposant bec et oncles, qui permit à Corvus d’obtenir un peu de temps pour aviser l’état de Salava. Désormais sur trois pattes, la poison-lézard peinait à se mouvoir … plus que jamais, le temps jouait en sa défaveur : occupée à combattre la Lougaroc, l’Airmure ne pouvait leur permettre de fuir, alors que d’une minute à l’autre la Guarda pouvait débarquer. A court d’option, Corvus sentait la situation lui échapper … où était Madga ? Censé l’épauler, le garçon brillait dans son absence. Avait-il été pris ? Était-il blessé ? Pourquoi rien ne se passait-il jamais comme prévu ?

En avant la musique

« Ici la citation »

La seconde fois, la foudre toucha le Tentacruel en pleine tête, ébranlant par son passage la méduse qui, l’air de rien, commençait à perdre en vigueur. Quoi de plus normal, lorsqu’une armée de pokémons s’unissaient contre un même ennemi ? Une ultime frappe de la part d’un Sharpedo – qui semblait d’ailleurs être avec Adonis – eut finalement raison du monstre, qui s’effondra enfin dans un nuage de débris et de poussière qui voila un instant toute visibilité. S’en suivit un silence pesant que les plus optimistes auraient pu couvrir d’acclamations, hélas, désormais libérée du danger du Tentacruel, la population de Cinza prenait enfin conscience de toute l’ampleur de la scène qui venait d’avoir lieu. Non content d’avoir défiguré pour longtemps La Isicao, la fureur du monstre avait mis en lumière un fait que les grosses têtes du gouvernement avaient toujours redouté : le Système Pérola  n’était pas si inébranlable si ça, preuve en était aujourd’hui. Cette vérité n’allait pas être ignorée et Luciano le savait : au lendemain de cet évènement, bien des difficultés les attendraient. Devaient-ils craindre de nouvelles manifestations, de nouveaux soulèvements ? Bien sûr qu’ils le devaient. Sans son épée pour se faire craindre, quel espoir y avait-il de voir la Guarda se faire encore respecter ?

Recentrant son attention sur l’instant présent, Luciano porta son regard en direction du corps inerte du monstre. De loin, l’intendant avait vu la Malamandre escaladeuse tomber et depuis, le puîné Viridis avait perdu de vu la lézarde et son maître. L’intendant de Borao espérait que la Guarda avait eu l’intelligence de leur tomber dessus … espérer, oui, voilà tout ce qu’il pouvait faire. Quand bien même l’aurait-il voulu, Luciano savait bien que lui courir après ne servait à rien : si personne ne s’était chargé de lui, à son arrivée le rebelle serait déjà partis depuis bien longtemps, mais Luciano n’avait pas dit son dernier mot. L’homme se tourna en direction de son pokémon nouvellement acquis … pour finalement découvrir que le chien n’était plus là. Du regard Luciano le chercha pendant longtemps, avant d’accepter l’évidence, celle qu’il n’avait pas su prévoir.

L’Elecsprint s’était échappé.

* * *

Gara a rempli sa mission : la petite d’homme est maintenant en sécurité avec sa mère. Sans attendre, Gara s’éloigne de cette famille qui n’est pas la sienne et galope dans une nouvelle direction, animée d’un but nouveau. Ce oiseau-acier apparu dans le ciel, Gara le connait ! Elle sait a qui il appartient et son cœur s’emballe à l’idée de lui tomber dessus. Le grand monstre s’effondre, mais cela n’a que peu d’importance. Oui, Gara sait qui vient d’apparaître. Elle sait qui c’est et pour cause : leur route se sont déjà croisées dans le passé, à une époque différente, avant le Grand Changement. Gara a peut-être changée de forme mais pas de mémoire. Elle se souvient de l’homme-corbeau, et elle se souvient aussi que désormais, il n’est plus un allié. Luciano veut sa peau, il veut le garçon-aux-crins-noirs ! Alors, Gara file à toute vitesse dans sa direction. Les obstacles, les débris, la poussière ne sont rien pour elle :de bonds habiles Gara passe au-dessus et au travers jusqu’à atteindre la cible. Il ne doit pas s’échapper, Gara le sait ! Il est là, avec son poison-lézard ! La louve se jette sur lui, plante ses crocs dans son avant-bras alors qu’il tente de se protéger. Bien avant le poing de son adversaire, un détail la frappe, fait hésiter son cœur : pourquoi a-t-il la même odeur que la petite d’homme de tout à l’heure ? Ses sens sont-ils troublés ? Gara referme sa prise tandis que l’homme tente de s’en défaire. Ah ! Tu crois t’en sortir aussi facilement ? Gara gronde, sa poitrine vibre. Luciano te veut, Luciano t’aura !  Sur la jointure de son long museau, elle sent finalement s’abattre un coup, puis deux, puis trois. La douleur est telle que Gara est forcée de lâcher prise ; sonnée, elle chancèle un instant … puis se retrouve brutalement aux prises avec l’oiseau-acier. Vindicative, l’animal défend son maître comme elle l’aurait elle-même fait avec le sien. S’en suit une violente altercation qui, mine de rien, lui fait gagner un temps précieux : sans l’oiseau, le garçon ne peut pas s’échapper ! Luciano et ses soldats vont arriver, Gara le sait, mais l’oiseau lui donne du fil à retordre. Ses griffes tranchent son pelage là où ses crocs peinent à percer son armure d’acier ; constamment, Gara doit prendre garde à ne pas se laisser toucher, au risque de gagner de belles entailles.  

Le corps à corps s’éternise et Gara se croit gagnante – elle gagne du temps après tout ! – jusqu’à ce qu’un mouvement soudain attire son attention. L’instant d’après, un choc violent lui fait quitter le combat pour un autre. Plus grand et plus lourd qu’elle, le pokémon assaillant ne la lâche plus … celui là aussi, Gara le reconnait ! C’est le héros de la ville, celui que Luciano a fait sortir de sa cage. Traitre ! Traitre ! Gara l’aimait bien pourtant … pourquoi fait-il cela ? Gara tente de venir à bout de ce sale cabot, mais le chien-éclair est tenace ! Le garçon s’échappe ! Non, non, ça ne peut pas arriver, elle doit rapporter le garçon à son maître ! Hélas, Gara sent la fatigue la gagner. L’oiseau-acier a laissé sur son corps des blessures profondes qui marquent son pelage de coulures carmins, et désormais le chien-éclair lui mène la vie dure.  Le cliquetis des plumes d’acier lui informe que l’oiseau est parti … Gara a perdu ! Sans crier garde, le chien-éclair abandonne le combat, file dans une direction qui lui échappe. Haletante, à bout de force, le corps un peu tremblant, Gara reste là, incapable d’aller plus loin et encore moins de le suivre. Mais Gara s’en fait la promesse : celui-là, Gara le retrouvera.